GROUPE DE TRAVAIL N° 1 – LE STATUT DES DÉPUTÉS ET LEURS MOYENS DE TRAVAIL
Mardi 22 mai 2018
Présidence de Mme Virginie Duby-Muller, présidente du groupe de travail
– Audition de représentants de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) : Mme Lisa Gamgani, secrétaire générale, Mme Élodie Cuercq, responsable du pôle communication et relations institutionnelles, M. David Ginocchi, responsable du pôle juridique et des études et M. Yann Adusei, adjoint au pôle communication et relations institutionnelles.
La réunion commence à seize heures vingt-cinq.
Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui plusieurs représentants de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) : Mme Lisa Gamgani, secrétaire générale, Mme Élodie Cuercq, responsable du pôle communication et relations institutionnelles, M. David Ginocchi, responsable du pôle juridique et des études et M. Yann Adusei, adjoint au pôle communication et relations institutionnelles. Je les remercie d'avoir accepté notre demande et de représenter M. Jean-Louis Nadal, président de la HATVP, qui a été empêché.
Alors que nous approchons du terme de nos travaux, cette audition revêt une importance particulière. Grâce au dépouillement des déclarations qui vous sont adressées, nous pourrons avoir une idée précise du nombre de députés qui conservent une activité annexe à leur mandat, de la nature de cette activité et du montant de la rémunération qu'elle génère. Intuitivement, nous avons le sentiment que, lorsque cela se révèle possible, le meilleur moyen de reprendre une activité professionnelle à l'issue du mandat de député consiste à ne pas abandonner tout à fait celle que l'on exerçait auparavant.
Nous sommes intéressés par l'exploitation du questionnaire que nous avons adressé aux anciens députés de la XIVe législature. Nous sommes aussi preneurs de toute suggestion que vous pourriez nous adresser, qui permettrait de faciliter ce retour à une activité professionnelle sans compromettre pour autant l'objectif de transparence dont vous avez pour mission de garantir le respect.
Ne faudrait-il pas, par exemple, permettre plus aisément à ceux qui ont créé une entreprise de la conserver, sauf conflit d'intérêts manifeste ? Le texte sur la moralisation de la vie publique prévoyait des systèmes de déport. N'est-ce pas suffisant ? Certains collègues se retrouvent dans des situations compliquées : le déontologue leur demande de vendre leur entreprise et de suspendre complètement leurs activités, ce qui peut les mettre en difficulté.
Le 27 mars dernier, le président de l'Assemblée nationale a saisi la HATVP afin d'avoir sa contribution au rapport que vous êtes en train d'élaborer sur le statut du député. Il nous était demandé de vous adresser des informations agrégées sur les activités menées par les députés avant, pendant et après leur mandat.
Dans le délai contraint imparti, nous avons pu extraire certaines informations que vous trouverez dans la note qui vous a été remise, à l'exception de données propres aux activités menées par les députés à l'issue de leur mandat, en l'absence de données accessibles pertinentes sur ce point.
Avant d'entrer dans le détail de cette étude, j'aimerais vous donner quelques éléments de contexte. Les élections législatives de juin 2017 ont constitué l'occasion d'un travail inédit. Le contrôle des déclarations d'intérêts et d'activités des députés a ainsi pu faire l'objet d'un contrôle approfondi.
Vous n'êtes pas sans savoir que ces déclarations d'intérêts et d'activités des parlementaires comportent trois rubriques supplémentaires par rapport aux autres déclarations d'intérêts : les collaborateurs parlementaires, les activités que le parlementaire envisage de conserver, les parts dans les sociétés de conseil que le parlementaire possède même indirectement.
En 2014, par manque de moyens humains et techniques, la HATVP – qui venait d'être installée – n'a pu procéder à un contrôle approfondi des déclarations d'intérêts et d'activités. En 2017, il s'agissait donc d'une première.
Pour mener à bien ce contrôle dit approfondi, la HATVP ne dispose pas des mêmes pouvoirs que pour le contrôle des déclarations d'intérêts des autres déclarants ou le contrôle des déclarations de situation patrimoniale des parlementaires. En raison de la séparation des pouvoirs, le Conseil constitutionnel a considéré que la HATVP ne pouvait, en aucun cas, adresser une injonction à un parlementaire concernant ses activités ou ses intérêts.
Contrairement à ce qui est prévu pour les autres déclarants, la HATVP n'est donc pas compétente pour faire cesser les conflits d'intérêts des parlementaires. De même, elle ne peut pas assortir la publication d'une déclaration d'intérêts et d'activités d'une quelconque appréciation. En revanche, si à l'examen d'une déclaration d'intérêts et d'activités, elle détecte un risque de conflit pour un député, elle en informe le président de cette assemblée.
Cela étant, il existe une circonstance qui justifie un contrôle et éventuellement une transmission aux autorités judiciaires : lorsqu'un parlementaire commet l'infraction d'omission substantielle de ses intérêts et activités. Le contrôle de la HATVP s'est donc concentré sur la recherche de cette omission substantielle. Cette caractérisation est beaucoup plus délicate que pour la situation patrimoniale. Elle ne peut naturellement pas s'inscrire dans un domaine très chiffré avec des critères très lisibles en amont.
Toutefois, pour certains déclarants, la HATVP a considéré que certaines déclarants avaient pu commettre des omissions substantielles. Elle a procédé à ce qu'on appelle des rapports d'investigations approfondis, confiés à des rapporteurs qui travaillent au quotidien avec la HATVP, sur le cas de treize parlementaires. À ce jour, aucun de ces dossiers n'a été transmis aux autorités judiciaires parce que le collège de la HATVP a considéré qu'il n'y avait pas d'omission substantielle caractérisée ou de suspicion de ce délit prévu par le code électoral.
Voilà quel est le contexte dans lequel de cette étude a été effectuée. Mme Élodie Cuercq et M. Yann Adusei vont vous présenter les résultats et les biais méthodologiques de cette étude. Quant à M. David Ginocchi, il vous fera part des pistes de réflexion qui ont pu émerger à l'occasion de ce travail. La répartition des compétences entre la HATVP, le Bureau de l'Assemblée nationale et la déontologue ont justifié une forme de prudence dans la réflexion. De ce fait, la note qui vous est remise ne contient pas de propositions formelles.
Je vais m'attacher à vous présenter la méthodologie adoptée pour la production de cette analyse, notamment les sources utilisées et les traitements réalisés.
Les statistiques ont été élaborées sur la base des 570 déclarations qui étaient accessibles en ligne sur le site de la HATVP à la date du 9 avril 2018. Ce lot ne comprend pas les déclarations de sept députés non publiées à cette date : cas d'élections législatives partielles ou de remplacement d'un député par son suppléant.
L'analyse s'est concentrée sur trois rubriques de la déclaration qui contiennent l'essentiel des informations relatives aux activités professionnelles exercées par les députés au cours des cinq dernières années : activités professionnelles, activités de consultant, participations à des organes dirigeants de structures publiques ou privées. En fait, nous nous sommes attachés à analyser les participations aux organes dirigeants des seuls organismes privés.
Nous avons analysé les données telles que déclarées par les députés, en limitant autant que possible les retraitements. Néanmoins, nous avons dû procéder à une étape indispensable dans ce type d'exercice : nettoyer les données des redondances ou incohérences constatées. Pour éviter de biaiser les statistiques, nous avons ainsi supprimé des doublons provenant du fait que des déclarants avaient fait plusieurs déclarations correspondant à des périodes différentes d'une même activité. Dans leurs activités professionnelles, certains déclarants avaient compté des mandats et fonctions électives. Or, conformément à ce qui est indiqué dans le guide du déclarant, les mandats électifs doivent être mentionnés dans une rubrique particulière. Le cas échéant, nous avons donc supprimé les mandats déclarés comme des activités professionnelles.
Prises isolément, ces déclarations ne permettent que d'établir une liste d'activités dont l'intérêt est limité. Nous avons enrichi ces données en les croisant avec celles contenues dans d'autres bases ou en leur apportant une qualification supplémentaire.
Partant du constat que la composition de l'Assemblée nationale avait été largement renouvelée par les élections de juin 2017, nous avons décidé de croiser les données avec la répartition des députés en trois groupes : nouveaux élus, sortants, anciens élus. Récoltées sur le site de l'Assemblée nationale, ces informations ont dû être complétées dans certains cas particuliers.
Les activités sont déclarées d'une manière assez précise : le poste et le nom de l'employeur sont mentionnés. Nous avons croisé ces informations avec des bases de données sur les sociétés afin de répartir les activités selon le domaine ou le prisme public-privé. Nous avons ainsi pu déterminer les domaines d'activité les plus représentés au sein de l'Assemblée.
Pour reprendre la classification établie par l'Assemblée nationale, les anciens députés sont, par exemple, ceux qui étaient élus pendant la XIIIe législature. Les députés sortants sont ceux qui ont été élus lors de la dernière législature.
Je précise qu'un suppléant de ministre qui aurait été député jusqu'en 2016, par exemple, et qui aurait ensuite perdu son mandat, est considéré comme un ancien député et non pas comme un sortant.
Dernière précision méthodologique concernant la répartition des activités selon leur domaine d'appartenance : nous avons utilisé la nomenclature d'activité française (NAF) établie par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et qui fait référence depuis 2008.
Dans la note, nous avons distingué les activités professionnelles qui ont été déclarées comme conservées.
En ce qui concerne leur passé, plus des trois quarts des députés déclarent une ou plusieurs activités professionnelles au cours des cinq dernières années. Ceux qui ne déclarent aucune activité professionnelle sont, pour l'essentiel, des primo-députés.
Près des deux tiers des activités professionnelles antérieures déclarées étaient exercées dans le secteur privé, tandis que 20 % l'étaient dans l'administration publique. Au sens de la nomenclature que j'évoquais précédemment, cette dernière catégorie comprend toutes les activités de nature gouvernementale habituellement exercées par l'administration publique, mais elle n'inclut pas les domaines de l'enseignement public et de la santé, quand bien même ces activités sont exercées dans le secteur public. Les activités spécialisées, scientifiques et techniques, c'est-à-dire essentiellement des activités juridiques et de conseil, représentent quasiment 20 % des activités antérieures déclarées. L'enseignement correspond à environ 14 % des activités antérieures déclarées. Les activités immobilières ou relevant de l'industrie manufacturière sont très peu représentées. À partir d'une simple recherche par mot-clé, nous avons aussi identifié une quinzaine de députés ayant une ou plusieurs activités antérieures au sein de groupes du CAC 40.
Si l'on se concentre sur le métier de consultant, on observe que 15 % des députés déclarent une ou plusieurs activités de ce type au cours des cinq dernières années. Ceux-là déclarent en moyenne 1,3 activité de consultant.
On constate qu'une majorité de députés ne déclare aucune participation aux organes dirigeants d'un organisme privé ou une société. La moitié des autres n'en déclare qu'une seule. Précisons que cette participation peut prendre plusieurs formes : siéger dans un conseil d'administration, être autoentrepreneur ou autres.
Pour ma part, je vais concentrer mon propos sur les activités conservées par les députés.
Les données issues des déclarations montrent qu'environ 20 % des députés déclarent conserver au moins une activité professionnelle. Dans cette masse, nous avons isolé les primo-députés qui sont 72 % à déclarer une activité professionnelle contre 22 % des députés sortants.
Les députés qui déclarent conserver au moins une activité professionnelle sont très majoritairement des hommes – les trois quarts d'entre eux – et ils ont une moyenne d'âge de cinquante et un ans. Quelles sont les activités conservées ? Ce sont essentiellement des activités de conseil ou juridiques. Viennent ensuite des activités relevant des domaines de la santé et de l'enseignement qui, a priori, semblent plus aménageables qu'une activité salariée classique.
J'en viens aux rémunérations liées à ses activités conservées. En 2016, la rémunération moyenne était de 44 508 euros nets annuels. Ce montant n'est pas forcément resté au même niveau car on peut supposer qu'il y a une réduction d'activité liée au mandat.
Parmi les députés ayant eu une ou plusieurs activités de consultant au cours des cinq dernières années, 22 % des députés déclarent en conserver au moins une. Parmi les députés ayant eu une ou plusieurs participations aux organes dirigeants d'un organisme privé ou d'une société, 54 % en conservent au moins une.
Que peut-on en tirer comme conséquence sur la manière dont le mandat député vient s'insérer dans une dans une carrière professionnelle quelle qu'elle soit ? Que peut en déduire la HATVP en matière de déontologie, de prévention des conflits d'intérêts, voire de régulation de la période post-mandat ?
En raison des biais méthodologiques évoqués et du fait que les déclarations n'ont pas vocation à établir ce genre de statistiques, nous avons préféré ne pas faire de proposition formelle dans la note. Nous avons néanmoins essayé d'explorer trois pistes que je vais vous résumer ici.
La première tient à la typologie des activités conservées par les députés et à ce que l'on peut en déduire en matière de prévention des conflits d'intérêts. Comme le montre l'histogramme de la page 15, la plupart des activités conservées sont dites aménageables : activités de conseil, d'avocat. Elles représentent plus de la moitié des activités conservées, si l'on enlève celles des secteurs de la santé et de l'enseignement qui sont souvent exercées dans des volumes assez réduits. Pour un député, il est évidemment plus difficile d'avoir une activité salariée à temps plein qu'une activité de conseil ou d'avocat que l'on peut facilement aménager.
Pour mettre en place son dispositif de prévention des conflits d'intérêts des députés, l'Assemblée nationale doit prendre en compte cette caractéristique. Pour un salarié, le dispositif est assez simple et peut consister en mesures de déport. La déontologue peut recommander au député de ne pas se faire désigner comme rapporteur d'un projet de loi qui porte sur le secteur de l'entreprise dont il est salarié. Elle peut préconiser que cette appartenance soit signalée publiquement quand le député dépose un amendement relatif à ce même secteur.
Pour un député qui exerce une activité d'avocat ou de conseil, c'est beaucoup plus compliqué. S'il existe, le conflit d'intérêts est lié au client et non pas à l'activité elle-même. C'est au fil du mandat qu'il faudra apprécier le risque de conflit d'intérêts liés aux nouveaux clients du cabinet. Pour ce type d'activité, le dispositif de prévention des conflits d'intérêts devra donc être évolutif.
Il existe plusieurs possibilités. On pourrait, par exemple, préconiser aux députés d'informer la déontologue au fil de l'eau, lorsqu'ils ont de nouveaux clients un peu significatifs pour leur cabinet d'avocat ou leur société de conseil. Il s'agirait là d'un dispositif strictement interne.
On pourrait aussi envisager, même si cela impliquerait de modifier la loi organique, un dispositif public : ajouter une nouvelle rubrique à la déclaration d'intérêts et d'activités où les députés déclareraient les clients de leur société de conseil ou de leur cabinet d'avocat. Lors des débats qui ont donné lieu à la loi du 15 septembre 2017, des amendements avaient été déposés dans ce sens mais ils avaient été rejetés.
La deuxième piste concerne le cumul de rémunérations. Le tableau de la page 16 indique les rémunérations perçues en 2016 par les députés qui ont déclaré conserver une activité en 2017, sachant que les montants ont probablement diminué après le début du mandat. Au cours des débats sur le texte pour la confiance dans la vie politique, il avait aussi été toujours proposé de plafonner les revenus annexes à un certain pourcentage de l'indemnité parlementaire.
Nous avons analysé les effets d'un tel plafonnement en prenant les deux chiffres proposés à l'époque pour le plafond des revenus annexes : 50 % ou 100 % de l'indemnité parlementaire. Dans le premier cas – environ 35 000 euros par an –, les revenus de cinquante-sept parlementaires, c'est-à-dire 45 % des députés qui conservent une activité, devraient diminuer. Dans le second cas – environ 70 000 euros par an –, seulement vingt-cinq députés seraient concernés par ce plafonnement, soit 20 % de ceux qui déclarent conserver une activité. Un plafonnement ne concernerait que peu de députés mais il affecterait de façon très importante les quelques députés qui ont des revenus annexes très élevés.
La troisième piste a trait aux activités post-mandat. L'analyse est plus compliquée puisque nous n'avons aucune information sur les activités qui sont exercées par les députés après leur mandat, à un moment où ils ne sont plus astreints à aucune obligation déclarative.
Les seules données un peu pertinentes que nous avons pu utiliser sont celles qui portent sur la répartition des activités entre le public et le privé, et entre les activités salariées et non salariées. Les fonctionnaires mis en disponibilité ont davantage vocation à retrouver leur emploi que des gens qui exerçaient une activité dans le secteur privé. Un salarié peut, certes, obtenir une suspension de son contrat de travail pendant son mandat de député. Il reste néanmoins plus difficile de retrouver un emploi de salarié que de reprendre une activité libérale que l'on aura pu aménager en gardant éventuellement quelques clients.
L'Assemblée nationale pourrait instaurer des modalités de contrôle du post-mandat, comme cela avait été proposé. On pourrait faciliter l'exercice d'une activité annexe pour l'élu et, en retour, instaurer une forme de contrôle des activités exercées après le mandat afin de vérifier l'absence de conflit d'intérêts.
Tel qu'il existe actuellement, le dispositif de contrôle des activités post-mandat des responsables publics – fonctionnaires, membres du Gouvernement et des autorités administratives, élus locaux – n'est pas du tout adapté aux députés. Ce dispositif est fondé sur une infraction pénale : la prise illégale d'intérêt, codifiée à l'article 432-13 du code pénal, qui réprime le fait d'aller travailler pour une entreprise qu'on a contrôlée, avec laquelle on a signé des contrats, ou à l'égard de laquelle on a pris des décisions individuelles. Les députés n'exercent pas de telles prérogatives et cette infraction pénale n'a aucune pertinence à leur égard.
Si l'on voulait instaurer une forme de contrôle des activités post-mandat pour les députés, il faudrait évidemment réfléchir à un système totalement différent. On pourrait, par exemple, étendre le régime des incompatibilités pendant une durée d'un an à l'issue du mandat. En Irlande, il me semble que les ex-députés ne peuvent pas faire du lobbying auprès de l'Assemblée nationale pendant une certaine durée après la fin de leur mandat.
On pourrait aussi étendre les obligations de transparence et de déclaration pendant une période après le mandat, afin de laisser les députés exercer les activités qu'ils veulent mais en toute transparence. Cela reviendrait à instaurer une forme d'obligation déclarative un peu allégée pendant un certain temps à l'issue du mandat.
Voilà les premiers enseignements que nous vous proposons de tirer de ces chiffres.
Pour ma part, j'ai été gêné, au moment de remplir ma déclaration, par la notion d'activité professionnelle. Beaucoup d'activités ne sont pas professionnelles au sens de l'exercice d'une profession. Je me souviens avoir hésité, car on nous invite à déclarer nos responsabilités dans des associations, par exemple dans leurs organes dirigeants. Ensuite, on ne parle plus que d'activités professionnelles – ce que ces responsabilités ne sont pas, mais elles doivent figurer et sont envisagées, selon moi assez curieusement, comme de potentielles sources de conflits d'intérêts. Un responsable bénévole d'une association d'intérêt général doit-il donc être considéré comme dans une situation de conflit d'intérêts quand il plaide pour la cause que défend l'association en question ? Comment appréhendez-vous la question de l'activité professionnelle ?
Quant aux revenus qu'il convient de déclarer, s'agit-il des revenus de l'activité professionnelle ou de l'ensemble des revenus ?
En effet, monsieur le rapporteur, dans la déclaration d'intérêts et d'activités, il faut mentionner les activités bénévoles, ainsi que les participations, aux organes dirigeants d'associations, mais pas dans la rubrique relative aux activités professionnelles. Nous n'avons pas considéré ces activités bénévoles dans le cadre de la note qui vous a été remise.
La déclaration comporte en fait plusieurs rubriques séparées. La première recense les activités professionnelles exercées au cours des cinq dernières années. Le guide du déclarant rédigé par la Haute Autorité donne quelques éléments qui permettent de déterminer ce que celle-ci considère comme une activité professionnelle et quelle est la rubrique appropriée pour déclarer une activité. Une deuxième rubrique concerne précisément les participations aux organes dirigeants de structures publiques ou privées, que ces participations soient bénévoles ou non – l'éventuelle rémunération doit être mentionnée. Une dernière rubrique concerne les autres activités bénévoles dont vous estimez qu'elles sont susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts. Il faut donc effectivement, monsieur le rapporteur, mentionner ses participations dans des organes dirigeants d'associations mais pas au titre des activités professionnelles.
Quant aux revenus, ne doivent figurer dans la déclaration d'intérêts et d'activités que ceux liés à l'activité professionnelle, aux activités de consultant ou aux participations aux organes dirigeants d'une structure, si celles-ci sont rémunérées. Les autres revenus doivent en effet être déclarés, mais en fin de mandat et dans la déclaration de situation patrimoniale – y sont récapitulés l'ensemble des revenus perçus par le député pendant son mandat, non pour prévenir les conflits d'intérêts, mais pour mesurer la variation du patrimoine au regard des revenus perçus.
Avant de faire des statistiques, nous nous sommes aussi beaucoup interrogés sur la participation aux organes dirigeants. Ainsi, considérant que les participations aux organes dirigeants d'organismes publics étaient essentiellement liées à des fonctions ou des mandats électifs, nous les avons toutes exclues.
Restent ensuite beaucoup de participations à des conseils d'administration, beaucoup de présidences d'association de tous types, beaucoup de participations à des conseils d'administration de sociétés d'économie mixte. Faut-il les considérer comme de véritables activités professionnelles ? Nous nous sommes beaucoup interrogés. Il était un peu compliqué d'exclure complètement cela, mais il est vrai que les associations, les sociétés d'économie mixte et, dans une moindre mesure, les organes dirigeants des sociétés civiles immobilières – qui peuvent être liés, en fait, au patrimoine personnel des parlementaires – fournissent le plus gros de ces participations aux organes dirigeants d'un organisme privé.
Tout d'abord, merci beaucoup, mesdames, messieurs, pour cette présentation. Comme vous l'avez indiqué, c'est un exercice assez inédit que cette photographie des activités professionnelles des députés, et, c'est vrai, assez frustrant, parce que nous aimerions aussi envisager leur évolution professionnelle – on n'est pas député toute sa vie.
L'aspiration au renouvellement se fait en tout cas plus forte, mais il ne faudrait pas qu'il ne soit possible qu'au détriment de ceux qui s'investissent dans un mandat parlementaire. Ce ne doit pas être un handicap, mais on peut voir le mandat parlementaire comme une parenthèse ou une étape dans une vie, comme un engagement, aussi. Comment cet engagement s'insère-t-il dans une carrière ? Il était donc important de savoir si les députés conservaient une activité ou non. Nous constatons que c'est peut-être plus facile pour les hommes, mais nous ne savons pas pourquoi. Par ailleurs, les catégories de la nomenclature d'activités française (NAF) sont extrêmement larges. Nous aimerions avoir une connaissance plus précise de ces questions.
Par ailleurs, en page 16 de votre contribution écrite, un graphique présente les « rémunérations 2016 pour les activités conservées ». En ordonnées figure le montant. Je suppose que c'est le nombre de députés concernés qui figure en abscisses, de 0 à 140. Ainsi, à peu près 130 députés auraient eu en revenu net de 50 000 euros en 2016. Ai-je bien compris ?
C'est un peu différent. En réalité, sur ce graphique, un point correspond à un député. Ainsi, à la position 120, le point aux alentours de 15 000 euros signifie que la rémunération de ce « député 120 » était d'environ 15 000 euros en 2016. Ces données en abscisses permettent en fait d'apprécier le lot qui a été étudié.
En fait, nous voyons une concentration dans le bas du graphique. Les députés dont la rémunération se situe à proximité de la borne inférieure de la fourchette sont plus nombreux que les députés dont la rémunération se situe à proximité de la borne supérieure. Nous avons tout de même retiré de ce calcul deux ou trois députés dont les revenus vraiment très élevés, d'un montant de plusieurs millions d'euros, faisaient artificiellement monter artificiellement la moyenne.
Environ un cinquième des députés déclarent conserver au moins une activité professionnelle. Cela explique que l'échantillon que nous avons étudié soit restreint à environ 140 députés.
Député de base, j'ai le sentiment que nous sommes déjà soumis à beaucoup de contrôles. En ce qui me concerne, c'est mon épouse qui s'occupe de tout, mais je sais que lorsqu'elle doit remplir la déclaration de patrimoine elle passe un mauvais quart d'heure. Le citoyen ne s'en rend pas compte mais nous devons tout justifier – maintenant, il faut même justifier les frais de mandat. Nous passons notre temps à collecter les factures, les notes de restaurant et autres, et vous proposez encore des contrôles une fois le mandat terminé, pour voir s'il n'y aurait pas un conflit d'intérêts, si ceci, si cela… Franchement, sincèrement, il y en a marre ! Ras la casquette ! Nous ne sommes pas des truands, nous n'avons pas besoin d'être en permanence contrôlés, nous n'avons pas à être soupçonnés de vouloir nous en mettre plein les poches.
Et ne vous êtes-vous pas demandé, mesdames, messieurs, si ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas assez bien payés que beaucoup de députés exercent une activité professionnelle au cours de leur mandat ? Certes, on peut en conserver une par passion, quand on est médecin ou qu'on aime donner des cours à Sciences Po, en faculté de droit à Paris ou à Strasbourg, mais il y en a peut-être aussi qui constatent qu'ils ne gagnent pas autant qu'auparavant – certains disent même manger désormais des pâtes maintenant qu'ils ne gagnent plus 10 000 ou 15 000 euros par mois ! Un moyen de lutter contre les tentations diverses auxquelles un parlementaire peut être soumis au cours d'un mandat pourrait être de mieux le payer. C'est d'ailleurs cette considération qui a justifié la création d'une indemnité : il s'agissait de les préserver de la tentation de la corruption.
Et puis il faudrait un vrai statut, qui permette, comme en Allemagne, de retrouver facilement un emploi au terme du mandat, qui facilite la réinsertion. Dans le secteur privé, c'est difficile, au bout de cinq ans. Pour ma part, je travaillais chez Peugeot. Je ne vais pas raconter une énième fois mon histoire, mais le lendemain de mon élection on m'a adressé une lettre de solde de tout compte. Un fonctionnaire, pour sa part, retrouverait sa position, avec l'ancienneté, au terme de son mandat. Si les députés étaient mieux payés, si leur réinsertion professionnelle était facilitée, peut-être ne serait-il pas nécessaire de tant les contrôler.
Ce n'est pas une question, ce n'est qu'une réaction de député de base. J'ai le sentiment que nous sommes déjà suffisamment contrôlés et qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter.
Il faut aussi une réflexion sur l'utilité d'un contrôle et ce qu'il donne à voir. J'entends ce que vous dites, vous évoquez une certaine forme de suspicion, mais les contrôles menés par la Haute Autorité montrent plutôt un comportement vertueux des parlementaires, et nous communiquons très largement à ce propos, notamment via le rapport d'activité – le rapport d'activité 2017 sera mis en ligne dans deux jours. Le contrôle n'est pas qu'une forme de suspicion, il peut aussi valoriser la fonction. Il montre que les parlementaires sont nombreux non seulement à s'investir de manière remarquable mais à respecter parfaitement les règles en vigueur. Il donne des points de comparaison et des éléments de réflexion, c'est autre chose qu'un discours diffus qui ne correspond pas à la réalité.
La rémunération des parlementaires ne relève évidemment pas de la compétence de la Haute Autorité, mais nous avons évoqué dans notre rapport Renouer la confiance publique, publié précédemment, la possibilité de revaloriser l'indemnité parlementaire, précisément pour régler certaines difficultés et certains problèmes que pouvait poser l'usage des montants alloués.
Il semble qu'une mentalité peut-être plus propre à la France qu'à d'autres pays fait que, quelles que soient les évolutions, nous ne serons jamais assez exemplaires et qu'on nous en demandera toujours plus.
Merci, madame la présidente, monsieur le rapporteur. C'est une étude précieuse qui a été faite, même si nous n'avons en quelque sorte qu'un reader's digest. Comme ma collègue Élodie Jacquier-Laforge, nous aimerions pouvoir nous projeter et analyser l'évolution, mais sans doute est-ce plus difficile.
Il est de bon ton de râler mais j'aimerais, mesdames, messieurs, saluer l'action de vos collègues de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Quand nous faisons campagne, quand il faut faire les comptes, nous sommes vraiment très bien renseignés, avec beaucoup de patience et d'amabilité. Ces déclarations, y compris en ligne, ne sont pas toujours simples, mais, personnellement, j'ai appelé vos services et l'un de vos collègues m'a remarquable aidé – et je ne suis pas le seul à dire que vous nous aidez remarquablement. Vous transmettrez ces remerciements au président Nadal.
J'avais trouvé très intéressant le rapport Renouer la confiance publique. Il faudrait d'ailleurs, madame la présidente, monsieur le rapporteur, qu'il soit réédité. C'était un travail considérable. Dans ce pays où nous passons notre temps à tout réinventer, nous devrions peut-être reprendre un certain nombre de préconisations que, pour ma part, je trouvais particulièrement pertinentes, de ce rapport, également dit « rapport Nadal ».
Parmi les 133 députés qui ne déclarent aucune activité professionnelle antérieure, 71 % sont des députés sortants, lit-on en page 9 de votre contribution écrite. Cela montre en une phrase le travail que nous avons à faire. Nous voyons bien vers quoi nous nous dirigeons : trois mandats successifs, et c'est terminé. Nous avons donc vraiment intérêt à nous mettre au travail, globalement, toutes sensibilités politiques et tous pouvoirs publics confondus. Ce chiffre vaut toutes les thèses sur l'avenir du criquet migrateur et la reconversion : 71 % des députés qui ne déclarent aucune activité professionnelle antérieure sont des députés sortants.
J'ai aussi été impressionné par le chiffre que vous avez donné, même si c'est une moyenne – vous avez anticipé une question que je voulais poser, j'avais peur effectivement d'un biais, comme souvent dans les statistiques. Ce n'est pas terrible, 4 300 euros en moyenne. Peut-être cela peut-il mettre du gruyère dans les pâtes, mais ce n'est pas mirifique.
Je rejoins ce que vous avez dit, madame Gamgani. Je pense qu'effectivement c'est vous qui avez raison, n'ayons pas d'inquiétude par rapport au contrôle. Et puis, par définition, le marlou trouvera toujours le « truc » qui permettra de passer au travers de tous les contrôles. Notre excellent ancien collègue Cahuzac, s'il n'avait pas été ministre, aurait toujours son compte à l'étranger. Je n'ai jamais compris, d'ailleurs – c'est très bizarre pour moi, intellectuellement. S'il n'avait pas rejoint le Gouvernement, il n'y aurait pas eu de contrôle, rien n'aurait été déclenché et il aurait toujours son compte. C'est assez curieux.
Ce que vous avez dit, madame, est juste, heureusement pour notre moral à tous, et celui du peuple français : l'immense majorité des élus de France – pas seulement les députés – sont honnêtes, se battent avec cœur, etc. Malheureusement, je rejoins Jean-Luc Reitzer sur ce point : ce n'est pas aussi médiatisé que la phobie fiscale d'un canard boiteux ou d'un vilain petit canard noir. Là est le problème. Demandez donc à notre collègue Éric Woerth, qui a subi cela personnellement : quand on vous accuse, cela fait les titres des journaux télévisés, mais quand la justice vous innocente, cela ne fait même pas une ligne en pages intérieures d'un journal. Vous n'y êtes pour rien, mesdames, messieurs, mais votre audition me donne l'occasion de le dire.
Si nous voulons un vrai statut, il y a encore du travail à faire pour rompre avec cette situation qu'illustre bien cette statistique : parmi les 133 députés qui ne déclarent aucune activité professionnelle, 71 % sont des députés sortants. C'est que c'est difficile, qu'il n'y a pas de reconversion, etc. Nous avons auditionné la semaine dernière nos anciens collègues Émile Blessig, président du groupe des anciens députés, et Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées, et nous avons vu que c'était extrêmement difficile.
Peut-être devrions-nous faire un peu de droit comparé. La fluidité et la mobilité sont plus grandes en Allemagne, parce que le statut de l'élu y est plus complet.
Je veux simplement réagir aux propos de mon collègue Reitzer. Actuellement, la défiance de nos concitoyens envers les élus est extrêmement importante, mais je partage le constat : les élus sont très majoritairement honnêtes et on ne parlera effectivement que des cas les plus compliqués. Par ailleurs, cher collègue, je suis moi aussi une députée « de base ». Y aurait-il donc deux catégories de députés ? Le cas échéant, je ne sais quelle est la deuxième.
Je pense que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, créée à la suite d'affaires bien précises que nous avons tous à l'esprit, est essentielle. La transparence évite la suspicion ; en tout cas, elle nous invite à faire beaucoup plus de pédagogie. Je pense également que le contrôle est vraiment utile et important.
Pour ma part, je n'ai pas pu mobiliser mon conjoint pour remplir mes déclarations, mais ce qui est important c'est de pouvoir mesurer les variations de patrimoine. Nous pouvons également soumettre à nos collègues l'idée de déclarations d'activités à l'issue du mandat et vos autres propositions, mesdames, messieurs. Réfléchissons-y.
Mme Élodie Jacquier-Laforge m'inspire. Ce que vous dites est vrai, chère collègue, mais vous rappelez-vous cette députée socialiste qui avait donné tous ses relevés de compte ? C'était formidable : nous avons eu droit, en boucle sur toutes les chaînes d'information, à ses factures de coiffeur… A-t-elle finalement été si contente de faire preuve de transparence ? En tout cas, elle a fait les titres de tous les médias, toutes les chaînes d'information en continu. Il n'y avait rien à redire, mais elle s'est retrouvée obligée de se justifier d'aller une ou deux fois par semaine chez le coiffeur. J'ignore si la transparence lui inspire toujours le même sentiment ! Elle était en tout cas l'un des quinze ou vingt députés à répondre à cette enquête.
Pourriez-vous, mesdames, messieurs, nous caractériser ce que vous appelez « omission substantielle » ?
C'est une très bonne question, que nous avons dû nous poser notamment à propos des déclarations d'intérêts et d'activités. Pour une déclaration de patrimoine, toutes proportions gardées, c'est relativement simple : on peut établir des seuils pour déterminer ce qu'on appelle substantiel ou pas. C'est beaucoup plus compliqué dans le cadre d'une déclaration d'intérêts et d'activités. La réflexion a été menée par les rapporteurs désignés pour étudier certaines déclarations d'intérêts et d'activités.
L'idée était de se concentrer sur deux aspects. D'une part, serait substantielle l'omission délibérée d'une activité qui place le déclarant dans une situation de conflit d'intérêts – l'activité serait en fait omise pour dissimuler le conflit d'intérêts. D'autre part, serait substantielle l'omission de revenus très importants d'une activité professionnelle, qu'on ne retrouverait pas par ailleurs, par exemple dans la déclaration de patrimoine. En dehors de ces deux cas, il est très difficile de caractériser quelle omission d'activité ou de participation à un organe dirigeant est « substantielle ».
Nous nous sommes posé ces questions parce que la loi nous confie la mission de nous les poser, comme le disait notre secrétaire générale. Pour l'instant, aucune situation n'a eu de suites judiciaires ou pénales. Compte tenu de ces difficultés à la fois méthodologiques et de fond, nous n'avons pu caractériser d'omission substantielle, mais la loi nous oblige à rechercher si les déclarations en présentent – en revanche, c'est la déontologue de l'Assemblée nationale qui est chargée de la prévention des conflits d'intérêts.
Depuis l'été dernier, les parlementaires doivent obtenir un quitus de l'administration fiscale. Vous est-il communiqué ? Des croisements sont-ils faits entre les déclarations et les données dont disposent les services fiscaux ?
Des croisements sont effectivement faits pour le contrôle des déclarations de situation patrimoniale. La loi prévoit que toutes sont adressées à l'administration fiscale qui renvoie à la Haute autorité un avis et les croise avec ses propres bases de données, auxquelles nous avons aussi désormais accès, avec les déclarations de revenu et les autres informations fiscales à sa disposition.
La réunion se termine à dix-sept heures vingt.