Intervention de Guillaume Martin

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 11h00
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Guillaume Martin, administrateur bénévole, association Avenir Climatique :

Avenir climatique est une association qui est née il y a onze ans avec pour objectif de faire des enjeux climatiques une priorité nationale. L'idée est de prendre des personnes déjà sensibilisées et de les transformer en ce que l'on appelle vulgairement des « poils à gratter sociétaux » capables de convaincre leurs amis, leurs grands-mères, leurs chefs d'entreprise ou leurs élus de s'occuper du climat, parce que c'est une priorité.

On a développé un certain nombre d'outils qui sont en open source ainsi qu'une conférence et un cours vidéo en ligne. Nous proposons également des réflexions sur la manière de faire porter un message, de parler en public, de débattre et d'argumenter. C'est pour cela que nous expérimentons aussi les changements de comportement avec Thibaud Griessinger, cité précédemment par mon voisin.

Nous avons lancé cette année deux projets. Le premier s'appelle Edu-climat. Il a pour but d'outiller les professeurs de l'école primaire, du collège et du lycée à parler de ces enjeux en classe. Nous sommes surpris de l'engouement suscité. Plus de 300 professeurs qui nous ont rejoints et ont sensibilisé en une année 1 500 élèves. Le second projet s'appelle « approche comportementale de la transition écologique ». Il a été initié en partenariat avec les chercheurs en sciences cognitives. L'objectif est d'identifier avec des recherches-actions quels sont les bons leviers à utiliser pour faire changer les usages.

Pour répondre à la question posée par cette table ronde, on identifie trois freins :

– le premier est la nécessité de former massivement et beaucoup plus rapidement l'ensemble des citoyens à ces enjeux qui sont complexes ;

– le deuxième est le manque de cohérence entre le discours de sensibilisation de certains acteurs sur le terrain et la réalité du monde, la réalité des politiques menées, à l'échelle nationale ou locale ;

– le troisième, le nerf de la guerre, est les moyens en général et la priorité politique que l'on peut donner à ces sujets.

Pour ce qui est du sujet autour de la formation, qui est le cœur de métier d'Avenir climatique, pour que le citoyen s'embarque dans la transition, il faut qu'il sache pourquoi et comment. Le citoyen n'est pas différent des autres personnes constitutives de la société, que ce soient les élus, les chefs d'entreprise ou les étudiants. De notre point de vue, personne n'est suffisamment formé à ces enjeux. Le sujet est, certes, de plus en plus médiatique mais les ordres de grandeur ne sont pas connus. L'ampleur des ruptures à mettre en place n'est pas encore comprise, les impacts et les risques du changement climatique encore moins.

Par exemple, j'aimerais savoir qui, au sein de ces murs, connaît le pourcentage d'énergie fossile dans la consommation d'énergie en France, la vitesse actuelle de réchauffement du climat. Qui connaît le rythme des émissions de gaz à effet de serre en France comparé au rythme que l'on devrait se fixer pour suivre les recommandations des scientifiques ? Qui connaît l'ordre de grandeur de l'impact carbone d'un vol transatlantique ?

Le citoyen, pris individuellement, n'est qu'un reflet de la société française qui n'a pas encore compris l'ampleur du sujet. Quand on parle de climat en France, on perd encore beaucoup de temps à parler nucléaire versus énergies renouvelables. En faisant cela, on ne traite que 30 % du sujet parce que l'électricité ne représente que 30 % des consommations d'énergie en France.

Dans ce cadre, Avenir climatique s'inscrit pleinement dans les recommandations du Shift Project qui demande de massifier l'enseignement des enjeux énergie-climat au sein de l'enseignement supérieur. Par exemple, avoir un minimum de 20 heures sur le sujet, quel que soit le cursus, nous paraît le strict minimum.

L'autre sujet qui nous préoccupe est la formation des élus, notamment des élus locaux. On parle beaucoup des prochaines élections municipales, avec près de la moitié des élus qui ne se représenteraient pas . Je pense qu'il faut profiter de ce moment pour former correctement toutes ces personnes aux enjeux. Ce sera certainement la dernière génération de décideurs et on sait que la plupart des solutions à ce problème se trouvent à l'échelle locale.

Le deuxième point, c'est l'incohérence entre les discours, la politique menée et le travail qui peut être fait en termes de sensibilisation. Cette année, nous avons pu voir une montée en puissance de la prise de conscience des enjeux auprès des citoyens, et pas uniquement auprès de la jeunesse : l 'Affaire du siècle, les marches pour le climat, Extinction rebellion. Le nombre de personnes sensibilisées n'a jamais été aussi important et n'a jamais été aussi visible. Les sujets ne sont pas complètement consensuels, mais une partie de la société civile est déjà mobilisée, prête à faire des choses. Je dirais qu'elle est presque en avance par rapport à la politique. Toutefois, cette société civile a aussi besoin de la politique parce que c'est elle qui maîtrise l'échelle et la profondeur de l'action.

Par exemple, sur le terrain, on parle d'un côté de sobriété énergétique, d'agriculture de proximité, de mobilité douce, et de l'autre, on agrandit des aérogares, on ferme des lignes de train, on déclare Europa city d'utilité publique, on négocie des accords commerciaux mondialisés, on urbanise de tous les côtés et on investit dans des télésièges qui seront complètement inutilisables parce que dans cinq ou dix ans, il n'y aura plus de neige. Du coup, on fait peser toute la réussite de la transition sur le pauvre citoyen. Certes, cela est absolument nécessaire. Nous défendons l'exemplarité citoyenne par rapport à ces sujets.

Toutefois, quand le citoyen essaie de le faire, il trouve un monde qui n'est pas cohérent avec ce qu'il a envie de faire. Il souhaite faire du vélo ? Bon courage sur les routes départementales françaises. Il veut arrêter de prendre l'avion ? Il trouve des publicités pour des vols Paris-New York à moins de 500 euros. Il désire faire des courses zéro déchet ? La démarche est quelque peu compliquée dans les grandes surfaces par rapport aux produits qui sont proposés.

Le message est brouillé. Les personnes qui, comme nous, essaient de prendre leur casquette de bénévoles et de sensibiliser les gens passent souvent pour des marginaux ou des dictateurs en puissance qui veulent restreindre les gens dans leur liberté fondamentale. En outre, le citoyen n'est pas stupide : il a bien compris que mettre un couvercle sur sa casserole pour faire des économies d'énergie est dérisoire quand on agrandit un aéroport près de son domicile.

On rejoint le problème de formation aux enjeux. On n'a pas encore pris conscience de l'ampleur des changements opérés et surtout, de mon point de vue, on pense que l'on va pouvoir changer à la marge, notamment en s'appuyant sur des améliorations technologiques qui nous permettront de ne changer ni notre aménagement du territoire ni nos modes de vie.

Or, il faut une véritable rupture basée sur la sobriété. Cela va passer par l'interdiction de certaines pratiques commerciales que l'on sait nocives pour le climat, l'encadrement de la publicité au même titre qu'on le fait pour l'alcool ou le tabac, l'accompagnement social du démantèlement de certains pans de l'économie, nocifs pour le climat, pour réorienter les gens, les financements et les activités vers des choses beaucoup plus positives. Par exemple, on manque aujourd'hui d'artisans pour atteindre nos objectifs dans tout ce qui a trait à la rénovation énergétique.

Le citoyen n'a pas forcément les clés pour agir tout seul. S'il essaie d'agir dans son coin, il se heurte à un mur parce que nos sociétés ne sont pas adaptées à ces nouveaux modes de vie. Par exemple, je vous mets au défi de vivre pendant un an avec un budget carbone de deux tonnes de CO2. C'est ce que nous devrions tous avoir comme budget pour rester sous les deux degrés de réchauffement climatique. C'est de l'ordre de la mission impossible parce que la société n'est pas adaptée à tout cela. Ce qui se passe, c'est que les personnes qui arrivent sont militantes et très motivées. Toutefois, le citoyen normal qui doit se préoccuper d'autres sujets va se décourager très vite et ce, quels que soient les mécanismes de sensibilisation que l'on peut mettre en presse.

En ce qui concerne le troisième sujet relatif aux moyens, il rejoint la problématique de cohérence et de portage politique. Il faut des moyens qu'il faut aller chercher là où ils sont, donc au détriment de certains sujets. Rénover des maisons et construire des pistes cyclables ne se font pas gratuitement. L'un des problèmes est que tout cela rapporte peu d'argent. Qui veut rénover sa maison quand cela ne rapporte que 2 % par an sur 20 ans, quand on peut faire 5 % à 10 % sur d'autres produits financiers en 4 ou 5 ans ? Il faut changer les règles du jeu pour que la dynamique puisse s'inverser. Mais, c'est pareil, le citoyen n'a pas forcément toutes les clés.

Pour moi, le chiffre qui illustre le mieux ce sujet est le budget publicité des constructeurs automobiles, de l'ordre de 3,5 milliards d'euros. C'est 1 000 fois le budget communication de l'ADEME. Je peux prendre ma casquette bénévole pour sensibiliser les gens au changement climatique mais je ne me bats pas avec les mêmes armes que certains. Il faut des moyens énormes sur l'animation dans les écoles, les collèges, les lycées, l'enseignement supérieur, les villes les territoires. La réalité du terrain est que toutes les associations ont le couteau sous la gorge, que les collectivités territoriales peinent à embaucher ne serait-ce qu'une personne pour gérer leur plan climat et énergie territorial. Une vraie volonté politique est nécessaire pour mettre des moyens sur la table.

Pour résumer, il y a trois leviers :

– accélérer la formation aux enjeux, qui sont devenus une priorité citoyenne au même titre que savoir lire, compter et écrire;

– mettre en cohérence toutes les politiques nationales et locales, avec le discours de sensibilisation à destination du citoyen ;

– mettre des moyens pour accompagner cette transition et construire un monde où le citoyen pourra facilement changer de comportements parce qu'on aura adapté la société à ces changements d'usage.

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