Il me semble qu'en matière de souveraineté numérique, nous gagnerions à nous interroger sur les moyens de soutenir la croissance de nos entreprises européennes pour qu'elles se hissent au rang de géants des nouvelles technologies. Elles n'y parviendront qu'au prix d'une transformation de leur modèle d'affaires. Amazon a d'abord été une librairie en ligne avant de devenir un puissant acteur de l'industrie du cloud. Chaque grande société du numérique est amenée à effectuer une transition vers l'industrie. Il me semble donc impératif que les futurs géants européens du numérique se dotent d'une dimension industrielle.
La France et l'Europe devraient, en s'appuyant sur leurs atouts, définir des secteurs prioritaires d'où émergeraient les futurs géants de demain. J'ai mentionné tout à l'heure la santé, la ville, l'agriculture ou encore la mobilité, autant de domaines où se livreront de féroces batailles. Un débat public doit préluder à l'établissement de ces priorités avant qu'une réflexion porte sur les moyens d'investir, via des fonds publics souverains, dans ces secteurs porteurs d'avenir. Il conviendrait aussi de favoriser la coordination entre les universités et le secteur privé. Les pôles européens, et en particulier français, de recherche fondamentale se classent parmi les meilleurs au monde, mais il reste à transformer leurs avancées par des start-up. La croissance d'entreprises innovantes en France pourrait passer par la création d'un marché numérique européen unique, ce qui pose la question d'une langue commune. La diversité linguistique au sein de l'Union européenne n'y favorise pas l'émergence de sociétés d'envergure européenne. À défaut, les entreprises françaises auraient tout intérêt à se tourner vers la francophonie et en particulier les pays d'Afrique pour s'imposer sur les marchés de ce continent. Des stratégies de coopération devraient dans ce cas se mettre en place.
Enfin, il me paraît souhaitable que se développe une identité numérique à l'échelle européenne, fondée sur les valeurs de transparence et de redevabilité mutuelle propres à l'Estonie. La France pourrait y contribuer par son attachement à l'ouverture des données, dans un esprit d'échange de bonnes pratiques.