Intervention de Elsa Foucraut

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 9h10
Groupe de travail sur le statut des députés et leurs moyens de travail

Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer de Transparency International :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre invitation. Je me permets d'excuser notre président, M. Marc-André Feffer, qui ne peut être présent aujourd'hui. Nous nous sommes déjà rencontrés à l'automne. Il ne m'est donc pas nécessaire de présenter Transparency International, organisation non gouvernementale (ONG) dont le siège est à Berlin. Je représente aujourd'hui la section française. Notre mission est de lutter contre la corruption, et plus généralement, notamment pour la section française, d'agir pour la transparence de la vie publique.

Nous vous avons présenté, à l'automne, notre rapport Pour un Parlement exemplaire, que je serais ravie de vous transmettre à nouveau. Ce rapport contient un certain nombre de recommandations sur le cumul d'activités des parlementaires pendant leur mandat.

Madame la présidente, vous avez cité dans votre introduction un lien possible entre le non-cumul des mandats dans le temps et la question de la reconversion professionnelle. Nous sommes très attachés au non-cumul ; au cours de la prochaine réforme constitutionnelle, nous resterons vigilants pour que cette mesure entre pleinement en vigueur. Cependant, pour relativiser le lien entre les deux thèmes, je me permettrai quelques remarques générales.

Nous disposons de peu d'informations sur le devenir des parlementaires après leur mandat. Certaines études de sociologie ou de sciences politiques portent sur l'origine des parlementaires et les activités antérieures à leur mandat, mais les éléments sur leurs activités ultérieures sont rares. Le flou règne. Nous disposons de peu de données objectives pour étayer nos points de vue, quels qu'ils soient : absence de problème ou, a contrario, réel problème de reconversion. Un laboratoire de recherches nantais travaille en ce moment sur cette problématique émergente qui souffre d'un manque de données.

Les difficultés de reconversion des parlementaires et des élus en général existent, mais elles ne sont pas forcément liées au nombre de mandats successifs. Par exemple, certains parlementaires élus pour la première fois en 2007 et non réélus en 2012 peinent à se reconvertir professionnellement, après un seul mandat ; la presse en a parlé. Par ailleurs, aujourd'hui, seuls 14 % des parlementaires seraient concernés par la limitation à trois mandats successifs. Autant la problématique de l'après-mandat concerne tous les parlementaires, et plus généralement tous les élus, autant, dans la réalité, ceux qui sont concernés par ces mesures sont assez peu nombreux, du moins pour cette législature.

Je souhaite maintenant entrer plus avant dans le vif du sujet. Notre problématique, en tant qu'ONG luttant contre la corruption, est celle des conflits d'intérêts. Comment trouver un équilibre entre le statut des élus, qui contribue au bon fonctionnement de la démocratie, et la prévention des conflits d'intérêts ? Cela suppose des mesures pendant et après le mandat, mesures qui doivent être liées.

Premièrement, les élus doivent disposer de moyens pour exercer leurs fonctions et remplir leurs missions. La formation en fait partie, qu'il s'agisse d'une formation pendant le mandat ou d'une formation après celui-ci, pour faciliter la reconversion professionnelle. Ce droit à la formation est utile aux élus dans l'exercice de leurs fonctions. Je parle des élus au sens large ! élus locaux et parlementaires, même si les premiers ont une offre de formation beaucoup plus large que les seconds. Les élus, grâce à la formation, acquièrent des compétences qu'ils peuvent ensuite faire valoir a posteriori ; après le mandat, il serait envisageable de développer des dispositifs d'accompagnement vers le retour à l'emploi, des formations de reconversion, etc. Toutefois, il ne revient pas à Transparency International de définir ces dispositifs. Lors de l'examen de la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, nous avions fait des recommandations en ce sens ; elles portaient sur le statut de l'élu et la problématique des droits et devoirs.

Deuxièmement, la problématique du cumul d'activités pendant le mandat est quelque peu épineuse, notamment pour les professions qui estiment que continuer à exercer est nécessaire – cela est présenté comme tel par les personnes concernées. L'exemple type est celui des médecins qui, s'ils n'exercent pas pendant cinq, dix ou quinze ans, ne sont plus en mesure de reprendre leur profession à l'issue de leur mandat. Aujourd'hui, les incompatibilités ont été renforcées, ou sont en passe de l'être avec le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, pour les professions où les risques de conflits d'intérêts sont les plus manifestes, telles que les activités de conseil et d'avocat-conseil.

Nous préconisons, pour notre part, le plafonnement des revenus annexes. Voilà une solution pragmatique : en dehors des cas d'incompatibilité stricte définis par la loi, les parlementaires pourraient conserver une activité – c'est déjà le cas dans le cadre actuel – mais les revenus de cette activité seraient plafonnés. Si un parlementaire a une activité annexe et un lien d'intérêt avec une entreprise, les conséquences en matière de conflits d'intérêts ne sont pas les mêmes s'il touche 500 euros ou 500 000 euros. À cette notion de pondération s'ajoute une notion de temps consacré au mandat, en proportion du temps consacré à l'activité annexe. Nous croyons beaucoup à cette mesure de plafonnement. Cependant, nous n'avons ni recommandations arrêtées ni religion concernant le ratio. À titre indicatif, il a été question, dans les débats parlementaires précédents, d'un taux de 25 % ou de 50 %. Il est de 15 % aux États-Unis. Ce ne sont là que des indications : ce qui nous importe, c'est plus le principe du plafonnement que le taux effectif.

Afin d'alimenter votre réflexion, je souhaite vous communiquer un troisième élément, qui porte sur les questions européennes. Le bureau de Transparency International de Bruxelles a publié au mois de janvier dernier un rapport – je vous le transmettrai avec plaisir – sur le pantouflage des anciens commissaires, des anciens eurodéputés, des anciens fonctionnaires européens ou collaborateurs parlementaires. Aujourd'hui, 30 % des anciens eurodéputés et 50 % des anciens commissaires qui ont quitté le monde politique travaillent pour des organisations inscrites sur le registre des représentants d'intérêts, le registre commun de transparence. Un nombre non négligeable d'entre eux exerce directement des fonctions de représentation d'intérêts, et 26 anciens eurodéputés ont été embauchés par les plus importantes sociétés de conseil en lobbying à Bruxelles : du lobbying pur et dur ! Le risque de conflit d'intérêts est manifeste. Ces situations problématiques défraient régulièrement la chronique, et alimentent la défiance des Français à l'égard de leurs élus.

Les recommandations de notre rapport sont assez similaires aux dispositions applicables en France au pantouflage des fonctionnaires. Nous proposons donc d'introduire une période de carence, dont la durée varie de six à vingt-quatre mois en fonction des mandats. Au cours de cette période, les anciens eurodéputés ou commissaires percevraient une indemnité de transition, l'équivalent d'une assurance chômage, en échange de quoi ils n'auraient pas le droit d'exercer directement ou indirectement une activité de représentation d'intérêts ni une profession sensible aux conflits d'intérêts. Sauf erreur de ma part, une telle indemnité est déjà prévue pour les parlementaires, mais son versement n'est pas soumis au respect d'un délai de carence ou de dispositions visant à éviter les conflits d'intérêts. Pour suivre le devenir des anciens parlementaires, nous recommandons d'obliger les eurodéputés à notifier au Parlement européen leurs évolutions professionnelles pendant la période de carence, à charge pour le Parlement de publier ces données. Nous recommandons aussi de renforcer les pouvoirs et l'indépendance des organes déontologiques, conséquence nécessaire des deux recommandations précédentes. Enfin, les collaborateurs des eurodéputés doivent être soumis aux mêmes règles. Nous recommandons donc de créer un statut des collaborateurs parlementaires. Votre groupe de travail aborde la question sous un angle social, mais il s'agit aussi d'une question déontologique. Un statut permettrait de fixer des règles communes à l'ensemble de cette profession.

Je terminerai ma présentation par la remarque suivante : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) remplit déjà des missions de ce type, notamment lorsque des ministres rejoignent le secteur privé. Ainsi, la Haute Autorité a rendu des avis sur les départs de M. Cazeneuve, de Mme El Khomri et de M. Sirugue. Une fiche personnelle est associée à chacun de ces ministres. Il s'agit non pas d'empêcher leur retour à l'emploi, mais d'émettre un avis et éventuellement de prévenir des conflits d'intérêts par certaines restrictions.

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