Intervention de Alain Assouline

Réunion du jeudi 14 janvier 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Alain Assouline, coprésident de la commission « innovation et économie numérique » de la CPME :

Je préside la commission numérique de la CPME, ainsi que CINOV-Numérique, le syndicat des petites entreprises du numérique. Par ailleurs, je dirige le réseau des écoles WebForce3 que j'ai fondé. Il forme aux métiers du numérique dont nous avons besoin.

La CPME regroupe 1,5 million d'entreprises adhérentes, qui représentent trois millions de salariés.

L'éclosion de l'internet portait avec elle des promesses de liberté. L'outil était supposé lever barrières et frontières. Nous nous sommes cependant aperçus qu'un espace non réglementé emportait également la possibilité de maux considérables.

En Europe, dans les années 2000, la question de la souveraineté numérique s'est ainsi d'abord posée sous l'angle de la réglementation, en particulier à l'égard des données personnelles.

Assurer cette souveraineté se révèle aujourd'hui nécessaire à la bonne marche de l'économie européenne, à la liberté des individus et des entreprises. Il s'agit principalement de garantir la libre circulation des données dans une situation où le plus fort risque d'imposer ses vues.

Le numérique demeure un secteur complexe. Stimulant de prime abord l'innovation, il peut également produire des effets de réseaux préjudiciables à la fertilité de l'économie. Des acteurs s'ancrent dans des positions durables sur ce marché du numérique, à l'entrée duquel ils établissent des barrières. Nos petites entreprises, qui n'en peuvent guère discuter les conditions, en deviennent dépendantes.

Au sein de la CPME, nous pensons que PME et TPE assurent une fonction primordiale dans l'économie. Toutefois, pour assurer leur rôle, il leur faut jouir d'un environnement favorable à une concurrence loyale et à l'innovation. L'indépendance numérique vis-à-vis d'États tiers et d'entreprises dominantes devient un gage d'efficacité et de sécurité dans les activités qu'elles mènent. La souveraineté numérique prend pour elles d'autant plus de sens qu'elle rétablit une libre concurrence et des conditions d'innovation optimales.

Reconnaissons que nous nous tenons encore fort éloignés d'une souveraineté numérique française ou européenne. Quoique nous adoptions des mesures sur les questions de maîtrise de nos données et de régulation, les principales entreprises mondiales du secteur numérique, tant sur les aspects de matériel qu'en matière de logiciels, ne sont pas européennes. Aucun opérateur européen ne figure parmi elles. Il en ressort une certaine dépendance à l'égard des entreprises américaines et asiatiques.

Les téléphones mobiles utilisent exclusivement les systèmes d'exploitation Android ou iOS. Les grandes plateformes numériques exercent une forme de monopole sur les marchés des moteurs de recherche. Il leur permet de contrôler le référencement des sites en ligne. Par les conditions commerciales qu'elles imposent, ces mêmes plateformes créent également la possibilité d'une dépendance à leurs services.

Les TPE et PME se révèlent particulièrement vulnérables à de telles pratiques, du fait du taux élevé de leur recours à des services en ligne. Selon la Commission européenne, ce taux atteint 42 % et s'avère majoritairement lié à l'utilisation des moteurs de recherche.

Comment les pouvoirs publics pourraient-ils promouvoir une souveraineté numérique française et européenne ? Outre l'attention à porter à la formation de nos chefs d'entreprise, nous pensons que la manière la plus efficace d'y parvenir consisterait à privilégier une réglementation favorable à l'émergence de nos propres grands acteurs du numérique. Ne nous avouons pas vaincus et, par l'organisation de réglementations adaptées aux entreprises, particulièrement aux PME, encourageons l'émergence de ces nouveaux acteurs.

De plus, nous estimons nécessaire de réglementer plus rigoureusement les plateformes actuelles. À l'évidence, si elles paraissent dans un premier temps proposer aux TPE et PME françaises des solutions séduisantes pour la promotion de leurs produits et de leur image commerciale, elles préjudicient ensuite à leur développement et représentent une forme d'impasse.

La CPME salue l'initiative de la Commission européenne qui a conduit à l'adoption de deux règlements, l'un sur les services numériques, l'autre sur les marchés numériques. Ils remettent en question les effets de réseaux, la position dominante et durable de certains acteurs. En s'attaquant au comportement de plateformes qui agissent en tant que « contrôleurs d'accès » sur les marchés numériques, ces textes sont susceptibles de contribuer à l'amélioration de la capacité des TPE et PME à suivre le rythme de la transition numérique.

À notre avis, promouvoir la souveraineté numérique passe pour beaucoup par l'encouragement des entreprises à utiliser des outils européens et français. De cette manière, nous favoriserons l'émergence, sur notre continent, d'acteurs de premier plan du secteur numérique. Du moins, il importe que nous aidions, par nos financements, nos entreprises à se développer sans recourir systématiquement aux outils étrangers.

L'hébergement de nos données en Europe s'avère essentiel, afin d'assurer leur sécurité et notre entière liberté dans leur utilisation. À ce titre, pour se prémunir des dangers potentiels, il apparaît utile d'organiser des campagnes de sensibilisation et de formation au sein des entreprises sur la notion de souveraineté numérique.

PME-TPE, citoyens et pouvoirs publics doivent œuvrer de concert. Par-delà les mesures, nous jugeons primordial le comportement général des citoyens. Ils représentent la masse des utilisateurs et leurs choix pèsent sur les évolutions du marché. Si nous voulons y prendre une place, il nous revient de les convaincre. Pour l'obtenir, protéger ne suffit pas : il nous faut être les meilleurs.

Nous remarquons la propension de certains États à capter les données afin d'affermir leur puissance économique. À ce jour, plus de 90 % des données disponibles ont été produites au cours des deux dernières années. Le fort développement de l'économie des données a pour corollaire l'importance croissante des enjeux éthiques et sécuritaires.

Une place reste à prendre. Elle ne consiste sûrement pas à imiter Chinois et Américains. L'Europe gagnera à s'inspirer de ses valeurs propres et à bâtir un modèle original.

En raison de son poids économique, de l'ordre de 8 % du produit intérieur brut français, la commande publique joue un rôle non négligeable. La question de la territorialisation de cette commande, avec la valorisation des savoir-faire locaux, partant la question de la place accordée aux PME, ne manque pas d'importance.

Les PME demeurent sous-représentées dans l'achat public. Selon l'observatoire économique de la commande publique (OECP), si elles ont été attributaires de 57 % des marchés conclus en 2017, les contrats qu'elles obtiennent ne représentent que 29 % du montant total de ces marchés. Or, comme le rappelait l'un des intervenants du MEDEF, elles constituent 95 % de notre tissu d'entreprises.

L'explication en tient aux limites de leur capacité financière, au problème des délais de paiement, à l'absence ou à l'insuffisance d'avances, enfin à la complexité des procédures d'appel d'offres, ainsi qu'aux délais parfois excessivement brefs de ces dernières. Récemment, les pouvoirs publics ont pris des mesures destinées à améliorer la situation des PME. Elles n'en connaissent pas moins un durcissement de leurs relations avec les établissements bancaires.

La CPME se prononce en faveur d'une relance massive de la commande publique sur des enjeux stratégiques. Le plan du Gouvernement pourrait y aider. Néanmoins, je partage l'analyse selon laquelle il consacre une part trop restreinte à la transformation numérique, notamment pour ce qui a trait aux PME.

Une telle relance suppose une politique publique effective qui permette aux acheteurs de mieux orienter leurs choix, en tenant certes compte de critères techniques, mais aussi de critères de qualité sociale ou environnementale, avec la préférence pour des circuits courts. Des dispositifs existent, par exemple celui du label « relations fournisseurs et achats responsables ». Ils paraissent cependant mal connus des acheteurs publics, qui les mettent peu en application.

Le soutien de la puissance publique concerne également la numérisation des entreprises. Nous avons eu l'occasion de lui signaler que le montant d'environ 300 millions d'euros qu'elle lui alloue se révèle notoirement insuffisant. En partenaires loyaux, nous avons néanmoins réfléchi à la manière de l'employer au mieux.

Nous ne concevons nullement la sensibilisation aux enjeux numériques comme une injonction à la transformation numérique. Parties prenantes des formations-actions qui s'élaborent, nous croyons plutôt à la nécessité de poser pour point de départ les problématiques et besoins des entreprises, afin que le numérique leur apparaisse comme une solution.

En Europe, loin du rang économique qui lui revient, la France n'occupe que la seizième place s'agissant de la transformation numérique des TPE-PME. La CPME a engagé un tour de France, afin de se rapprocher des territoires et d'accompagner au plus près les petites entreprises qui les animent. De fait, ce n'est le plus souvent pas dans les principales métropoles que la transformation numérique s'avère lacunaire.

Ces petites entreprises peinent à définir leur voie parmi la multiplicité des solutions qui s'offrent désormais à elles. La plateforme France Num témoigne du nombre et de la diversité des aides existantes. Nous défendons de longue date l'idée d'un guichet unique à destination des chefs d'entreprise. Ils y trouveraient un point d'accès à l'ensemble des informations qui les intéressent sur les accompagnements dont ils peuvent bénéficier.

En ce sens, nous nous inspirerions opportunément de l'exemple allemand, celui d'un programme national d'envergure, le Kompetenzzentrum Digitales Handwerk. Il propose un éventail complet de services dédiés à la transformation numérique des artisans et des TPE. Il s'adresse aux PME afin de les accompagner dans la voie de la numérisation, en mettant en exergue le potentiel technique et économique que celle-ci renferme pour elles. Il démontre son efficacité.

Pour notre part, le tour de France que nous avons entrepris entend de même montrer aux entreprises le bénéfice concret qu'elles tireraient de leur numérisation. En la matière, tout accompagnement n'obtiendra de succès que s'il pourvoit à leur fourniture en outils immédiatement utiles et mobilisables. En tant que telle, la sensibilisation ne suffit pas. À partir des problématiques qui se posent, il faut sans délai l'assortir de solutions concrètes.

La crise sanitaire de 2020 a, pour nombre d'entreprises, marqué le début de leur transformation numérique. Devant notamment recourir à des solutions de type click and collect, elles s'y sont parfois engagées dans un certain désordre et sans réelle méthode. Par effet de symétrie, les cyberattaques ont cru de 400 % pendant la période. Les formations-actions se destinent à aider nos entreprises à mieux conduire leur transformation numérique. Les enjeux de cybersécurité y occupent une place prépondérante, tant ils nous semblent une composante essentielle, non seulement de la souveraineté, mais également de la confiance que les entrepreneurs mettent dans le processus et, par suite, l'une des clés de sa réussite.

Vous nous aviez par ailleurs interrogés sur des aspects de concurrence et de fiscalité numériques. À l'évidence, la réflexion sur la souveraineté numérique ne saurait les omettre. Il paraît difficilement acceptable que des géants du numérique qui tendent à écraser la concurrence, échappent dans une large mesure à leurs obligations fiscales. Nous plaidons en faveur de la transparence de leurs activités et des profits qu'ils en retirent sur notre territoire.

Étant donné le retard que les PME et TPE françaises ont pris dans la réalisation de leur transformation numérique, il conviendrait de dédier à cette transformation un budget spécifique, géré par un organe unique, par exemple l'agence du numérique rattachée au ministère de l'économie, des finances et de la relance. Il a été proposé de flécher vers lui la totalité des recettes de la fiscalité des géants du numérique, les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon).

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