Cette remarque est extrêmement pertinente. Effectivement, le constat est net qu'un certain nombre d'entreprises qui ont eu un très fort succès sur le marché – par exemple dans le domaine des moteurs de recherche ou du positionnement précis par GPS ou de la fourniture de taxis ou des places de marché numériques – ont eu des stratégies de brevets hybrides. Elles ont engagé des phases d'achat de brevets. Leur propriété intellectuelle s'est construite par des acquisitions, en particulier de très grosses acquisitions ayant pour but de renforcer la position de la société.
Malheureusement, force est de constater que nous sommes assez en retard. La philosophie en ce moment, dans ce pays, est plutôt une stratégie des années 1980 ou même 1970 consistant à constituer sa propriété intellectuelle à l'aide de sa recherche et développement (R&D) interne. Ce n'est pas du tout ce que font certaines entreprises du côté ouest de l'Atlantique et celles qui ont eu beaucoup de succès dans le domaine de la Tech n'ont pas procédé ainsi.
Nous devons nous imprégner de cette façon d'agir. Dans le cadre de la Fabrique à brevets, nous suggérons aux entreprises avec lesquelles nous travaillons de regarder ce sujet. Évidemment, tout n'est pas à acheter. De nombreux brevets sont sur le marché et de nombreuses ventes ont lieu actuellement. De très grandes sociétés de télécommunications, dont une société canadienne qui fut vraiment précurseur dans le domaine des télécoms, mettent leur portefeuille de brevets en vente. Un très gros opérateur allemand du domaine des télécoms et une grosse société informatique japonaise ont également mis leur portefeuille de brevets en vente. Un grand nombre de brevets sont donc sur le marché.
Il existe également des brevets à acheter dans le stock de la recherche publique française. Il faut reconnaître la qualité de nos laboratoires de recherche, en particulier d'un laboratoire dont le siège est dans le 16e arrondissement à Paris. Il est souvent remarqué même par les organismes outre-Atlantique qui notent la recherche. De brevets de qualité sont issus de la recherche française et nous pourrions imaginer que les start-up ou les PME françaises s'équipent en brevets achetés auprès de la recherche française.
Je pense important d'étudier cet axe car le retour sur investissement est intéressant. En effet, il est plus facile d'acheter quelque chose de qualité en le voyant, en pouvant le jauger, l'examiner, l'analyser. Lorsqu'une entreprise dépose une demande de brevets de sa propre R&D, elle n'a aucune idée de ce que cela donnera. Il faut attendre trois, quatre ou cinq ans pour arriver à maturité, pour que les brevets soient délivrés et pour commencer à avoir une idée de la pertinence et de l'impact des brevets. À mon avis, il faut donc acheter sur étagère. Le seul blocage est que les entreprises n'y pensent pas, surtout pour des entreprises dont un pilier important dans leur stratégie intellectuelle est de ne pas se faire copier en protégeant leurs inventions.
Toutefois, un autre pilier important est de ne pas se faire agresser. Notre stratégie est de protéger et défendre. Pour défendre, il faut avoir des moyens de défense et, souvent, ses propres brevets ne sont pas les meilleurs moyens de défense pour une entreprise agressée sur un marché lors d'une tentative de déstabilisation ou de prédation organisée par une entité quelle qu'elle soit pour racheter l'entreprise. Nous avons déjà observé ce phénomène et nous souhaitons d'ailleurs mettre sur pied un système permettant de l'éviter.
Le premier objectif à notre avis n'est plus d'éviter de se faire copier mais de ne pas se faire agresser. En effet, une agression provoque des pertes économiques importantes et, même sans décision de justice, pendant les premières années de contentieux en première instance par exemple, les coûts sont énormes. Pour vous donner un ordre d'idée, en France aujourd'hui, les frais de défense en première instance sont de 100 000 à 200 000 euros. En Allemagne, il faut compter entre 2 et 3 millions d'euros et il s'agit d'argent qu'il faut sortir tout de suite. En Chine, cela coûte entre 500 000 et 2 millions d'euros. Aux États-Unis, le coût monte entre 4 et 6 millions par an. Ce coût est une pression énorme pour une ETI, encore plus pour une PME et, pour une start-up, c'est la mort.
Pour être capable de réagir, il faut des brevets capables d'impacter l'agresseur. Les brevets issus de sa propre R&D sont rarement percutants face aux plus grands agresseurs. Cela implique de développer le pilier « Défense » en pensant à des acquisitions. Ces acquisitions de brevets ne sont pas destinées à être en relation avec sa propre activité mais avec l'activité de l'agresseur pour être capable de l'impacter, d'avoir une adhérence sur sa surface d'activité et de préférence sur sa surface d'activité la plus chère, celle qui est la plus importante pour lui. Cela permet de rééquilibrer le rapport de force.