Intervention de Laurent Giovachini

Réunion du jeudi 14 janvier 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Laurent Giovachini, président du comité « souveraineté et sécurité économique » du MEDEF, président de la fédération Syntec, directeur général adjoint de Sopra Steria :

Avec M. Christian Poyau, nous sommes très heureux de participer à la présente table ronde, afin d'évoquer notre position au sein du MEDEF sur le sujet de la souveraineté numérique nationale et européenne, crucial pour le monde économique dans son ensemble. Notre propos liminaire abordera les trois points que vous avez soulevés.

Le MEDEF réunit 173 000 entreprises adhérentes, 91 fédérations professionnelles, 122 organisations territoriales. Je rappellerai que 95 % de ses entreprises adhérentes sont des très petites entreprises (TPE), des PME ou des ETI. Elles comptent en moyenne 47 salariés. Nous sommes donc directement concernés par la commande publique qui s'adresse aux PME et ETI.

Ainsi que vous l'avez mentionné M. le président, j'occupe les fonctions de directeur général adjoint de Sopra Steria. Forte de 45 000 collaborateurs présents dans 25 pays, générant un chiffre d'affaires de 4,5 milliards d'euros, cette entreprise française est l'un des chefs de file européens de la transformation numérique. Comme d'autres, elle a subi en 2020 une cyberattaque d'ampleur. Si nous sommes parvenus à la parer à temps, elle ne nous en a pas moins causé certains dommages. Je puis donc témoigner de la recrudescence de ce phénomène de cyberattaques à l'occasion de la crise sanitaire et de la crise économique qu'elle provoque.

La fédération Syntec que je préside, rassemble dans ses syndicats affiliés des entreprises spécialisées dans les domaines, non seulement du numérique, mais également de l'ingénierie, du conseil, de la formation professionnelle et de l'événementiel. Elle représente 80 000 entreprises, un million de salariés, 8 % du produit intérieur brut français.

Enfin, j'interviens en qualité de président du comité « souveraineté et sécurité économique des entreprises » du MEDEF. Au sein de l'organisation patronale, nous n'avons pas attendu le déclenchement de la pandémie pour nous mobiliser sur les enjeux de souveraineté économique au sens large. À notre sens, la souveraineté numérique en forme l'un des volets.

Dès 2019, M. Geoffroy Roux de Bézieux, président de l'organisation, a souhaité la création d'un comité lié à ces thématiques. Dans un contexte international marqué par la rivalité commerciale entre les États-Unis, la Chine et d'autres puissances, avec l'emploi de législations extraterritoriales, tel le clarifying lawful overseas use of data act, ou cloud act, loi fédérale des États-Unis adoptée en 2018, face aux transformations numériques et technologiques, devant les enjeux climatiques, il est apparu indispensable que les entreprises françaises s'emparent des questions de souveraineté, de renforcement de leurs actifs et de leurs données.

À nos yeux, la démarche ne revêt nulle intention protectionniste. Elle vise simplement à se garder de toute candeur. Le libéralisme auquel nous demeurons attachés ne saurait être synonyme de naïveté. Il nous apparaît urgent d'affirmer nos ambitions de souveraineté et de nous donner les moyens, juridiques et financiers, de la préserver sur tous les plans. La souveraineté concerne aussi bien le numérique que les aspects technologiques, industriels, monétaires, juridiques, énergétiques et sanitaires. Nous entendons que nos entreprises expriment leurs talents à travers les frontières par le jeu de règles équitables, qu'elles prennent toute leur place dans la compétition internationale. Nous articulons la souveraineté selon un triptyque : protéger, ne pas entraver, rester attractif.

Nous nous félicitons de constater que le terme de souveraineté n'est désormais plus un tabou. Nous nous réjouissons que la prise de conscience des enjeux de souveraineté dans ses différentes dimensions, dont le numérique, se développe en France et en Europe. Ces enjeux se retrouvent dans les plans de relance nationaux et de l'Union européenne. Ils apparaissent dans l'ambitieux agenda que porte M. Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur. À l'évidence, la crise sanitaire a accéléré cette prise de conscience, en particulier sur le rôle clé que jouent le numérique et ses acteurs.

Qu'il s'agisse de protection des données des entreprises, de régulation des acteurs du marché, de facilitation du recours à des outils sécurisés et à des technologies d'avenir, le MEDEF préconise une approche offensive du renforcement de notre souveraineté numérique. Celle-ci recouvre concomitamment les aspects régaliens, des intérêts économiques et des sujets de société.

Il en va de notre capacité à maîtriser notre destin. De ce point de vue, nous ne pouvons laisser les seuls États traiter la question de la souveraineté, notamment numérique. Il nous appartient de réduire nos dépendances, d'être plus autonomes, sans cependant verser dans l'autarcie et sans nous couper des avancées techniques qui se développent au plan mondial et auxquelles nous entendons continuer d'avoir recours.

Il nous faut renforcer notre aptitude à affronter les crises, à « rebondir », à devenir plus « résilients », et nous donner les moyens d'une meilleure compétitivité sur les marchés internationaux. Nous refusons que nos entreprises dépendent uniquement des solutions d'un nombre excessivement restreint d'acteurs. La souveraineté vient soit de la maîtrise des techniques de pointe, soit de la diversité des sources d'approvisionnement.

En matière de souveraineté en général et de souveraineté numérique en particulier, nous recommandons une approche par cercles géographiques concentriques. Le ministère de l'économie, des finances et de la relance partage cette approche que nous lui avons soumise.

Le premier cercle inclut ce que nous devons impérativement maîtriser sur le territoire national en raison de l'importance des enjeux. Il s'agira par exemple des données les plus sensibles de certaines de nos administrations ou grandes entreprises.

Le deuxième cercle se rapporte au niveau européen et peut être soutenu par les initiatives européennes. À titre d'illustration, je citerai le projet Gaia-X dans le domaine du cloud computing, ou accès à des services informatiques via l'internet. Le MEDEF y adhère.

Le troisième cercle renvoie à ce qui autorise des partenariats internationaux extra-européens, en vue de répondre aux besoins de développement de nos entreprises que je qualifierai de « standards ». Je répète qu'il n'est pas question de nous couper des acteurs non européens qui détiennent des techniques importantes.

L'approche que je vous décris ne se matérialisera que si elle repose sur des partenariats public-privé plus étroits qu'ils ne le sont à présent. Ces partenariats ne se restreignent pas aux seules commandes publiques. Il m'importe que nous analysions comment des partenariats entre les secteurs public et privé ont progressé dans d'autres domaine que le numérique. Je pense à celui qui a cours aux États-Unis pour l'élaboration de vaccins contre le coronavirus.

Outre la commande publique, le succès de tels partenariats semble lié chez nous à la capacité à mettre en œuvre, fort en amont, des politiques d'investissement auprès d'acteurs privés, certes à l'échelle nationale, mais peut-être aussi, voire surtout, à celle de l'Union européenne. Avant qu'il ne soit trop tard, il revient à la puissance publique de prendre le risque de miser sur des solutions numériques nationales ou européennes. À l'extérieur de l'Europe, des gouvernements excellent en la matière. Imitons-les. De ces partenariats dépend l'émergence de compétiteurs français et européens auxquels il sera loisible de confier nos commandes publiques.

M. Christian Poyau complétera mes propos.

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