Intervention de Bénédicte Roullier

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Bénédicte Roullier, cheffe du pôle « Transformation numérique des TPE/PME » :

Je commencerai par quelques données sur la numérisation des entreprises françaises et notre positionnement comparé à nos voisins. Il existe de nombreuses études et il est important de savoir, d'un point de vue méthodologique, que le public concerné est complexe et hétérogène. Nous regardons toujours si les études résultent d'un recueil de données uniquement en ligne ou en ligne et hors ligne : il est impossible de connaître un public peu connecté en ne recueillant les données que par questionnaire en ligne.

Nous avons déterminé les actions de France Num à partir de notre connaissance de ce public, basée notamment sur une étude que nous avons réalisée au début de l'année 2020, juste avant la crise. Nous refaisons actuellement une étude pour voir quelle est l'évolution au moyen d'un baromètre dont nous connaîtrons les résultats en juin.

Ce baromètre nous donne des chiffres relatifs à la perception et des indicateurs sur les freins. Ainsi, sur un échantillon représentatif, 68 % des TPE et PME sont aujourd'hui convaincues des bénéfices concrets du numérique. Cela signifie donc que 32 % ne sont pas convaincues. Le taux de convaincus monte à 72 % sur le thème de communication avec les clients ce qui montre que le numérique appliqué à leurs problématiques leur parle, plutôt que le numérique en général. Début 2020, 36 % des entreprises avaient peur de perdre leurs données. Il faut donc trouver un équilibre entre freins et leviers pour les amener au numérique.

En ce qui concerne les équipements et les usages, les dirigeants de TPE et PME sont des personnes très connectées. 88 % possèdent un smartphone. Seuls 37 % ont un site Internet institutionnel ce qui semble être un chiffre très particulier à la France. Nous retrouvons cela dans l'indicateur européen Digital economy and society index (DESI) qui comporte une dimension concernant l'intégration des technologies par les entreprises : la France est en retard en visibilité Internet, globalement et plus particulièrement par rapport aux pays du Nord. Le chiffre est encore plus bas pour les sites de e-commerce, puisque seulement 9 % des entreprises avaient un site au début de l'année 2020.

En revanche, une spécificité de la France est que 40 % des entreprises ont un logiciel de gestion, ce qui nous met en tête du peloton européen. La France est donc assez faible en visibilité mais assez forte sur l'équipement en logiciel de gestion, ce qui est probablement lié à l'obligation – datant de 2018 ou 2019 – d'avoir un logiciel de caisse. Cette contrainte peut donc devenir un avantage pour les TPE et PME qui disposent ainsi de données de gestion.

Nous avons aussi quantifié les TPE et PME à accompagner. Notre cible maximale, avant la crise, était de 2,6 millions d'entreprises en nous centrant sur les structures productives. En entités juridiques, nous montons à 3,8 millions d'entreprises, mais il ne s'agit pas que d'entreprises ayant réellement une activité économique.

Nous avons aussi réalisé une segmentation des dirigeants de TPE et PME, puisque ce public est très hétérogène. Nous avons effectué cette segmentation suivant la dynamique de projet et la maturité numérique des entreprises. Nous ne nous sommes pas limités à leur maturité numérique car nous n'accompagnons pas de la même façon un dirigeant d'entreprise qui a des projets et un dirigeant qui n'en a pas, un dirigeant qui est sur le point de transmettre son entreprise ou un dirigeant qui vient de racheter une entreprise. Nous avons donc cinq segments : prudents, demandeurs, réceptifs, statiques, opportunistes. Nous concentrons les actions de France Num sur 1,7 million d'entreprises qui correspondent aux trois segments des prudents, demandeurs et réceptifs. Tout l'enjeu des dispositifs d'aide est de bien atteindre ces cibles prioritaires pour que les mêmes réceptifs voire opportunistes n'en soient pas toujours les bénéficiaires.

L'indicateur européen DESI paraîtra bientôt. Il est basé sur des enquêtes Eurostat et n'interroge annuellement que les PME, pas les TPE. Une grande enquête sur les TPE est réalisée tous les six ans : la prochaine occurrence aura lieu en 2022. Ce sont des enquêtes de l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dans le cadre d'Eurostat.

Les difficultés rencontrées par les acteurs sont d'abord le manque de conviction sur les apports du numérique. Nous considérons que France Num a pour mission d'améliorer le terrain afin que l'action de nos partenaires et des acteurs privés puisse se déployer plus facilement.

Le deuxième sujet qui revient partout est le manque de temps : le dirigeant de TPE est pris par le temps de tous les côtés, y compris à cause d'un numérique subi qui lui prend du temps. Il faut donc convertir le numérique à son avantage, faire en sorte qu'il ne constitue pas seulement une charge avec des démarches administratives, des factures, des paperasses.

Nous constatons également une difficulté à percevoir le retour sur investissement, à voir ce que le numérique apportera concrètement. Les dirigeants ont du mal à choisir, à décider comment faire, par quoi commencer. Nous travaillons aussi spécifiquement à la complexité des aides, des dispositifs, de l'offre, des acteurs.

La crise sanitaire a eu un impact positif de prise de conscience et constitue globalement une opportunité pour les filières numériques française, européenne et internationale, y compris pour les géants du Web (GAFAM). Nous entendons énormément parler de ce sujet aujourd'hui, ce qui peut aboutir aussi à une saturation et à la création d'arnaques. Il faut faire attention, lorsque nous communiquons beaucoup sur un sujet, au risque d'apparition de pièges et nous surveillons ces problèmes. L'enjeu est donc de convertir l'urgence en progrès à long terme.

Une progression évidente est visible dans les baromètres réguliers de la fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) pour les volumes de vente en ligne. La proportion de TPE et PME passées au numérique est toutefois assez différente et nous attendons sur ce point les retours de notre baromètre. Nous avons des indicateurs de l'association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) qui montrent une nette progression des demandes de nom de domaine en « .fr », donc certainement une augmentation de la présence sur Internet des TPE et PME.

Dans la crise sanitaire, nous avons aussi observé des actions de débrouillardise très utiles. Elles concernent des TPE et PME qui utilisent le click and collect ou différentes solutions permettant à leurs clients de commander à distance et de venir chercher leurs produits. Nous voyons là l'enjeu crucial d'avoir un fichier clients. À France Num, notre travail consiste aussi à identifier de tels leviers spécifiques pour faire basculer les TPE et PME.

Nous avons conduit une action « Clique mon commerce » lors du deuxième confinement pour sélectionner une petite centaine d'offres permettant de faire du click and collect, de la livraison, de la gestion et de la logistique. Un appel à projets effectué en urgence nous a permis de proposer ce site pour faciliter le choix aux commerçants, artisans et restaurateurs.

Lors du premier confinement, nous avions conçu un guide pour les commerçants et artisans sur les sujets de livraison et de click and collect. Nous avions aussi démarré une chronique radio dans laquelle nous communiquions par des témoignages sur la webradio Frenchweb. En effet, communiquer par des témoignages est très efficace auprès des TPE et PME, en leur montrant ce que passer au numérique a apporté à un de leurs pairs.

France Num a trois grandes missions dont la première est de piloter cette politique publique, d'animer et d'outiller les acteurs. Ce n'est pas un moindre sujet que d'avoir chacun la même vision de la transformation numérique et de savoir où nous en sommes. Nous ne sommes ni les derniers ni les premiers. Nous suivons un chemin et il est important de partager cette même vision de la transformation numérique, les mêmes priorités et d'adapter les dispositifs en fonction de nos objectifs.

L'écosystème de France Num est constitué de soixante partenaires et de 3 000 activateurs : conseillers publics des réseaux consulaires, consultants privés, offreurs de solutions, banques… Dans le pilotage de la politique publique, nous gérons la marque France Num qui est une marque collective. Nous n'agissons pas par des actions propres à France Num mais nous coordonnons des actions de l'écosystème.

Nous avons un site Internet qui présente les actions des partenaires, sur lequel le public peut demander des recommandations ou avoir accès aux aides. Une plateforme collaborative avec nos soixante partenaires nous permet d'accélérer la diffusion de l'information, avec une offre de référencement des activateurs et une offre d'animation. Nous avons également des projets pour renforcer ce réseau de terrain constitué des activateurs.

Une autre de nos missions est de démontrer les bénéfices concrets du numérique. À ce titre, une émission télévisée Connecte ta boîte se déroule actuellement en trois épisodes. Il s'agit de démontrer concrètement l'intérêt du numérique pour des métiers très traditionnels puisque nos exemples concernent un ferronnier d'art, un couple de boulangers-pâtissiers et une guide de moyenne montagne. Nous valorisons les métiers et nous montrons les apports du numérique.

Notre rôle consiste aussi à soutenir des actions, voire en conduire en propre puisque le plan de relance donne à France Num un financement qui le lui permet. Nous finançons ainsi des diagnostics proposés gratuitement par les réseaux consulaires aux entreprises. Nous avons mis en place le chèque numérique de 500 euros. Nous faisons des appels à projets pour sélectionner des opérateurs proposant des accompagnements-actions afin de répondre au besoin induit par le fait que l'offre est riche mais qu'il faut accompagner le passage à l'action.

Un prêt France Num est en cours de mise en place. Il est destiné à sécuriser les banques pour prêter à de petites entreprises pour des petits projets de transformation numérique d'un volume maximal de 50 000 euros.

La particularité de France Num, en tant qu'initiative publique, est que notre réseau inclut des acteurs privés, donc des offreurs de solutions. France Num est géré en partenariat avec les régions. Nous présentons notre réseau de façon territoriale car la relation de confiance de la TPE s'établit avec un contact de proximité. Nous travaillons sur l'animation du réseau avec les régions et avec les filières numériques régionales. Nous avons un enjeu de qualité de la description sur la base de données des activateurs pour permettre à une TPE de choisir en connaissance de cause, les critères pouvant aller du respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) au fait que la société est française ou non, mais nous ne référençons pas uniquement des sociétés françaises ou européennes.

France Num ne s'associe, en tant qu'initiative de l'État, qu'à des partenaires institutionnels même si nous avons beaucoup de demandes de partenariat de grandes sociétés privées.

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