Intervention de Géraud Guibert

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 11h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Géraud Guibert, président de La Fabrique Écologique :

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre invitation. Nous nous réjouissons beaucoup de cette mission d'information, de la qualité de ses travaux et de sa méthode. Nous aimons beaucoup, à La Fabrique Écologique, les méthodes innovantes et les méthodes de co-construction que l'on met d'ailleurs en œuvre pour nos notes, puisque toutes nos notes ont une phase de co‑construction. Le fait que vous ayez vous-même une méthode de ce type me paraît extrêmement positif.

Pourquoi est-ce un sujet essentiel pour la transition écologique ? Parce que tout le monde reconnaît que l'évolution des comportements représente un tiers de la marge qu'il faut faire pour atteindre l'objectif à l'horizon 2050. Les deux tiers sont des changements structurels, d'infrastructures. Notre sentiment, à La Fabrique Écologique, est qu'une véritable course de vitesse s'engage dans la prochaine décennie entre, d'un côté, le développement nécessaire de l'éthique environnementale, et de ce point de vue, toute une série de dispositifs peuvent l'encourage - j'y reviendrai. De l'autre côté, si cela ne va pas assez vite, inévitablement se posera la question des obligations comportementales, c'est-à-dire des obligations qui pèsent directement sur le consommateur. Elles finiront un jour ou l'autre par s'imposer, si le développement de l'éthique environnementale n'était pas suffisant. C'est pour cela que ce sujet est à notre avis absolument essentiel.

Très rapidement, voici quatre points qui sont directement issus de nos notes. Nous avons en effet beaucoup travaillé sur ces sujets. Nous avons réalisé une note sur les nudges en 2016, ce qui était un peu précurseur. Toutefois, la plupart de nos travaux comportent des volets de propositions d'évolution des comportements. Je reviendrai sur les deux ou trois suggestions que nous faisons. En tout cas, voici quatre recommandations pour que cela marche et que l'on puisse, en termes de politique publique, inciter clairement un comportement. Plusieurs ont déjà été dites.

La première condition est évidemment le sentiment d'injustice. Si vous voulez faire évoluer les comportements mais si au bout du compte cela est considéré comme injuste, vous aurez beaucoup de mal.

La deuxième condition est la transparence. Revenons un instant sur la taxe carbone. Je pense que l'un des éléments qui explique la difficulté qu'il y a eu sur la taxe carbone est la transparence insuffisante sur l'objectif. La transparence est importante quand des mesures d'incitation sont prises.

Le troisième élément est l'absence de confiance à l'égard de l'émetteur. De ce point de vue, plusieurs retours nous ont été faits sur, par exemple, l'isolation des combles à un euro. Il faut bien le dire, ce dispositif utile de rénovation atteint ses limites compte tenu des méthodes utilisées pour essayer de faire avaler aux consommateurs ce type de dispositif.

Le quatrième élément est le sentiment que l'émetteur ne fait pas lui-même des efforts suffisants. Je prendrai l'exemple de la pollution de l'air en région parisienne. Il y a un sujet voiture évident et un sujet diesel évident mais je pense que l'on ne parle pas suffisamment du chauffage au bois qui joue un rôle majeur. Les gens peuvent avoir ce sentiment que l'on se concentre à l'excès sur un segment et que l'on est assez laxiste sur les autres, comme en témoigne d'ailleurs l'absence de mesures cette dernière décennie sur ce sujet.

Pour notre part, le sujet a quand même avancé, en témoigne sa prise en charge par les administrations, même si, honnêtement, elles devraient le faire avancer davantage, au niveau de l'administration centrale et au niveau des collectivités locales. Quelques idées et suggestions importantes dans ce domaine. Vous le savez, on est un think-tank et notre valeur ajoutée est d'essayer d'être innovant. C'est ce que nous essayons de faire sur plusieurs sujets.

La première idée concerne la rénovation des logements. L'une des clés tout à fait insuffisamment expertisée est de donner envie aux gens de rénover leur logement. Des milliards d'euros sont dépensés chaque année pour faire des travaux dans les logements. Si un pourcentage extrêmement réduit était basculé de ces travaux généraux vers des travaux de rénovation énergétique, on aurait avancé considérablement dans la rénovation énergétique des logements. À partir de là, comment donne-t-on envie aux gens ? On donne envie aux gens en permettant qu'un logement rénové soit un élément de valorisation considérable. Nous avons fait dans une note des propositions à ce sujet.

La deuxième idée concerne la pollution de l'air. Nous avons proposé que soit affichée, même dans les abribus, la réalité de la pollution de l'air de l'endroit où l'on vit, avec la signalétique vert, orange et rouge. Nous avons d'ailleurs parlé longuement l'autre jour, dans le cadre d'un dîner-débat pour le Grand Paris où nous étions invités, sur la pollution de l'air. Nous avons le sentiment que si chacun voit le matin, en sortant de chez lui, pour aller au travail ou pour accompagner les enfants à l'école que l'air est orange ou rouge, cela sera une incitation majeure pour peser sur les décideurs et déclencher des actions en la matière. Voilà un deuxième exemple d'incitation indirecte mais qui nous paraîtrait extrêmement utile. Les techniques, aujourd'hui, existent. Je reconnais que c'est un challenge pour les élus de vouloir ce genre de dispositif.

Le troisième élément évident est la publicité. On ne peut plus aujourd'hui avoir un régime permissif en matière de publicité climatique, plus exactement de publicité anti-climatique. Des efforts considérables ont été faits en matière de publicité tabac, des efforts moins considérables mais qui existent en matière de publicité alcool. Nous devons aujourd'hui avoir une réflexion exhaustive sur la façon de mieux encadrer la publicité anti-climatique. Le sujet est ouvert et mérite réflexion.

Le quatrième et dernier élément est l'importance de plus en plus forte de l'articulation entre les pratiques individuelles et les pratiques collectives et donc, le rôle absolument décisif sur toutes les politiques, en particulier locales, en matière de transition écologique, compte tenu du fait que les citoyens se sentent informés, consultés et totalement associés aux décisions prises localement pour la transition énergétique. De ce point de vue, nous avons beaucoup de retard en France sur ce sujet, compte tenu de notre histoire, de notre jacobinisme persistant et de notre manque de confiance à l'égard des citoyens pour trouver ou discuter de solutions. Or, quand vous discutez sur des solutions concrètes, vous passionnez les gens. Les gens ont des choses à dire et vous pouvez mettre en place des solutions innovantes.

Par exemple, je suis assez frappé de voir que se développe assez lentement cette idée que les collectivités locales devraient aider des lignes de covoiturage qui seraient l'équivalent des lignes de transports en commun. Je suis moi-même habitant d'une commune périurbaine. Je vois tous les matins les files de voiture qui vont travailler dans l'agglomération à 15 kilomètres. Je me dis que la collectivité devrait proposer l'équivalent d'une ligne de transports collectifs en covoiturage, avec une aide financière, en partant des besoins de l'utilisateur, c'est-à-dire avec au départ une co-construction avec les utilisateurs. Cela pourrait très bien marcher. C'est ce genre de dispositif qu'il faut inventer, qui commence à se faire mais, à notre avis, à un rythme tout à fait insuffisant. Toutefois, c'est l'une des clés de l'avenir pour la transition écologique. Je vous remercie.

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