Que peut-on en tirer comme conséquence sur la manière dont le mandat député vient s'insérer dans une dans une carrière professionnelle quelle qu'elle soit ? Que peut en déduire la HATVP en matière de déontologie, de prévention des conflits d'intérêts, voire de régulation de la période post-mandat ?
En raison des biais méthodologiques évoqués et du fait que les déclarations n'ont pas vocation à établir ce genre de statistiques, nous avons préféré ne pas faire de proposition formelle dans la note. Nous avons néanmoins essayé d'explorer trois pistes que je vais vous résumer ici.
La première tient à la typologie des activités conservées par les députés et à ce que l'on peut en déduire en matière de prévention des conflits d'intérêts. Comme le montre l'histogramme de la page 15, la plupart des activités conservées sont dites aménageables : activités de conseil, d'avocat. Elles représentent plus de la moitié des activités conservées, si l'on enlève celles des secteurs de la santé et de l'enseignement qui sont souvent exercées dans des volumes assez réduits. Pour un député, il est évidemment plus difficile d'avoir une activité salariée à temps plein qu'une activité de conseil ou d'avocat que l'on peut facilement aménager.
Pour mettre en place son dispositif de prévention des conflits d'intérêts des députés, l'Assemblée nationale doit prendre en compte cette caractéristique. Pour un salarié, le dispositif est assez simple et peut consister en mesures de déport. La déontologue peut recommander au député de ne pas se faire désigner comme rapporteur d'un projet de loi qui porte sur le secteur de l'entreprise dont il est salarié. Elle peut préconiser que cette appartenance soit signalée publiquement quand le député dépose un amendement relatif à ce même secteur.
Pour un député qui exerce une activité d'avocat ou de conseil, c'est beaucoup plus compliqué. S'il existe, le conflit d'intérêts est lié au client et non pas à l'activité elle-même. C'est au fil du mandat qu'il faudra apprécier le risque de conflit d'intérêts liés aux nouveaux clients du cabinet. Pour ce type d'activité, le dispositif de prévention des conflits d'intérêts devra donc être évolutif.
Il existe plusieurs possibilités. On pourrait, par exemple, préconiser aux députés d'informer la déontologue au fil de l'eau, lorsqu'ils ont de nouveaux clients un peu significatifs pour leur cabinet d'avocat ou leur société de conseil. Il s'agirait là d'un dispositif strictement interne.
On pourrait aussi envisager, même si cela impliquerait de modifier la loi organique, un dispositif public : ajouter une nouvelle rubrique à la déclaration d'intérêts et d'activités où les députés déclareraient les clients de leur société de conseil ou de leur cabinet d'avocat. Lors des débats qui ont donné lieu à la loi du 15 septembre 2017, des amendements avaient été déposés dans ce sens mais ils avaient été rejetés.
La deuxième piste concerne le cumul de rémunérations. Le tableau de la page 16 indique les rémunérations perçues en 2016 par les députés qui ont déclaré conserver une activité en 2017, sachant que les montants ont probablement diminué après le début du mandat. Au cours des débats sur le texte pour la confiance dans la vie politique, il avait aussi été toujours proposé de plafonner les revenus annexes à un certain pourcentage de l'indemnité parlementaire.
Nous avons analysé les effets d'un tel plafonnement en prenant les deux chiffres proposés à l'époque pour le plafond des revenus annexes : 50 % ou 100 % de l'indemnité parlementaire. Dans le premier cas – environ 35 000 euros par an –, les revenus de cinquante-sept parlementaires, c'est-à-dire 45 % des députés qui conservent une activité, devraient diminuer. Dans le second cas – environ 70 000 euros par an –, seulement vingt-cinq députés seraient concernés par ce plafonnement, soit 20 % de ceux qui déclarent conserver une activité. Un plafonnement ne concernerait que peu de députés mais il affecterait de façon très importante les quelques députés qui ont des revenus annexes très élevés.
La troisième piste a trait aux activités post-mandat. L'analyse est plus compliquée puisque nous n'avons aucune information sur les activités qui sont exercées par les députés après leur mandat, à un moment où ils ne sont plus astreints à aucune obligation déclarative.
Les seules données un peu pertinentes que nous avons pu utiliser sont celles qui portent sur la répartition des activités entre le public et le privé, et entre les activités salariées et non salariées. Les fonctionnaires mis en disponibilité ont davantage vocation à retrouver leur emploi que des gens qui exerçaient une activité dans le secteur privé. Un salarié peut, certes, obtenir une suspension de son contrat de travail pendant son mandat de député. Il reste néanmoins plus difficile de retrouver un emploi de salarié que de reprendre une activité libérale que l'on aura pu aménager en gardant éventuellement quelques clients.
L'Assemblée nationale pourrait instaurer des modalités de contrôle du post-mandat, comme cela avait été proposé. On pourrait faciliter l'exercice d'une activité annexe pour l'élu et, en retour, instaurer une forme de contrôle des activités exercées après le mandat afin de vérifier l'absence de conflit d'intérêts.
Tel qu'il existe actuellement, le dispositif de contrôle des activités post-mandat des responsables publics – fonctionnaires, membres du Gouvernement et des autorités administratives, élus locaux – n'est pas du tout adapté aux députés. Ce dispositif est fondé sur une infraction pénale : la prise illégale d'intérêt, codifiée à l'article 432-13 du code pénal, qui réprime le fait d'aller travailler pour une entreprise qu'on a contrôlée, avec laquelle on a signé des contrats, ou à l'égard de laquelle on a pris des décisions individuelles. Les députés n'exercent pas de telles prérogatives et cette infraction pénale n'a aucune pertinence à leur égard.
Si l'on voulait instaurer une forme de contrôle des activités post-mandat pour les députés, il faudrait évidemment réfléchir à un système totalement différent. On pourrait, par exemple, étendre le régime des incompatibilités pendant une durée d'un an à l'issue du mandat. En Irlande, il me semble que les ex-députés ne peuvent pas faire du lobbying auprès de l'Assemblée nationale pendant une certaine durée après la fin de leur mandat.
On pourrait aussi étendre les obligations de transparence et de déclaration pendant une période après le mandat, afin de laisser les députés exercer les activités qu'ils veulent mais en toute transparence. Cela reviendrait à instaurer une forme d'obligation déclarative un peu allégée pendant un certain temps à l'issue du mandat.
Voilà les premiers enseignements que nous vous proposons de tirer de ces chiffres.