France Brevets a une assez petite équipe de 17 personnes. Nous sommes essentiellement logés à Paris, dans le 9e arrondissement, près de la gare Saint-Lazare. La société travaille avec un nombre important de consultants, avec des personnalités extérieures et avons une présence en Chine, en Corée et au Japon ainsi qu'en Amérique du Nord et au Canada. Les personnes situées dans ces pays ne sont techniquement pas des employés de France Brevets mais des consultants que nous utilisons durant 60 % à 80 % ou 90 % de leur temps.
Nous faisons de plus appel à un certain nombre de consultants dans le domaine de la technologie ou du droit, à beaucoup d'avocats et de conseils en propriété intellectuelle. Comme nous devons traiter des dossiers technologiquement complexes, nous devons d'abord être professionnels ce qui nous impose de nous référer à des personnes de référence dans leur domaine. Nous faisons donc régulièrement appel à des consultants de très haut niveau dans des domaines technologiques très spécifiques tels que le transport, l'automobile, les véhicules autonomes, les batteries ou la physique quantique ou l'informatique quantique ou la cybersécurité.
Nous avons deux actionnaires puisque France Brevets a été créée en 2011 dans le cadre du premier plan d'investissements d'avenir (PIA). Nous avions à l'époque une relation assez forte avec le Commissariat général à l'investissement (CGI) devenu maintenant le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI). Nous avons dix administrateurs, quatre de l'État, quatre de la Caisse des dépôts et consignations et deux administrateurs du privé, dont notre président Olivier Appert.
Techniquement, France Brevets est une société privée, une société par actions simplifiée (SAS). Nous avons de ce fait la capacité d'être titulaires de brevets. Nous sommes aussi en mesure de rentrer dans des relations contractuelles qui peuvent être complexes et d'aller en justice. Nous représentons en justice certaines entreprises pour faire valoir leurs droits. Notre mission est de protéger et défendre l'industrie française. Quand besoin est, nous représentons des PME, quelquefois des entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour faire valoir leurs droits dans certaines juridictions. Il est donc important que France Brevets soit une SAS pour avoir cette liberté d'action.
Nos activités principales tournent autour de la propriété intellectuelle, essentiellement des brevets. Notre première mission est de générer des modèles économiques qui permettent de satisfaire l'industrie et l'économie françaises.
Le premier point est d'apporter de la valeur. Dans nos missions, il s'agit d'abord d'axer sur la qualité et de se dire que la propriété intellectuelle n'est pas intéressante si elle n'a pas de valeur. Cela ne signifie pas qu'il faille nécessairement qu'elle rapporte de l'argent. Nous ne parlons pas nécessairement de revenu mais il faut que cette propriété intellectuelle apporte quelque chose à l'entreprise. Notre combat quotidien est d'expliquer aux sociétés françaises qu'accumuler des brevets et de la propriété intellectuelle sur des étagères ne sert à rien, qu'il est fondamental que cette propriété intellectuelle soit activée ou activable à tout moment.
Très concrètement, nous avons dans un premier temps généré des revenus pour des entreprises ou des laboratoires de recherche en monétisant de la propriété intellectuelle, donc en utilisant les portefeuilles de brevets disponibles pour générer des revenus.
Notre programme phare est le programme Near Field Communication (NFC), une technologie qui permet d'émuler les techniques de paiement et les transactions à courte distance. Certaines entreprises l'utilisent aujourd'hui pour payer dans les magasins, notamment avec le téléphone. Cette technologie est en grande partie une technologie française, créée par une très belle entreprise française qui a été leader de la carte à puce. Notre mandat est donc d'administrer un programme de licences et, si possible, de générer des revenus lorsque l'entreprise est titulaire de ces brevets. Deux entreprises sont concernées : une PME française et un grand groupe français de télécoms. Les licenciés sont actuellement des géants de la Tech, des télécoms. France Brevets est certainement la seule entité en France à avoir réussi à conclure ce type de contrats. Cela n'a parfois pas été sans douleur puisque, manifestement, tout le monde n'a pas envie de payer ces licences. Il faut parfois un peu montrer les muscles. Il nous faut donc aller en justice pour faire valoir les droits des entreprises que nous représentons en arguant de la contrefaçon, que nous transformons après accord en un accord de licence.
Nous nous sommes ensuite focalisés sur les entreprises à fort potentiel les plus vulnérables ce qui nous a amenés à développer le programme de la Fabrique à brevets (FaB). L'idée de base est d'équiper les start-up et PME de portefeuilles de brevets de qualité pour que ces brevets soient utilisables. C'est le principe que j'ai déjà évoqué : la propriété intellectuelle sur étagère, qui ne sert à rien, n'est pas activable ou activée, n'est pas utile. Cette propriété intellectuelle vient grever le budget de l'entreprise ou impacter négativement son compte d'exploitation. Il faut donc qu'elle ait une utilité et une efficacité. Ce n'est possible qu'à partir d'une certaine qualité et d'une certaine masse. Toutes les analyses que nous faisons nous démontrent que les entreprises les plus offensives, celles qui gagnent, jouent avec ces deux critères de quantité et de qualité. La France n'est malheureusement pas très bien placée pour ce qui est de la quantité.
Une quarantaine d'entreprises ont été analysées ou accompagnées dans le cadre de ce programme. Certaines sont maintenant sorties du programme. Nous étions jusqu'à présent en phase de test puisqu'il a fallu faire évoluer l'environnement contractuel. Nous aimerions étendre ce programme en 2021, avec l'ambition d'accueillir une trentaine d'entreprises.
Nous n'avons pu accueillir en 2020 que sept entreprises du fait de notre modèle économique : nous prenons à notre charge les frais de constitution d'un portefeuille de brevets. Il s'agit d'abord d'identifier les inventions à breveter, pas nécessairement brevetables mais qu'il est intelligent de breveter, ce qui va dans le sens de la recherche de qualité. Ensuite, nous travaillons avec nos partenaires conseils en propriété intellectuelle, qui sont les représentants juridiques de la start-up que nous épaulons, pour définir un axe, une direction, un objectif, un volume de brevets. Main dans la main, nous constituons le meilleur portefeuille de brevets au vu de la situation de la société à l'instant où nous l'assistons.
Cela signifie que nous essaierons de doter une entreprise au stade de l'amorçage d'au minimum cinq brevets puis, au fur et à mesure de son évolution, ce nombre augmentera pour aller jusqu'à quarante ou cinquante. Dans la plupart des domaines techniques, électronique, informatique, science des matériaux, mécanique, peut-être même la chimie mais pas la pharmacie et la biotechnologie, le principe de base est qu'il faut entre trente et cinquante brevets pour pouvoir peser sur les marchés.
Nous prenons donc à notre charge ces frais. Nous payons les factures des conseils en propriété intellectuelle pour la mission et l'objectif que nous nous sommes assignés, pendant une période variant entre douze et vingt-quatre mois. À la fin du contrat, nous demandons le remboursement des frais que nous avons avancés, additionnés d'une marge correspondant au service d'accompagnement et de chef de projet que nous fournissons. Techniquement, ce n'est donc ni un prêt ni une subvention. À ce stade, ce n'est pas non plus un investissement en capital puisque France Brevets ne prend pas de position au capital. C'est une avance remboursable.
Ce projet demande à évoluer car le taux de sinistralité des entreprises est assez élevé en ce moment. Nous courons malheureusement le risque de ne pas pouvoir amener ce programme à l'équilibre. Nous devons trouver un moyen de rémunération différent, supérieur à celui que nous avons actuellement. Nous y travaillons avec des fonds d'investissement. Le constat est qu'il serait bon que nous ayons des collaborations avec les fonds pour qu'ils identifient avec nous les sociétés ayant le plus fort potentiel afin que nous nous retrouvions de façon synchrone dans les cycles d'investissement.
L'idée de ce programme est aussi de doter les entreprises d'une propriété intellectuelle qui soit satisfaisante pour les investisseurs, de façon à ce qu'ils considèrent cette propriété intellectuelle comme suffisamment attractive et solide pour investir de façon sereine.
Le constat est net : le niveau de sophistication des investisseurs s'accroît car le ton est très anglo-saxon. Les Anglo-Saxons ont toujours cherché à investir dans des entreprises possédant des actifs immatériels de qualité. Cet état d'esprit arrive de plus en plus en France. Notre programme rencontre donc une demande des investisseurs et cela se traduit par des investissements, des réussites.
Nous espérons que ce programme FaB continuera et évoluera. Des entreprises nous interrogent et nous avons ainsi eu l'opportunité la semaine dernière de discuter avec l'Office de la propriété intellectuelle de Singapour qui s'intéresse à ce que nous faisons. Il trouve que ce modèle est intéressant et songe à le développer également. La Chine nous a aussi posé beaucoup de questions sur ce programme ; le ministère chinois de l'économie et de l'industrie s'y intéresse.
Nous avons donc beaucoup de satisfactions, des réussites et des échecs. Certaines des premières entreprises que nous avons aidées ont pu trouver des fonds, conclure des partenariats ce qui est important pour une toute petite entreprise. Pour conquérir des parts de marché, elle doit trouver des partenaires et certaines ont trouvé de très beaux partenaires. D'après leurs témoignages, cette propriété intellectuelle leur a permis d'avoir un dialogue plus équilibré. C'est le problème des petites entreprises : au-delà d'être toujours à la recherche de cash, il s'agit aussi de rééquilibrer le rapport de forces qui est par nature déséquilibré.
Nous avons aussi eu quelques échecs. Certaines entreprises n'ont pas réussi à survivre. Cela a été pour nous une difficulté. Pour rééquilibrer cette situation, nous devons aller chercher des revenus complémentaires. C'est le cycle naturel de la vie ; toutes les start-up ne réussissent pas. Par contre, plus nous les accompagnons et plus nous sommes présents tôt dans le cycle, plus nous avons de chances de travailler avec elles. Malheureusement, d'autres éléments interviennent dans la recette de la réussite d'une start-up : le management, l'appétence du marché, parfois des coïncidences. Lorsque plusieurs start-up arrivent avec le même produit sur le même marché, toutes ne survivent pas. Un certain taux de sinistres est donc normal.