Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 29 avril 2021 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DGE
  • actif
  • bitcoin
  • blockchain
  • cryptoactifs
  • start-up
  • technologie
  • écosystème
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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de Mme Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE), et de Mme Pauline Faucon, adjointe au responsable du pôle « Affaires internationales, coordination européenne et enjeux technologiques du secteur financier », MM. Thimothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), et Clément Robert, bureau « Services bancaires et moyens de paiement » (BancFin4), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance).

Présidence de M. Philippe Latombe, rapporteur de la mission d'information.

La séance est ouverte à onze heures.

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Nous avons le plaisir d'auditionner la task force blockchain, pilotée par le ministère de l'économie, des finances et de la relance. La création de ce groupe d'experts nationaux, en avril 2019, dans le cadre de la stratégie nationale blockchain, a fait suite au rapport qu'ont consacré à cette technologie les parlementaires M. Jean-Michel Mis et Mme Laure de la Raudière. La task force blockchain rassemble des administrations et investisseurs publics, dont plusieurs ministères, Bpifrance, la caisse des dépôts et consignations, l'autorité des marchés financiers (AMF), l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) des représentants de comités stratégiques de filières, des pôles de compétitivité, des associations et des représentants du monde académique, parmi lesquels le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), l'Institut de physique (INP) et l'université Paris Dauphine.

La task force blockchain a présenté un premier rapport au mois de février 2020, à partir d'une étude menée par sept chercheurs de l'Institut Mines-Télécom (IMT), du CEA-List et de l'Inria. Je ne doute pas que vous nous en direz un mot.

Je souhaite vous interroger, à titre liminaire, sur trois sujets. Je commencerai par votre approche de la souveraineté numérique, objet d'une question rituelle lors de nos auditions, du fait de la grande diversité des définitions qui en sont données. Comment l'envisagez-vous pour votre part ? En quoi la blockchain pourrait-elle constituer un outil de souveraineté en France et en Europe ? J'aimerais, à cette occasion, que vous nous présentiez dans le détail les premiers constats effectués par la task force blockchain, ainsi que ses recommandations.

Mon second point portera sur le développement en France d'un écosystème blockchain performant. Quelles actions devraient mener les pouvoirs publics pour soutenir les entreprises technologiques porteuses de projets dans ce domaine ? Comment la réglementation actuelle pourrait-elle, ou devrait-elle évoluer pour encourager l'innovation ? Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté cet écosystème d'entreprises si particulier ? Comment celles-ci envisagent-elles leur proche avenir, au vu des circonstances actuelles ?

Enfin, je voudrais que nous échangions à propos de la dimension européenne de la blockchain. D'une part, je m'interroge sur le positionnement de la France vis-à-vis de cette technologie, par rapport à ses voisins européens. Je souhaite, d'autre part, connaître votre opinion sur l'action de l'Union européenne dans ce domaine. Nous évoquerons sans doute au passage l'enjeu de la force probante de la blockchain, d'une grande importance pour nous, législateurs.

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

La direction générale du Trésor pourrait commencer par aborder la question sous ses aspects financiers les plus connus, puisqu'ils ont fait l'objet d'une réglementation dans la loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises).

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Vos questions portent sur la technologie blockchain, or celle-ci ne concerne pas que des aspects financiers, puisqu'elle peut être déployée dans de nombreuses industries. La DGT ne sera en mesure de vous apporter qu'une réponse restreinte. Elle ne suit en effet que des entreprises utilisant la technologie blockchain à des fins financières, par exemple pour réaliser des paiements, échanger des actifs numériques ou cryptoactifs ou, éventuellement, de la monnaie sous forme de token, de la monnaie de banque centrale tokenisée ou encore des titres financiers.

Nous ne traitons pas des entreprises de l'industrie blockchain en général, mais uniquement de celles qui recourent à cette technologie dans un contexte financier. Nous n'en avons pas moins un message à délivrer, car nous avons progressivement mis en place un cadre national, de portée croissante, depuis qu'il fait l'objet de discussions au niveau européen.

Ce cadre englobe les actifs numériques apparus en même temps que la blockchain et désignés sous le vocable contestable de « cryptomonnaies », comme bitcoin ou Ethereum. Ces tokens, initialement de paiement, sont rapidement devenus des objets de spéculation. Échappant par ailleurs au droit existant, ils ont parfois servi à des fins criminelles (blanchiment d'argent ou financement du terrorisme).

Plusieurs réglementations se sont succédé. La première visait à lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, sous l'égide internationale du Groupe d'action financière (GAFI), dont la France est membre et qui dépend de l'Organisation des nations unies (ONU). En 2015, une cinquième directive de la Commission européenne, relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, a ensuite couvert une partie des activités liées aux cryptoactifs. La loi Pacte a transposé l'ensemble en droit français en imposant l'assujettissement d'une partie des acteurs qui vendent, achètent ou conservent des cryptoactifs.

La sécurisation des données relatives aux actifs numériques constitue un enjeu crucial. Il faut, pour accéder à ceux-ci, des clés privées, sortes de mots de passe, dont la perte ou le vol prive de tout contrôle sur ces cryptoactifs. Voilà pourquoi les prestataires proposant de sécuriser les portefeuilles d'actifs numériques ont été à leur tour assujettis au dispositif relatif à la lutte contre le blanchiment d'argent.

Une ordonnance promulguée le 9 décembre 2020 a étendu ce premier socle réglementaire, qui englobe désormais à peu près tous les acteurs se livrant à l'échange, la négociation ou la conservation de cryptoactifs.

La France a poussé la lutte contre le blanchiment d'argent plus loin que d'autres pays membres de l'Union européenne. Se pose aujourd'hui la question d'une révision des textes européens, encore incomplets. Ils comportent moins d'exigences que les textes français, quant au type d'entité éligible ou à l'imposition d'un contrôle préalable à l'exercice de l'activité. Des négociations porteront, à partir de juin, sur les propositions de Règlement que devrait nous soumettre l'Union européenne.

Par ailleurs, le contexte actuel d'envolée du cours du bitcoin depuis la fin de l'année 2020 laisse présager un risque que certaines personnes mal informées placent des sommes conséquentes auprès d'entités peu scrupuleuses. Le deuxième aspect de la réglementation de la technologie blockchain, visant à la protection de l'épargne, rejoint la réglementation classique en matière de marchés financiers et de souscription à des produits d'épargne. La France a décidé, via la loi Pacte, de soumettre à un agrément les prestataires d'achat et de vente de cryptoactifs.

L'originalité de la position française vient du caractère optionnel de ce cadre, largement inspiré du droit financier classique. Les législateurs ont craint qu'au cas où la France serait le seul pays à contraindre les entreprises de l'industrie des cryptoactifs à obtenir un agrément à l'issue d'une procédure lourde, semblable à celle qui pèse sur les prestataires de services d'investissement classiques, celles-ci finiraient par s'installer ailleurs.

Ce cadre optionnel permet aux prestataires qui le souhaitent de se démarquer, leur choix de s'y plier témoignant dès lors de leur sérieux. Selon nous, ce cadre ne doit devenir obligatoire qu'à condition qu'il s'impose aussi au niveau européen. Nous en discutons justement à l'occasion du Règlement MiCA (Market in Crypto-Assets), proposé par la Commission européenne à l'automne et maintenant en débat, tant au Parlement européen qu'au Conseil européen. M. Clément Robert et moi-même participons aux négociations.

Le troisième aspect de la réglementation ne porte pas sur les objets apparus avec la blockchain, à savoir les cryptoactifs, mais sur l'utilisation de la blockchain à des fins auxquelles servaient auparavant d'autres technologies. L'échange de titres financiers implique traditionnellement une série d'intermédiaires : les chambres de compensation. Celles-ci s'assurent, lors de l'achat d'un titre financier, que son détenteur en est bien propriétaire et que l'acquéreur dispose de la somme requise. Elles assument ainsi une position de notaire.

Certains se sont avisés de la possibilité, grâce à la blockchain, d'accélérer considérablement ce processus d'échange, d'une durée allant parfois jusqu'à deux jours, malgré la dématérialisation des titres financiers. Autrement dit, l'usage de la technologie blockchain en tant que « tuyau » d'échanges de titres financiers entraînerait un gain de temps, en particulier dans les marchés peu liquides.

En France, une ordonnance de 2017 autorise à utiliser la technologie blockchain pour échanger des titres financiers, essentiellement non cotés, à savoir des parts de fonds correspondant à un segment restreint du marché. Recourir à la blockchain sur le marché des titres cotés en bourse présenterait également un intérêt évident. Si la France ne le permet pas, c'est parce que prévaut dans ce domaine le droit européen. Seul un Règlement européen autoriserait à modifier en ce sens la loi française.

Des discussions portent actuellement sur un projet parallèle au Règlement MiCA, auquel la Commission européenne a donné le coup d'envoi à l'automne. Il s'agit d'un régime pilote proposant, pendant cinq ans, aux acteurs qui le souhaitent, une dérogation aux règles européennes, le temps pour eux de tester la technologie blockchain comme moyen d'échange de titres financiers.

Une nouvelle classe d'actifs numériques est apparue, voici un an et demi : les stablecoins. Il a beaucoup été question d'eux à l'occasion du projet Libra, à l'origine de nombreuses craintes justifiées, notamment de la part des autorités publiques. Le Règlement MiCA s'intéresse également à ces stablecoins. Plusieurs ministres de la zone euro se sont publiquement dits inquiets de monnaies privées prenant le pas, à terme, sur des monnaies publiques. La question est en ce moment débattue au Conseil européen, voire au Parlement européen. Il est de notre intérêt de nous assurer que ces stablecoins ne supplanteront pas et ne concurrenceront pas les monnaies nationales. Il convient de ne pas faire de fausses promesses à ceux qui en attendraient autant de stabilité que d'une monnaie publique.

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Clément Robert, bureau « Services bancaires et moyens de paiement » (BancFin4), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

J'apporterai une précision à propos du paysage global des cryptoactifs.

Ceux de première génération, comme les fameux bitcoins, à l'origine conçus comme des moyens de paiement, ont donné lieu à des échanges à des fins plutôt spéculatives ou d'investissement. La dimension de paiement s'est toutefois introduite dans le débat sur le Règlement MiCA, où elle occupe une place croissante. Les cryptoactifs de première génération ont finalement peu servi à des paiements, du fait de leur volume global réduit et de leur forte volatilité, illustrée par les fluctuations quotidiennes du cours du bitcoin.

Sur fond de projet Diem (au départ Libra), le constat s'impose que les global stablecoins – actifs numériques de deuxième génération – entendent surmonter les deux limites qui s'opposaient à l'usage, en tant que moyen de paiement, de ceux de première génération. D'une part, leur valeur promet de rester stable, d'autre part, le circuit de commerçants qui les accepteront est appelé à s'étendre.

Peu de commerçants recevaient jusqu'à présent des cryptoactifs comme moyens de règlement, même si le nombre de ceux qui reconnaissent la valeur du bitcoin augmente depuis peu. Les global stablecoins, dont Diem pourrait constituer le premier exemple type, amorçant le passage à une autre dimension. En s'appuyant sur les deux milliards et demi d'utilisateurs de Facebook, Diem pourrait en effet se déployer à une échelle inédite. Beaucoup plus de commerçants l'accepteraient alors, au point qu'en tant qu'actif de paiement privé, il concurrencerait l'euro.

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Vous avez déclaré, à propos de l'ordonnance du 9 décembre 2020 concernant la lutte contre le blanchiment d'argent, que la France était allée plus loin que ses voisins européens, notamment via le contrôle a priori des acteurs du secteur.

L'écosystème de la blockchain estime que la position trop avancée de la France, quant à ces questions d'encadrement, s'oppose à la volonté de substituer Paris à Londres en tant que place financière de l'Europe, au lendemain du Brexit. Ne voyez-vous pas, vous aussi, une incohérence entre la réglementation française plus poussée que celle de ses voisins et notre ambition nationale, qui porte, en l'occurrence, sur un aspect de notre souveraineté ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Ce genre de réflexion nous est déjà parvenu, évidemment. Nombre d'acteurs du secteur nous ont signalé qu'ils échapperaient, à l'étranger, aux contrôles pesants que leur impose la loi française. Notre réglementation s'est élaborée à partir du raisonnement suivant : les professions financières sont traditionnellement contrôlées en France, il n'y a donc pas lieu de distinguer les nouveaux opérateurs des acteurs classiques du secteur.

Nous avons également songé au risque, pour ces acteurs émergents, parfois de très petite taille, que dès le lendemain de leur début d'activité, l'autorité des marchés financiers (AMF) ou l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) les soumette à un contrôle, sans qu'un examen préalable leur ait garanti de le réussir, ce qui les exposerait à des sanctions des plus dissuasives.

Enfin, les entreprises blockchain entretiennent avec le secteur bancaire des relations parfois difficiles, en raison de la crainte de celui-ci de voir sa responsabilité engagée en matière de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme. Nous avons songé qu'un contrôle exigeant, a priori, rassurerait les acteurs bancaires, qui accepteraient ainsi plus volontiers d'entrer en relation avec les opérateurs du marché des cryptoactifs.

Reconnaissons toutefois que nos partenaires européens n'ont pas forcément opté pour le même type de contraintes.

L'ordonnance du 9 décembre 2020 prévoit de ce fait un allègement du contrôle a priori pour certains services. Les nouveaux assujettis y échapperont quant à eux : ils n'en auront en tout cas pas besoin pour exercer leur activité, même si, en cas de contrôle ultérieur, ils devront prouver leur respect des normes en vigueur.

Nous décelons une volonté de l'ensemble des pays de l'Union européenne d'opter pour la même approche, imposant à leur tour un contrôle a priori, auquel cas la France n'aurait plus qu'à affronter une concurrence réglementaire limitée.

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Pour autant, les relations avec le secteur bancaire ne se sont pas améliorées. Comment les rendre plus fluides ? Des acteurs de l'industrie blockchain nous ont indiqué qu'aucune banque ne se montrait prête à les soutenir et qu'ils rencontraient toutes les difficultés du monde à survivre, la transformation de leurs jetons en euros s'annonçant hors de question. Pourquoi cette méfiance persistante du secteur bancaire, malgré l'ordonnance censée apaiser les tensions ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

D'abord, toutes les banques ne partagent pas la même vision. Hier encore, la Société Générale a publié un communiqué à propos des blockchains. Certaines banques attestent d'une grande ouverture à cette technologie et participent à la mise en place d'un premier type de stablecoin. La Société Générale travaille sur un projet d'euro digital avec la Banque de France. Elle a participé hier ou avant-hier à l'émission d'obligations de la banque européenne d'investissement (BEI).

Toutes les banques ne se montrent donc pas hostiles au secteur. Certaines y voient une piste de développement prometteuse. Les directions de la conformité des banques manifestent cependant une véritable frilosité, difficile à surmonter. Elles se sentent mal à l'aise, pour des raisons parfois historiques, vis-à-vis de ce secteur à la réputation encore quelque peu sulfureuse, à tort selon nous, vu que le cadre réglementaire en place garantit le sérieux des acteurs enregistrés auprès de l'AMF et de l'ACPR.

Il reste un travail de concertation à mener. Nous l'avons tenté, de même que l'AMF et l'ACPR. Nous œuvrons, à notre niveau administratif et à celui du ministère, au dépassement des incompréhensions mutuelles. Nos efforts s'avèrent d'autant plus ardus que certaines directions des conformités, échaudées par leurs déboires passés, ne veulent plus prendre, en gérant les acteurs de l'industrie de la blockchain, de risques qu'elles jugent démesurés, bien que nous ne partagions pas leur analyse.

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Les établissements bancaires ne sont pas les seuls en cause. La Banque centrale européenne (BCE) ne paraît pas des plus ouvertes à l'usage de la blockchain ; la Réserve fédérale des États-Unis (FED) l'est peut-être un peu plus. Ne pressentez-vous pas un risque à trop attendre avant que la France s'engage dans la technologie blockchain ? La nécessité de rattraper notre éventuel retard menacerait alors notre souveraineté.

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Je ne saurais m'exprimer à la place de la Banque centrale ou de la Banque de France. Je vous conseille en tout cas de vous adresser à cette dernière, qui ne donne pas, à la DGT, l'impression de vouloir laisser passer l'opportunité de la technologie blockchain. En témoignent ses expérimentations et sa participation à l'émission, par la Banque européenne d'investissement, de monnaie digitale de banque centrale. La BCE mène, si ce n'est des réflexions, du moins des consultations sur le sujet.

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Clément Robert, bureau « Services bancaires et moyens de paiement » (BancFin4), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Je ne dispose pas d'éléments plus précis. En revanche, je partage le sentiment de M. Timothée Huré quant à l'attitude de la Banque de France, où ne transparaît, selon moi, aucune réserve quant aux expérimentations d'émissions.

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En sommes-nous arrivés au même point que nos voisins européens ? Certains sont-ils plus avancés que la France, en matière de réglementation de la blockchain, mais aussi en termes de cas d'usage ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Côté financier, la France est à la pointe. Notre avance, du point de vue de la réglementation, répond à une demande de notre écosystème, très engagé sur le sujet. C'est parce que nous l'avons mise au point plus tôt que nos partenaires européens que des acteurs de l'industrie blockchain ont pu se lancer dans l'échange de titres non cotés. Des expérimentations ont débuté bien avant le projet de régime européen en cours de négociation, qui ne verra de toute façon pas le jour avant l'an prochain. En réalité, les acteurs français que nous rencontrons régulièrement se disent satisfaits du positionnement de la France. Nous avons fait tout notre possible, compte tenu de la marge de manœuvre nationale dont nous disposions, pour leur permettre d'exercer confortablement leur activité. Le débat porte désormais sur les moyens à mobiliser afin d'avancer suffisamment vite au niveau européen pour ne pas nous laisser distancer par les États-Unis et l'Asie. Quoi qu'il en soit, la France n'a pas à rougir de sa position en Europe.

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La crise sanitaire a-t-elle apporté des changements ? A-t-elle freiné ou, à l'inverse, accéléré le développement du secteur ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Nous avons observé des mouvements contraires. Certaines activités annexes, telles que le conseil en matière de cryptoactifs, ont plutôt souffert, comme beaucoup de ce genre durant la crise. En revanche, l'achat, la vente et la négociation de cryptoactifs ont suscité une recrudescence d'intérêt de la part des consommateurs, qui ont dans l'ensemble plus investi. Le même constat vaut pour les titres financiers classiques. Nombre d'épargnants ont réalisé leurs premiers investissements pendant la crise liée au Covid. Entre le premier confinement et la forte envolée du bitcoin à la fin de l'année 2020, confirmée au début de 2021, les vendeurs et négociants de cryptoactifs n'ont pas souffert, au contraire.

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La crise sanitaire se serait donc accompagnée d'un mouvement de fond au profit des cryptoactifs. À quoi l'attribuez-vous : à un excédent de trésorerie dû au recul de la consommation, à une défiance envers les actifs classiques, ou encore à une inquiétude vis-à-vis de la dette Covid contractée par la France pour relancer l'économie ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Le premier confinement n'a pas, selon notre analyse, donné lieu à une concurrence entre le bitcoin et les titres financiers classiques. Autrement dit, l'attrait des cryptoactifs ne s'est pas renforcé au détriment des autres types d'actifs : nous avons également observé une augmentation du nombre d'ordres passés sur les titres financiers classiques. De nouveaux investisseurs, ne disposant que d'un petit capital, se sont mis à jouer en bourse ou à ouvrir des plans d'épargne en actions (PEA), parce qu'ils disposaient enfin de temps pour se lancer.

En revanche, vers la fin de l'année 2020, un mouvement très net est apparu en faveur des cryptoactifs. Des investisseurs, plutôt jeunes, ont vu la valeur de certains d'entre eux décupler. De belles histoires ont circulé, de spéculateurs engrangeant des bénéfices mille fois supérieurs à leur mise de départ. L'impression s'est imposée que les cryptoactifs constituaient un moyen de s'enrichir facilement. Rappelons que le bitcoin est un actif purement spéculatif. Beaucoup s'y intéressent, car peu d'actifs ont permis de réaliser de telles plus-values.

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Quel avenir, à moyen et long terme, voyez-vous aux cryptoactifs ? Leur progression continuera-t-elle ? S'inscriront-ils dans le paysage en tant que simple classe d'actifs parmi d'autres ? Domineront-ils le marché ? Ou leur popularité, peut-être éphémère, s'explique-t-elle par un effet de mode ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

La réponse dépend des actifs que l'on considère. La valeur du bitcoin, un actif spéculatif, repose sur l'offre et la demande, or l'offre disponible est limitée. De plus en plus de bitcoins apparaissent sur le marché, mais leur émission, plafonnée, suit une courbe asymptotique, alors même qu'une forte demande persiste, parce que beaucoup de belles histoires circulent, d'enrichissement subit, et que certaines grandes banques américaines, ou même Elon Musk, ont investi dedans. En réalité, sa valeur sur le marché s'est décorrélée de sa valeur intrinsèque ou de sa valeur d'usage, à l'instar de ce qui est arrivé à l'or. Le bitcoin pourrait ainsi devenir une valeur refuge comme l'or. La remarque vaut pour les autres cryptomonnaies.

Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que les cryptoactifs possèdent une valeur en tant que moyens d'échanger de la donnée ou de l'information. Au-delà de la spéculation sur les unités de compte qui circulent sur les blockchains, celles-ci permettent d'échanger des objets connus, tels des titres financiers. Il ne faut donc pas uniquement envisager cette technologie du point de vue de la valorisation des actifs qui y transitent. Nous sommes convaincus, en France, et nous ne sommes pas les seuls en Europe, de la remarquable utilité de la technologie blockchain en vue de la modernisation des marchés financiers classiques ou des échanges, au travers de celle des moyens de paiement.

Je distinguerai donc entre, d'un côté, des cryptoactifs tenant lieu de valeurs refuges et, de l'autre, une technologie prometteuse. Malgré les critiques visant Diem (à l'origine Libra) et les risques liés à son développement, ce projet a mis en évidence des manques ou insuffisances des moyens disponibles auprès du grand public pour échanger rapidement de la valeur au moindre coût.

Nous voyons en résumé un intérêt technologique à développer le secteur et à permettre aux acteurs qui le souhaitent d'utiliser la technologie blockchain.

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Vous avez cité deux exemples de cryptoactifs : bitcoin et Ethereum. Où en sont aujourd'hui les blockchains européennes ? Comment faire pour qu'elles se hissent au niveau du bictoin en servant à leur tour de valeur refuge ?

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Je laisserai la DGE compléter mon propos au sujet de la stratégie de déploiement de la technologie blockchain pour ses usages techniques.

Nous ne cherchons pas forcément à créer, en Europe, un token constituant une valeur refuge. En revanche, nous souhaitons vivement disposer de solutions européennes de paiement ainsi que de blockchains facilitant l'échange de titres financiers. Nous ne sommes ni favorables ni hostiles à la création d'un bitcoin ou d'un Ethereum européens, qui incombe de toute façon au secteur privé. Nous voulons avant tout des blockchains européennes qui puissent servir d'outils souverains.

Nous ne sommes d'ailleurs pas en reste, de ce point de vue. Le lancement du projet de blockchain franco-suisse Tezos a rencontré, voici quelques années, un beau succès, attesté par une levée de fonds magistrale. Tezos commence aujourd'hui à être utilisé pour échanger des titres financiers. Il me semble que la Société Générale ou la BEI y ont eu recours récemment. Nous entretenons en tout cas des contacts réguliers avec les gestionnaires de Tezos.

Un enjeu majeur émerge, lié à une règle quelque peu complexe instaurée par le GAFI, visant à s'assurer de l'identification des émetteurs de cryptoactifs, un peu comme lors d'un virement bancaire, via le code Swift (de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication ), de manière à éviter tout problème d'anonymat. Cette règle oblige à communiquer l'identité de chaque personne qui envoie ou reçoit des cryptoactifs via une blockchain. Or la conception initiale de la technologie blockchain ne le prévoyait pas, d'où l'enjeu de disposer de structures qui ne soient pas uniquement américaines ou asiatiques et comportent un système équivalent au code Swift, capable de transmettre les données, d'une banque ou d'un intermédiaire financier à l'autre. Il n'existe pas encore, à ce jour, de projet européen abouti de ce point de vue, ce qui nous préoccupe d'ailleurs. Une crainte subsiste d'une dépendance vis-à-vis de solutions blockchain non européennes.

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Je laisserai la DGE s'exprimer sur la question de notre écosystème blockchain. En quoi consiste-t-il aujourd'hui ? Comment se porte-t-il ? Comment le développer ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Je reviendrai d'abord sur la définition de la souveraineté numérique, proposée par le directeur général de la DGE, M. Thomas Courbe. Elle repose, selon lui, sur deux facultés. La première est de définir librement les règles encadrant les usages du numérique, afin de contrôler leur impact, sur les entreprises, mais aussi sur les consommateurs et citoyens. De ce point de vu, l'intervention de l'État a plutôt porté, en France, sur l'aspect financier, via la loi Pacte.

La seconde faculté cruciale pour la souveraineté numérique de la France implique une autonomie relative par rapport aux principales technologies à la base des usages du numérique. Concernant ce volet, le principal levier, pour la DGE, consiste à développer des stratégies industrielles du numérique permettant de soutenir transversalement la production de solutions innovantes par des acteurs français.

La stratégie nationale blockchain est intervenue suivant cet axe. Lancée en avril 2019, elle vise d'abord le développement des usages non financiers de la technologie blockchain et la croissance de l'écosystème d'entreprises françaises. Elle s'articule autour de quatre axes clés :

– la création de débouchés, que la DGE soutient, à la fois en accompagnant la filière, notamment dans les comités stratégiques de filières (CSF) qu'elle pilote, et en organisant, avec les acteurs, des cycles de réunions autour du partage d'information et de retours d'expérience ;

– le financement des porteurs de projets. Si les blockchains à usage financier ont procédé à d'importantes levées de fonds, un besoin subsistait toutefois de soutien public aux blockchains à usage non financier. La DGE, avec l'appui de Bpifrance, accompagne les entreprises par des subventions et des prêts ;

– l'accompagnement des entrepreneurs blockchain. La DGE facilite ainsi les échanges entre les différentes administrations compétentes et les start-up ;

– les ministres, M. Cédric O, Mme Frédérique Vidal et M. Bruno Le Maire, ont confié une mission prospective à des chercheurs de l'Inria, du CEA-List et de l'IMT. Elle a donné à lieu à la publication, le 15 avril dernier, d'un rapport sur les verrous technologiques des blockchains, assorti de recommandations aux pouvoirs publics en vue de les lever.

L'écosystème de la blockchain en France est en train de se consolider. Nous constatons un authentique dynamisme des start-up, ainsi qu'une appropriation progressive, par les grands groupes, de la technologie blockchain, ce qui nous laisse présager une augmentation des débouchés de l'industrie de la blockchain en France.

Le réseau foisonnant des start-up de l'industrie de la blockchain a réussi à faire face à la crise, dans certains cas grâce à l'accompagnement de l'État. Le rapport des chercheurs que je viens d'évoquer a dressé une première cartographie des acteurs de la blockchain en France, dénombrant une centaine de start-up vers la fin de l'année 2019 et le début de 2020. Au début de 2021, en revanche, Bpifrance relevait environ 400 start-up en France. Bien que toutes n'atteignent pas la même taille ni le même potentiel, la progression ne laisse aucun doute.

Ce foisonnement des start-up s'accompagne d'une consolidation de l'écosystème, via la structuration de sa représentation. La France peut se féliciter de compter deux associations représentant les intérêts des différentes entreprises de l'écosystème de la blockchain : l'association pour le développement des actifs numériques (ADAN), à la création relativement ancienne, et la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB), qui a vu le jour en 2020.

Malgré un petit ralentissement pendant la crise, les débouchés continuent à se développer grâce à une acculturation croissante des grands groupes et des intégrateurs de solutions. Pour accompagner cette croissance, la DGE travaille, au sein de la task force blockchain, à l'élaboration de guides de sensibilisation.

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Les grandes entreprises ont-elles intégré la technologie blockchain ? Tournent-elles leurs regards vers les start-up ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Nombre de multinationales et de grands groupes français commencent à tester la technologie blockchain et lancent des chantiers. Certaines sociétés font appel à des start-up françaises pour les aider à développer leurs services.

Des projets ont éclos dans les comités stratégiques de filières (CSF). La DGE accompagne pour l'heure cinq projets de filières, dont ceux du CSF industrie des nouveaux systèmes énergétiques et du CSF transformation et valorisation des déchets. D'autres projets suivent leur cours dans le secteur de la technologie juridique ou au service du droit (LegalTech) ainsi que dans celui des industries culturelles et créatives. Certains projets s'épanouissent enfin dans le secteur du luxe.

Parmi les entreprises ayant déjà noué des collaborations avec les acteurs de l'industrie blockchain, citons Schneider Electric ou Mondelez, qui a mis en place un système de traçabilité des biscuits « Petits LU », en partenariat avec la start-up française Connecting Food. Suez développe pour sa part des projets liés à la technologie blockchain dans sa filière déchets.

À côté de ces entreprises recourant à la technologie blockchain pour répondre à leurs propres besoins, de grands groupes français se positionnent sur le marché des services inter-entreprises, comme Atos, Thales ou Orange.

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Ces grands groupes développent-ils leurs solutions blockchain en interne ? Sollicitent-ils des intégrateurs ou contactent-ils directement les start-up ? Peut-être vont-ils jusqu'à développer des start-up à l'intérieur même de leur périmètre ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Tout dépend des situations. La société Mondelez a noué un partenariat avec une start-up française pour développer un système propre. Nous avons répertorié une multiplicité de cas différents. De toute façon, pour l'instant, les retours d'expérience demeurent assez rares.

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Pour reprendre la formule de votre collègue de la DGT, à propos de bitcoin : il faut aussi raconter de belles histoires. Le monde de l'entreprise en connaît-il à ce jour, à même de mettre la technologie blockchain en lumière ? Comment l'État peut-il y contribuer, si ce n'est en se faisant le relais de telles histoires, en expliquant, à tout le moins, en quoi la technologie blockchain a de l'avenir ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Les applications industrielles de la technologie blockchain sont encore trop récentes pour que je vous cite un cas de réussite spécifique.

Nous œuvrons actuellement avec un groupe de travail, sous-ensemble de la task force blockchain, à la rédaction d'un guide de sensibilisation destiné aux entreprises désireuses de développer à l'avenir des cas d'usage de la blockchain. Il propose un relevé de ceux qui sont en passe d'aboutir afin d'illustrer les possibilités offertes par la technologie blockchain.

Bon nombre d'applications se rapportent à des besoins de traçabilité et de transparence, en vue de rassurer des clients sur la qualité d'un produit. Un acheteur de biscuits Petit LU peut désormais scanner un QR code lui indiquant dans quel champ a poussé le blé entrant dans la composition du produit, ce qui crée de la confiance en rassurant sur ses caractéristiques environnementales. Beaucoup de projets relèvent pour le moment d'un souci de transparence dans le secteur agroalimentaire, aussi bien en ce qui concerne la production de vin bio que l'exportation à l'étranger de produits sensibles, tel le substitut de lait maternel. Le recours à la technologie blockchain permet au consommateur de vérifier qu'il n'achète pas un produit de contrefaçon issu du marché gris. Notre guide répond à un besoin actuel de capitaliser sur la sensibilisation naissante des entreprises françaises à la technologie blockchain. Il faut leur prouver que son usage ne se limite pas aux cryptoactifs.

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La crise sanitaire a-t-elle apporté des changements à l'utilisation ou à la promotion de la technologie blockchain ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Nous nous apprêtons à lancer une consultation publique auprès des acteurs de l'écosystème, des start-up aux associations de représentants en passant par les grands groupes. Nous souhaitons dresser un bilan des actions menées dans la stratégie nationale blockchain depuis 2019 et déterminer si les besoins des entreprises ont évolué, du fait de la crise sanitaire. Cette consultation devrait aboutir d'ici quelques mois. Nous en partagerons les conclusions lors des réunions semestrielles de la task force blockchain.

Revenons sur le financement des start-up, l'un des grands axes de la stratégie nationale blockchain. Depuis son lancement en 2019, la DGE et Bpifrance ont mis en œuvre trois types d'actions pour aider les start-up de l'industrie blockchain confrontées à des difficultés de financement.

– d'abord, Bpifrance leur a apporté un soutien direct, via les dispositifs deep tech, qui ont permis, en 2020, d'injecter un million d'euros à ces start-up. Dans le même temps, 100 000 euros ont été engagés via les bourses French Tech Emergence ;

– ensuite, des fonds partenaires de Bpifrance ont, en parallèle, réalisé des investissements, qui ont tout de même permis au secteur de lever trente millions d'euros en 2020 ;

– enfin, courant 2020, pendant la crise, nous avons consulté rapidement les start-up afin de mesurer leurs difficultés à lever des fonds, compte tenu du contexte. Pour y remédier, Bpifrance a accordé des prêts à une vingtaine d'entreprises, d'un montant cumulé de cinq millions et demi d'euros. Un besoin d'accompagnement spécifique existait donc.

Certaines questions de la consultation publique que nous allons lancer doivent déterminer si les entreprises connaissent les financements mis en place, via Bpifrance, si elles s'approprient ces outils et s'ils leur suffisent.

En plus de ces soutiens financiers directs de l'État, nous accompagnons le développement de débouchés, via les échanges bilatéraux avec les filières et la diffusion du guide de sensibilisation à la blockchain, mentionné plus tôt.

Nous nous efforçons enfin de faciliter les levées de fonds au travers d'un guide d'attractivité à l'intention des investisseurs potentiellement intéressés par les entreprises françaises du secteur de la blockchain.

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Faudrait-il aujourd'hui lever certains freins législatifs au développement de l'écosystème ? Je songe à la question de la force probante de la blockchain, voire à d'autres sujets sur lesquels devraient se pencher les législateurs.

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À ce stade, nous n'identifions pas de besoin particulier pour accompagner l'essor de l'écosystème de la blockchain à usage non financier en France.

Le rapport des chercheurs mentionné auparavant comportait des recommandations afin que les différentes administrations accompagnent la croissance de l'écosystème au jour le jour. La DGE a commencé à s'approprier ces conseils en les mettant en œuvre.

Un premier axe portait sur les obstacles aux rencontres entre les start-up et le monde de la recherche. Les solutions mises au point par les chercheurs ne participent pas assez, à ce jour, au développement économique. Nous tentons désormais de créer des ponts entre ces deux mondes. Nous avons ainsi organisé, en fin d'année dernière, une rencontre entre start-up et chercheurs, couronnée par un véritable succès. Plusieurs centaines de personnes y ont participé, l'occasion pour elles de nouer des contacts.

Beaucoup de demandes nous parviennent pour faciliter les interactions et la transmission d'informations entre administrations et start-up. Une rencontre aura lieu, à l'occasion de la « Paris blockchain week ».

Enfin, les deux guides mentionnés auparavant résultent eux aussi de recommandations formulées par les chercheurs dans leur rapport. En somme, la DGE parvient à mener à bien de nombreuses initiatives sans modification du dispositif législatif en place.

D'autres points relevés par les chercheurs auteurs du rapport échappent au périmètre de la DGE. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (MESRI) en a pris connaissance. Ils portent sur la formation. Les chercheurs ont établi une cartographie de celles qui existaient en France. Les vingt-deux formations qu'ils ont relevées, interdisciplinaires, et de niveau master, ne leur semblent pas suffisantes pour accompagner les besoins en compétences de l'écosystème. Ils appellent de leurs vœux un développement plus important des formations, notamment dans le domaine de la recherche.

Il conviendra en dernier lieu de s'assurer que des projets de recherche suivent leurs cours dans les différents domaines prometteurs pour l'évolution de la technologie blockchain en France.

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Lors de nos précédentes auditions, il a été question de la notion de force probante de la blockchain, adoptée par certains pays européens. La France n'a pas encore légiféré sur le sujet. La plupart de nos voisins européens disposent-ils aujourd'hui du même cadre juridique que la France ? Devrions-nous nous inspirer des spécificités de certains pays ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

De notre point de vue, le système actuel suffit. Le code civil prévoit d'ores et déjà la possibilité d'apporter la preuve par tout moyen, y compris les informations enregistrées sur un dispositif blockchain. Dans la pratique, chaque preuve est évaluée au cas par cas, ce qui nous semble plutôt une bonne chose. La notion, très large, de blockchain recouvre des réalités parfois extrêmement différentes. Mieux vaut donc, en matière de preuve, examiner chaque blockchain dans le détail. Toutes ne sauraient être considérées comme ayant, de manière générale, une force probante.

Nous ne relevons pas non plus d'obstacle au niveau européen, où prévaut un système de preuve par tout moyen. En raison du principe de neutralité technologique, il apparaît compliqué d'imposer une législation propre aux blockchains, au niveau européen. Dès lors que s'impose ce principe, au nom de quoi faudrait-il accorder un statut particulier aux blockchains ?

La France a joué un rôle précurseur en matière de stratégie nationale blockchain, encore que d'autres pays développent à présent, eux aussi, des stratégies comparables, comme l'Italie, l'année dernière. Il me semble que la stratégie italienne comprend un volet réglementaire traitant des aspects financiers de cette technologie, un autre s'intéressant au développement de l'écosystème et à son financement. L'Italie se révèle d'autant plus active qu'elle préside en 2021 le sommet du groupe des vingt (G20) numérique. Dans sa feuille de route pour 2021, l'Italie a souhaité inscrire les blockchains, notamment en lien avec les enjeux de traçabilité que j'évoquais tout à l'heure.

Les institutions européennes ont développé une stratégie blockchain de manière à mobiliser des financements européens. La DGE a participé aux discussions et à la constitution de ces financements, inclus dans le projet horizon Europe, d'un montant d'environ 55 millions d'euros. Une partie soutiendra le développement d'une infrastructure blockchain commune à l'Union européenne. Cette European blockchain services infrastructure (EBSI), développant une infrastructure basée sur des nœuds de réseau présents dans chaque État membre, servira surtout aux acteurs publics. Il reviendra à chaque pays d'en proposer ses propres utilisations. La DGE a par exemple soutenu, en France, la création d'un cas d'usage : l'apostille.

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Des cas d'usage de la technologie blockchain se développent-ils actuellement dans la sphère publique ? Comment les acteurs publics s'approprient-ils cette nouvelle technologie ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Je ne suis pas en mesure de vous fournir de données pertinentes à ce sujet.

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J'aurais simplement souhaité votre sentiment personnel sur la question. La technologie blockchain vous semble-t-elle désormais connue ? Vous faut-il encore expliquer à vos interlocuteurs publics en quoi elle consiste ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

De nombreuses institutions en France me paraissent très fortement sensibilisées aux enjeux de la technologie blockchain, comme Bpifrance, l'AMF ou l'ACPR. D'autres, telles l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), travaillent aussi sur la blockchain. Nous avons d'ailleurs échangé afin de clarifier la question des certifications des cas d'usage. En somme, il existe en France un réseau d'administrations, qui comprend et commence à intégrer la blockchain au développement des politiques publiques, au jour le jour.

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Comment voyez-vous l'avenir de la blockchain à moyen et long terme ? Deviendra-t-elle incontournable ? Ou fera-t-elle figure de simple technologie parmi tant d'autres ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Nous ne la considérons que comme une technologie parmi d'autres. Elle présente toutefois des avantages, déjà évoqués par la DGT, tels que sa rapidité de déploiement, son caractère décentralisé et ouvert, qui permettent de régler des problèmes que d'autres solutions technologiques ne parvenaient pas toujours à résoudre. Elle autorise ainsi la gestion en commun de bases de données par des entreprises d'un même consortium.

Certaines blockchains publiques sous preuve de travail devront tout de même dépasser une partie de leurs limites actuelles pour que l'on assiste à un essor de leurs applications. Je songe en premier lieu à leur consommation énergétique.

D'autres enjeux, relevés par les scientifiques, concernent l'appropriation, par les différents systèmes blockchain, du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Nous en revenons ainsi à des questions de souveraineté numérique, portant, entre autres, sur le lieu de stockage de l'information, et qui s'apparentent à celles que soulève le cloud.

L'écosystème, encore assez jeune, nécessite en résumé un accompagnement étroit, sans même parler du besoin de sensibiliser les différents acteurs.

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Il est beaucoup question de deux protocoles : bitcoin et Ethereum. Certains protocoles européens récemment développés vous semblent-ils prometteurs ? Méritent-ils une mise en lumière particulière ? L'un des enjeux de la souveraineté numérique concerne l'existence de protocoles européens soutenus par de grandes entreprises. Avons-nous un retard à rattraper par rapport aux États-Unis ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Je n'ai malheureusement pas de réponse à vous apporter. Nous réfléchissons pour le moment, avec d'autres membres de la task force blockchain, au moyen d'encourager le développement d'infrastructures communes au moyen de consortiums. Elles fourniraient l'occasion de passer à une échelle supérieure. Cependant, nous n'en sommes encore qu'au début de nos réflexions.

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Le fait de savoir qu'un chantier a été lancé constitue déjà en soi une information.

Souhaiteriez-vous aborder d'autres points que nous aurions laissés de côté ?

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Liliane Dedryver, directrice de projets « Technologies et solutions numériques émergentes » du service de l'économie numérique à la direction générale des entreprises (DGE) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

Non, il ne me semble pas que nous ayons omis quoi que ce soit.

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Timothée Huré, bureau « Épargne et marché financier » (FinEnt1), de la direction générale du Trésor (DGT) (ministère de l'économie, des finances et de la relance)

L'impression nous est parfois venue d'un décalage, de notre part, vis-à-vis de vos questions, puisque nous les abordons sous un prisme financier, nous souciant moins que vous des enjeux de souveraineté. Nous nous sommes toutefois efforcés de vous communiquer tout ce qui relevait à notre sens de cette problématique.

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J'ai bien conscience que votre position vous place à la limite du champ, mais l'écosystème nous avait demandé, puisque la France souhaite devenir une importante place financière, quelle attitude l'administration adopterait par rapport à la technologie blockchain et aux cryptoactifs.

L'audition s'achève à midi vingt.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 29 avril à onze heures

Présents. – MM. Philippe Latombe, Denis Masséglia