Intervention de Naomi Peres

Réunion du jeudi 11 mars 2021 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Naomi Peres, secrétaire générale adjointe du secrétariat général pour l'investissement (SGPI) :

Nous nous sommes intéressés à la notion de souveraineté avant la crise, lorsque nous avons commencé à préparer le quatrième PIA, en 2019. Nous avions alors convenu que la doctrine ou le principe d'investissement du PIA ne pouvait plus être la seule croissance – évidemment, le PIA vise à investir pour l'avenir, à créer des emplois et à développer la croissance, mais plus seulement. Nous avons donc réfléchi à compléter les principes d'investissement du PIA avec, d'une part, la transition écologique et, d'autre part, un concept rassemblant les aspects de résilience, de souveraineté et d'autonomie. Je vous rejoins sur le fait que la définition de la souveraineté n'est pas si simple. Nous retenons la définition suivante : la capacité d'apprécier une situation et de décider et d'agir sans contrainte et sans influence extérieure. Cette définition s'applique à l'État souverain. Nous lui avons préféré, dans le PIA 4, la notion de résilience, qui est à nos yeux plus large et emporte aussi une notion de souveraineté et d'autonomie. La résilience est la capacité d'un pays ou d'une organisation à résister aux conséquences d'une crise ou d'une agression et à retrouver le plus rapidement possible un fonctionnement normal, même si celui-ci est différent du fonctionnement précédent. La notion de résilience emporte donc mécaniquement la notion de souveraineté, en particulier en matière numérique. Les principes d'investissements du PIA sont donc constitués des trois concepts suivants : croissance potentielle, transition écologique et résilience des organisations socio-économiques au sens large.

En souhaitant appliquer cette notion à la matière numérique, nous avons réfléchi à trois grands aspects : le matériel, le logiciel et les usages. Ces trois éléments sont assez liés. Nous nous sommes posés la question suivante : dans quoi serait-il légitime d'investir, pas seulement dans une logique de retour sur investissement purement financier, mais extra-financier, c'est-à-dire dans une logique permettant d'augmenter notre autonomie, notre capacité à décider, notre capacité à rester maîtres de nos données, de nos logiciels et de nos matériels ?

Nous souhaitons appliquer cette notion à tous les domaines à chaque fois que nous bâtissons une stratégie, et pas seulement au numérique : la nouvelle logique du PIA 4 est construite autour de grandes stratégies d'investissement. Pour le PIA 4, nous avons souhaité prendre le temps de réunir l'ensemble des ministères compétents et de consulter assez largement, avant de lancer des appels à projets. Ainsi, nous associons largement les chercheurs, les parties prenantes, les collectivités territoriales, les entreprises. Avant de lancer un programme de recherche ou un programme d'investissement industriel, nous nous interrogeons de la manière suivante : dans ce domaine, quels sont les forces et faiblesses du pays, où se situent les besoins et un programme comme le PIA peut-il intervenir intelligemment ? Pour cela, nous essayons également d'articuler les outils normatifs, fiscaux et réglementaires, car nous avons plus de chances de réussir une transformation si nous nous sommes mis d'accord ensemble, auparavant, sur la feuille de route pour y arriver.

Nous avons travaillé de cette manière dans le secteur numérique. Les premières stratégies présentées par le Président de la République sont la stratégie quantique et la stratégie cyber. Plusieurs autres stratégies sont actuellement en cours d'élaboration, avec des consultations en ligne et des appels à manifestations d'intérêt. Nous tâchons d'appliquer cette notion de résilience et de souveraineté à tous les domaines. Nous l'avons, par exemple, appliquée à la stratégie hydrogène. Nous nous sommes interrogés de la manière suivante : quelle est la capacité de production d'hydrogène en France et à quel moment devons-nous déclencher le mécanisme d'aide à l'achat ? Il s'agit de trouver l'équilibre entre la volonté de développer rapidement l'hydrogène vert et bleu et le souci d'éviter d'acheter des catalyseurs chinois. Il y a donc un équilibre à trouver entre la volonté d'atteindre rapidement des objectifs et la volonté de garantir, grâce à ces investissements, notre autonomie et notre souveraineté.

En matière de numérique, cette logique est à l'œuvre dans les investissements conduits en faveur des matériels pour la 5G ou la 6G : nous veillons à ne pas être trop dépendants de matériels ou de composants dont nous ne maîtrisons pas la chaîne de production. Il en va de même pour le logiciel. Nous avons largement investi dans l'intelligence artificielle de confiance, avec le souci suivant : comment certifier les logiciels d'intelligence artificielle qui prendront peut-être, demain, une place prépondérante dans nos vies ?

Nous travaillons depuis trois ans à réaligner les investissements du PIA avec les activités de chaque ministère. Nous sommes un service du Premier ministre, afin de faire travailler ensemble toutes les parties prenantes avant de débloquer les fonds. Nous évitons d'adopter des prises de position et des points de vue qui ne seraient pas construits et partagés en interministériel. Le rôle du SGPI est très structurant dans le travail gouvernemental : il consiste à réunir tous les acteurs et à ouvrir la discussion avec des experts externes. Nous forgeons notre avis et nos convictions sur la base des avis d'experts, qu'ils soient issus des ministères, du Parlement ou de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le SGPI ne regroupe que trente personnes, nous avons donc besoin de recourir à des sources d'expertise extérieures. Ce que je vous livre est donc le fruit d'une réflexion collégiale et ouverte au-delà du seul SGPI.

Nous avons travaillé sur la notion de souveraineté avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et le Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse). Lors de la préparation du PIA 4, nous avons abouti à la conclusion suivante : la croissance économique est très bien caractérisée ; la transition écologique commence à l'être également, en particulier quant aux sujets de décarbonation et de référentiels d'appréciation de la biodiversité ; en revanche, il existe moins de littérature sur la résilience et sur la souveraineté. Nous avons donc collaboré avec les services qui travaillent de longue date sur ces sujets, pour savoir comment transposer une logique de souveraineté ou d'autonomie à d'autres champs, par exemple à l'éducation ou à la vieillesse. La notion d'autonomie et de résilience peut exister dans de nombreux autres domaines et nous devons réfléchir à la façon de la caractériser.

Nous nous efforçons d'apprécier les forces et faiblesses des différents secteurs en matière de souveraineté numérique. Nous considérons, par exemple, que la France dispose de toutes les compétences de haut niveau en matière quantique. Nous disposons de chercheurs compétents et nous réussissons à créer de formidables start-up dans ce domaine ; mais souvent, au moment où elles se mettent à grossir et qu'elles sont en capacité de conquérir des marchés, elles se heurtent à la fragmentation des marchés européens. Je pense que nous avons dépassé le sujet du financement en matière numérique : nous arrivons, à l'échelle européenne, à mobiliser les financements nécessaires pour permettre à ces entreprises de croître. Il se pose, en revanche, un sujet d'accès au marché en Europe. Il est plus facile, pour les entreprises, d'aller conquérir le marché américain que de s'adapter aux différents marchés européens. Nous essayons de mener ce diagnostic de forces et faiblesses, de manière très précise, pour chacune de nos stratégies. Les forces et faiblesses sont assez variables en fonction des secteurs considérés : en matière de cybersécurité, l'enjeu est de ne pas perdre l'avance gagnée ; en matière quantique, l'enjeu est d'abord d'investir dans l'amont, c'est-à-dire dans la recherche et le transfert technologique.

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