C'est une question au cœur de nos sujets actuels. Vous avez raison et nous sommes de ce point de vue très clairs : nous pensons qu'un euro de client vaut plus qu'un euro d'investissement ou de financement de Bpifrance. Nous ne minimisons pas notre action, mais notre enjeu est d'aider l'entreprise, de créer des conditions permettant qu'un écosystème de capital-risque les fasse croître. Mais, à la fin, une entreprise vit de ses clients et de sa capacité à se développer. Comme les fonds, nous sommes convaincus que notre écosystème doit être propice à ce développement.
Je pense que nous n'avons jusqu'à présent pas complètement réussi à réaliser ce tissage entre l'écosystème du digital et l'écosystème des entreprises françaises. Nous y mettons beaucoup d'énergie. Nous nous appliquons à nous-mêmes cette logique. Vous avez certes parlé du PGE mais nous travaillons avec cent start-up françaises. C'est parfois difficile car, même si nous ne sommes pas une très grande entreprise, nous avons nos contraintes, nos modes de fonctionnement. Nous sommes bien conscients de l'importance de ce sujet. Nous avons créé voici cinq ans le hub avec la conviction que le moment viendrait un jour de connecter l'écosystème. Nous avons relancé voici quelques jours la plateforme Tech In Fab. Nous déployons tous nos efforts pour que les filières et les grands groupes s'intéressent aux start-up.
Je pense que nous franchissons actuellement une étape, que nous passons en fait la troisième étape de la maturité de l'écosystème des start-up et de ses rapports avec les grandes entreprises. La première étape fut de l'ordre de l'amusement, chacun créant son incubateur tandis que les grands groupes invitaient les start-up un peu comme on invite un pauvre pour l'aider. Lors de la deuxième étape, nous avons vu plus de scepticisme sur la capacité de ces entreprises à intégrer du business, le sentiment étant que nous en faisions trop sur les start-up. Je pense que les grandes entreprises sont maintenant convaincues que ces start-up deviennent de vraies entreprises et ne sont plus une mode, mais de véritables solutions. La meilleure preuve en est le partenariat que nous avons signé avec France Industrie. Il est assez symbolique, très important et a été suivi par une trentaine de grands groupes industriels, ce qui montre que la situation évolue.
Des dizaines d'entreprises valent déjà entre 500 millions et un milliard d'euros, ont plusieurs millions de chiffre d'affaires et des dizaines d'autres suivront, je vous le promets. Ce ne sont plus de petites start-up, mais des entreprises capables de résoudre les problèmes industriels de très grandes entreprises et d'apporter des solutions industrielles. Leur puissance financière et leur exposition internationale leur permettent de trouver des solutions.
Il reste un énorme travail d'acculturation. C'est parfois une de nos inquiétudes mais nous essayons de faire évoluer les mentalités avec ces plateformes, avec des partenariats, par de la communication au travers de nos évènements à l'occasion desquels nous mettons en valeur les succès de ces entreprises.
Je souhaite revenir sur un point important pour la souveraineté : les acquisitions de start-up par l'étranger. Notre ambition, en tant que financeur, est que des entreprises deviennent de très grandes entreprises et recréent des usines comme Ynsect à Amiens ou Aledia à Grenoble. Ces start-up recréent donc de l'industrialisation et nous espérons que certaines d'entre elles seront au CAC 40 dans cinq ou dix ans. Toutefois, une bonne part d'entre elles arriveront – c'est la règle du jeu – à une limite en capacité de réseau de distribution ou seront une vraie opportunité pour ces filières. L'enjeu est alors qu'elles puissent être rachetées. Il s'agit que les filières traditionnelles rachètent ces entreprises pour les intégrer et leur donner toute leur puissance grâce à leur propre réseau de distribution ou à leur savoir-faire industriel.
Nous regardons cet enjeu par le prisme des acquisitions étrangères de ces start-up, ce qui nous interpelle à chaque fois. L'État et nous-mêmes sommes vigilants sur ces sujets, en particulier sur des sujets souverains. Pourtant, nous oublions parfois de nous demander pourquoi nos filières traditionnelles ne choisissent pas d'acquérir ces start-up. Lorsque nous regardons les chiffres de nos fonds d'investissement, les acquisitions de start-up en 2019 par des fonds dans lesquels nous sommes investisseurs se font pour 60 % auprès d'investisseurs français. La grosse majorité des sorties se font donc avec des investisseurs français. 12 % des sorties se font auprès d'investisseurs européens donc près des trois quarts sont des acquisitions par des investisseurs européens. 17 % des sorties sont des acquisitions par des investisseurs américains. C'est beaucoup mais ce n'est que 17 %. Par contre, parmi les 60 % acquises par des investisseurs français, la moyenne de la valorisation est le tiers de la valorisation faite par les acquisitions des investisseurs américains.
Nous devons nous interroger sur le fait que ces entreprises sont rachetées aux États-Unis, mais nous avons aussi besoin d'avoir en France des opportunités d'acquérir ces entreprises. Il faut faire en sorte que les moyens soient mis pour consolider ces acteurs en France. Le fait que nous ayons des acteurs importants qui nous permettent de devenir des consolidateurs est probablement un des moyens pour le digital. Pour la deep tech, il faudra également que nos grands groupes rachètent ces belles entreprises, en particulier les plus belles d'entre elles, pas uniquement les moins valorisées.