Intervention de Stéphan Giraud

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 11h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Stéphan Giraud, chef de projet à la DITP :

Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vous remercie de nous donner l'opportunité d'évoquer ces travaux que l'on conduit dans le domaine des sciences comportementales. Je remercie aussi une personne absente aujourd'hui, à savoir l'un des camarades de Guillaume Martin, Thibaud Griessinger, la principale plume du rapport que nous avons rédigé sur les apports des sciences comportementales à la transition écologique.

Qu'y a-t-il dans ce rapport, du moins, tout d'abord, que n'y a-t-il pas ? Il n'y a pas de solutions miracles. Nous n'avons pas de martingale particulière qui serait issue des sciences comportementales qui permettrait de régler de manière générale les enjeux écologiques, notamment la transition énergétique.

Ce qu'il y a dedans principalement, c'est un discours de la méthode, appliquée à une politique publique particulière. Ce discours de la méthode vise à aborder un « impensé » des politiques publiques, à savoir le comportement humain. Quand on fait des politiques publiques, on le fait avec un ensemble de techniques, mais on le fait aussi avec un schéma hérité des concepts de l'économie néo-classique, selon lequel les citoyens seraient des individus rationnels et cartésiens.

Or, il ne s'agit pas d'un jugement de valeur mais d'une réalité biologique et sociale, nos concitoyens ne sont pas de surhommes cartésiens comme on voudrait parfois le penser. C'est ce sur quoi nous éclairent les sciences comportementales et cognitives. Il y a un ensemble de corpus scientifiques derrière cela, de psychologie, donc de sciences cognitives, différentes disciplines avec lesquelles nous travaillons qui nous invitent à considérer la réalité des modes de prises de décision des individus.

Les individus ne fonctionnent pas comme des supercalculateurs et ne sont pas des optimisateurs d'intérêt. Ils sont davantage affectés par des barrières psychologiques, par des freins comportementaux qui font que leurs choix, leurs comportements sont davantage des raccourcis mentaux - on parle d'heuristique. Il y a des formes de réflexes probabilistes qui font que leurs comportements ne sont pas forcément ceux que l'on aurait escomptés à la mise en œuvre de politiques publiques. C'est spécialement vrai dans le champ environnemental.

Je vais être très schématique – si un docteur en sciences cognitives m'écoute, il trouvera sans doute que je suis un barbare : vous avez de grandes catégories de phénomènes de barrières comportementales qui affectent nos comportements. Certains ont trait à ce que l'on appelle la rationalité limitée, le fait que ces barrières comportementales nous empêchent d'avoir des comportements totalement cohérents par rapport à ce qui est supposé être de notre intérêt. Nous avons également une volonté limitée, nous avons affaire à des phénomènes que l'on qualifie de dissonance cognitive, qui créent des tensions entre nos valeurs et nos actes et qui sont particulièrement prégnants dans les problématiques environnementales. On est souvent dans des problématiques de passage à l'acte : on a parfois du mal à faire ce que l'on voudrait faire.

L'autre difficulté, dans la manière dont on considère l'individu dans les politiques publiques, est justement de tendre à le considérer comme un individu. Je crois que les sociologues ici présentes le confirmeront : nous ne sommes pas uniquement des individus, nous sommes aussi des êtres sociaux et devons composer avec des contextes.

Pourquoi la DITP s'est-elle intéressée à ces sujets ? Elle l'a fait parce qu'on a constaté au fil des années que l'efficacité des politiques publiques avait beaucoup à gagner à s'intéresser aux individus, à nos concitoyens – ce que vous avez également fait en mettant cette consultation en ligne. On le fait avec différentes méthodes que nous qualifions d'innovantes, qui mêlent des enquêtes d'usagers qualitatives et quantitatives, qui utilisent des outils de démocratie participative et qui s'intéressent au champ des sciences comportementales.

Les sciences comportementales se sont développées depuis des dizaines d'années en recherche académique. Elles ont, depuis plus d'une dizaine d'années, également investi la sphère publique avec des initiatives du côté anglo-saxon, principalement avec la montée en puissance du concept de nudges qui a été utilisé au sein de l'administration Obama. La principale structure qui s'est constituée autour de cela au sein du gouvernement anglais est la Behavioural Insight Team qui occupe aujourd'hui près de 200 personnes. Vous avez de manière générale quelque 200 unités comportementales qui sont instituées dans la sphère publique, de par le monde, avec des visées plus ou moins prospectives ou opérationnelles. Nous, nous essayons d'être à mi-chemin entre les deux.

On l'a fait dans le champ environnemental. Si ces méthodes dites de nudges sont entrées en France par le champ comportemental, avec une note il y a quelques années sur les nudges verts, nous avons eu depuis l'occasion de travailler sur un certain nombre de ces sujets. Nous avions travaillé dans le cadre de la COP 21 à l'identification d'éco gestes et nous avons, depuis lors, enclenché avec des partenaires ministériels différents types de projets. J'en ai deux principalement en tête. L'un a trait à la réparabilité dans les actes d'achat des consommateurs. L'autre, qui est plus en lien direct avec vos problématiques, a trait au mode de chauffage, quelque chose qui est à la frontière entre la problématique de la pollution atmosphérique et les questions de pouvoir d'achat liées à des modes de chauffage plus intéressants pour nos concitoyens. On réfléchit, avec le ministère de l'environnement, à travailler sur les aides énergétiques.

On essaie de faire tout cela avec des méthodes qui se veulent assez rigoureuses : la méthode commence par une phase de diagnostic comportemental, s'appuyant sur l'ensemble des corpus scientifiques que j'évoquais en amont qui tendent à être des revues de littérature, des benchmarks, des études complémentaires de type ethnographique, suivi par des phases d'idéation. Les barrières comportementales que j'évoquais au départ peuvent être transformées en leviers comportementaux. On peut aussi s'efforcer de transformer les freins cognitifs avec lesquels doivent composer nos concitoyens, nos décideurs et nos agents publics en quelque chose de plus positif, notamment en s'efforçant de simplifier au maximum les contextes dans lesquels ils évoluent.

Je le disais, nous sommes des êtres de contexte, des êtres sociaux, et il est utile de s'appuyer sur le regard d'autrui et sur la manière dans les autres fonctionnent. On peut ainsi utiliser différents leviers - je ne vais pas tous vous les lister - qui permettent d'optimiser l'efficacité des politiques publiques.

Il n'y a néanmoins pas de solutions miracles. Nous nous efforçons de tester systématiquement les solutions en aval, en utilisant des méthodes scientifiques robustes, notamment des essais randomisés contrôlés. C'est cet ensemble de solutions que l'on essaie de promouvoir, sur la transition énergétique, mais également sur de nombreux autres sujets. Nous sommes une direction interministérielle et nous travaillons sur tout type de politique publique.

Cette approche comportementale n'est pas non plus autosuffisante. Certains sujets sont plus techniques ou économiques. Nous voulons juste éviter que cet « impensé » de l'action publique, à savoir que le comportement humain, dans ce qu'il a de plus complexe et de plus réel, soit oublié au moment de la mise en œuvre des politiques publiques. Clairement, il y a beaucoup à faire sur le champ environnemental.

Le rapport avait vocation à donner un éclairage à travers différents exemples de nudges. Aucun n'était spécifiquement sur la transition énergétique mais il s'agissait plus d'un hasard que d'autre chose. En effet, beaucoup d'initiatives conduites de par le monde ont trait à ce champ. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a produit un rapport qui montre que 50 % des initiatives comportementales traitant de questions environnementales étaient directement liées aux questions énergétiques, qu'elles soient appréhendées directement ou indirectement, à travers les questions liées à l'électroménager. Je vous remercie.

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