Intervention de Bruno Sportisse

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 11h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Bruno Sportisse, président-directeur général de l'Inria :

Je suis entièrement d'accord avec vous. Une politique de souveraineté repose à mon avis sur une dynamique d'innovation, qui repose elle-même sur des viviers de compétences et sur la capacité à comprendre ce que sont les infrastructures technologiques critiques. Il faut aussi s'appuyer sur un consensus politique et citoyen à ce sujet.

C'est en tout cas ce qu'a montré l'année qui vient de s'écouler dans le contexte très particulier de la crise sanitaire. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer, lors d'auditions devant le Parlement, sur les outils numériques mis en place à cette occasion. Je songe au projet TousAntiCovid que l'Inria a eu l'honneur de piloter auprès de la direction générale de la santé. Il a été mis en œuvre dans un contexte de souveraineté de la politique sanitaire. Il faut être capable de déterminer dans quelles conditions on déploie un tel outil et selon quels paramètres, en s'appuyant sur l'expérience tirée de la gestion de la crise par la France. L'adoption de ces outils par la population s'avère évidemment décisive. On ne peut construire de la souveraineté technologique que sur la base d'un consensus politique et citoyen, c'est-à-dire, qu'à condition que les enjeux du numérique soient bien perçus.

Il faut comprendre ce qu'est le web et ce qui se joue derrière, qui le contrôle et ce qui se passe dans un smartphone. Il faut aussi mesurer l'enjeu du respect de la vie privée et ce qui se cache derrière les mots pompeux de gouvernance algorithmique. Le numérique est présent dans de multiples domaines de la vie quotidienne. Nous avons parlé du rôle des algorithmes dans la santé. Il est capital de savoir qui les détermine. En somme, il faut communiquer sur les enjeux du numérique et les arracher à la sphère de ceux qui détiennent le savoir, à la sphère technologique. Le numérique s'immisce aujourd'hui dans les moindres aspects de notre vie. Qu'est-ce qui se joue à travers le choix d'un outil de visioconférence ? Qu'est-ce qu'implique le recours à Zoom ? Le partage des enjeux du numérique, qui fait désormais partie du quotidien des entreprises et intervient jusque dans les politiques publiques, doit déboucher sur leur compréhension pour que la notion de souveraineté numérique ne s'apparente pas à un bombage de torse ou un concept creux. Elle recouvre en réalité des éléments très concrets.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, au titre de mes fonctions à l'Inria, suite à un retour d'expérience sur le projet TousAntiCovid, j'ai pris la décision de faire de l'année 2021 celle du dialogue entre les sciences et technologies, et la société, autour du numérique. Je n'aime pas ce terme de dialogue, car les sciences et technologies ne se situent pas hors de, mais bien dans la société. Ceci dit, je n'en dispose pas de meilleur. Voilà en tout cas l'autre pilier de la construction d'une souveraineté technologique, en plus d'une politique d'innovation menée en cohérence avec des acteurs industriels et l'État.

Il reviendra ensuite à la société d'opérer des arbitrages, selon l'importance qu'elle attachera à l'autonomie stratégique et aux enjeux associés. Quoi qu'il en soit, le partage des enjeux du numérique et la compréhension de ce qu'il signifie ne me semblent pas complètement étrangers à la question de la sensibilisation en milieu scolaire évoquée tout à l'heure. Il faut sortir ces problématiques d'un cercle de spécialistes et des milieux d'affaires et dissiper les écrans de fumée dont les entourent certains acteurs du numérique.

La société m'y paraît aujourd'hui préparée. Voici dix ans, dans d'autres fonctions, j'ai été frappé par l'idée fort répandue, jusque dans les états-majors, que le numérique se résumait à une affaire de tuyaux. Le milieu entrepreneurial n'était pas forcément conscient alors qu'avec le numérique se jouaient la maîtrise de la chaîne de valeur, les modèles économiques des entreprises, la relation au client, les cycles d'innovation et de conception des produits et des services, et jusqu'aux politiques en matière de ressources humaines. Voici dix ans, soulever la question du numérique renvoyait encore à une simple consultation avec la direction des services informatiques.

Nous sommes évidemment sortis de cette situation. Il faut étendre une telle évolution au reste de la société, faute de quoi nous ne parviendrons jamais à un consensus sur le sens à donner à la notion de souveraineté numérique. Ce terme pour l'heure encore assez vague n'est pas exempt de connotations péjoratives, à en juger par les dernières tentatives de l'affirmer, pas vraiment couronnées de succès.

Il me paraît fondamental de lui donner une signification, dans la vie quotidienne, qui permette d'en mesurer les enjeux.

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