Je rappellerai d'abord que StopCovid et TousAntiCovid reposent sur des technologies franco-allemandes issues d'un important projet mené au titre d'un programme européen, monté en quelques jours, avec l'ensemble des acteurs européens, autour d'une collaboration de l'Inria avec l'institut Fraunhofer-Gesellschaft. Les protocoles qui en ont résulté sont donc issus de travaux de scientifiques français et allemands.
Par la suite, plusieurs gouvernements souverains ont résolu de privilégier d'autres solutions. Une multiplicité de facteurs sont entrés en jeu. Le contexte d'une crise sanitaire, contraignant à prendre, en l'espace de quelques jours ou semaines, des décisions de poids, ne prédisposait pas à un tel exercice. Par ailleurs, il ne m'appartient pas de commenter les décisions prises par chaque pays. Il me paraît plus intéressant de poser la question à froid, ce pourquoi j'ai rebondi sur le terme de planification technologique employé par le Président de la République dans son discours en honneur du lancement de l' EIC.
Il faut que de grandes feuilles de route technologiques prennent en compte les enjeux que nous devrons affronter au cours des années qui viennent. Celui de l'informatique quantique prendra sa pleine mesure d'ici cinq à dix ans. Quand on parle d'IA de confiance sans se contenter d'effets d'annonce un peu creux, il faut bien songer que se tiennent derrière des socles technologiques et des chaînes de traitement des données couplées à des algorithmes maîtrisés de bout en bout. Des normes et des standards devront encadrer ces technologies. N'oublions pas non plus que les systèmes de détection en cybersécurité, dont nous devrons nous équiper avec nos partenaires, reposent sur des infrastructures logicielles.
La nécessité d'établir des feuilles de route communes sur ces sujets a, selon moi, bien été perçue. Des partenariats se mettront en place, car la volonté d'y parvenir est présente. Les acteurs à mobiliser sont déjà là. Il est enfin admis que parler de souveraineté technologique et de technologie, et des modes d'intervention requis pour la garantir ne revient pas qu'à se gorger de grands mots.
Envoyer une fusée sur la lune ou construire une bombe nucléaire résulte de démarches que nos pays ont été capables de mener à bien lors des cinquante dernières années, et qui se prêtent parfaitement à la planification telle qu'on se la représente d'ordinaire. Le numérique n'obéit pas aux mêmes dynamiques. La planification technologique du numérique s'inscrit dans des logiques d'écosystème où les démarches spontanées, entrepreneuriales et les écosystèmes ouverts jouent un rôle clé.
Il n'en convient pas moins de l'organiser, même si on ne recourra pas pour cela aux mêmes outils que pour envoyer une navette dans l'espace ou mettre au point un dispositif d'armement. Il est d'autant plus impératif d'ordonner la planification technologique qu'elle mobilise une pléthore d'acteurs (de la recherche, de la formation, des start-up, des entreprises, sans compter les usagers) mal coordonnés.
Les feuilles de route bilatérales et multilatérales relatives à des objets technologiques clairement identifiés prennent dès lors une extrême importance. Vous avez évoqué tout à l'heure la stratégie européenne en matière d'Intelligence artificielle. Nous avons fait le choix à l'Inria d'un partenariat stratégique avec un acteur allemand, le DFKI ( Deutsches Forschungszentrum für Künstliche Intelligenz GmbH - Centre de recherche allemand sur l'Intelligence artificielle). Nous recourons dans ce cadre à tous les types d'action à notre portée en vue du développement de ces feuilles de route conjointes. Il faut à mon avis aller jusqu'à s'accorder sur une feuille de route technologique autour des infrastructures logicielles critiques que j'ai évoquées plus tôt.