Intervention de Paul-François Fournier

Réunion du jeudi 15 avril 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Paul-François Fournier, directeur exécutif en charge de l'innovation de Bpifrance :

La souveraineté est une problématique qui revient assez fortement dans le débat public depuis quelques mois et quelques années, en particulier avec la crise, mais qui était déjà présente auparavant et revêt, selon les interlocuteurs, des caractéristiques assez diverses. De façon générale, il s'agit de maîtriser un certain nombre d'outils ou d'éléments de production.

Notre vision de ce sujet est résolument offensive. Depuis la création de Bpifrance, nous sommes convaincus qu'innovation et souveraineté sont intimement liées et que, pour être souverain, il faut avoir une logique de puissance technologique, donc des écosystèmes aussi efficaces et puissants que possible dans la technologie.

Suite à ce constat et avec le soutien de l'État, nous avons pris avec M. Nicolas Dufourcq une option très forte au moment de la création de Bpifrance en constatant que l'innovation a beaucoup changé en France depuis une vingtaine d'années. Nous avons vécu une période très riche avec de grandes filières industrielles très innovantes dans les années 1970 et 1980. Nous avions de grands groupes, de grands centres de recherche et développement (R&D) qui avaient le monopole de l'innovation. Avec le digital, l'innovation a complètement changé et le modèle le plus créateur de valeur est maintenant celui des start-up. Même si les filières traditionnelles continuent à être innovantes, les start-up sont aujourd'hui l'outil de création de valeur au début du processus d'innovation. Nous avons donc mis en place, avec l'État, une action très volontariste pour le financement des start-up autour de deux axes.

Le premier axe consiste à faciliter la création de start-up. Nous mettons en place des financements très significatifs au travers de dispositifs tels que les bourses French Tech, des avances remboursables, des prêts « innovation » ou des prêts d'amorçage pour donner aux jeunes et moins jeunes entrepreneurs le signal que la puissance publique accompagne ce processus de création. Nous avons ainsi presque triplé depuis 2013-2014 le nombre de start-up que nous finançons, aujourd'hui proche de mille entreprises par an. Nous avons donc une politique de diffusion de la création de start-up. Un point important pour nous est le changement de regard des jeunes ingénieurs, chercheurs ou entrepreneurs dans les écoles d'ingénieurs ou de commerce qui, aujourd'hui, considèrent la voie de la création de start-up comme une voie importante.

Le deuxième axe, pour que ces entreprises ne restent pas une forêt de bonsaïs, nécessite que nous disposions d'un écosystème dynamique d'investissement de capital-risque, donc de fonds d'investissement dynamiques et puissants, pour accompagner la croissance de ces entreprises. Suivant l'exemple de Londres, nous pensons que la France doit devenir un grand pays de l'industrie du capital-risque au niveau européen. Depuis cinq ou six ans maintenant, nous avons mené avec l'écosystème des fonds une action volontariste de croissance et de développement de la taille des fonds pour leur permettre d'accompagner la croissance de ces entreprises avec des moyens significatifs, notamment grâce aux programmes d'investissements d'avenir.

La taille moyenne des fonds dans lesquels Bpifrance était investisseur en 2012-2013 était de 80 millions d'euros. Aujourd'hui, la taille moyenne des fonds dans lesquels nous investissons est de plus de 200 millions d'euros, proche de 250 millions d'euros. Cet écosystème grandit donc. Le capital-risque français est passé de deux milliards d'euros en 2013‑2014 à plus de cinq milliards d'euros cette année et la France est l'un des rares pays à avoir été en croissance en 2020.

Ce capital-risque français est de plus en plus européen. Il compte des fonds de plus d'un milliard d'euros et nous avons bien l'intention de continuer. De plus, nous avons plus de dix milliards d'euros de dry powder, c'est-à-dire de capacité à investir dans les années à venir. Cela a permis en 2020, malgré la crise, de réaliser 80 levées de vingt millions d'euros, alors que nous n'en comptions qu'une quarantaine en 2016. Douze levées de plus de 100 millions d'euros ont eu lieu l'année dernière en pleine période de covid contre six en 2016. Nous voyons donc bien la dynamique et la maturité de cet écosystème.

Nous sommes convaincus d'être au début de cette dynamique, qu'il faut continuer. C'est un message important. Je fais souvent le parallèle avec Airbus : nous sommes en train de créer une nouvelle filière industrielle, comparable aux filières traditionnelles, mis à part que ce sont des filières de tech avec des entreprises jeunes qui deviennent des entreprises de taille intermédiaire (ETI) de technologie. Nous avons parfois le sentiment qu'il a fallu pour créer Airbus et la filière aéronautique française une décision politique de quelques semaines entre la France et l'Allemagne. Cela a, en réalité, pris plutôt vingt ou trente ans. Nous demandons une continuité de l'action publique. Même si, avec le digital, ce type de filière est plus rapide à créer, il faut du temps et nous sommes au début du processus de création d'une grande filière de technologie avec des entreprises de plus en plus matures.

La croissance de cet écosystème nous semble nécessaire dans les années à venir pour qu'il donne sa pleine puissance. Il est encore jeune puisqu'il n'a que cinq ou six ans. Je rappelle que le capital-risque américain est né dans les années 1950, que la Silicon Valley est née dans les années 1950. Je ne dis pas qu'il faudra soixante-dix ans mais cinq ans n'est qu'un début dans ce type de dynamique et il faut persévérer.

Nous souhaitons ajouter deux sujets importants pour la souveraineté à cette dynamique. Nous sommes d'abord convaincus que nous allons vers une révolution de la deep tech, c'est-à-dire que les industries traditionnelles connaîtront la même rupture que le digital, avec des start-up venant disrupter les industries traditionnelles. Nous le voyons très bien dans le spatial que je pensais pourtant être une industrie de grands groupes. De multiples briques technologiques arrivent des start-up. C'est aussi le cas dans de nombreux domaines tels que la cybersécurité ou la santé. Ce sont souvent des sujets en rapport avec la question de la souveraineté.

Nous devons, avec l'État, accompagner cette nouvelle vague d'innovation. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé voici deux ans un plan Deeptech qui vise à rapprocher notre écosystème de recherche de l'écosystème des entrepreneurs et investisseurs. Cet écosystème de recherche est de qualité au niveau mondial mais n'est pas suffisamment en connexion avec l'écosystème des entrepreneurs et des fonds d'investissement. D'une certaine façon, le jeune chercheur est comme le jeune ingénieur était voici cinq ans. Il faut qu'il considère la possibilité de valoriser le fruit de sa recherche par une start-up, sans en être forcément le patron, mais qu'il participe et réfléchisse avec l'écosystème des entrepreneurs.

Les priorités des années à venir sont ce changement culturel, l'accélération de la chaîne de financement, grâce aux sociétés d'accélération des transferts de technologie, l'adaptation des fonds de financement à ces sujets de deep tech, dont la nature est différente de celle des sujets du digital. Notre plan Deeptech a deux ans et des dynamiques commencent à émerger. Nous sommes au début d'un processus qui devrait nous permettre de créer de nouvelles entreprises, dans des domaines souvent souverains, souvent industriels. Nous espérons qu'ils nous permettront de créer de nouvelles entreprises françaises qui apporteront des solutions à ces problématiques d'avenir.

Il reste évidemment la question de la connexion avec les filières traditionnelles. Nous pensons que certaines de ces entreprises deviendront de grandes entreprises, comme cela est en train de se produire dans le digital. Certaines passent le cap des plusieurs milliards d'euros et, dans les années à venir, compte tenu de la dynamique en cours, nous pensons que des entreprises de la tech seront dans le CAC40 et vaudront huit ou dix milliards d'euros, qu'à un certain moment, certaines de ces entreprises pourront et devront être réintégrées dans les filières traditionnelles, car elles auront besoin de capacités de production, de savoir-faire de qualité d'usine ou de réseaux de distribution présents dans les filières traditionnelles ou parce qu'elles sont des briques de ces filières.

Nous avons donc annoncé, avec France Industrie, une plateforme nommée Tech In Fab qui vise à rapprocher les industries traditionnelles et ces pépites de la tech pour qu'elles fassent du commerce ensemble et, éventuellement, que ces grands groupes ou ces ETI les rachètent pour moderniser leurs entreprises.

Notre métier est d'apporter et de développer des opportunités afin que les filières françaises et l'État aient le maximum d'options pour choisir des solutions françaises. Pour que ces solutions soient efficaces, il faut souvent que ces entreprises deviennent internationales et, pour certaines d'entre elles, qu'elles s'attaquent au marché américain qui reste un marché extrêmement important et dynamique.

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