Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des représentants :
- de la Confédération des petites et moyennes entreprise (CPME) : M. Alain Assouline, co-président de la commission « innovation et économie numérique »
- du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI) : M. Alain Conrard, président de la commission digitale, directeur général de Prodware Group, M. Sylvain Rouri, directeur des ventes d'OVHcloud, Mme Florence Naillat, adjointe au délégué général, M. Alexandre Bonis, responsable des affaires publiques
- du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) : M. Laurent Giovachini, président du comité « souveraineté et sécurité économique », président de Syntec et directeur général adjoint de Sopra Steria, M. Christian Poyau, co-président de la commission « mutations Technologiques & impacts sociétaux », co-fondateur et président-directeur général de Micropole, Mme Maxence Demerlé, directrice du numérique, Mme Stéphanie Tison, directrice adjointe à l'international au pôle économique, Mme Fadoua Qachri, chargée de mission à la direction des affaires publiques, Mme Clémentine Furigo, chargée de mission senior à la direction juridique
La séance est ouverte à 11 heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président.
Nous poursuivons nos travaux avec une seconde table ronde consacrée à la souveraineté numérique et à la commande publique. L'objectif de la mission d'information consiste à échanger avec des acteurs publics et privés afin d'examiner comment la commande publique peut servir à la transformation numérique de nos administrations, ainsi qu'à la construction d'une forme de souveraineté numérique nationale ou européenne.
Nous recevons par visioconférence M. Alain Assouline, coprésident de la commission « innovation et économie numérique » de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
Pour le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (METI), nous accueillons M. Alain Conrard, directeur général de Prodware Group et président de la commission digitale du syndicat, M. Sylvain Rouri, directeur des ventes chez OVHcloud, Mme Florence Naillat, adjointe au délégué général du METI, M. Alexandre Bonis, responsable des affaires publiques du METI.
Représenteront le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), M. Laurent Giovachini, président du comité « souveraineté et sécurité économique » de l'organisation patronale, président de la fédération Syntec, directeur général adjoint de Sopra Steria, M. Christian Poyau, coprésident de la commission « mutations technologiques et impacts sociétaux » du syndicat patronal, cofondateur et président-directeur général du groupe Micropole, Mme Maxence Demerlé, directrice du numérique, Mme Stéphanie Tison, directrice adjointe à l'international au pôle économique, Mme Fadoua Qachri, chargée de mission à la direction des affaires publiques, ainsi que Mme Clémentine Furigo, chargée de mission senior à la direction juridique.
Je vous souhaite la bienvenue, vous remercie de votre présence et des réponses écrites que vous nous avez déjà apportées ou que vous nous ferez parvenir.
J'adresse les traditionnels vœux de début d'année, en espérant que 2021 effacera les stigmates de 2020.
À titre d'introduction à nos échanges, j'interrogerai les différents participants de la table ronde sur plusieurs sujets.
En premier lieu, que recouvre pour vous la notion de souveraineté numérique ? Depuis le déclenchement de la crise sanitaire, les pouvoirs publics lui accordent une attention croissante. Au cours de nos auditions successives, nous avons entendu plusieurs définitions de cette notion particulièrement large. Certains la rapprochent d'une forme d'autonomie stratégique ou décisionnelle. Le regard que vous portez, en tant qu'acteurs privés, sur ce concept m'intéresse. Selon vous, comment peut-il se traduire concrètement dans les politiques publiques ?
En second lieu, je souhaite recueillir votre avis sur la commande publique, thème principal de notre table ronde. Il s'agit d'un outil puissant, puisqu'il représentait environ 87,5 milliards d'euros en 2019, d'après le baromètre de l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et de la Banque des territoires. Jugez-vous la commande publique suffisamment tournée vers des solutions numériques et technologiques françaises ou européennes ? Des petites et moyennes entreprises (PME) ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI) portant certaines de ces solutions, pensez-vous qu'elles accèdent suffisamment facilement à la commande publique ? Dans le cas contraire, nous vous prions de nous préciser la nature des difficultés qu'elles rencontrent et entendrons avec intérêt vos propositions d'amélioration.
En dernier lieu, j'aimerais que nous abordions l'enjeu important de la numérisation des entreprises. Il se révèle des plus prégnants à l'occasion de la crise sanitaire. À ce sujet, nous soulèverons principalement deux interrogations. Comment d'abord inciter les entreprises à se numériser davantage, autrement dit à recourir à des outils numériques qui leur permettent d'être plus compétitives ? Comment ensuite développer une culture de la cyberprotection chez les acteurs privés, face à un risque croissant ? M. Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), a récemment indiqué que le nombre des cyberattaques avait crû dans des proportions considérables en 2020, et a mis en avant une forte inventivité de la part des agresseurs.
Je vous laisse répondre à ces premières questions. Si nécessaire, nous les complèterons au fur et à mesure de la discussion.
Avec M. Christian Poyau, nous sommes très heureux de participer à la présente table ronde, afin d'évoquer notre position au sein du MEDEF sur le sujet de la souveraineté numérique nationale et européenne, crucial pour le monde économique dans son ensemble. Notre propos liminaire abordera les trois points que vous avez soulevés.
Le MEDEF réunit 173 000 entreprises adhérentes, 91 fédérations professionnelles, 122 organisations territoriales. Je rappellerai que 95 % de ses entreprises adhérentes sont des très petites entreprises (TPE), des PME ou des ETI. Elles comptent en moyenne 47 salariés. Nous sommes donc directement concernés par la commande publique qui s'adresse aux PME et ETI.
Ainsi que vous l'avez mentionné M. le président, j'occupe les fonctions de directeur général adjoint de Sopra Steria. Forte de 45 000 collaborateurs présents dans 25 pays, générant un chiffre d'affaires de 4,5 milliards d'euros, cette entreprise française est l'un des chefs de file européens de la transformation numérique. Comme d'autres, elle a subi en 2020 une cyberattaque d'ampleur. Si nous sommes parvenus à la parer à temps, elle ne nous en a pas moins causé certains dommages. Je puis donc témoigner de la recrudescence de ce phénomène de cyberattaques à l'occasion de la crise sanitaire et de la crise économique qu'elle provoque.
La fédération Syntec que je préside, rassemble dans ses syndicats affiliés des entreprises spécialisées dans les domaines, non seulement du numérique, mais également de l'ingénierie, du conseil, de la formation professionnelle et de l'événementiel. Elle représente 80 000 entreprises, un million de salariés, 8 % du produit intérieur brut français.
Enfin, j'interviens en qualité de président du comité « souveraineté et sécurité économique des entreprises » du MEDEF. Au sein de l'organisation patronale, nous n'avons pas attendu le déclenchement de la pandémie pour nous mobiliser sur les enjeux de souveraineté économique au sens large. À notre sens, la souveraineté numérique en forme l'un des volets.
Dès 2019, M. Geoffroy Roux de Bézieux, président de l'organisation, a souhaité la création d'un comité lié à ces thématiques. Dans un contexte international marqué par la rivalité commerciale entre les États-Unis, la Chine et d'autres puissances, avec l'emploi de législations extraterritoriales, tel le clarifying lawful overseas use of data act, ou cloud act, loi fédérale des États-Unis adoptée en 2018, face aux transformations numériques et technologiques, devant les enjeux climatiques, il est apparu indispensable que les entreprises françaises s'emparent des questions de souveraineté, de renforcement de leurs actifs et de leurs données.
À nos yeux, la démarche ne revêt nulle intention protectionniste. Elle vise simplement à se garder de toute candeur. Le libéralisme auquel nous demeurons attachés ne saurait être synonyme de naïveté. Il nous apparaît urgent d'affirmer nos ambitions de souveraineté et de nous donner les moyens, juridiques et financiers, de la préserver sur tous les plans. La souveraineté concerne aussi bien le numérique que les aspects technologiques, industriels, monétaires, juridiques, énergétiques et sanitaires. Nous entendons que nos entreprises expriment leurs talents à travers les frontières par le jeu de règles équitables, qu'elles prennent toute leur place dans la compétition internationale. Nous articulons la souveraineté selon un triptyque : protéger, ne pas entraver, rester attractif.
Nous nous félicitons de constater que le terme de souveraineté n'est désormais plus un tabou. Nous nous réjouissons que la prise de conscience des enjeux de souveraineté dans ses différentes dimensions, dont le numérique, se développe en France et en Europe. Ces enjeux se retrouvent dans les plans de relance nationaux et de l'Union européenne. Ils apparaissent dans l'ambitieux agenda que porte M. Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur. À l'évidence, la crise sanitaire a accéléré cette prise de conscience, en particulier sur le rôle clé que jouent le numérique et ses acteurs.
Qu'il s'agisse de protection des données des entreprises, de régulation des acteurs du marché, de facilitation du recours à des outils sécurisés et à des technologies d'avenir, le MEDEF préconise une approche offensive du renforcement de notre souveraineté numérique. Celle-ci recouvre concomitamment les aspects régaliens, des intérêts économiques et des sujets de société.
Il en va de notre capacité à maîtriser notre destin. De ce point de vue, nous ne pouvons laisser les seuls États traiter la question de la souveraineté, notamment numérique. Il nous appartient de réduire nos dépendances, d'être plus autonomes, sans cependant verser dans l'autarcie et sans nous couper des avancées techniques qui se développent au plan mondial et auxquelles nous entendons continuer d'avoir recours.
Il nous faut renforcer notre aptitude à affronter les crises, à « rebondir », à devenir plus « résilients », et nous donner les moyens d'une meilleure compétitivité sur les marchés internationaux. Nous refusons que nos entreprises dépendent uniquement des solutions d'un nombre excessivement restreint d'acteurs. La souveraineté vient soit de la maîtrise des techniques de pointe, soit de la diversité des sources d'approvisionnement.
En matière de souveraineté en général et de souveraineté numérique en particulier, nous recommandons une approche par cercles géographiques concentriques. Le ministère de l'économie, des finances et de la relance partage cette approche que nous lui avons soumise.
Le premier cercle inclut ce que nous devons impérativement maîtriser sur le territoire national en raison de l'importance des enjeux. Il s'agira par exemple des données les plus sensibles de certaines de nos administrations ou grandes entreprises.
Le deuxième cercle se rapporte au niveau européen et peut être soutenu par les initiatives européennes. À titre d'illustration, je citerai le projet Gaia-X dans le domaine du cloud computing, ou accès à des services informatiques via l'internet. Le MEDEF y adhère.
Le troisième cercle renvoie à ce qui autorise des partenariats internationaux extra-européens, en vue de répondre aux besoins de développement de nos entreprises que je qualifierai de « standards ». Je répète qu'il n'est pas question de nous couper des acteurs non européens qui détiennent des techniques importantes.
L'approche que je vous décris ne se matérialisera que si elle repose sur des partenariats public-privé plus étroits qu'ils ne le sont à présent. Ces partenariats ne se restreignent pas aux seules commandes publiques. Il m'importe que nous analysions comment des partenariats entre les secteurs public et privé ont progressé dans d'autres domaine que le numérique. Je pense à celui qui a cours aux États-Unis pour l'élaboration de vaccins contre le coronavirus.
Outre la commande publique, le succès de tels partenariats semble lié chez nous à la capacité à mettre en œuvre, fort en amont, des politiques d'investissement auprès d'acteurs privés, certes à l'échelle nationale, mais peut-être aussi, voire surtout, à celle de l'Union européenne. Avant qu'il ne soit trop tard, il revient à la puissance publique de prendre le risque de miser sur des solutions numériques nationales ou européennes. À l'extérieur de l'Europe, des gouvernements excellent en la matière. Imitons-les. De ces partenariats dépend l'émergence de compétiteurs français et européens auxquels il sera loisible de confier nos commandes publiques.
M. Christian Poyau complétera mes propos.
Je m'attacherai à la numérisation des entreprises.
Moi-même entrepreneur, j'ai fondé et dirige la société Micropole. Elle compte environ 1 200 salariés et, présente dans six pays, réalise à l'export 36 % de son chiffre d'affaires annuel de 115 millions d'euros. Je suis parmi vous au nom de la commission « mutations technologiques et impacts sociétaux » du MEDEF, à laquelle j'appartiens depuis plusieurs années. De fait, voilà cinq ans que le MEDEF a pris à bras-le-corps le sujet de la numérisation des entreprises.
Celle-ci s'avère un vecteur majeur de l'accélération de la productivité et de la compétitivité, ainsi que de la création d'emplois. Nous agissons donc résolument pour sa promotion.
Chacun le constate : la crise sanitaire a mis en avant l'utilité des outils numériques. J'évoquerai quelques secteurs.
La télémédecine a connu une accélération de son développement évaluée à deux années. Entre les mois de mars et avril 2020, l'assurance-maladie a remboursé 5,5 millions de consultations effectuées à distance. Le système permet un service d'une qualité indéniable, plus rapide. Il contribue à désenclaver certains territoires, tout en restant moins onéreux pour la collectivité.
Le télétravail a concerné quelque 27 % des personnes en activité. Il a entraîné un changement des habitudes et des mentalités. Nous verrons comment il continuera d'exister. Difficile à organiser, il requiert que nous l'adaptions aux attentes et besoins de nos collaborateurs.
Les sites d'achat en ligne avec un service de retrait des commandes en magasin, dit de click and collect, se sont par ailleurs multipliés.
Nonobstant des critiques qui concernent notamment ses conséquences sur l'environnement, le numérique emporte d'indéniables effets positifs sur la qualité de vie de nos collaborateurs et de nos concitoyens.
Dans son plan de relance, le Gouvernement prévoit un volet relatif à la numérisation des entreprises, pour un montant de 385 millions d'euros. Nous le jugeons clairement insuffisant et pour le moins limité en comparaison de l'investissement total que le plan représente.
Le volet se compose pour partie d'une sensibilisation à la numérisation. Mon expérience du terrain me permet d'affirmer que les entreprises sont d'ores et déjà parfaitement conscientes de la nécessité de leur numérisation.
Il comprend également un dispositif d'audit et d'accompagnement. Nous regrettons que celui-ci se polarise sur le secteur industriel. S'il s'avère utile d'aider les industries françaises à améliorer leur numérisation, il convient de n'en pas négliger pour autant le secteur des services.
J'ajoute que nos structures, dont le MEDEF Île-de-France, nous ont signalé que, faute de fonds disponibles, l'aide du plan de relance à l'investissement de transformation vers l'industrie du futur serait ramenée de 40 %, ainsi qu'initialement prévu, à 10 % du coût de l'investissement engagé. La surprise et l'inquiétude des entrepreneurs en sont vives. L'annonce suscite l'interrogation de ceux qui avaient commencé à établir des prévisions sur le fondement du plan de relance.
Sur les aspects de cybersécurité, je conviendrai que toutes les entreprises se trouvent sous la menace d'attaques informatiques. Même si le respect de règles fondamentales de sécurité demeure essentiel, aucune parade ne permet de les en prémunir définitivement. Nous œuvrons plutôt à communiquer sur la réaction à adopter en cas d'attaque. Malheureusement, sous l'angle du droit, les moyens dévolus à la justice sur les questions qui tiennent au numérique, apparaissent dérisoires.
La dernière partie de mon intervention traitera des données, avant de conclure sur la commande publique.
La numérisation des entreprises, que j'évoquais à l'instant, a mis en avant le poids des plateformes en ligne. Elles sont le plus souvent d'origine extra-européenne. Il nous semble qu'une compétition commerciale équitable implique de disposer d'armes égales à celles de la concurrence.
Le combat n'est pas perdu. Les plateformes ne vivent que des données que nous leur confions. Gardons à l'esprit que l'Europe constitue le premier marché économique mondial des données informatiques. Or, sur notre continent, leur accès reste à ce jour ouvert sans aucune espèce de contrainte.
Par le jeu d'une action de souveraineté, sans agressivité, mais sans ingénuité non plus, une volonté ferme de protéger nos données nous permettra sans conteste de beaucoup progresser.
Déjà cité, le projet Gaia-X s'engage dans cette voie. Il vise l'interopérabilité et la portabilité des données. Je mentionnerai également les data hubs, ou centres de données. Des initiatives les concernent, par exemple dans le domaine de la santé. Il faut les y étendre à la partie industrielle, celles des données partagées entre professionnels, en « B to B » .
(business to business)
Lorsque nous évoquons les partenariats entre les secteurs public et privé, nous pensons notamment à l'entreprise américaine SpaceX. Celle-ci doit sa réussite au soutien que la national aeronautics and space administration (NASA) lui apporte par son financement. Dans cet exemple, un État oriente ses investissements vers un acteur privé, dont il autorise ainsi une dynamique forte. Amazon Web Services (AWS), acteur mondial de premier plan dans le domaine du cloud, a de même bénéficié, dans les années 2000, du levier d'un investissement de la defence advanced research projects agency (DARPA) de 500 millions de dollars.
Le secteur privé ne manque pas de dynamisme, d'inventivité, ni d'ambition. Il appartient à nos autorités de l'encourager par ses financements, le plus en amont possible de la commande publique. Notre plan de relance national ne considère pas assez le problème de la numérisation des entreprises, mais entretenons une attitude positive. Rien n'est encore perdu pour la France et l'Europe dans ce domaine. Par une coopération étroite de leurs institutions avec le secteur privé, elles disposent des moyens d'y faire entendre leur voix et d'en relever les défis.
Au nom du METI, je vous remercie pour votre invitation à nous exprimer devant votre mission d'information.
Le METI fédère et représente les entreprises de taille intermédiaire. La France dénombre 5 400 ETI, essentielles à l'ossature économique et sociale de ses régions. Pour les deux-tiers d'entre elles, les ETI disposent d'un siège social situé en dehors de l'Île-de-France. Elles fournissent 25 % des emplois en général, 38 % de ceux de l'industrie manufacturière. De 2009 à 2015, après la crise économique de 2008, cette catégorie d'entreprise a démontré sa capacité de résistance, avec la création nette de 335 000 postes, devenant pendant la période la principale pourvoyeuse d'emplois. Les ETI s'ouvrent particulièrement à la scène internationale. Ne constituant que 4 % des exportateurs, elles assurent 34 % des exportations nationales et pour les trois-quarts d'entre elles sont présentes en dehors de nos frontières.
En dépit de leurs atouts, la crise que nous traversons les affecte durement. Nous attendons encore les résultats consolidés de 2020. Toutefois, avec des disparités selon les secteurs d'activité, nous en estimons l'évolution moyenne du chiffre d'affaires en 2020 à une baisse de l'ordre de 8 %. Plus de la moitié a connu une dégradation de sa capacité d'investissement et de son ratio entre endettement et fonds propres. Plus de quatre sur dix d'entre elles ont dû consentir à une diminution de leur effectif au cours de l'année. Enfin, en 2020, une ETI sur dix a fait l'objet d'une tentative de rachat étrangère et, dans la même proportion, d'une tentative étrangère d'entrée dans son capital. Un risque assez élevé de prédation les touche actuellement.
Au regard du sujet qui nous occupe, ces éléments conjoncturels nous indiquent qu'afin de relever les défis de la transformation et de la souveraineté numériques, les ETI requièrent un environnement concurrentiel favorable. C'est pourquoi le METI plaide de longue date en faveur de mesures structurelles de compétitivité, à l'instar de celles que le plan de relance français intègre, au premier rang desquelles une baisse de la fiscalité applicable à l'activité productive.
M. Alain Conrad propose de vous dresser un état des lieux de la maturité numérique des ETI, à la lumière d'un baromètre que nous avons récemment publié.
Président de la commission digitale du METI, je dirige la société Prodware. Créée en 1989, celle-ci accompagne, au service de leur compétitivité, les entreprises dans la fourniture de leur système d'information. Depuis une dizaine d'année, nous nous positionnons toujours davantage sur les aspects de transformation numérique des entreprises qui nous accordent leur confiance. Prodware est présente dans quatorze pays. Elle enregistre un chiffre d'affaires de 190 millions d'euros, dont 60 % sont réalisés à l'international.
Nous possédons donc les résultats d'une étude que le METI a commandée à l'institut de sondages CSA en septembre 2020 sur la maturité numérique des ETI, en s'associant au cabinet Ernst & Young et associés (EY) et à la société d'investissement Apax Partners. Certaines des informations qu'elle révèle nous paraissent mériter votre attention.
Il en ressort que la maturité numérique des ETI progresse. Deux ETI sur trois se sont activement engagées dans leur transformation numérique. La crise sanitaire en a à l'évidence accéléré le processus en modifiant l'organisation du travail à l'intérieur des entreprises. Dans 92 % des cas, les ETI ont, dans ces circonstances, accentué leur recours aux outils numériques, qu'il s'agisse par exemple de messageries instantanées, d'applications de visioconférence ou de transfert de fichiers informatiques. Nous relevons que 84 % des décideurs de ces entreprises s'estiment désormais en mesure d'affronter les conséquences de la crise que nous traversons.
L'étude rapporte également un investissement toujours plus massif des ETI dans le numérique. Leur investissement concerne essentiellement la modernisation des infrastructures, l'acquisition d'outils numériques collaboratifs, le déploiement d'outils d'amélioration de l'« expérience client », ceux de marketing numérique, de commerce en ligne et la cybersécurité. Pour 71 % d'entre eux, les dirigeants interrogés déclarent vouloir poursuivre leurs investissements dans les solutions numériques.
L'âge moyen d'une ETI est de 31 ans. Ces sociétés font montre d'un fort pragmatisme dans le choix de leurs priorités d'investissement. Elles calculent d'abord leur retour sur investissement. Ceux qu'elles opèrent de nos jours montrent sans ambages l'importance qu'elles accordent aux outils numériques.
La manière d'aborder la transformation numérique dans les entreprises revêt par ailleurs un caractère décisif. L'étude dévoile que 71 % des ETI estiment que leurs direction générale et direction des systèmes d'information (DSI) portent principalement la transformation numérique en leur sein.
En pratique, cette transformation se heurte à plusieurs obstacles : la résistance au changement, le défaut de vision partagée, des difficultés à intégrer les nouvelles compétences, la nécessité que les décideurs appréhendent les conséquences profondes de la transformation sur leur entreprise. Je pense ici à celles de l'intelligence artificielle, des mégadonnées (big data), ou de l'internet des objets (IoT), sur l'organisation et le modèle même des entreprises, leurs canaux et modes de production. Les ETI n'investissent pas encore assez dans ces sujets qui déterminent pourtant en partie leur performance future.
Il est vrai que la crise sanitaire intervient après une première période difficile pour elles, marquée par les effets de mouvements sociaux éprouvants, ceux des « gilets jaunes » et de grèves nationales. Ces épreuves successives n'améliorent guère leur capacité de financement.
En conclusion, il nous paraît essentiel que les ETI continuent d'accélérer leur transformation numérique. À mesure que celle-ci se concrétise, ses enjeux apparaissent avec plus de netteté, notamment en matière de sécurité et de souveraineté. La récente étude du courtier Bessé montre que 76 % des dirigeants d'ETI ont subi au moins une incidence cyber en 2019 et 2020. La question reste de savoir comment les aider au mieux dans le choix et la mise en œuvre de solutions appropriées.
J'exerce les fonctions de directeur exécutif chez OVHcloud. Installée dans le nord de la France, cette société occupe, avec 1,6 million de client, la première place parmi les acteurs européens du cloud. Elle compte plus de 2 400 employés répartis dans le monde. Elle réalise 60 % de son chiffre d'affaires à l'étranger.
Le METI porte toute son attention à la question de la souveraineté numérique. Il en retient une approche en deux temps, en distinguant entre souveraineté des données et souveraineté technologique.
La première doit permettre aux dirigeants d'entreprise de comprendre la portée précise de leurs choix en matière de stockage de leurs données, de mesurer l'exacte étendue de leur utilisation par l'acteur auquel ils s'associent. Ici, le METI promeut information et formation, afin que les décisions se prennent en toute connaissance de cause, en toute transparence et en pleine liberté.
Nous constatons que la donnée se déplace d'un continent à l'autre, sans que l'utilisateur du service en soit systématiquement averti, et pour des usages qui ne sont pas nécessairement ceux auxquels il a souscrit. Il s'avère urgent que les Européens reprennent le contrôle de leurs données. De notre point de vue, aucun compromis ne saurait grever la souveraineté de ces données.
La souveraineté technologique sous-tend l'idée d'une autosuffisance dans la maîtrise technologique. À ce jour, force est de constater qu'éloignée de la réalité, elle demeure un vœu pieux. À maints égards, nous dépendons de solutions étrangères. Dans ces conditions, nous n'incitons pas à un quelconque repli dans la recherche de solutions strictement souveraines. Notre propos encourage au contraire à rester ouvert.
Nous mettons donc l'accent sur le premier aspect de la souveraineté numérique, celui de la souveraineté des données. Dans le processus de numérisation des entreprises, nous souhaitons qu'un nombre toujours croissant de dispositifs aident les entrepreneurs à comprendre pour mieux choisir. L'ANSSI y contribue par les certifications qu'elle met en place. Il importe désormais d'en ouvrir l'accès aux entreprises de la manière la plus large possible.
Ne perdons pas de vue que pour une entreprise, choisir une plateforme dédiée aux ressources humaines engage les données tant privées que professionnelles de ses collaborateurs, selon des principes qui peuvent relever d'une réglementation autre que nationale. Je doute que tous les entrepreneurs français en aient une claire conscience lorsqu'ils décident de recourir à telle ou telle plateforme. Conférer un label de confiance souverain aux plateformes et logiciels contribuerait à les éclairer dans leur choix.
Quant à la commande publique, elle semble des plus insuffisantes sous l'angle de la souveraineté de nos données. Elle n'insuffle pas le mouvement qui nous conduirait à en reprendre le contrôle de la valeur et des atouts qu'elles représentent. Je ne reviendrai pas sur la décision que des institutions publiques ont prise de recourir à des plateformes étrangères dans des domaines où, pourtant, l'information s'avère sensible. Je préfère évoquer la marge de progression qu'il nous reste à combler.
Je souscris pleinement à l'idée d'un partenariat entre le secteur public et le secteur privé, très en amont de la commande publique. Le travail de recensement, de labellisation, de certification doit ici permettre au secteur public de mieux connaître les acteurs en présence.
Nous constatons une méconnaissance totale des compétences et des savoir-faire des entreprises de la « tech » française. Elle en contrarie nombre d'initiatives et en provoque parfois le départ dans le sillage d'investisseurs étrangers.
Il importe que la commande publique gagne en importance et montre l'exemple. En 2018, l'État a effectué un travail remarquable en segmentant en trois « cercles » l'approche du cloud et des offres qui le concernent. Cependant, à ce jour, seul s'est matérialisé le premier de ces cercles, qui vise à répondre à des besoins strictement régaliens d'infrastructures numériques. Poursuivons résolument cet effort. Les propositions ne manquent pas pour rapprocher et valoriser les savoir-faire français et européens au service d'une numérisation qui nous ménage la maîtrise de nos données et contribue au rayonnement de nos entreprises.
Je préside la commission numérique de la CPME, ainsi que CINOV-Numérique, le syndicat des petites entreprises du numérique. Par ailleurs, je dirige le réseau des écoles WebForce3 que j'ai fondé. Il forme aux métiers du numérique dont nous avons besoin.
La CPME regroupe 1,5 million d'entreprises adhérentes, qui représentent trois millions de salariés.
L'éclosion de l'internet portait avec elle des promesses de liberté. L'outil était supposé lever barrières et frontières. Nous nous sommes cependant aperçus qu'un espace non réglementé emportait également la possibilité de maux considérables.
En Europe, dans les années 2000, la question de la souveraineté numérique s'est ainsi d'abord posée sous l'angle de la réglementation, en particulier à l'égard des données personnelles.
Assurer cette souveraineté se révèle aujourd'hui nécessaire à la bonne marche de l'économie européenne, à la liberté des individus et des entreprises. Il s'agit principalement de garantir la libre circulation des données dans une situation où le plus fort risque d'imposer ses vues.
Le numérique demeure un secteur complexe. Stimulant de prime abord l'innovation, il peut également produire des effets de réseaux préjudiciables à la fertilité de l'économie. Des acteurs s'ancrent dans des positions durables sur ce marché du numérique, à l'entrée duquel ils établissent des barrières. Nos petites entreprises, qui n'en peuvent guère discuter les conditions, en deviennent dépendantes.
Au sein de la CPME, nous pensons que PME et TPE assurent une fonction primordiale dans l'économie. Toutefois, pour assurer leur rôle, il leur faut jouir d'un environnement favorable à une concurrence loyale et à l'innovation. L'indépendance numérique vis-à-vis d'États tiers et d'entreprises dominantes devient un gage d'efficacité et de sécurité dans les activités qu'elles mènent. La souveraineté numérique prend pour elles d'autant plus de sens qu'elle rétablit une libre concurrence et des conditions d'innovation optimales.
Reconnaissons que nous nous tenons encore fort éloignés d'une souveraineté numérique française ou européenne. Quoique nous adoptions des mesures sur les questions de maîtrise de nos données et de régulation, les principales entreprises mondiales du secteur numérique, tant sur les aspects de matériel qu'en matière de logiciels, ne sont pas européennes. Aucun opérateur européen ne figure parmi elles. Il en ressort une certaine dépendance à l'égard des entreprises américaines et asiatiques.
Les téléphones mobiles utilisent exclusivement les systèmes d'exploitation Android ou iOS. Les grandes plateformes numériques exercent une forme de monopole sur les marchés des moteurs de recherche. Il leur permet de contrôler le référencement des sites en ligne. Par les conditions commerciales qu'elles imposent, ces mêmes plateformes créent également la possibilité d'une dépendance à leurs services.
Les TPE et PME se révèlent particulièrement vulnérables à de telles pratiques, du fait du taux élevé de leur recours à des services en ligne. Selon la Commission européenne, ce taux atteint 42 % et s'avère majoritairement lié à l'utilisation des moteurs de recherche.
Comment les pouvoirs publics pourraient-ils promouvoir une souveraineté numérique française et européenne ? Outre l'attention à porter à la formation de nos chefs d'entreprise, nous pensons que la manière la plus efficace d'y parvenir consisterait à privilégier une réglementation favorable à l'émergence de nos propres grands acteurs du numérique. Ne nous avouons pas vaincus et, par l'organisation de réglementations adaptées aux entreprises, particulièrement aux PME, encourageons l'émergence de ces nouveaux acteurs.
De plus, nous estimons nécessaire de réglementer plus rigoureusement les plateformes actuelles. À l'évidence, si elles paraissent dans un premier temps proposer aux TPE et PME françaises des solutions séduisantes pour la promotion de leurs produits et de leur image commerciale, elles préjudicient ensuite à leur développement et représentent une forme d'impasse.
La CPME salue l'initiative de la Commission européenne qui a conduit à l'adoption de deux règlements, l'un sur les services numériques, l'autre sur les marchés numériques. Ils remettent en question les effets de réseaux, la position dominante et durable de certains acteurs. En s'attaquant au comportement de plateformes qui agissent en tant que « contrôleurs d'accès » sur les marchés numériques, ces textes sont susceptibles de contribuer à l'amélioration de la capacité des TPE et PME à suivre le rythme de la transition numérique.
À notre avis, promouvoir la souveraineté numérique passe pour beaucoup par l'encouragement des entreprises à utiliser des outils européens et français. De cette manière, nous favoriserons l'émergence, sur notre continent, d'acteurs de premier plan du secteur numérique. Du moins, il importe que nous aidions, par nos financements, nos entreprises à se développer sans recourir systématiquement aux outils étrangers.
L'hébergement de nos données en Europe s'avère essentiel, afin d'assurer leur sécurité et notre entière liberté dans leur utilisation. À ce titre, pour se prémunir des dangers potentiels, il apparaît utile d'organiser des campagnes de sensibilisation et de formation au sein des entreprises sur la notion de souveraineté numérique.
PME-TPE, citoyens et pouvoirs publics doivent œuvrer de concert. Par-delà les mesures, nous jugeons primordial le comportement général des citoyens. Ils représentent la masse des utilisateurs et leurs choix pèsent sur les évolutions du marché. Si nous voulons y prendre une place, il nous revient de les convaincre. Pour l'obtenir, protéger ne suffit pas : il nous faut être les meilleurs.
Nous remarquons la propension de certains États à capter les données afin d'affermir leur puissance économique. À ce jour, plus de 90 % des données disponibles ont été produites au cours des deux dernières années. Le fort développement de l'économie des données a pour corollaire l'importance croissante des enjeux éthiques et sécuritaires.
Une place reste à prendre. Elle ne consiste sûrement pas à imiter Chinois et Américains. L'Europe gagnera à s'inspirer de ses valeurs propres et à bâtir un modèle original.
En raison de son poids économique, de l'ordre de 8 % du produit intérieur brut français, la commande publique joue un rôle non négligeable. La question de la territorialisation de cette commande, avec la valorisation des savoir-faire locaux, partant la question de la place accordée aux PME, ne manque pas d'importance.
Les PME demeurent sous-représentées dans l'achat public. Selon l'observatoire économique de la commande publique (OECP), si elles ont été attributaires de 57 % des marchés conclus en 2017, les contrats qu'elles obtiennent ne représentent que 29 % du montant total de ces marchés. Or, comme le rappelait l'un des intervenants du MEDEF, elles constituent 95 % de notre tissu d'entreprises.
L'explication en tient aux limites de leur capacité financière, au problème des délais de paiement, à l'absence ou à l'insuffisance d'avances, enfin à la complexité des procédures d'appel d'offres, ainsi qu'aux délais parfois excessivement brefs de ces dernières. Récemment, les pouvoirs publics ont pris des mesures destinées à améliorer la situation des PME. Elles n'en connaissent pas moins un durcissement de leurs relations avec les établissements bancaires.
La CPME se prononce en faveur d'une relance massive de la commande publique sur des enjeux stratégiques. Le plan du Gouvernement pourrait y aider. Néanmoins, je partage l'analyse selon laquelle il consacre une part trop restreinte à la transformation numérique, notamment pour ce qui a trait aux PME.
Une telle relance suppose une politique publique effective qui permette aux acheteurs de mieux orienter leurs choix, en tenant certes compte de critères techniques, mais aussi de critères de qualité sociale ou environnementale, avec la préférence pour des circuits courts. Des dispositifs existent, par exemple celui du label « relations fournisseurs et achats responsables ». Ils paraissent cependant mal connus des acheteurs publics, qui les mettent peu en application.
Le soutien de la puissance publique concerne également la numérisation des entreprises. Nous avons eu l'occasion de lui signaler que le montant d'environ 300 millions d'euros qu'elle lui alloue se révèle notoirement insuffisant. En partenaires loyaux, nous avons néanmoins réfléchi à la manière de l'employer au mieux.
Nous ne concevons nullement la sensibilisation aux enjeux numériques comme une injonction à la transformation numérique. Parties prenantes des formations-actions qui s'élaborent, nous croyons plutôt à la nécessité de poser pour point de départ les problématiques et besoins des entreprises, afin que le numérique leur apparaisse comme une solution.
En Europe, loin du rang économique qui lui revient, la France n'occupe que la seizième place s'agissant de la transformation numérique des TPE-PME. La CPME a engagé un tour de France, afin de se rapprocher des territoires et d'accompagner au plus près les petites entreprises qui les animent. De fait, ce n'est le plus souvent pas dans les principales métropoles que la transformation numérique s'avère lacunaire.
Ces petites entreprises peinent à définir leur voie parmi la multiplicité des solutions qui s'offrent désormais à elles. La plateforme France Num témoigne du nombre et de la diversité des aides existantes. Nous défendons de longue date l'idée d'un guichet unique à destination des chefs d'entreprise. Ils y trouveraient un point d'accès à l'ensemble des informations qui les intéressent sur les accompagnements dont ils peuvent bénéficier.
En ce sens, nous nous inspirerions opportunément de l'exemple allemand, celui d'un programme national d'envergure, le Kompetenzzentrum Digitales Handwerk. Il propose un éventail complet de services dédiés à la transformation numérique des artisans et des TPE. Il s'adresse aux PME afin de les accompagner dans la voie de la numérisation, en mettant en exergue le potentiel technique et économique que celle-ci renferme pour elles. Il démontre son efficacité.
Pour notre part, le tour de France que nous avons entrepris entend de même montrer aux entreprises le bénéfice concret qu'elles tireraient de leur numérisation. En la matière, tout accompagnement n'obtiendra de succès que s'il pourvoit à leur fourniture en outils immédiatement utiles et mobilisables. En tant que telle, la sensibilisation ne suffit pas. À partir des problématiques qui se posent, il faut sans délai l'assortir de solutions concrètes.
La crise sanitaire de 2020 a, pour nombre d'entreprises, marqué le début de leur transformation numérique. Devant notamment recourir à des solutions de type click and collect, elles s'y sont parfois engagées dans un certain désordre et sans réelle méthode. Par effet de symétrie, les cyberattaques ont cru de 400 % pendant la période. Les formations-actions se destinent à aider nos entreprises à mieux conduire leur transformation numérique. Les enjeux de cybersécurité y occupent une place prépondérante, tant ils nous semblent une composante essentielle, non seulement de la souveraineté, mais également de la confiance que les entrepreneurs mettent dans le processus et, par suite, l'une des clés de sa réussite.
Vous nous aviez par ailleurs interrogés sur des aspects de concurrence et de fiscalité numériques. À l'évidence, la réflexion sur la souveraineté numérique ne saurait les omettre. Il paraît difficilement acceptable que des géants du numérique qui tendent à écraser la concurrence, échappent dans une large mesure à leurs obligations fiscales. Nous plaidons en faveur de la transparence de leurs activités et des profits qu'ils en retirent sur notre territoire.
Étant donné le retard que les PME et TPE françaises ont pris dans la réalisation de leur transformation numérique, il conviendrait de dédier à cette transformation un budget spécifique, géré par un organe unique, par exemple l'agence du numérique rattachée au ministère de l'économie, des finances et de la relance. Il a été proposé de flécher vers lui la totalité des recettes de la fiscalité des géants du numérique, les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon).
À l'occasion de la précédente table ronde de ce jour, des représentants d'entreprises du secteur de la cybersécurité ont préconisé une forme de certification ou de labellisation obligatoire à laquelle les acheteurs publics se référeraient. D'une part, elle les assurerait de la robustesse des systèmes et des produits numériques qu'ils sont susceptibles d'acquérir. D'autre part, elle les acculturerait au recours à des solutions qui répondent aux normes et valeurs européennes. Elle suppose une nécessaire modification de la réglementation. En jugez-vous la proposition pertinente ? Vous paraît-elle induire une promesse d'efficacité ou, à l'inverse, présenter le risque d'une complexité accrue ?
L'ANSSI s'est déjà engagée dans une démarche de labellisation. Son directeur général a dû vous l'indiquer.
Les intervenants qui vous ont précédés entendaient renforcer encore l'approche de certification qui prévaut actuellement.
Il est en effet envisageable d'aller plus avant, mais il conviendrait d'abord de bien exploiter les labels existants. Je pense par exemple à ceux des prestataires de détection d'incidents de sécurité (PDIS) ou de prestataires de réponse aux incidents de sécurité (PRIS). Ils donnent l'occasion de mettre en valeur des acteurs de confiance, pour l'essentiel français, notamment en raison de la réponse qu'ils apportent aux cyberattaques ou des audits de sécurité qu'ils mènent à titre préventif.
La cybersécurité forme la première brique de l'assise de la souveraineté numérique. C'est vraisemblablement dans ce domaine que nous sommes les moins démunis. À l'œuvre, la démarche de labellisation y porte ses fruits. Sans doute les enjeux de souveraineté numérique se posent-ils avec davantage d'acuité au-delà de ce socle de la cybersécurité.
L'un de nos interlocuteurs a proposé de distinguer entre souveraineté des données et souveraineté technologique. La distinction qu'il opère me convient. Néanmoins, quoique le premier type de souveraineté revête un caractère essentiel et dépasse les seuls aspects de cybersécurité, je ne crois pas que des acteurs français et européens aient perdu toute chance de s'imposer en matière de technologie et de souveraineté technologique.
Évidemment, en Europe, nous ne possédons ni GAFA ni BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Pourtant, notre écosystème de startups, d'entreprises de services numériques telles que Capgemini, Atos, Sopra Steria, d'éditeurs de logiciels comme Dassault Systèmes ou l'allemand SAP, d'hébergeurs à l'instar d'OVHcloud, de sociétés stratégiques particulièrement concernées par le numérique, par exemple Thales, porte les germes de champions susceptibles d'aider les États européens, non seulement à répondre au problème des cyberattaques et à préserver la souveraineté de leurs données, mais aussi à assurer une forme de souveraineté technologique dans le domaine numérique.
À l'échelon européen, nous sommes parvenus, quelques années en arrière, à réagir contre l'omniprésence du système américain de géopositionnement par satellites, le GPS. Fondé sur l'excellence spatiale française et européenne, le programme Galileo permet progressivement de n'en plus dépendre totalement.
Dans le domaine numérique, nous évoquions l'initiative Gaia-X. Citons celle que la Commission européenne vient de lancer en ce mois de janvier 2021, dénommée Hexa-X. Elle consiste en un projet de recherche dans le domaine des réseaux sans fil 6G, en partenariat avec l'entreprise finlandaise Nokia.
Au commencement de la téléphonie mobile, au début des années 1990, Français et Européens étions, avec la norme GSM, les premiers mondiaux. Nous avons ensuite, petit à petit, perdu notre avance. Nous voyons ce qu'il en est de nos jours avec la cinquième génération (5G) de standards pour la téléphonie mobile. En prenant le risque d'investir, l'Europe s'efforce désormais d'être présente, en 2030, au rendez-vous de la 6G.
Labelliser dans le domaine de la cybersécurité reste positif. Pourtant, il ne s'agit que d'une première étape. Elle est certes essentielle puisque les risques de cyberattaques s'amplifient à mesure que la société se numérise. Plus avant de la question de la protection et, surtout, de l'hébergement des données, ne nous estimons pas vaincus sur le plan de la souveraineté technologique.
Si personne ne niera qu'il nous faut continuer d'accéder aux technologies qui se développent en dehors de notre continent, ne nous interdisons pas de susciter l'émergence de nos propres protagonistes. Notre tissu industriel et de services nous autorise à fonder quelque espoir dans le succès de l'entreprise, au moins dans le domaine du B to B, le numérique pour l'industrie. Il est vrai que les plateformes chinoises et américaines paraissent pour l'heure solidement implantées dans celui de la relation entre professionnels et particuliers, ou « B to C » (business to consumer). Je demeure optimiste devant les initiatives françaises et européennes. Nous disposons des moyens de remonter la pente et la partie n'est pas perdue d'avance.
Je partage cet avis. Dans le secteur du numérique, les positions des uns et des autres évoluent dans des délais extrêmement courts. Pour ce qui tient à l'usage même du numérique, l'Europe n'a pas pris de retard. Il est exact que nous comptons des acteurs de renom parmi les entreprises de services numériques (ESN, anciennement sociétés de services en ingénierie informatique, SSII) ou les éditeurs.
Pour autant, je veux attirer votre attention sur le risque qui consisterait à abandonner aux géants actuels, les GAFA, tout le secteur de la grande consommation. Précisément, étant le principal producteur de données, ce secteur pose le premier la problématique de notre souveraineté numérique.
À ce sujet, je ne sais dans l'immédiat suggérer de solution. Je considère néanmoins qu'il nous faut collectivement réfléchir à un modèle numérique alternatif qui prenne appui sur nos territoires et leurs valeurs, nos PME et notre agilité.
Je regrette le temps que nous avons perdu. En dépit des fleurons de notre industrie informatique, nous nous sommes laissé dépasser sur le terrain de la grande consommation et des usages du quotidien, ceux de la téléphonie mobile, des réseaux sociaux, des plateformes en ligne, des places de marché électroniques. Avec la crise sanitaire, nombre de nos commerçants, TPE et PME, ont entrepris leur transformation numérique. Bien souvent, ils n'ont d'autre choix que ceux que leur proposent des acteurs étrangers, tels que Facebook et Amazon.
Ne pas nous imposer dans le registre de ces usages généralisés du quotidien rendrait vaine notre réaction sur les questions de souveraineté numérique. Montrons-nous offensifs également sur ce terrain.
Un acteur comme Amazon tire son avantage de la qualité des usages qui ont cours avec, en arrière-plan, le déploiement d'une chaîne logistique. Seule une volonté commune des acteurs européens d'investir massivement dans l'amélioration de l'expérience utilisateur, l'UX (user experience), contrebalancera les équilibres actuels du marché numérique grand public.
Notons au passage qu'en matière d'offre numérique dans le secteur de la distribution alimentaire, des acteurs comme Leclerc ou Auchan conservent en France une position de tête.
Je reviendrai un instant sur les aspects de certification. Nous y relevons dès à présent de nombreuses réalisations. Je doute qu'en ajouter améliorerait la situation qui nous occupe. Il convient de ne pas oublier que toute nouvelle certification équivaut pour les PME à des contraintes, et à autant de barrières, supplémentaires. Concentrons-nous sur d'autres sujets.
Sur celui du plan de relance en particulier, notre organisation professionnelle propose un crédit d'impôt à la numérisation, ainsi qu'à la transition énergétique et environnementale. Aidons les entreprises françaises à investir dans ces domaines. Pour l'heure, une rentabilité communément inférieure à celle de leurs concurrents les y entrave.
Par ailleurs, la transformation des entreprises tient à la conduite du changement et à la formation. Des investissements tant publics que privés doivent également s'y intéresser.
Il importe en effet que la certification ne devienne pas une contrainte additionnelle dans l'accès de nos entreprises aux marchés publics. Cependant, je prétends qu'il nous faut progresser, sinon dans la certification, du moins dans la qualification, et associer la souveraineté des données à la cybersécurité. Dans les dispositifs existants, la notion de souveraineté des données reste encore trop peu mise en avant.
Une tendance simpliste tend à affirmer que la partie est perdue sur le terrain de la donnée personnelle et que l'Europe doit désormais s'attacher à remporter celle de la donnée professionnelle. Pour notre part, nous pensons que la seconde prolonge essentiellement la première. C'est pourquoi nous invitons à notre tour à ne pas nous avouer vaincus. L'éclairage de la certification et de la qualification offre un moyen efficace de promouvoir l'exigence de souveraineté des données.
En outre, je partage l'idée selon laquelle un important effort d'accompagnement des PME-TPE demeure à réaliser prioritairement. Nombreuses en France, elles connaissent souvent mal les solutions qui leur permettront d'accomplir leur transformation numérique.
Il nous faut veiller à ne pas alourdir le poids des contraintes procédurales qui pèsent sur les entreprises. Souvent, la question de la sécurité a constitué un frein à l'innovation et à l'agilité. Or, je demeure convaincu qu'une prompte réactivité apporte la meilleure garantie de sécurité. Les forteresses ne résistent guère, particulièrement dans ce domaine.
Je soulignerai que le retard que nous enregistrons ne provient pas tant d'une insuffisance de l'investissement public. Il tient d'abord à la manière dont les projets ont été conduits. Ils n'ont pas assez pris en compte la question de la relation à l'utilisateur. À l'inverse, les GAFA assoient leur force sur une approche grand public. La nôtre privilégie trop la relation B to B, elle considère trop peu l'utilisateur final.
La transformation numérique implique certes de nouveaux usages dans l'entreprise ; elle les promeut surtout au niveau de l'individu. À la vérité, elle touche dans leur quotidien toutes les strates de la société.
À la suite de MM. Poyau et Rouri, je reconnais que nous devrions peut-être raisonner plus selon une logique de sensibilisation et d'acculturation. Obtenir que chaque individu prenne mieux en compte la nécessité de la transformation numérique favorisera ensuite la conduite de cette transformation au niveau entrepreneurial. Il me semble qu'orienter d'emblée et uniquement nos efforts à l'endroit des entreprises constituerait une erreur.
Nous le constatons à l'heure de procéder à une campagne de vaccination de grande ampleur. Nos autorités se trouvent dans l'obligation de doubler les plateformes d'inscription en ligne de traditionnels centres d'appels téléphoniques. Considérons donc les changements qui s'opèrent à l'aune de la population européenne dans son ensemble.
Ne nous accablons tout de même pas. En France, nous constatons que de nombreux services en ligne de nos administrations fonctionnent parfaitement bien. À titre d'exemple, dans le domaine des impôts, l'interface proposée, de conception purement nationale, s'avère particulièrement efficace à l'égard de toutes les catégories de citoyens. Sans doute, en matière de vaccin, l'absence d'anticipation joue-t-elle défavorablement et le ministère de la santé ne se révèle peut-être pas la plus en pointe de nos institutions sur les sujets qui nous intéressent.
Pour autant, l'État recrute 4 000 conseillers numériques, afin d'accompagner la population française dans l'utilisation de ses services en ligne.
Je souhaite vous interroger sur un dernier point. La France compte à ce jour un secrétariat d'État, mais pas de ministère de plein exercice, dédié au numérique. Nous relevons l'absence de véritable transversalité sur les questions qui relèvent de ce domaine. La précédente table ronde nous a appris que la direction interministérielle du numérique (DINUM) n'a nullement centralisé les demandes au moment où il a fallu répondre aux conséquences de la crise sanitaire sur les modalités d'organisation du travail et pourvoir nos fonctionnaires de réseaux privés virtuels ( virtual private networks, VPN).
Les intervenants de cette première table ronde ont prôné un ministère du numérique à part entière. Respectant les spécificités de chaque secteur ministériel, il n'en effectuerait pas moins un travail transversal sur les enjeux du numérique. Que pensez-vous de cette proposition ?
Mon observation personnelle confirme, dans la situation d'urgence que nous avons vécue, une forme inquiétante de désorganisation, avec la sollicitation ministère par ministère des entreprises du numérique. L'absence de préparation, de schéma directeur et de coordination était flagrante. Notre discussion sur l'intrication des enjeux du numérique entre monde professionnel et grand public, entre entreprises, particuliers et citoyens, sur le fait qu'ils pénètrent tous les niveaux de la société, montre le sens qu'il y aurait à les embrasser de façon transversale, avec un ministère qui se consacrerait à ce travail.
J'ajoute que, dans la résolution des problèmes qui se posent, les organisations, les procédures et les outils ne constituent que des moyens. Il importe qu'en aval, la gouvernance et l'exécution suivent.
Lors du déclenchement de la crise sanitaire, l'une des principales faiblesses dans la réaction numérique a tenu à l'absence de gouvernance. L'écart s'est révélé trop important entre les annonces et directives du Gouvernement d'une part, leur appropriation et mise en œuvre d'autre part.
Installer un nouveau ministère ne prendra de sens que pour autant qu'il dispose véritablement des moyens d'agir. Il risque de se heurter au repli d'institutions qui se sont efforcés d'engager, chacune de son côté, leur propre transformation numérique. À ce jour, cette dispersion de l'effort national explique le peu de consistance de la commande publique et une certaine tendance à recourir à des solutions étrangères qui présentent l'avantage de la facilité.
Lors de sa mise en place au début du mandat de l'actuel Président de la République, le secrétariat d'État chargé du numérique a été rattaché au Premier ministre, sans disposer d'administration spécifique. Depuis, il est revenu dans le périmètre du ministère de l'économie, des finances et de la relance. Ses compétences y sont disputées. Il ne traite par exemple pas de la transformation numérique des TPE-PME. Le ministre délégué aux petites et moyennes entreprises s'en charge.
La CPME soutient la création d'un ministère de plein exercice, qui dispose de moyens réels, avec une administration dédiée, afin de conduire une action transversale sur les sujets inhérents au numérique.
J'aimerais saluer le travail de terrain, particulièrement concret, que conduit M. Cédric O, l'actuel secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
Certes, au sein de nos institutions, il demeure possible de parfaire l'organisation du pilotage des questions numériques, mais la remarque vaut aussi pour toutes les entreprises de quelque envergure. Dans ces dernières, nous remarquons une même hésitation quant à l'attribution de ce pilotage à l'une des directions qui les structurent. Le numérique y revient-il à la direction financière, à la direction opérationnelle, à celle du marketing, ou encore à celle en charge des systèmes d'information ?
Cependant, l'attitude des responsables politiques en poste me surprend. Bien qu'ils s'avèrent, au plus haut niveau de l'État, parfaitement conscients des enjeux du numérique, et qu'au surplus ils l'affichent dans leurs discours, ils ne donnent à ces enjeux qu'une médiocre traduction dans les textes.
Je rappellerai l'importance de soutenir les startups. Elles quittent en nombre trop élevé notre territoire. La raison en tient au fait que les géants américains et chinois du numérique leur accordent des bons d'utilisation gratuits (vouchers) des infrastructures de leurs plateformes, ce qui les enferme techniquement. Elles ne parviennent ensuite que difficilement à s'affranchir de ces infrastructures et à s'émanciper.
J'ajouterai une brève observation au sujet de la formation de nos talents aux métiers du numérique. Une compétition mondiale s'est engagée. Notre capacité à former de nouveaux et nombreux talents dans les différents domaines du numérique jouera vraisemblablement un rôle fondamental dans la promotion de notre souveraineté numérique.
À condition, toutefois, que ces talents que nous formons dans nos écoles et universités rejoignent effectivement les entreprises françaises et européennes. Tel n'est pas toujours le cas. Nous formons sans doute plus de talents que nous n'en employons. Des filières du numérique connaissent des situations de pénurie de compétences. Si elles veulent les attirer et retenir, nos entreprises doivent demeurer attractives. Nous nous confrontons à une situation que nous avons rencontrée quelques décennies en arrière dans le secteur financier, quand nos diplômés choisissaient volontiers de partir pour des banques étrangères.
Vous avez raison. Il ne suffit pas de former nos talents. Encore faut-il nous donner les moyens de les garder.
Soulignons de plus combien le développement des outils numériques dépend de la qualité de nos infrastructures. Je pense en particulier aux réseaux de télécommunication, à la fibre et à la 5G. Nous devons continuer à avancer sur ces sujets et je regrette certains débats actuels, notamment au sein de collectivités territoriales, qui visent à réfréner notre marche.
En dernier lieu, j'appuierai sur ce que nous manquons cruellement de formations et d'actions d'information auprès des publics les plus jeunes, spécialement ceux des collèges et lycées, sur les enjeux majeurs dont nous avons traité. Au sens large du terme, l'innovation gagnerait à intégrer les programmes de l'enseignement secondaire.
Vous n'êtes pas les seuls à avoir soulevé la question de la formation. Elle concerne notre système éducatif dans son ensemble, de l'école à l'enseignement supérieur et à l'alternance. Elle conduit à nous interroger sur la manière de conserver ensuite nos talents. La mission d'information sera vraisemblablement amenée à l'approfondir dans la suite de ses travaux.
Je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré.
La séance est levée à 12 heures 45.
Membres présents ou excusés
Mission d'information de la Conférence des Présidents « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »
Réunion du jeudi 14 janvier 2021 à 11 h 00
Présents. - Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Latombe, M. Denis Masséglia, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Luc Warsmann
Excusés. - Mme Frédérique Dumas, M. Philippe Gosselin