Je ne vous cacherai pas que j'ai quitté la conférence des présidents du parlement luxembourgeois pour être présent à cette audition. Je vous salue d'ailleurs de la part des députés luxembourgeois. Je considère comme un honneur d'échanger avec vous à propos de la souveraineté numérique, compte tenu de l'importance que revêt ce sujet.
Je répondrai d'abord à votre question relative à la gouvernance des politiques du numérique en retraçant l'historique de notre ministère. Avant les élections de 2018, il n'existait pas de ministère de la digitalisation au Luxembourg, même si divers services et administrations s'occupaient du sujet dans l'appareil d'État. C'est notre Premier ministre, M. Xavier Bettel, qui, dès son arrivée au pouvoir, a instauré le ministère dont j'ai la charge.
En réalité, deux ministres se trouvent à la tête de mon ministère, dont le Premier ministre, qui est donc de ce fait en même temps ministre de la digitalisation. Je suis quant à moi également en charge de la fonction publique. Une telle organisation montre notre attachement à la digitalisation, à laquelle nous souhaitons œuvrer de manière intensive. Jusqu'à l'instauration du ministère de la digitalisation, les administrations qui s'occupaient de l'informatique se heurtaient à des problèmes de coordination empêchant la digitalisation de progresser de manière conséquente.
L'implication, hautement symbolique, du Premier ministre dans la digitalisation envoie un signal fort à l'intérieur du pays comme à l'étranger. De même, le rôle dévolu au ministre de la fonction publique dans la digitalisation montre à quel point l'administration prend le sujet au sérieux. Les agents de l'État sont appelés à progresser dans cette voie afin de mieux communiquer avec les citoyens et les entreprises à propos du numérique.
Nous abritons sous notre tutelle un grand centre des technologies de l'information de l'État. Cette administration à part entière nous sert de bras armé technologique. Employant notamment des développeurs et des chefs de projets, ce centre s'occupe de mettre au point des solutions en réponse aux besoins spécifiques de l'administration, dont celle par exemple des contributions directes.
Le ministère de l'éducation nationale dispose de sa propre structure équivalente, de même que les services relatifs à la santé et à la sécurité sociale. Au niveau local, les échevins s'appuient sur un syndicat intercommunal de gestion informatique.
Nous abritons également sous notre tutelle un comité interministériel pour la digitalisation, réunissant les hauts fonctionnaires de l'ensemble des ministères intéressés par la question. Ce comité, en lien avec notre bras armé technologique, discute des projets des divers ministères, de manière qu'ils se concrétisent, mais aussi dans un esprit de partage des réalisations. De notre autorité dépend aussi un Haut comité à la transformation numérique. Instauré avant la crise liée à la Covid, il a pour mission de développer les échanges avec la société civile et les opérateurs du secteur privé afin que le numérique progresse au Luxembourg. Ses avancées ont beaucoup ralenti durant ces derniers mois, où la pandémie, de manière assez compréhensible, nous a contraints à donner la priorité à d'autres préoccupations.
Lors des cinq à six réunions annuelles du comité interministériel, les hauts fonctionnaires exposent leurs avancées respectives, puis échangent sur les difficultés qu'ils rencontrent avant de réfléchir ensemble à des moyens de les résoudre.
Nous avons mis en place un cadre national de l'interopérabilité, à la gouvernance spécifique. Ses prérogatives couvrent les trois pouvoirs de l'État. Il favorise la concertation et la sensibilisation, les échanges de bonnes pratiques, et l'instauration de synergies.
La souveraineté numérique me semble liée à différents facteurs, dont la bonne gestion d'Internet, des nouvelles technologies de l'information et de la communication, mais aussi des solutions numériques, sans oublier la protection du consommateur. La souveraineté numérique correspond à la capacité de décider et d'agir de manière autonome et en confiance, en tant qu'État, mais aussi au niveau de l'Union européenne, sur les aspects essentiels du numérique afin d'assurer le développement structurel, à long terme, de l'économie comme de la société.
Sur le plan européen, la notion de souveraineté numérique est apparue comme un moyen de promouvoir le leadership européen, mais aussi l'autonomie stratégique dans le domaine du numérique. Depuis quelques années, le numérique et toute innovation qui s'y rapporte sont perçus comme un secteur d'intérêt stratégique, également primordial pour l'Union européenne. Il va de soi que les objectifs définis aux niveaux national et européen pour atteindre cette souveraineté numérique doivent se combiner et s'harmoniser, puisque c'est seulement dans l'Union européenne que nous parviendrons à garantir cette souveraineté, eu égard à l'avance prise par beaucoup d'autres pays extra-européens en matière de numérisation.
Depuis les années 2000, le Luxembourg a beaucoup investi dans les Technologies de l'information et de la communication (TIC) et a promu le développement des infrastructures correspondantes. Le secteur du numérique a pris son essor au Luxembourg grâce à des investissements substantiels dans le réseau à haut débit et la construction de centres de données. Pays de petite taille, le Luxembourg peut se targuer d'une très haute densité de centres de données sur son territoire. De fait, cette densité s'y révèle la plus élevée au monde, puisque nos centres de données hautement qualifiés couvrent une superficie de près de 47 000 mètres carrés.
Reconnaissant l'importance du développement des nouvelles technologies, nous avons défini en 2019 une stratégie en matière d'Intelligence artificielle. Nous ambitionnons, à travers elle, de contribuer au développement des sociétés numériques. Récemment, un hub régional de GAIA-X a été lancé au Luxembourg. Cette initiative joue un rôle majeur dans le rassemblement et le développement des exigences communes pour une infrastructure de données européennes à la fois fédérée, sécurisée et souveraine.
Notre ministère de la digitalisation a vu le jour en 2018, soit avant la crise liée à la Covid. Très honnêtement, je dois vous avouer que bien des évolutions exceptionnelles sont survenues dans l'administration en raison de la pandémie. Du point de vue de la digitalisation, la crise sanitaire a contraint les services publics à réaliser un bond en avant spectaculaire. Sans doute en est-il allé de même en France. Si j'ose dire, nous n'aurions pas imaginé tout ce qui s'est mis en place au cours des douze derniers mois. Nous pourrions d'ailleurs revenir plus en détail sur les démarches qui ont basculé en ligne, ou encore sur la généralisation du télétravail.
Vous évoquiez tout à l'heure l'éducation. La crise a obligé les élèves et leurs enseignants à passer au homeschooling, selon le nom que nous donnons au Luxembourg à l'école à la maison. Heureusement, nos infrastructures étaient globalement prêtes à affronter cette transformation des pratiques, ce qui a facilité la transition de l'enseignement traditionnel vers la classe à distance au cours des douze à quatorze derniers mois.