Intervention de Timothée Huré

Réunion du jeudi 29 avril 2021 à 11h00
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance) :

Vos questions portent sur la technologie blockchain, or celle-ci ne concerne pas que des aspects financiers, puisqu'elle peut être déployée dans de nombreuses industries. La DGT ne sera en mesure de vous apporter qu'une réponse restreinte. Elle ne suit en effet que des entreprises utilisant la technologie blockchain à des fins financières, par exemple pour réaliser des paiements, échanger des actifs numériques ou cryptoactifs ou, éventuellement, de la monnaie sous forme de token, de la monnaie de banque centrale tokenisée ou encore des titres financiers.

Nous ne traitons pas des entreprises de l'industrie blockchain en général, mais uniquement de celles qui recourent à cette technologie dans un contexte financier. Nous n'en avons pas moins un message à délivrer, car nous avons progressivement mis en place un cadre national, de portée croissante, depuis qu'il fait l'objet de discussions au niveau européen.

Ce cadre englobe les actifs numériques apparus en même temps que la blockchain et désignés sous le vocable contestable de « cryptomonnaies », comme bitcoin ou Ethereum. Ces tokens, initialement de paiement, sont rapidement devenus des objets de spéculation. Échappant par ailleurs au droit existant, ils ont parfois servi à des fins criminelles (blanchiment d'argent ou financement du terrorisme).

Plusieurs réglementations se sont succédé. La première visait à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, sous l'égide internationale du Groupe d'action financière (GAFI), dont la France est membre et qui dépend de l'Organisation des nations unies (ONU). En 2015, une cinquième directive de la Commission européenne, relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, a ensuite couvert une partie des activités liées aux cryptoactifs. La loi Pacte a transposé l'ensemble en droit français en imposant l'assujettissement d'une partie des acteurs qui vendent, achètent ou conservent des cryptoactifs.

La sécurisation des données relatives aux actifs numériques constitue un enjeu crucial. Il faut, pour accéder à ceux-ci, des clés privées, sortes de mots de passe, dont la perte ou le vol prive de tout contrôle sur ces cryptoactifs. Voilà pourquoi les prestataires proposant de sécuriser les portefeuilles d'actifs numériques ont été à leur tour assujettis au dispositif relatif à la lutte contre le blanchiment d'argent.

Une ordonnance promulguée le 9 décembre 2020 a étendu ce premier socle réglementaire, qui englobe désormais à peu près tous les acteurs se livrant à l'échange, la négociation ou la conservation de cryptoactifs.

La France a poussé la lutte contre le blanchiment d'argent plus loin que d'autres pays membres de l'Union européenne. Se pose aujourd'hui la question d'une révision des textes européens, encore incomplets. Ils comportent moins d'exigences que les textes français, quant au type d'entité éligible ou à l'imposition d'un contrôle préalable à l'exercice de l'activité. Des négociations porteront, à partir de juin, sur les propositions de Règlement que devrait nous soumettre l'Union européenne.

Par ailleurs, le contexte actuel d'envolée du cours du bitcoin depuis la fin de l'année 2020 laisse présager un risque que certaines personnes mal informées placent des sommes conséquentes auprès d'entités peu scrupuleuses. Le deuxième aspect de la réglementation de la technologie blockchain, visant à la protection de l'épargne, rejoint la réglementation classique en matière de marchés financiers et de souscription à des produits d'épargne. La France a décidé, via la loi Pacte, de soumettre à un agrément les prestataires d'achat et de vente de cryptoactifs.

L'originalité de la position française vient du caractère optionnel de ce cadre, largement inspiré du droit financier classique. Les législateurs ont craint qu'au cas où la France serait le seul pays à contraindre les entreprises de l'industrie des cryptoactifs à obtenir un agrément à l'issue d'une procédure lourde, semblable à celle qui pèse sur les prestataires de services d'investissement classiques, celles-ci finiraient par s'installer ailleurs.

Ce cadre optionnel permet aux prestataires qui le souhaitent de se démarquer, leur choix de s'y plier témoignant dès lors de leur sérieux. Selon nous, ce cadre ne doit devenir obligatoire qu'à condition qu'il s'impose aussi au niveau européen. Nous en discutons justement à l'occasion du Règlement MiCA (Market in Crypto-Assets), proposé par la Commission européenne à l'automne et maintenant en débat, tant au Parlement européen qu'au Conseil européen. M. Clément Robert et moi-même participons aux négociations.

Le troisième aspect de la réglementation ne porte pas sur les objets apparus avec la blockchain, à savoir les cryptoactifs, mais sur l'utilisation de la blockchain à des fins auxquelles servaient auparavant d'autres technologies. L'échange de titres financiers implique traditionnellement une série d'intermédiaires : les chambres de compensation. Celles-ci s'assurent, lors de l'achat d'un titre financier, que son détenteur en est bien propriétaire et que l'acquéreur dispose de la somme requise. Elles assument ainsi une position de notaire.

Certains se sont avisés de la possibilité, grâce à la blockchain, d'accélérer considérablement ce processus d'échange, d'une durée allant parfois jusqu'à deux jours, malgré la dématérialisation des titres financiers. Autrement dit, l'usage de la technologie blockchain en tant que « tuyau » d'échanges de titres financiers entraînerait un gain de temps, en particulier dans les marchés peu liquides.

En France, une ordonnance de 2017 autorise à utiliser la technologie blockchain pour échanger des titres financiers, essentiellement non cotés, à savoir des parts de fonds correspondant à un segment restreint du marché. Recourir à la blockchain sur le marché des titres cotés en bourse présenterait également un intérêt évident. Si la France ne le permet pas, c'est parce que prévaut dans ce domaine le droit européen. Seul un Règlement européen autoriserait à modifier en ce sens la loi française.

Des discussions portent actuellement sur un projet parallèle au Règlement MiCA, auquel la Commission européenne a donné le coup d'envoi à l'automne. Il s'agit d'un régime pilote proposant, pendant cinq ans, aux acteurs qui le souhaitent, une dérogation aux règles européennes, le temps pour eux de tester la technologie blockchain comme moyen d'échange de titres financiers.

Une nouvelle classe d'actifs numériques est apparue, voici un an et demi : les stablecoins. Il a beaucoup été question d'eux à l'occasion du projet Libra, à l'origine de nombreuses craintes justifiées, notamment de la part des autorités publiques. Le Règlement MiCA s'intéresse également à ces stablecoins. Plusieurs ministres de la zone euro se sont publiquement dits inquiets de monnaies privées prenant le pas, à terme, sur des monnaies publiques. La question est en ce moment débattue au Conseil européen, voire au Parlement européen. Il est de notre intérêt de nous assurer que ces stablecoins ne supplanteront pas et ne concurrenceront pas les monnaies nationales. Il convient de ne pas faire de fausses promesses à ceux qui en attendraient autant de stabilité que d'une monnaie publique.

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