L'audition débute à onze heures dix.
Nous sommes réunis pour une table ronde qui a pour thème « faire évoluer les pratiques sociales » dans le cadre de cette mission d'information sur les freins à la transition énergétique.
Cette mission d'information a été créée à l'été 2018 pour une durée d'une année. Le rapporteur en est Bruno Duvergé, à mes côtés, à qui je laisserai la parole dans un instant, avant de vous présenter et de vous donner la parole.
L'idée de cette mission est de pouvoir, pendant une année, organiser des auditions, des tables rondes, comme celle-ci, sur différents thèmes. Sept thèmes ont été référencés pour identifier les freins à la transition énergétique en France, comment les lever selon les différents territoires et les différentes typologies d'acteurs.
Nous avons jusqu'alors mené une trentaine d'auditions et de tables rondes, mené des déplacements, que ce soit à la communauté urbaine de Dunkerque, au Danemark et bientôt à Berlin, pour aller aussi rencontrer les acteurs.
Chose novatrice, puisque l'on ne peut pas auditionner l'ensemble des acteurs, nous avons mis en place au cours des mois de mars et d'avril une contribution en ligne sur le site de l'Assemblée nationale. Il était possible pour chacun, que ce soient les ONG, professionnels, les acteurs économiques, les collectivités, les particuliers et citoyens, de pouvoir réagir à des propositions, identifier des leviers et des freins, faire des remarques et même voter sur ces propositions. C'est un peu plus de 4 000 contributions qui ont été faites sur le site. Elles nous permettent d'alimenter le rapport et de nourrir le débat.
Je me dois de vous préciser que cette table ronde, qui est en ligne sur le site de l'Assemblée nationale, est ouverte à la presse.
Nous avons défini, avec l'ensemble de membres parlementaires de cette mission d'information, sept axes sur les freins à la transition énergétique :
– l'équation entre la production et la consommation d'énergie ;
– le développement des énergies renouvelables ;
– la mobilité, ce qui fait sens avec l'actualité parlementaire - il y a dans une salle voisine des débats en ce moment même sur la loi de réorientation des mobilités ;
– les économies d'énergies ;
– les évolutions, les mutations des grands groupes, particulièrement énergétiques
– la place et le rôle des territoires – j'évoquais l'exemple de la communauté de Dunkerque – des collectivités, des intercommunalités et des régions ;
– la fiscalité énergétique qui a nourri les débats de ces derniers mois.
Voilà pour le schéma de cette mission d'information. Je propose à Monsieur le rapporteur de compléter. Ensuite, je vous présenterai les uns et les autres. L'idée est d'avoir cinq à dix minutes de propos liminaires pour favoriser les échanges. Je vous remercie.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
La présentation que vous avez faite est assez complète. Je dirais que les aspects sociaux sont à travers les sept thèmes qui ont été décrits.
Le premier thème que Monsieur le Président a décrit comme étant l'adéquation entre production et consommation d'énergie est plutôt sur la vision à long terme, la lisibilité de là où on doit être, et au niveau social, sur cette appropriation par le Nouveau monde, de cette même façon de produire et de consommer l'énergie. Bien évidemment, l'appropriation ou la résistance de la société se retrouve dans tous les thèmes. À vous, maintenant, de vous exprimer sur ce sujet.
– Monsieur Guillaume Martin, administrateur bénévole au sein de l'association Avenir climatique ;
– Madame Solange Martin et Madame Anaïs Rocci, sociologues au sein de la direction exécutive de la prospective et de la recherche, à l'ADEME ;
– Monsieur Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique, accompagné de Monsieur Noé Deschanel, chargé de mission ;
– Madame Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle « coopération » d'Enercoop.
Je propose à la DITP, par l'intermédiaire de Monsieur Stéphan Giraud, de passer aux propos liminaires.
Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vous remercie de nous donner l'opportunité d'évoquer ces travaux que l'on conduit dans le domaine des sciences comportementales. Je remercie aussi une personne absente aujourd'hui, à savoir l'un des camarades de Guillaume Martin, Thibaud Griessinger, la principale plume du rapport que nous avons rédigé sur les apports des sciences comportementales à la transition écologique.
Qu'y a-t-il dans ce rapport, du moins, tout d'abord, que n'y a-t-il pas ? Il n'y a pas de solutions miracles. Nous n'avons pas de martingale particulière qui serait issue des sciences comportementales qui permettrait de régler de manière générale les enjeux écologiques, notamment la transition énergétique.
Ce qu'il y a dedans principalement, c'est un discours de la méthode, appliquée à une politique publique particulière. Ce discours de la méthode vise à aborder un « impensé » des politiques publiques, à savoir le comportement humain. Quand on fait des politiques publiques, on le fait avec un ensemble de techniques, mais on le fait aussi avec un schéma hérité des concepts de l'économie néo-classique, selon lequel les citoyens seraient des individus rationnels et cartésiens.
Or, il ne s'agit pas d'un jugement de valeur mais d'une réalité biologique et sociale, nos concitoyens ne sont pas de surhommes cartésiens comme on voudrait parfois le penser. C'est ce sur quoi nous éclairent les sciences comportementales et cognitives. Il y a un ensemble de corpus scientifiques derrière cela, de psychologie, donc de sciences cognitives, différentes disciplines avec lesquelles nous travaillons qui nous invitent à considérer la réalité des modes de prises de décision des individus.
Les individus ne fonctionnent pas comme des supercalculateurs et ne sont pas des optimisateurs d'intérêt. Ils sont davantage affectés par des barrières psychologiques, par des freins comportementaux qui font que leurs choix, leurs comportements sont davantage des raccourcis mentaux - on parle d'heuristique. Il y a des formes de réflexes probabilistes qui font que leurs comportements ne sont pas forcément ceux que l'on aurait escomptés à la mise en œuvre de politiques publiques. C'est spécialement vrai dans le champ environnemental.
Je vais être très schématique – si un docteur en sciences cognitives m'écoute, il trouvera sans doute que je suis un barbare : vous avez de grandes catégories de phénomènes de barrières comportementales qui affectent nos comportements. Certains ont trait à ce que l'on appelle la rationalité limitée, le fait que ces barrières comportementales nous empêchent d'avoir des comportements totalement cohérents par rapport à ce qui est supposé être de notre intérêt. Nous avons également une volonté limitée, nous avons affaire à des phénomènes que l'on qualifie de dissonance cognitive, qui créent des tensions entre nos valeurs et nos actes et qui sont particulièrement prégnants dans les problématiques environnementales. On est souvent dans des problématiques de passage à l'acte : on a parfois du mal à faire ce que l'on voudrait faire.
L'autre difficulté, dans la manière dont on considère l'individu dans les politiques publiques, est justement de tendre à le considérer comme un individu. Je crois que les sociologues ici présentes le confirmeront : nous ne sommes pas uniquement des individus, nous sommes aussi des êtres sociaux et devons composer avec des contextes.
Pourquoi la DITP s'est-elle intéressée à ces sujets ? Elle l'a fait parce qu'on a constaté au fil des années que l'efficacité des politiques publiques avait beaucoup à gagner à s'intéresser aux individus, à nos concitoyens – ce que vous avez également fait en mettant cette consultation en ligne. On le fait avec différentes méthodes que nous qualifions d'innovantes, qui mêlent des enquêtes d'usagers qualitatives et quantitatives, qui utilisent des outils de démocratie participative et qui s'intéressent au champ des sciences comportementales.
Les sciences comportementales se sont développées depuis des dizaines d'années en recherche académique. Elles ont, depuis plus d'une dizaine d'années, également investi la sphère publique avec des initiatives du côté anglo-saxon, principalement avec la montée en puissance du concept de nudges qui a été utilisé au sein de l'administration Obama. La principale structure qui s'est constituée autour de cela au sein du gouvernement anglais est la Behavioural Insight Team qui occupe aujourd'hui près de 200 personnes. Vous avez de manière générale quelque 200 unités comportementales qui sont instituées dans la sphère publique, de par le monde, avec des visées plus ou moins prospectives ou opérationnelles. Nous, nous essayons d'être à mi-chemin entre les deux.
On l'a fait dans le champ environnemental. Si ces méthodes dites de nudges sont entrées en France par le champ comportemental, avec une note il y a quelques années sur les nudges verts, nous avons eu depuis l'occasion de travailler sur un certain nombre de ces sujets. Nous avions travaillé dans le cadre de la COP 21 à l'identification d'éco gestes et nous avons, depuis lors, enclenché avec des partenaires ministériels différents types de projets. J'en ai deux principalement en tête. L'un a trait à la réparabilité dans les actes d'achat des consommateurs. L'autre, qui est plus en lien direct avec vos problématiques, a trait au mode de chauffage, quelque chose qui est à la frontière entre la problématique de la pollution atmosphérique et les questions de pouvoir d'achat liées à des modes de chauffage plus intéressants pour nos concitoyens. On réfléchit, avec le ministère de l'environnement, à travailler sur les aides énergétiques.
On essaie de faire tout cela avec des méthodes qui se veulent assez rigoureuses : la méthode commence par une phase de diagnostic comportemental, s'appuyant sur l'ensemble des corpus scientifiques que j'évoquais en amont qui tendent à être des revues de littérature, des benchmarks, des études complémentaires de type ethnographique, suivi par des phases d'idéation. Les barrières comportementales que j'évoquais au départ peuvent être transformées en leviers comportementaux. On peut aussi s'efforcer de transformer les freins cognitifs avec lesquels doivent composer nos concitoyens, nos décideurs et nos agents publics en quelque chose de plus positif, notamment en s'efforçant de simplifier au maximum les contextes dans lesquels ils évoluent.
Je le disais, nous sommes des êtres de contexte, des êtres sociaux, et il est utile de s'appuyer sur le regard d'autrui et sur la manière dans les autres fonctionnent. On peut ainsi utiliser différents leviers - je ne vais pas tous vous les lister - qui permettent d'optimiser l'efficacité des politiques publiques.
Il n'y a néanmoins pas de solutions miracles. Nous nous efforçons de tester systématiquement les solutions en aval, en utilisant des méthodes scientifiques robustes, notamment des essais randomisés contrôlés. C'est cet ensemble de solutions que l'on essaie de promouvoir, sur la transition énergétique, mais également sur de nombreux autres sujets. Nous sommes une direction interministérielle et nous travaillons sur tout type de politique publique.
Cette approche comportementale n'est pas non plus autosuffisante. Certains sujets sont plus techniques ou économiques. Nous voulons juste éviter que cet « impensé » de l'action publique, à savoir que le comportement humain, dans ce qu'il a de plus complexe et de plus réel, soit oublié au moment de la mise en œuvre des politiques publiques. Clairement, il y a beaucoup à faire sur le champ environnemental.
Le rapport avait vocation à donner un éclairage à travers différents exemples de nudges. Aucun n'était spécifiquement sur la transition énergétique mais il s'agissait plus d'un hasard que d'autre chose. En effet, beaucoup d'initiatives conduites de par le monde ont trait à ce champ. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a produit un rapport qui montre que 50 % des initiatives comportementales traitant de questions environnementales étaient directement liées aux questions énergétiques, qu'elles soient appréhendées directement ou indirectement, à travers les questions liées à l'électroménager. Je vous remercie.
Je vous remercie. Je propose à Monsieur Guillaume Martin qui est bénévole au sein de l'association Avenir climatique de prendre la parole. En propos liminaire, l'association est composée d'étudiants et de jeunes actifs. Son objectif est de faire monter en compétences les jeunes bénévoles pour transformer les acteurs de la transition énergétique.
Avenir climatique est une association qui est née il y a onze ans avec pour objectif de faire des enjeux climatiques une priorité nationale. L'idée est de prendre des personnes déjà sensibilisées et de les transformer en ce que l'on appelle vulgairement des « poils à gratter sociétaux » capables de convaincre leurs amis, leurs grands-mères, leurs chefs d'entreprise ou leurs élus de s'occuper du climat, parce que c'est une priorité.
On a développé un certain nombre d'outils qui sont en open source ainsi qu'une conférence et un cours vidéo en ligne. Nous proposons également des réflexions sur la manière de faire porter un message, de parler en public, de débattre et d'argumenter. C'est pour cela que nous expérimentons aussi les changements de comportement avec Thibaud Griessinger, cité précédemment par mon voisin.
Nous avons lancé cette année deux projets. Le premier s'appelle Edu-climat. Il a pour but d'outiller les professeurs de l'école primaire, du collège et du lycée à parler de ces enjeux en classe. Nous sommes surpris de l'engouement suscité. Plus de 300 professeurs qui nous ont rejoints et ont sensibilisé en une année 1 500 élèves. Le second projet s'appelle « approche comportementale de la transition écologique ». Il a été initié en partenariat avec les chercheurs en sciences cognitives. L'objectif est d'identifier avec des recherches-actions quels sont les bons leviers à utiliser pour faire changer les usages.
Pour répondre à la question posée par cette table ronde, on identifie trois freins :
– le premier est la nécessité de former massivement et beaucoup plus rapidement l'ensemble des citoyens à ces enjeux qui sont complexes ;
– le deuxième est le manque de cohérence entre le discours de sensibilisation de certains acteurs sur le terrain et la réalité du monde, la réalité des politiques menées, à l'échelle nationale ou locale ;
– le troisième, le nerf de la guerre, est les moyens en général et la priorité politique que l'on peut donner à ces sujets.
Pour ce qui est du sujet autour de la formation, qui est le cœur de métier d'Avenir climatique, pour que le citoyen s'embarque dans la transition, il faut qu'il sache pourquoi et comment. Le citoyen n'est pas différent des autres personnes constitutives de la société, que ce soient les élus, les chefs d'entreprise ou les étudiants. De notre point de vue, personne n'est suffisamment formé à ces enjeux. Le sujet est, certes, de plus en plus médiatique mais les ordres de grandeur ne sont pas connus. L'ampleur des ruptures à mettre en place n'est pas encore comprise, les impacts et les risques du changement climatique encore moins.
Par exemple, j'aimerais savoir qui, au sein de ces murs, connaît le pourcentage d'énergie fossile dans la consommation d'énergie en France, la vitesse actuelle de réchauffement du climat. Qui connaît le rythme des émissions de gaz à effet de serre en France comparé au rythme que l'on devrait se fixer pour suivre les recommandations des scientifiques ? Qui connaît l'ordre de grandeur de l'impact carbone d'un vol transatlantique ?
Le citoyen, pris individuellement, n'est qu'un reflet de la société française qui n'a pas encore compris l'ampleur du sujet. Quand on parle de climat en France, on perd encore beaucoup de temps à parler nucléaire versus énergies renouvelables. En faisant cela, on ne traite que 30 % du sujet parce que l'électricité ne représente que 30 % des consommations d'énergie en France.
Dans ce cadre, Avenir climatique s'inscrit pleinement dans les recommandations du Shift Project qui demande de massifier l'enseignement des enjeux énergie-climat au sein de l'enseignement supérieur. Par exemple, avoir un minimum de 20 heures sur le sujet, quel que soit le cursus, nous paraît le strict minimum.
L'autre sujet qui nous préoccupe est la formation des élus, notamment des élus locaux. On parle beaucoup des prochaines élections municipales, avec près de la moitié des élus qui ne se représenteraient pas . Je pense qu'il faut profiter de ce moment pour former correctement toutes ces personnes aux enjeux. Ce sera certainement la dernière génération de décideurs et on sait que la plupart des solutions à ce problème se trouvent à l'échelle locale.
Le deuxième point, c'est l'incohérence entre les discours, la politique menée et le travail qui peut être fait en termes de sensibilisation. Cette année, nous avons pu voir une montée en puissance de la prise de conscience des enjeux auprès des citoyens, et pas uniquement auprès de la jeunesse : l 'Affaire du siècle, les marches pour le climat, Extinction rebellion. Le nombre de personnes sensibilisées n'a jamais été aussi important et n'a jamais été aussi visible. Les sujets ne sont pas complètement consensuels, mais une partie de la société civile est déjà mobilisée, prête à faire des choses. Je dirais qu'elle est presque en avance par rapport à la politique. Toutefois, cette société civile a aussi besoin de la politique parce que c'est elle qui maîtrise l'échelle et la profondeur de l'action.
Par exemple, sur le terrain, on parle d'un côté de sobriété énergétique, d'agriculture de proximité, de mobilité douce, et de l'autre, on agrandit des aérogares, on ferme des lignes de train, on déclare Europa city d'utilité publique, on négocie des accords commerciaux mondialisés, on urbanise de tous les côtés et on investit dans des télésièges qui seront complètement inutilisables parce que dans cinq ou dix ans, il n'y aura plus de neige. Du coup, on fait peser toute la réussite de la transition sur le pauvre citoyen. Certes, cela est absolument nécessaire. Nous défendons l'exemplarité citoyenne par rapport à ces sujets.
Toutefois, quand le citoyen essaie de le faire, il trouve un monde qui n'est pas cohérent avec ce qu'il a envie de faire. Il souhaite faire du vélo ? Bon courage sur les routes départementales françaises. Il veut arrêter de prendre l'avion ? Il trouve des publicités pour des vols Paris-New York à moins de 500 euros. Il désire faire des courses zéro déchet ? La démarche est quelque peu compliquée dans les grandes surfaces par rapport aux produits qui sont proposés.
Le message est brouillé. Les personnes qui, comme nous, essaient de prendre leur casquette de bénévoles et de sensibiliser les gens passent souvent pour des marginaux ou des dictateurs en puissance qui veulent restreindre les gens dans leur liberté fondamentale. En outre, le citoyen n'est pas stupide : il a bien compris que mettre un couvercle sur sa casserole pour faire des économies d'énergie est dérisoire quand on agrandit un aéroport près de son domicile.
On rejoint le problème de formation aux enjeux. On n'a pas encore pris conscience de l'ampleur des changements opérés et surtout, de mon point de vue, on pense que l'on va pouvoir changer à la marge, notamment en s'appuyant sur des améliorations technologiques qui nous permettront de ne changer ni notre aménagement du territoire ni nos modes de vie.
Or, il faut une véritable rupture basée sur la sobriété. Cela va passer par l'interdiction de certaines pratiques commerciales que l'on sait nocives pour le climat, l'encadrement de la publicité au même titre qu'on le fait pour l'alcool ou le tabac, l'accompagnement social du démantèlement de certains pans de l'économie, nocifs pour le climat, pour réorienter les gens, les financements et les activités vers des choses beaucoup plus positives. Par exemple, on manque aujourd'hui d'artisans pour atteindre nos objectifs dans tout ce qui a trait à la rénovation énergétique.
Le citoyen n'a pas forcément les clés pour agir tout seul. S'il essaie d'agir dans son coin, il se heurte à un mur parce que nos sociétés ne sont pas adaptées à ces nouveaux modes de vie. Par exemple, je vous mets au défi de vivre pendant un an avec un budget carbone de deux tonnes de CO2. C'est ce que nous devrions tous avoir comme budget pour rester sous les deux degrés de réchauffement climatique. C'est de l'ordre de la mission impossible parce que la société n'est pas adaptée à tout cela. Ce qui se passe, c'est que les personnes qui arrivent sont militantes et très motivées. Toutefois, le citoyen normal qui doit se préoccuper d'autres sujets va se décourager très vite et ce, quels que soient les mécanismes de sensibilisation que l'on peut mettre en presse.
En ce qui concerne le troisième sujet relatif aux moyens, il rejoint la problématique de cohérence et de portage politique. Il faut des moyens qu'il faut aller chercher là où ils sont, donc au détriment de certains sujets. Rénover des maisons et construire des pistes cyclables ne se font pas gratuitement. L'un des problèmes est que tout cela rapporte peu d'argent. Qui veut rénover sa maison quand cela ne rapporte que 2 % par an sur 20 ans, quand on peut faire 5 % à 10 % sur d'autres produits financiers en 4 ou 5 ans ? Il faut changer les règles du jeu pour que la dynamique puisse s'inverser. Mais, c'est pareil, le citoyen n'a pas forcément toutes les clés.
Pour moi, le chiffre qui illustre le mieux ce sujet est le budget publicité des constructeurs automobiles, de l'ordre de 3,5 milliards d'euros. C'est 1 000 fois le budget communication de l'ADEME. Je peux prendre ma casquette bénévole pour sensibiliser les gens au changement climatique mais je ne me bats pas avec les mêmes armes que certains. Il faut des moyens énormes sur l'animation dans les écoles, les collèges, les lycées, l'enseignement supérieur, les villes les territoires. La réalité du terrain est que toutes les associations ont le couteau sous la gorge, que les collectivités territoriales peinent à embaucher ne serait-ce qu'une personne pour gérer leur plan climat et énergie territorial. Une vraie volonté politique est nécessaire pour mettre des moyens sur la table.
Pour résumer, il y a trois leviers :
– accélérer la formation aux enjeux, qui sont devenus une priorité citoyenne au même titre que savoir lire, compter et écrire;
– mettre en cohérence toutes les politiques nationales et locales, avec le discours de sensibilisation à destination du citoyen ;
– mettre des moyens pour accompagner cette transition et construire un monde où le citoyen pourra facilement changer de comportements parce qu'on aura adapté la société à ces changements d'usage.
Je vous remercie. Vous avez presque fait une transition avec les intervenants suivants de l'ADEME, Madame Solange Martin et Madame Anaïs Rocci. Elles nous ont remis un support sur les freins à la transition énergétique. L'ADEME a mené il y a quelques années, en 2014, un travail sur l'évolution des comportements et des modes de vie dans le cadre d'une réduction par deux de la consommation énergétique finale, avec une consommation énergétique fortement renouvelable.
Madame, je vous propose de revenir sur cet exemple et préciser le travail mené par l'ADEME.
Bonjour. Je vous remercie de votre invitation. Le propos portera essentiellement sur les pratiques sociales et tout ce que cela engage. Le titre de cette table ronde laisse à penser qu'il va de soi que les pratiques doivent évoluer. En même temps, on peut se demander pourquoi maintenant. Dans les politiques énergétiques et environnementales, les pratiques sociales n'étaient pas originellement celles qui devaient évoluer, c'étaient les équipements. On a beaucoup focalisé sur l'efficacité énergétique. On peut dater cette inflexion à 2006. Une directive européenne fait le constat que les gains énergétiques ne permettront pas d'accéder à nos objectifs de réduction de consommation et que les gains sont dans les comportements des consommateurs d'énergie.
Se dessine alors la place du social dans la transition énergétique, ce que la technique ne permet pas de faire. Se dessine également un peu la manière dont on appréhende ce social, c'est-à-dire le comportement du consommateur - je reviendrai un peu sur ce qu'a dit l'intervenant précédent.
Le titre de cette table ronde en termes de pratiques sociales nous immunise contre l'idée que l'on pouvait se réduire uniquement aux aspects comportementaux des individus, non êtres sociaux, mais j'y reviendrai dans le cadre de cette présentation parce qu'on n'est jamais trop prudent.
Comment fait-on pour faire évoluer les pratiques sociales ? Une première partie de la réponse est de comprendre ce qu'est une pratique sociale, les leviers multiples que l'on peut actionner et les outils que l'on peut mettre en place (comment bien les articuler et les cibler). C'est la partie facile de la question. Après, vient la question de la responsabilisation des individus, ce qu'ils sont prêts à endosser. Ensuite, il y a la gouvernance et les conditions de gouvernance. Les événements récents ont montré que cela se complique sérieusement.
Commençons par ce qui est facile. Qu'est-ce qu'une pratique sociale et comment la faire évoluer ? On la fait évoluer en ne se centrant pas uniquement sur un individu rationnel qui a un total libre-arbitre et une maîtrise complète de ses choix individuels. Nous sommes des êtres sociaux, nous sommes inclus dans des collectifs (petits groupes familiaux, amis, collègues, communautés diverses) où se joue un conformisme social très fort. Ces petits groupes sont eux aussi inclus dans des collectifs plus importants tels que les catégories socioprofessionnelles (CSP), les classes d'âge, les générations, les territoires. Nos actes à tous sont aussi le reflet de la CSP à laquelle on appartient, du territoire dans lequel on vit. Il faut donc arriver à penser à la fois à l'individuel et au collectif pour avoir des politiques centrées sur la cible, donc sur les individus réels, mais non considérer uniquement comme des individus.
Le social prend place dans un monde matériel, physique, naturel et technologique fait d'objets, de dispositifs, d'aménagements qui contraignent aussi énormément nos actions. On le voit bien en matière de mobilité. Prendre le vélo pour aller travailler à 20 kilomètres de chez soi est un peu compliqué. Il faut donc arriver à penser individuel et collectif, mais aussi l'humain et ce qui ne l'est pas, pour avoir des politiques adaptées à la cible. Ceci veut dire que lorsqu'on parle d'évolution des pratiques sociales, on a souvent l'image d'un comportement volontaire que l'on va inciter à l'aide d'outils de communication, éventuellement d'outils économiques.
Il ne faut pas oublier que les outils d'aménagement de l'infrastructure ainsi que les outils réglementaires sont fondamentaux pour faire évoluer les pratiques sociales. L'ensemble des déterminants de l'agir individuel n'est pas uniquement réduit à l'individu lui-même mais à l'ensemble des individus autour, dont les acteurs économiques qui ont une marge importante sur ce que peut faire un individu. Il ne faut donc pas s'en remettre uniquement à cet individu fantasmé qui n'existe pas dans la réalité.
Si on regarde ce que les individus sont prêts à endosser comme responsabilité, c'est-à-dire à faire comme efforts, on a un certain nombre de baromètres à l'ADEME, d'enquêtes de sondage récurrentes, notamment une sur le changement climatique qui date de l'an 2000. On présente quatre propositions pour réduire le changement climatique : faut-il changer majoritairement nos modes de vie, est-ce à l'État d'agir, est-ce la technique qui va nous sauver ou n'y a-t-il rien à faire ? Ce sont les modes de vie qui sont majoritaires dans les réponses mais cela n'est plus qu'un Français sur deux. Nous sommes au plus bas niveau depuis que l'on pose l'enquête sur cet item. Environ 20 % des personnes interviewées ont choisi l'État, 17 % qu'il n'y avait rien à faire, ce qui représente une montée du fatalisme. La technologie, elle, reste relativement basse.
Donc, un Français sur deux cite les modes de vie. Quand on dit mode de vie, on s'imagine que ce sont eux qui vont faire, mais non. Quand on demande aux Français qui serait le plus efficace pour résoudre le changement climatique, ils citent les états, les collectivités locales, les instances internationales, toutes les autorités publiques, à tous les niveaux de gouvernance. Une réponse sur quatre évoque les individus et une personne sur huit, les entreprises.
Si on pose la question un peu différemment - vous le savez, les réponses aux sondages sont très dépendantes du contexte du sondage et de la formulation de la question - à savoir qui a le plus des moyens pour concrètement agir, les entreprises arrivent en premier, puis les États et enfin, les individus. Les individus veulent bien agir mais ils estiment qu'ils sont en bout de chaîne. On ne peut pas leur donner complètement tort sur cette idée.
Pour ce qui est de connaître leur appétence, c'est-à-dire ont-ils réellement envie de changer par rapport à ce qu'ils imaginent devoir être fait, est-ce plutôt une opportunité ou une contrainte, la population est très partagée. A l'heure actuelle 52 % répondent qu'il s'agit d'une contrainte et 47 % qu'il s'agit d'une opportunité, soit un score d'élections présidentielles. Toutefois, on relève depuis quatre ans une inflexion : la contrainte est passée devant l'opportunité.
Pour terminer avec les questions de gouvernance, les Français veulent bien qu'on leur applique un certain nombre de politiques publiques, mais à quelles conditions ? L'autorité, vous le savez mieux que personne, n'est pas uniquement la force. C'est aussi la légitimité. Celle-ci se fonde sur un savoir légitime et sur l'idée que l'on défend quelque chose de l'ordre du bien commun.
Côté crédibilité des faits scientifiques, on a demandé aux Français s'ils pensaient que le changement climatique était la faute de l'homme, si c'était une cause entropique ou si ce phénomène avait toujours existé. Vous le savez, le consensus scientifique est total sur la question. Cependant, 25 % de nos concitoyens continuent de penser que c'est un phénomène naturel comme il en a toujours existé. Pour ce qui est de la crédibilité des scientifiques eux-mêmes, 29 % des gens pensent que les scientifiques exagèrent les risques. Pourtant, les scientifiques font partie d'une catégorie d'acteurs qui a extrêmement bonne presse. Quand on réalise des enquêtes de confiance, les scientifiques sont plutôt bien vus.
Si on regarde l'ensemble des acteurs de la société, selon le baromètre politique du CEVIPOF - que vous connaissez je pense - ceux qui sont à un niveau de plus de 50 % de confiance sont les institutions qui incarnent l'intérêt collectif : l'hôpital, l'école et les PME. Pour ce qui est des gros acteurs économiques (les banques, les grandes entreprises publiques ou privées), on est très largement en-dessous de 50 % de confiance, de même que les organes de gouvernance tels que la justice et les médias. Les partis politiques, quant à eux, tiennent le bas du tableau. En gros, on a confiance uniquement dans son maire. Plus le niveau de gouvernance est élevé, plus la défiance est importante.
On voit bien le problème politique que l'on a. Les gens considèrent qu'il appartient aux personnes qui ont du pouvoir d'agir, mais c'est justement en elles qui n'ont plus confiance. Si on creuse les raisons de ce manque de confiance, c'est une question d'incarnation d'intérêt général. 90 % des Français pensent que les fabricants conçoivent délibérément des produits qui s'useront ou tomberont en panne rapidement. La sphère économique n'est donc pas au service des consommateurs. Elle n'est pas non plus au service des salariés puisque 72 % considèrent que l'économie actuelle profite aux patrons, aux dépens de ceux qui travaillent.
Dans la sphère publique, 74 % des Français considèrent que l'État est conduit dans l'intérêt de quelques-uns et non dans l'intérêt du plus grand nombre. Il ne faut donc pas s'étonner si, quand on leur demande s'ils veulent faire des efforts importants, la première condition qu'ils donnent est celle de l'équité. Elle est deux fois plus citée que toutes les autres et de façon très stable. Il faut entendre cette équité entre les membres de la société, mais aussi entre les différents acteurs.
En conclusion, une approche uniquement centrée sur les seuls comportements individuels est à proscrire, d'une part, parce qu'elle est irréaliste, elle ne correspond pas à la réalité de ce qu'est une pratique sociale, et d'autre part, parce qu'elle sera considérée comme illégitime de la part de nos concitoyens. La demande d'équité qui est la leur implique d'agir sur tous les types d'acteurs, à hauteur de leurs possibilités d'agir. Les freins à la transition sont relatifs à la transition elle-même plutôt qu'au contexte de défiance envers le pouvoir, qu'il soit scientifique, économique ou politique.
L'urgence est bien climatique, mais elle est aussi politique et sociale. Il s'agit de réincarner l'intérêt général et la cohésion sociale au sein de la transition. Ceci implique d'arriver à le faire également à l'extérieur de la transition. Je vous remercie de votre attention.
Je vous remercie. Monsieur Géraud Guibert, vous êtes le président de La Fabrique écologique qui a publié un rapport sur l'incitation aux comportements écologiques. Il peut être intéressant d'avoir ce retour d'expérience.
Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre invitation. Nous nous réjouissons beaucoup de cette mission d'information, de la qualité de ses travaux et de sa méthode. Nous aimons beaucoup, à La Fabrique Écologique, les méthodes innovantes et les méthodes de co-construction que l'on met d'ailleurs en œuvre pour nos notes, puisque toutes nos notes ont une phase de co‑construction. Le fait que vous ayez vous-même une méthode de ce type me paraît extrêmement positif.
Pourquoi est-ce un sujet essentiel pour la transition écologique ? Parce que tout le monde reconnaît que l'évolution des comportements représente un tiers de la marge qu'il faut faire pour atteindre l'objectif à l'horizon 2050. Les deux tiers sont des changements structurels, d'infrastructures. Notre sentiment, à La Fabrique Écologique, est qu'une véritable course de vitesse s'engage dans la prochaine décennie entre, d'un côté, le développement nécessaire de l'éthique environnementale, et de ce point de vue, toute une série de dispositifs peuvent l'encourage - j'y reviendrai. De l'autre côté, si cela ne va pas assez vite, inévitablement se posera la question des obligations comportementales, c'est-à-dire des obligations qui pèsent directement sur le consommateur. Elles finiront un jour ou l'autre par s'imposer, si le développement de l'éthique environnementale n'était pas suffisant. C'est pour cela que ce sujet est à notre avis absolument essentiel.
Très rapidement, voici quatre points qui sont directement issus de nos notes. Nous avons en effet beaucoup travaillé sur ces sujets. Nous avons réalisé une note sur les nudges en 2016, ce qui était un peu précurseur. Toutefois, la plupart de nos travaux comportent des volets de propositions d'évolution des comportements. Je reviendrai sur les deux ou trois suggestions que nous faisons. En tout cas, voici quatre recommandations pour que cela marche et que l'on puisse, en termes de politique publique, inciter clairement un comportement. Plusieurs ont déjà été dites.
La première condition est évidemment le sentiment d'injustice. Si vous voulez faire évoluer les comportements mais si au bout du compte cela est considéré comme injuste, vous aurez beaucoup de mal.
La deuxième condition est la transparence. Revenons un instant sur la taxe carbone. Je pense que l'un des éléments qui explique la difficulté qu'il y a eu sur la taxe carbone est la transparence insuffisante sur l'objectif. La transparence est importante quand des mesures d'incitation sont prises.
Le troisième élément est l'absence de confiance à l'égard de l'émetteur. De ce point de vue, plusieurs retours nous ont été faits sur, par exemple, l'isolation des combles à un euro. Il faut bien le dire, ce dispositif utile de rénovation atteint ses limites compte tenu des méthodes utilisées pour essayer de faire avaler aux consommateurs ce type de dispositif.
Le quatrième élément est le sentiment que l'émetteur ne fait pas lui-même des efforts suffisants. Je prendrai l'exemple de la pollution de l'air en région parisienne. Il y a un sujet voiture évident et un sujet diesel évident mais je pense que l'on ne parle pas suffisamment du chauffage au bois qui joue un rôle majeur. Les gens peuvent avoir ce sentiment que l'on se concentre à l'excès sur un segment et que l'on est assez laxiste sur les autres, comme en témoigne d'ailleurs l'absence de mesures cette dernière décennie sur ce sujet.
Pour notre part, le sujet a quand même avancé, en témoigne sa prise en charge par les administrations, même si, honnêtement, elles devraient le faire avancer davantage, au niveau de l'administration centrale et au niveau des collectivités locales. Quelques idées et suggestions importantes dans ce domaine. Vous le savez, on est un think-tank et notre valeur ajoutée est d'essayer d'être innovant. C'est ce que nous essayons de faire sur plusieurs sujets.
La première idée concerne la rénovation des logements. L'une des clés tout à fait insuffisamment expertisée est de donner envie aux gens de rénover leur logement. Des milliards d'euros sont dépensés chaque année pour faire des travaux dans les logements. Si un pourcentage extrêmement réduit était basculé de ces travaux généraux vers des travaux de rénovation énergétique, on aurait avancé considérablement dans la rénovation énergétique des logements. À partir de là, comment donne-t-on envie aux gens ? On donne envie aux gens en permettant qu'un logement rénové soit un élément de valorisation considérable. Nous avons fait dans une note des propositions à ce sujet.
La deuxième idée concerne la pollution de l'air. Nous avons proposé que soit affichée, même dans les abribus, la réalité de la pollution de l'air de l'endroit où l'on vit, avec la signalétique vert, orange et rouge. Nous avons d'ailleurs parlé longuement l'autre jour, dans le cadre d'un dîner-débat pour le Grand Paris où nous étions invités, sur la pollution de l'air. Nous avons le sentiment que si chacun voit le matin, en sortant de chez lui, pour aller au travail ou pour accompagner les enfants à l'école que l'air est orange ou rouge, cela sera une incitation majeure pour peser sur les décideurs et déclencher des actions en la matière. Voilà un deuxième exemple d'incitation indirecte mais qui nous paraîtrait extrêmement utile. Les techniques, aujourd'hui, existent. Je reconnais que c'est un challenge pour les élus de vouloir ce genre de dispositif.
Le troisième élément évident est la publicité. On ne peut plus aujourd'hui avoir un régime permissif en matière de publicité climatique, plus exactement de publicité anti-climatique. Des efforts considérables ont été faits en matière de publicité tabac, des efforts moins considérables mais qui existent en matière de publicité alcool. Nous devons aujourd'hui avoir une réflexion exhaustive sur la façon de mieux encadrer la publicité anti-climatique. Le sujet est ouvert et mérite réflexion.
Le quatrième et dernier élément est l'importance de plus en plus forte de l'articulation entre les pratiques individuelles et les pratiques collectives et donc, le rôle absolument décisif sur toutes les politiques, en particulier locales, en matière de transition écologique, compte tenu du fait que les citoyens se sentent informés, consultés et totalement associés aux décisions prises localement pour la transition énergétique. De ce point de vue, nous avons beaucoup de retard en France sur ce sujet, compte tenu de notre histoire, de notre jacobinisme persistant et de notre manque de confiance à l'égard des citoyens pour trouver ou discuter de solutions. Or, quand vous discutez sur des solutions concrètes, vous passionnez les gens. Les gens ont des choses à dire et vous pouvez mettre en place des solutions innovantes.
Par exemple, je suis assez frappé de voir que se développe assez lentement cette idée que les collectivités locales devraient aider des lignes de covoiturage qui seraient l'équivalent des lignes de transports en commun. Je suis moi-même habitant d'une commune périurbaine. Je vois tous les matins les files de voiture qui vont travailler dans l'agglomération à 15 kilomètres. Je me dis que la collectivité devrait proposer l'équivalent d'une ligne de transports collectifs en covoiturage, avec une aide financière, en partant des besoins de l'utilisateur, c'est-à-dire avec au départ une co-construction avec les utilisateurs. Cela pourrait très bien marcher. C'est ce genre de dispositif qu'il faut inventer, qui commence à se faire mais, à notre avis, à un rythme tout à fait insuffisant. Toutefois, c'est l'une des clés de l'avenir pour la transition écologique. Je vous remercie.
Je propose à Madame Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle coopération d'Enercoop d'intervenir. Enercoop est un système coopératif qui fournit de l'électricité 100 % renouvelable. Il a plus de 42 000 clients, 27 000 sociétaires et 11 coopératives.
. Bonjour à toutes et à tous. Je vous remercie également pour l'invitation. À travers l'exemple d'Enercoop, je vais insister sur l'idée qu'à notre sens, le soutien aux démarches citoyennes et coopératives de transition énergétique est une condition indispensable à sa réussite. De ce point de vue, je m'associe à ce que disait Géraud Guibert sur la méthode de travail de votre mission d'information et comme tout le monde ici, je tiens à la saluer.
Enercoop, vous l'avez dit, est un fournisseur d'électricité qui a été créé en 2005 au moment de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité, avec cette idée centrale qui est au cœur de notre projet, permettre aux citoyens de se réapproprier la transition énergétique et d'en être acteurs, à travers notamment leurs factures d'électricité et les choix qu'ils font en matière de financement de l'électricité à travers leur consommation.
Notre entreprise a plusieurs spécificités. La première, c'est notre offre en électricité puisque nous fournissons, chez Enercoop, une offre d'énergie 100 % renouvelable souscrite en contrat direct avec les producteurs d'énergies renouvelables, ce qui est une vraie différence avec la plupart de nos concurrents qui achètent l'électricité sur le marché de gros et y accolent des garanties d'origine. Ce sont des certificats financiers qui permettent aujourd'hui dans la réglementation de se prévaloir d'une offre "verte" et qui, pour autant, ne garantissent pas la traçabilité de l'électricité achetée physiquement au producteur. Nous, nous le faisons.
Notre deuxième spécificité, c'est d'être une coopérative, mais pas n'importe quelle coopérative puisque nous sommes une SIC (société coopérative d'intérêt collectif). Elle a un statut que l'on dit innovant mais plus les années passent, moins il l'est. En tout cas, il reste innovant dans sa philosophie. L'idée de la SIC est d'associer comme coopérateurs différentes parties prenantes. Dans notre cas, ce sont les différentes parties prenantes de la chaîne énergétique qui sont sociétaires : les consommateurs, les clients, les producteurs, les salariés de la coopérative, les partenaires et les collectivités territoriales. En effet, la spécificité des SIC, c'est que les collectivités peuvent être sociétaires au même titre que les personnes privées ou publiques. L'idée est donc de regrouper des personnes et des catégories qui, a priori, pourraient avoir des intérêts qui ne sont pas les mêmes pour les dépasser et construire l'intérêt collectif autour des questions énergétiques.
Enfin, nous sommes un réseau de coopératives avec une coopérative nationale historique et dix coopératives locales dans les régions. Notre enjeu, en tant que modèle Enercoop, est aussi de permettre un ancrage territorial qui permet une mise en lien des producteurs, des consommateurs, des partenaires, au plus près des territoires pour développer localement la transition énergétique.
Pour remettre à jour les chiffres que vous avez cités, Enercoop, c'est aujourd'hui 70 000 clients sur l'ensemble du territoire national, un réseau de 38 000 sociétaires, 47 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 240 producteurs avec lesquels nous contractualisons sur tout le territoire.
Nos enjeux sont de sensibiliser les citoyens au fait qu'ils peuvent être acteurs de la transition énergétique et d'avoir un impact accru sur le développement des énergies renouvelables, et en particulier, les énergies renouvelables citoyennes - je vais y revenir tout à l'heure. C'est pour cela qu'il y a bien dans Enercoop l'idée, à travers ces contrats directs, de pouvoir soutenir davantage les producteurs d'énergies renouvelables. Nous proposons aujourd'hui un certain nombre de tarifs de soutien, à des prix bien plus élevés que ceux pratiqués aujourd'hui sur le marché de l'électricité, pour permettre à des projets de production d'énergies renouvelables que nous appelons "exemplaires", portés par des citoyens ou des collectivités locales, de se développer. Ainsi, des projets qui ne pouvaient pas bénéficier des mécanismes de soutien public ont pu voir le jour à travers ces tarifs de soutien proposés par Enercoop.
Pour citer quelques-uns de nos enjeux, sur lesquels nous pensons qu'un certain nombre d'évolutions ou de réglementations, notamment de la part des pouvoirs publics, pourraient être utile. Le premier sujet, ce sont les aspects d'amélioration de la transparence et de l'information sur le marché de l'électricité. Aujourd'hui, le marché de l'électricité est de plus en plus concurrentiel. On a aujourd'hui près d'une quarantaine de fournisseurs d'électricité et six nouveaux sont arrivés cette année. De plus en plus d'offres sont présentées comme des offres vertes, sans la possibilité pour le consommateur de pouvoir vraiment distinguer ce qui relève d'une offre comme la nôtre, c'est-à-dire une offre dont on peut garantir la traçabilité. En effet, il est également possible aujourd'hui pour un fournisseur d'électricité de s'approvisionner sur le marché de l'ARENH (accès régulé à l'énergie nucléaire historique) qui est l'obligation faite à EDF de rendre accessible à ses concurrents une partie de son approvisionnement nucléaire, à des prix beaucoup plus compétitifs, d'y apposer des garanties d'origine et de la présenter comme une offre verte.
Pour nous, c'est un vrai sujet de problème de transparence vis-à-vis du consommateur qui pense de bonne foi soutenir la transition énergétique à travers sa facture d'électricité mais ne va pas pouvoir faire la différence entre les offres. De la même manière, il ne peut pas vraiment voir aujourd'hui quelles sont les offres qui auront un impact plus ou moins important sur le développement de nouveaux projets d'énergies renouvelables.
Aujourd'hui, l'ADEME a rendu un avis sur cette différence entre les offres vertes et réfléchit à la mise en place d'un label pour mieux distinguer les offres premium, comme l'offre d'Enercoop, d'autres offres. Nous considérons qu'il est important que les pouvoirs publics s'emparent également de cette question. D'ailleurs, la DGEC est sensibilisée à la question et de nombreuses réflexions sont en cours. Si on veut permettre une véritable modification des pratiques et des comportements des citoyens, il faut qu'ils puissent bénéficier de toutes les informations pour leur permettre de se comporter de la manière la plus éclairée possible sur leurs choix de consommation, notamment à travers leur facture d'électricité.
Le deuxième point, c'est la question du développement des énergies renouvelables citoyennes. Enercoop et le mouvement Énergie partagée, que nous avons créé, un fond d'investissement et de collecte des épargnes citoyennes pour financer des projets d'énergies renouvelables. Nous considérons qu'il y a un vrai enjeu à ce que des projets détenus, soit à majorité de capital soit avec une minorité de blocage, par des collectifs citoyens ou par des collectivités locales, puissent se développer. C'est un élément extrêmement important sur l'appropriation des projets d'énergies renouvelables sur les territoires.
Lorsque des projets sont portés par des citoyens, depuis la conception même du projet, le choix de la localisation, etc., ils sont acceptés avec beaucoup moins de recours et les retombées locales en termes de développement, d'emploi, de dynamique de mobilisation à la transition sont beaucoup plus importantes. Les projets détenus par des fonds d'investissement, des acteurs privés lucratifs n'ont pas nécessairement le même impact sur le territoire. Il y a donc pas mal de choses à faire aujourd'hui pour développer ces énergies citoyennes. Nous portons beaucoup l'idée qu'il puisse y avoir une planification d'objectifs de création et de développement d'énergies citoyennes.
Ce sujet n'est pas uniquement national. Il est aujourd'hui européen. Certains pays, comme les Pays Bas ont un objectif dans leur trajectoire énergétique que 50 % des projets d'énergies renouvelables soient détenus pour partie par des citoyens. Nous aimerions au niveau de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), que l'on puisse avoir une trajectoire d'énergies citoyennes.
Par ailleurs, dans le paquet « Énergie propre » au niveau européen, est apparue la notion de communauté d'énergies citoyennes qu'il va falloir à présent retranscrire dans le droit français. Vous serez saisis en tant que parlementaires sur cette retranscription. Une consultation sera ouverte par la DGEC. Pour nous, ces communautés énergétiques citoyennes sont un élément important pour soutenir des démarches citoyennes et coopératives sur les territoires, pour développer cet investissement, ce soutien des citoyens, avec derrière, un vrai vecteur de modification des pratiques sociales. C'est aussi un enjeu sur les économies d'énergie. Un certain nombre d'études démontrent qu'aujourd'hui, quand des citoyens sont sociétaires ou investissent dans des démarches comme celles-ci, ils sont beaucoup plus sensibles à la problématique de la maîtrise de l'énergie, des consommations d'énergie.
C'est un système global pour faire progresser et réussir cette transition énergétique.
Je vous remercie. Merci à toutes et à tous. Monsieur le rapporteur et moi-même avons plusieurs questions. Pour ma part, j'en ai tout d'abord deux.
Monsieur Martin, vous qui avez touché du doigt le sujet sur le projet que vous avez mené auprès de 1 500 élèves. Les ministres se sont rendus en début d'année dans une école des Yvelines pour lancer un concours d'économie d'énergie. Pour vous, quel est le rôle que devrait jouer le modèle éducatif pour mieux sensibiliser les élèves, ils sont les citoyens de demain, à l'évolution des comportements dans le cadre d'une transition énergétique ?
La deuxième question est un peu déliée. L'évolution technologique est parfois un frein même à la transition énergétique. On a le cas concret avec les compteurs Linky qui, en vérité, irritent parfois nos concitoyens. On pourrait rencontrer la même situation demain avec Gazpark qui est un peu le pendant de Linky sur le gaz. Comment, selon vous, pouvons-nous aider au mieux les ménages à tirer profit de ces outils pour maîtriser au mieux leur consommation d'énergie ?
Je vous remercie pour vos contributions qui sont très pertinentes et claires. Il y a beaucoup de réflexion derrière, beaucoup de travail.
Mes questions vont partir du terrain. Je suis député dans le département du Pas-de-Calais, un territoire urbain mais aussi très rural, avec beaucoup de développement éolien et de méthanisation, avec des problèmes d'acceptabilité qui sont un peu différents.
Tout d'abord, sur l'éolien, on a, au début, passé un cap qui a permis une certaine acceptabilité, avec un fort développement. Aujourd'hui, on arrive à un phénomène de saturation. On commence à voir apparaître certaines résistances, là où il n'y en avait pas auparavant. Je trouve que l'on n'est pas très bien équipé, que l'on n'a pas très bien travaillé le sujet. À une époque, on avait la définition de zones de développement éolien qui nous permettait d'avoir une discussion avec la population pour voir si c'était ou non pertinent. On a fait sauter cela. Aujourd'hui, le développement un peu anarchique. Moi qui l'ai beaucoup encouragé, je suis obligé à présent de prendre en compte ce problème.
Nous sommes allés au Danemark. Nous avons vu que la participation citoyenne dans les investissements est à un niveau très élevé. Nous sommes allés sur l'île de Samsø qui est autonome et qui a conscience de ses besoins en termes d'éolien. Quasiment 100 % des éoliennes sont la propriété des citoyens.
En France, on a des mécanismes pour le faire. Nous avons créé sur mon territoire des sociétés d'économie mixte - je pense qu'Enercoop en fait partie. Toutefois, c'est tellement long que lorsqu'on arrive pour investir sur le territoire, tous les terrains ont déjà été préemptés par les investisseurs et il n'y a plus de place pour l'investissement citoyen. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
Le deuxième aspect est la méthanisation. J'ai une circonscription de 294 communes essentiellement rurales, mais avec différents types de ruralité. Sur la partie très rurale du territoire, on implante des méthaniseurs et tout se passe bien. Plus on se rapproche de l'agglomération, plus apparaissent des zones de résistance très organisées, avec un discours très structuré mais pas du tout rationnel sur les dangers de la méthanisation, les risques d'explosion et de pollution, etc. Je ne sais pas si vous avez regardé cela de près.
Voilà mes interrogations très pragmatiques.
Sur la question du rôle que doit jouer le système éducatif, notre parti pris depuis le début est de dire que l'on ne peut pas faire de la sensibilisation en étant prescripteur de ce qui doit être fait. Cela est très confrontant quand on va vers le public. En revanche, expliquer les racines du problème et donner les bons ordres de grandeur permet ensuite aux citoyens de faire des changements de mode de vie en connaissance de cause. À l'inverse, si on n'a pas une bonne photographie de la situation, il y a de bonnes chances que l'on mette en place des solutions qui ne soient pas cohérentes par rapport au temps long.
L'un de nos objectifs, c'est de former tout le monde à réaliser son bilan carbone et à comprendre ce qu'est un bilan carbone, quels sont les grands ordres de grandeurs pour que, lors de n'importe quel choix de consommation au quotidien, on identifie cela. Quand je parlais de budget carbone, c'est de cette idée.
Nous avons développé un outil qui s'appelle Micmac (mon impact carbone-mes action concrètes). Il est disponible en open source sur le site de l'association, je pourrais vous faire parvenir les liens. Nous nous appuyons sur ces outils pour les projets dans les écoles primaires, les collèges et les lycées. On sait que sur le tri des déchets, l'un des facteurs qui a permis la diffusion du tri, c'est d'avoir formé les enfants qui allaient ensuite casser les pieds à leurs parents. Ici, l'objectif est le même : former les élèves et les étudiants à faire le bilan carbone de leur foyer afin qu'ils aillent ensuite faire des suggestions à leurs parents pour réduire leur consommation carbone. On retrouve la notion de comportement social. L'élève va en effet se comparer avec ses camarades de classe. Certes, celui qui aura le plus grand bilan carbone ne sera pas pointé du doigt mais il ne sera pas à l'aise. L'autre élément est de comprendre les mécanismes. Pour la compréhension du système climatique, on s'appuie sur des outils qui ont été développés par une association, La Fresque du climat. Ils permettent en une heure de comprendre ce que sont les gaz à effet de serre, les raisons pour lesquels ils réchauffent le climat, d'où ils proviennent. Ce sont des choses pédagogiques que tout le monde peut faire. Quand on est public de cette activité une fois, on est capable de l'animer. Elle a donc un effet démultiplicateur très important.
Notre association n'a aucun salarié. Elle n'est constituée que de bénévoles, nous nous appuyons uniquement sur des outils open source. Le but est de former des gens afin qu'ils diffusent ces outils.
J'apporterai un éclairage comportemental sur ce sujet du rôle stratégique de la jeunesse dont je ne pense pas qu'il faille vous en convaincre. Juste deux compléments. Le premier a trait au fait que les comportements, il est plus facile de les ancrer, d'éduquer que de les changer. Plus on intervient tôt, mieux cela sera. Le deuxième point rejoint parfaitement ce qu'a dit Guillaume Martin. Il y a quelque chose que l'on appelle l'effet messager. La personne qui nous dit quelque chose est déterminante sur la conviction que l'on peut porter avec. La jeunesse, sur ces sujets d'intérêts généraux où les adultes ne sont pas particulièrement pointus, c'est quelque chose qui marche particulièrement bien. C'est vrai pour l'environnement, c'est vrai pour la santé publique et c'est aussi vrai pour la sécurité routière.
Quelques réactions, Monsieur Duvergé, par rapport à vos questions sur les énergies renouvelables.
Les projets citoyens nécessitent des conditions et des soutiens différents d'un projet « classique » porté par les plus gros investisseurs. La constitution de la capitalisation est différente parce que cela va essentiellement sur de l'épargne et de la mobilisation citoyennes, avec des enjeux de rémunération derrière ne seront pas les mêmes car ce sont des projets dont la profitabilité n'est pas l'objectif premier. Et puis, il y a un certain nombre de coûts liés à la consultation, à l'accompagnement à la mobilisation citoyenne qui sont des coûts qui n'existent pas dans les projets traditionnels. Je pourrais vous envoyer la liste des propositions pour faciliter cette dynamique.
Je citerai deux choses, notamment parce l'une d'elles est d'actualité. Je voudrais attirer votre attention sur un projet de modification d'un arrêté qui a été discuté au Conseil supérieur de l'énergie hier. Il modifie les conditions d'accès à ce que l'on appelle au guichet ouvert de l'éolien, c'est-à-dire les conditions de financement des projets d'éolien qui ne nécessitent pas de passer par un appel d'offres. Il y a actuellement un projet de modification des conditions d'éligibilité au guichet ouvert qui aura pour conséquence une restriction.
Un certain nombre de projets citoyens vont être sortis du guichet ouvert et vont devoir passer par des logiques d'appels d'offres, ce qui est extrêmement compliqué pour des projets citoyens. De fait, par rapport aux coûts de mobilisation, on ne peut pas rivaliser de la même manière que les plus gros investisseurs. On essaie donc de sensibiliser les modifications de cet arrêté et je pourrai, là aussi, vous donner des éléments.
Je voudrais aussi insister sur un partenariat très important pour nous avec le monde agricole, notamment sur l'accès au foncier. Nous travaillons avec le réseau Terre de lien, que vous devez connaître, qui permet l'appropriation collective d'un certain nombre de terres. Il y a notamment un projet, la ferme d'Ambricourt, qui est située dans le Pas-de-Calais où il y a eu un vrai partenariat. Ce n'est pas, dans ce cas, de l'éolien mais du photovoltaïque, mais la démarche est la même. Je crois que ces acteurs, dans le monde rural sont essentiels pour permettre le développement des énergies citoyennes.
C'est un peu la même chose pour la méthanisation. Tous les projets de méthanisation ne se valent pas. Certains projets peuvent avoir des conséquences négatives sur l'environnement, à un certain volume. Enercoop expérimente le lancement d'une offre biogaz autour d'un projet de méthanisation dans le sud de la France. C'est un projet citoyen monté avec des agriculteurs dans une démarche d'appropriation collective et coopérative. Nous pensons que la valorisation de ces bons exemples est aussi une manière de faire évoluer les mentalités et de mettre l'accent sur les projets à dynamique et retombées locales positives.
Sur Linky, ma conviction personnelle, c'est que l'argument du développement de l'autoconsommation et du rôle de Linky sur l'autoconsommation n'est pas suffisamment souligné. Or, c'est l'outil important pour développer l'autoconsommation dans de bonnes conditions. Cet argument devrait être davantage souligné parce que l'on est sur une dynamique, en principe parce qu'il y a encore beaucoup de facteurs qui gênent l'autoconsommation qui est une voie d'avenir. Cela intéresse et mobilise beaucoup de gens, y compris ceux qui sont sensibles à des argumentaires sur le sujet de Linky. Je pense que cet élément est important, y compris dans le fait de profiter ensuite de Linky dans de bonnes conditions.
Sur les problèmes d'acceptabilité que vous avez évoqués sur l'éolien et la méthanisation, notre sentiment - nous avons fait plusieurs travaux - c'est que l'on a, en France, un vrai sujet de décentralisation énergétique. Je vais vous donner quelques exemples.
Aujourd'hui, vous avez une planification pluriannuelle de l'énergie qui ne prend absolument pas en compte les décisions des régions en matière de développement énergétique. Nous avons fait des propositions, y compris d'un tarif régional pour un certain nombre d'énergies renouvelables, financé par un supplément régional sur la facture d'électricité. On souhaite que ce genre de proposition soit expertisée, analysée. On est prêt à venir en parler. Il nous semble que c'est l'une des conditions majeures, presque la condition majeure, pour que les projets soient acceptés. Concrètement, il faut impliquer les citoyens, les collectivités locales, etc. dès le départ dans les projets pour qu'ils se passent dans de bonnes conditions, pour que les gens y aient un intérêt, pour que les gens puissent y adhérer. C'est malheureusement ce travail qui n'est pas suffisamment encore fait dans notre pays, à notre avis, largement pour des raisons de gouvernance.
Notre sentiment est que nous n'avons pas encore tiré toutes les conséquences, du fait que, quoique l'on en dise – je ne prends pas parti sur les sujets d'énergies centralisées –l'avenir, c'est le développement d'énergies décentralisées. On ne peut pas faire autrement. C'est l'ensemble du monde qui fait comme cela. Imaginez que nous fassions différemment et que nous décidions de nous confier uniquement sur des énergies centralisées. Ce n'est pas possible. L'avenir est dans les énergies décentralisées, ce qui veut donc dire, une certaine décentralisation des systèmes énergétiques. À notre avis, cette décentralisation n'est pas suffisante. Dans les textes, elle est assez bonne puisque les collectivités locales ont le droit de faire beaucoup de choses, les projets citoyens ont le droit de se faire. La réalité, quand on décrit très précisément les mécanismes de gouvernance, n'est pas tout à fait celle-ci.
Je souhaite apporter deux éléments.
En ce qui concerne la question des EnR, les enquêtes d'opinion montrent qu'elles sont très corrélées au gain écologique et mais pas du tout au gain en termes de développement local ni aux aspects géostratégiques, d'indépendance énergétique et delimitation des risques de guerres et de conflits. Peut-être la communication doit-elle être renforcée sur ce point pour montrer qu'il ne s'agit pas uniquement d'une bonne action mais que l'on y a aussi des intérêts très nets.
Pour ce qui est des jeunes, je ne voudrais pas que l'on reproduise sur la jeunesse les erreurs que l'on pourrait faire globalement sur l'individu lui-même, à savoir leur faire porter l'intégralité de la charge de sauver la planète. Nous avons fait dans l'enquête sur le changement climatique un focus spécifique sur les jeunes. Il apparaît que s'ils sont moins climato-sceptiques, ils sont moins vertueux que leurs aînés, sauf en matière de mobilité, d'une part pour des raisons de coûts - ils n'ont pas les moyens d'avoir une voiture - d'autre part, parce que culturellement, ils sont plus ouverts aux mobilités douces et au covoiturage. On retrouve au sein de la jeunesse les mêmes fractures que dans l'ensemble de la société. S'il y a un intérêt stratégique à travailler sur la jeunesse spécifiquement, le meilleur levier est l'exemplarité des générations précédentes, sachant que dans les enquêtes qualitatives, ils expriment très clairement qu'ils ne veulent pas être les seuls à payer cette facture. Moralement, on ne peut pas rejeter la responsabilité et l'intégralité des efforts à faire sur les générations futures. C'est bien tout l'objet de toutes ces questions environnementales.
Je vous remercie. Je voudrais interroger Monsieur Giraud, de la DITP sur les nudges verts. Vous avez réalisé un rapport cette année sur les nudges verts et aucun n'est en rapport avec la sobriété énergétique, les économies d'énergie. Pourquoi y a-t-il des effets pervers dans les nudges verts ? Avant d'écouter votre réponse, je laisse la parole à Bruno Duvergé pour ses dernières questions.
Ma question est issue de ce que vous avez dit sur l'être social. J'entends que vous préconisez de regarder l'être social plutôt que l'individu Or, on a l'impression aujourd'hui que l'être social s'individualise. L'individualisme augmente de façon exponentielle, notamment avec cette puissance de communication individuelle au monde entier. Cela paraît s'opposer à vos recommandations. Vous l'avez dit, on ne peut pas non plus considérer l'être comme un surhomme cartésien. Il est difficile aujourd'hui d'y voir clair dans toutes ces notions. Chacun se regarde lui-même et ce que la société lui apporte à lui-même. Or, toutes les notions que nous développons ici sont plutôt des notions de société. J'aimerais vous entendre sur ce point.
S'agissant du rôle des réseaux sociaux, Facebook a fait des expériences. Suivant le type d'images suggérées, on avait plus ou moins tel comportement. Y a-t-il des choses à étudier là-dessus ?
En ce qui concerne les nudges, je l'ai clairement évoqué tout à l'heure, il y a un effet de hasard sur les exemples qui sont cités dans le rapport. Mais, je le disais, quantité d'expérimentations qui ont pu être menées de par le monde ont trait à la transition énergétique. Il n'y a pas de contraintes particulières sur ce sujet. Sur les limites, il s'agit avant tout d'avoir une approche comportementale globale qui ne se contente pas de se focaliser sur la solution, qui serait la nouvelle martingale qui viendrait tout résoudre. Il s'agit d'appréhender les choses dans leur globalité et le faire avec une certaine forme de rigueur.
La principale limite des nudges est qu'ils ont vocation à être testés en termes d'efficacité, efficacité dans des contextes, efficacité dans la durée. Il faut surtout éviter de dire que c'est l'Alpha et l'Omega des solutions sur ce volet comportemental. Je le redis, on est, pour moi, sur des approches à géométrie variable qui parfois ont intérêt à s'intéresser au comportement individuel, parfois au comportement social. Sur le chauffage au bois, on va clairement s'intéresser à des comportements individuels. On s'efforce de faire quelque chose le plus rigoureux possible. Cette rigueur inclut aussi, c'est un aspect important de la démarche nudge s, de s'intéresser à la partie éthique, à savoir être vraiment sur des problématiques de passage à l'acte et ne pas essayer de faire le bonheur des gens malgré eux. Voilà pour les principaux réflexes que l'on s'efforce d'avoir sur ces nudges. En tout cas, il n'y a aucune problématique spécifique technique sur le sujet de la transition énergétique. C'est une approche qui peut s'y prêter.
J'en profite pour rebondir sur la notion d'exemplarité. On parlait des jeunes, de leur aspect stratégique, il y a aussi un autre univers qui, pour moi, a vocation à avoir un rôle d'exemplarité, ce sont les pouvoirs publics, en s'emparant de ces méthodes de manière rigoureuse, en le faisant aussi dans la manière dont fonctionnent les décideurs publics. Quand on parle de ces biais cognitifs, on essaie aussi de sensibiliser les décideurs publics à leur existence et au fait que leurs manières de fonctionner et de prendre des décisions peuvent aussi être affectées par ces phénomènes.
L'exemplarité, c'est aussi au niveau des agents. Il convient de faire en sorte que nos agents publics s'emparent de ces méthodes, ce qui leur permet de les diffuser dans la sphère privée, parce qu'un agent public, c'est aussi un être humain qui, quand on l'intéresse à ces enjeux comportementaux, peut être amené à les transposer dans la sphère privée. C'est aussi une occasion pour eux de retrouver des marges de manœuvre. Utiliser ces méthodes, les sensibiliser à ces enjeux est aussi une manière de redonner du sens aux métiers et aux pratiques des agents publics.
Il y a différentes couches qui visent différentes réalités. L'individualisme, en synonyme d'égoïsme, et l'individuation de la société, qui est une forme de désinstitutionalisation, sont deux choses un peu différentes. Pour ce qui est de la désinstitutionalisation, c'est bien tout le problème de gouvernance actuel : les organes qui permettaient d'organiser le social et de le conduire sont dans une crise de confiance et de défiance. Ce n'est pas définitif et l'une des manières est de s'appuyer sur des corps intermédiaires plus ou moins constitués, comme les associations ou la société civile. D'où l'intérêt de ne pas leur mettre le couteau sous la gorge et de continuer à les faire vivre - ils ont en effet une capacité d'entraînement et de représentation - et de laisser advenir des collectifs plus éphémères (collectifs de riverains, porte-paroles, communauté internet). Il s'agit vraiment de s'appuyer sur d'autres émergences de corps intermédiaires. Un certain nombre de dispositifs politiques permet de continuer à donner un cap et une direction. Ce qui est sûr, c'est que quel que soit le niveau d'individuation de la société ou d'égoïsme, l'individu est de toute façon un être social pris dans un faisceau de contraintes sociales et matérielles. Qu'il en soit conscient ou non, il sera déterminé par ce qu'il a comme offre commerciale dans son supermarché et comme offre d'infrastructures autour de chez lui. Il y a donc une action à faire sur les aménagements, les dispositifs, la régulation de la sphère économique qui va cadrer les agir, aussi individuels ou égoïstes soient-ils. De toute manière, cela ne dispense pas de tenter de le faire.
Pour revenir sur la question de l'acceptabilité des projets, vous avez cité des projets en lien avec les énergies renouvelables, notamment l'électricité. Encore une fois, c'est une partie du sujet. Je pense que cette question d'acceptabilité est valable pour toute politique publique et pour toute politique d'aménagement. L'un des facteurs, c'est la compréhension du problème. Quand on a électrifié la France, personne ne s'est opposé à l'installation des pylônes électriques. Aujourd'hui, nous sommes habitués à voir ces pylônes. On avait conscience des enjeux et on savait ce que l'électricité allait pouvoir nous apporter.
Quand la France aura vraiment compris les enjeux qui sont devant nous d'un point de vue transition écologique et transition énergétique, l'acceptabilité des projets de méthanisation, par exemple, qui est une alternative au carburant fossile sera tout autre. On reboucle en fait sur cette question de former les gens et leur faire comprendre l'urgence du problème.
À une nuance près : quand on a mis des pylônes partout en France, les moyens d'expression et de contestation étaient beaucoup plus restreints que ceux que nous avons aujourd'hui du fait du développement numérique, entre autres.
Une toute dernière chose. Les dernières recherches en psychologie montrent que le bonheur est extrêmement déterminé au sens que l'on peut donner à ses actions et à son existence. Les gens sont capables de renoncer à un bien-être dès lors qu'ils ont un gain en termes de sens. La transition est riche de sens à donner et permet de dépasser les individualités et les égoïsmes.
Ce sera la conclusion de notre table ronde matinale. Je vous remercie pour avoir répondu présents, pour votre participation, vos présentations, vos avis et je vous remercie d'avoir répondu à nos questions. Nous restons disponibles si vous avez d'autres éléments à nous faire parvenir. Quand, Monsieur le rapporteur, le rapport sera-t-il prêt ?
L'audition s'achève à douze heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique
Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 11 heures
P résents. - M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton
Excusé. - M. Christophe Bouillon