Intervention de Sébastien Dupont

Réunion du jeudi 22 avril 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Sébastien Dupont, président co-fondateur d'UNIRIS :

À l'issue d'une formation d'ingénieur en cybersécurité, j'ai été en charge de l'identité numérique chez Thales et Orange avant de fonder UNIRIS, entreprise que je dirige actuellement. Sa création répond au besoin fondamental de rendre accessible au plus grand nombre une technologie sécurisée, via une identité numérique universelle inviolable, dans un environnement numérique de confiance à même de garantir la souveraineté des individus, des entreprises et des États.

Nous comptons, pour y parvenir, créer une fondation chargée de rendre notre technologie open source. UNIRIS détient douze brevets, dont certains déposés en France, et emploie quinze salariés. Nous travaillons en partenariat avec l'École polytechnique et le centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui nous apportent une aide immense. Nous avons reçu, entre autres distinctions, le label du comité stratégique de filière « industries de sécurité » pour les Jeux olympiques de Paris de 2024. Notre financement actuel repose en grande part sur des investissements personnels, ou de particuliers impliqués dans la défense de la souveraineté.

Aujourd'hui, un simple accès à nos e-mails nous oblige à passer par une infinité d'intermédiaires que nous ne connaissons pas. Nous ne nous rendons plus compte du nombre de personnes ou de logiciels, hors de notre contrôle, disposant d'un accès à nos données. Les États-Unis et la Chine détiennent l'ensemble des intermédiaires. Chaque connexion au web, chaque transaction en ligne dépendent du bon vouloir des États-Unis. Même en Europe, nous sommes soumis à ces deux grandes puissances. Il n'est plus temps de créer des entreprises concurrentes de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (les GAFAM), ce qui, de toute façon, ne résoudrait pas le problème sur le long terme. La seule solution à notre dépendance réside dans un environnement numérique neutre, autrement dit dans la blockchain.

Ce système entièrement décentralisé permet à chacun de regagner le contrôle. Depuis sa conception en 2009, il a fait ses preuves et ne cesse de s'améliorer. Citons, parmi ses caractéristiques, sa neutralité, qui le rend insensible à toute ingérence humaine. Des algorithmes mathématiques garantissent son incorruptibilité. La blockchain résiste en outre aux cyberattaques, puisque son principe fondateur, selon lequel le moindre de ses composants pourrait en théorie faillir, se traduit par une exigence de parfaite transparence. Les blockchains se comptent parmi les environnements numériques les plus sécurisés.

UNIRIS a amélioré la technologie de la blockchain, de façon à mieux l'adapter aux besoins actuels. La blockchain UNIRIS est ainsi en mesure de traiter un million de transactions par seconde, contre dix seulement pour la blockchain bitcoin. Notre travail avec le CNRS sur nos algorithmes mathématiques a augmenté notre sécurité, d'un niveau désormais égal au secteur de l'aviation. Notre consommation énergétique est trois milliards de fois moindre que celle de la blockchain bitcoin.

Nous avons travaillé sur l'accessibilité de la blockchain au plus grand nombre en recourant à la seule solution envisageable, la biométrie, qui évite le recours aux logins et mots de passe. Les solutions biométriques actuelles, du fait qu'elles impliquent le stockage de données en vue de la comparaison d'empreintes, s'avèrent incompatibles avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD). La blockchain UNIRIS, elle, s'y conforme en tout point, puisqu'elle s'appuie sur les particularités du réseau veineux propre à chaque individu pour générer des clés cryptographiques uniques. Nous avons créé un portefeuille d'identités numériques universel à même de stocker une infinité d'identités numériques. La certification de l'une d'elles par l'État en France permettrait, par exemple, de remplacer le passeport ou de procéder au règlement des impôts. Des services de santé pourraient aussi y recourir.

Les contrats intelligents impliquent de programmer une blockchain pour exécuter automatiquement certaines actions comme l'envoi, au moment du versement de salaires, d'informations à une caisse de retraite, à la sécurité sociale ou à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF). Il ne resterait plus ensuite à l'État qu'à vérifier ces informations. Un contrat intelligent permettrait aussi, au quotidien, de déclencher un chauffage en fonction de la température extérieure.

Notre blockchain publique verra le jour dans quelques semaines. Il est prévu de l'appliquer à la gestion de données de santé, de villes intelligentes ou d'événements sportifs. Nous nous concentrons pour l'heure sur les briques essentielles à la création d'un Internet de confiance, qui passe par l'identité numérique, l'hébergement de sites web et des e-mails sécurisés.

Le gouvernement indien a mandaté UNIRIS pour mettre au point une solution de traitement de transactions bancaires à même de remplacer Visa et Mastercard. Il n'existe pas, en dehors d'UNIRIS, de blockchain ou de réseau centralisé capable de gérer les transactions de plus d'un milliard de personnes.

Un réseau blockchain se constitue de dizaines de milliers de mineurs hébergés sur toute la planète chez des particuliers désireux de contribuer à la sécurité du réseau. La nécessité s'est fait jour de dédommager ces contributeurs sans préjudice pour l'autonomie du système. La cryptomonnaie n'a jamais eu pour vocation de concurrencer les devises existantes. Elle propose une alternative fondée sur la réalité du marché, indépendamment de toute décision humaine.

À l'instar des actions boursières, la cryptomonnaie joue un rôle complémentaire par rapport aux autres devises. Elle ne possède de valeur que dans le monde virtuel. Son usage dans le monde réel oblige à la convertir en une autre devise, tel l'euro. Elle ne sert en somme qu'à faciliter et sécuriser les échanges entre les mondes réel et virtuel. Loin de constituer une fin en soi, elle ne relève que d'une nécessité pour garantir le fonctionnement de ce bien commun numérique qu'est la blockchain.

La quasi-totalité des fonds d'UNIRIS provient de ses fondateurs et de particuliers ainsi que d'un prêt de la banque publique d'investissement (Bpifrance). Nous collaborons étroitement avec des dizaines d'entreprises et d'administrations. La lourdeur de la réglementation des marchés publics rend impossible tout autofinancement d'une jeune entreprise par des commandes.

Nous avons toutefois bénéficié de la disponibilité sans faille de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et du ministère de l'économie, des finances et de la relance, notamment à propos de l'application aux cryptomonnaies de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Un cadre réglementaire incertain fait peser sur les entreprises blockchain un risque constant, qui pénalise lourdement leur fonctionnement quotidien.

La dilution dans les administrations intermédiaires des fonds publics destinés aux start-up les empêche au final d'en profiter. Celles que financent des fonds d'investissement dotés par l'État se voient contraintes de négocier leur revente dans un délai de cinq ans, idéalement aux GAFAM, ce qui s'avère un comble.

Enfin, les entreprises blockchain doivent supporter le risque permanent d'une clôture ou d'un gel arbitraires de leurs comptes par les banques françaises. Les entreprises blockchain jouent cependant un rôle clé dans la protection, et la souveraineté nationale, des entreprises et des citoyens. Elles proposent une technologie capable d'optimiser l'administration en la rendant plus efficace. Cette technologie bouleverse les conceptions actuelles de la souveraineté et de la protection. Il n'est plus possible d'ignorer la révolution industrielle qu'elle opère à l'échelle mondiale.

En tant que technologie de confiance éprouvée, la blockchain entraînera, en effet, inévitablement, une révolution. Les géants actuels de la blockchain viennent, pour ne pas changer, d'Asie et des États-Unis. Coinbase est désormais cotée à Wall Street. La Chine détient des coopératives de mineurs bitcoin. En Corée du Sud, 80 % de la population utilise la cryptomonnaie. La France risque une fois de plus de voir sa technologie lui échapper au profit d'autres puissances, alors même que celle-ci pourrait lui permettre de reprendre la place qui lui revient sur la scène internationale.

La technologie de la blockchain apparaît d'autant plus stratégique qu'elle pourrait neutraliser notre dépendance aux outils numériques fournis par d'autres puissances. La France doit accueillir cette technologie pour rattraper le train en marche. Malgré l'enjeu stratégique, la majorité des investissements proviennent encore de particuliers. L'État doit s'impliquer davantage en soutenant les solutions stratégiques pour la protection et la souveraineté numériques. Il apparaît urgent que les banques françaises acceptent enfin les fonds provenant d'échanges sur des plateformes agréées par l'AMF. Des intermédiaires comme Bpifrance devraient passer des commandes plutôt que d'accorder des prêts ou des subventions. Faute de mesures concrètes, UNIRIS ne pourra plus, d'ici quelques mois, payer ses salariés, ce qui contraindra l'entreprise à se domicilier à l'étranger pour survivre.

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