Un réel changement s'est opéré dans l'état d'esprit des fonctionnaires et des employés du secteur public. Je ne doute pas qu'en France également, avant la crise, les moindres projets obéissaient systématiquement à une conception minutieuse où aucune étape n'était laissée au hasard, pas plus celle des études préalables que de la mise en œuvre. Il manquait à l'administration étatique un état d'esprit propre aux start-up.
Lors de sa création, notre ministère se présentait comme une sorte de start-up ministérielle ne comptant que deux collaborateurs : le Premier ministre et moi-même. Nous avons réuni des équipes autour de la digitalisation, mais, jusqu'à la crise sanitaire, il fallait sans cesse les inciter à aller de l'avant.
La Covid, au Luxembourg comme en France d'ailleurs, a obligé le gouvernement à prendre des décisions qu'il a aussitôt fallu traduire concrètement par des démarches jusque-là inédites en ligne, que ce soit pour demander des congés ou un passage à temps partiel pour raisons familiales, ou encore pour s'inscrire à des tests de dépistage du coronavirus. Le temps manquait pour étudier une version-bêta. Les nouvelles mesures ont dû se mettre en place d'un jour à l'autre. Les erreurs dues à la précipitation ont été rectifiées sitôt décelées. Sans doute une telle évolution n'aurait-elle pas pu se concevoir dans le secteur public avant la pandémie. À tout le moins, il lui aurait fallu plus de temps pour aboutir, du fait des réticences des équipes. La crise liée à la Covid a contraint l'administration à mettre en ligne des formulaires du jour au lendemain. Pour peu que nous conservions une part de cet état d'esprit d'innovation, sans pour autant rester dans une logique d'urgence, c'est-à-dire en revenant à une plus grande rigueur, nous parviendrons à n'en garder que les bénéfices, et ainsi, notre progression continuera.
Je vais vous citer quelques chiffres significatifs. Nous disposons au Luxembourg d'une grande plateforme « guichet.lu », tenant lieu de guichet unique aux citoyens et aux entreprises souhaitant contacter les services publics par voie numérique. Cette plateforme héberge un espace personnalisé « myguichet.lu », où chacun peut déposer aussi bien une demande de plaque d'immatriculation que de permis de pêche, par exemple.
En 2019, 500 000 démarches au Luxembourg avaient été effectuées via cette plateforme. De janvier à novembre 2020, ce nombre est passé à 1,8 million. Un grand nombre de ces démarches étaient dictées par la situation sanitaire : des entreprises ont ainsi sollicité des aides ou un moyen de tester leurs employés au coronavirus. Au mois de février 2020, nous n'avions pas dénombré plus de 4 000 minutes de vidéoconférence entre agents de l'État. Le confinement a multiplié ce chiffre par 34. Les agents du service public ont été rapidement équipés pour le travail à domicile. En somme, la digitalisation a subi une formidable accélération, avec tous les avantages et les inconvénients qu'une transformation aussi subite peut comporter. Il reste encore des points à améliorer, mais je suppose qu'il en va de même en France.
Dans le domaine de l'éducation, certaines semaines, la totalité des élèves et des professeurs luxembourgeois ont été en homeschooling. Du jour au lendemain, 12 000 enseignants et 160 000 élèves ont ainsi dû poursuivre leurs cours en ligne via Zoom ou Teams. D'autres semaines, une moitié des effectifs se rendait à l'école avant de céder la place à l'autre, à partir du lundi suivant. C'est un basculement spectaculaire qui a eu lieu, du réel au virtuel.