Intervention de Didier Patry

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Didier Patry, directeur général de France Brevets :

De nombreux débats ont eu lieu sur l'intelligence artificielle, en particulier pour savoir si une invention issue d'une intelligence artificielle est brevetable. Beaucoup d'encre coule dans ce domaine et des décisions ont déjà été prises. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'y réfléchir. Nous pouvons y contribuer mais beaucoup de gens y réfléchissent déjà. Il ne me paraît pas nécessaire que nous ajoutions notre grain de sel à un domaine déjà très salé.

Il me semble par contre utile de rappeler quelques fondamentaux. Tout d'abord, le logiciel est brevetable et il est breveté massivement. Environ 70 % des brevets délivrés aujourd'hui aux États-Unis, toutes catégories confondues, sont des brevets de logiciels. Les Américains ont donc largement bétonné leur territoire économique de prédilection. En Europe, nous avons toujours un courant de pensée selon lequel le logiciel n'est pas brevetable. Pourtant, il l'est même si le taux de réussite au contentieux sur les brevets de logiciels n'est pas très important. De nombreuses sociétés déposent, malgré tout, des brevets dans le domaine logiciel, y compris dans celui de l'intelligence artificielle qui s'exprime in fine, d'un point de vue technologique, par un logiciel.

Certains croient que le logiciel libre, open source, serait la réponse européenne pour éviter les mécanismes de dépendance extrême dans lesquels nous sommes. Nous sommes loin de la souveraineté numérique, nous sommes inféodés. Le logiciel libre n'est pas la réponse parce qu'il n'est pas immunisé vis-à-vis des brevets de tiers. Tout le monde ne l'a pas bien compris aujourd'hui. Le logiciel libre est immunisé vis-à-vis de ceux qui contribuent mais pas vis-à-vis de ceux qui n'y contribuent pas. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une grande société de la côte Est a eu un programme de licence extrêmement agressif vis-à-vis d'Android, pourtant logiciel libre.

Il faut faire attention à ces croyances, à ces dogmes, savoir raison garder et faire une analyse calme et sereine. Nous ne devons pas avoir des croyances religieuses mais être capables de comprendre les mécanismes, les avantages et les inconvénients et où nous pouvons réussir.

À mon avis, nous pouvons réussir dans un modèle propriétaire. Nous pouvons aussi réussir dans un modèle de logiciel libre mais à condition de très bien savoir comment manier ce modèle qui est dangereux et potentiellement très toxique. Peut-être serait-il utile d'établir une doctrine vis-à-vis du logiciel libre, ses limites, les précautions à prendre pour que nous ne soyons plus dans le dogme, l'incantation ou la croyance religieuse mais dans l'analyse et le rationnel.

Un autre élément, peut-être moins important, sans rapport avec l'intelligence artificielle et le logiciel ou la brevetabilité, est la question des moyens juridiques, techniques, systémiques utilisables pour être plus forts, en France et en Europe.

Je pense que nous devrions continuer à travailler sur le droit de la concurrence car c'est le droit qui s'est montré le plus coercitif, dans ce pays et en Europe en général. Nous devrions nous demander comment régler les situations de déséquilibre et les utilisations abusives de la propriété intellectuelle ou des systèmes juridiques hors de nos frontières pour mener des actions de prédation ou de déstabilisation contre nos entreprises. Le droit de la concurrence ne peut-il pas rééquilibrer ces situations de déséquilibre et d'abus en dehors de nos frontières ? Nous nous posons la question et travaillerons certainement dessus, bien que la ligne soit assez fine.

Cette question nous semble importante car l'extraterritorialité n'existe que parce que notre système juridique est faible, que nous ne voulons pas nous opposer à ces actions d'extraterritorialité. Il faut que nous revoyions notre copie et que nous réfléchissions à la façon dont la solidité de notre système juridique national, sa pertinence et son impact pourraient aider nos entreprises. Il faut donner des moyens au système, aux tribunaux. Il faut que les juges disposent de moyens et de temps, puissent prendre le temps de décider de façon professionnelle. Notre justice a besoin de moyens pour être efficace. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas et nos entreprises ne peuvent pas se reposer sur notre système. C'est un réel problème qui rend trop facile l'utilisation de mécanismes d'extraterritorialité du fait de l'absence de défense et de protection chez nous.

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