Intervention de François de Rugy

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 16h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Comment encourager et soutenir les initiatives locales et les dynamiques territoriales ? Tout d'abord, le cadre général, notamment budgétaire, y contribue. Je ne l'ai pas évoqué car il s'agit d'un accélérateur, et non d'un frein, mais les tarifs d'achat garantis du gaz et de l'électricité renouvelables sont de puissantes aides publiques, qui créent un appel d'air favorable aux investissements, qu'ils soient le fait d'industriels ou, au niveau local – même si ce n'est pas très développé en France – de collectivités locales, de sociétés d'économie mixte, de sociétés publiques locales, voire de coopératives. Ces dernières permettent aux citoyens de s'approprier la transition énergétique et d'en toucher une partie des dividendes, au sens propre et au sens figuré. En Allemagne, il s'agit d'un phénomène de grande ampleur, puisque près de 50 % des projets éoliens terrestres, me semble-t-il, sont portés par des systèmes coopératifs impliquant directement les habitants. Ce dispositif est beaucoup moins développé en France ; or, cela contribuerait sans doute à l'acceptabilité de tels projets, au moins pour ceux qui s'y impliquent.

Par ailleurs, la loi de transition énergétique impose aux intercommunalités d'une certaine taille de mettre en œuvre un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Une grande partie des 750 intercommunalités concernées ont lancé le leur ; peu sont allées au bout, alors qu'elles avaient jusqu'au 1er janvier de cette année pour le faire. La question qui se pose – des discussions sont en cours à ce sujet avec les associations de collectivités et les élus – est celle de savoir s'il convient de proposer une incitation budgétaire. En tout cas, le cadre est intéressant, car il est cohérent avec la politique énergie-climat nationale, européenne, et même mondiale si l'on pense aux accords de Paris. À ce propos, il serait intéressant d'évaluer les résultats des Territoires à énergie positive pour la croissance verte, créés à l'initiative du précédent gouvernement. Je précise, puisqu'il a été envisagé, un temps, d'arrêter éventuellement les paiements, que je veille – et ma démarche a été confortée par le Premier ministre – à ce qu'ils se poursuivent. Ce ne sont pas de petites sommes : il s'agit de plusieurs centaines de millions d'euros.

En ce qui concerne l'initiative privée, je suis tout à fait intéressé par de nouvelles propositions concernant la réduction des délais. Les procédures réglementaires pourraient en effet se dérouler parallèlement – c'est, en tout cas, dans cette direction que nous voulons aller. En tout état de cause, des mesures législatives ont été prises dans le cadre de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dont j'ai signé les décrets d'application relatifs à l'éolien ou au solaire. Si nous pouvons poursuivre dans cette direction, n'hésitons pas. Cependant, je vous alerte – car je l'ai constaté depuis neuf mois, notamment au cours des débats parlementaires – sur le fait que d'aucuns veulent, au contraire, alourdir les procédures. J'en ai même entendu certains réclamer qu'un référendum local soit organisé sur tout projet d'éoliennes. On peut se demander quel serait le périmètre d'une telle consultation, car une éolienne n'alimente pas en électricité que les riverains et voisins.

Cela me conduit à évoquer l'acceptation sociale de ces projets. À cet égard, je serais très intéressé de connaître les éléments que vous avez pu recueillir dans les pays voisins. Je crois qu'au-delà de la stricte législation et des questions de procédure, la culture politique ou la culture écologique, économique, ont leur importance. Par ailleurs, il me semble qu'en France, nous devons tenir bon sur le principe majoritaire. De fait, il ressort des études d'opinion assez approfondies qui ont été réalisées sur le sujet – même si l'on peut toujours demander qu'elles portent sur des échantillons de population plus importants – que les Français sont très majoritairement favorables – ce n'est pas une question de couleur politique – au développement des énergies renouvelables, qu'il s'agisse des éoliennes – même si celles-ci devaient être implantées à proximité de chez eux –, du solaire photovoltaïque, du biogaz ou des réseaux de chaleur. Cela n'empêche pas que tous ces projets – c'est un peu moins le cas pour le solaire photovoltaïque ou les méthaniseurs, mais cela commence à venir – font l'objet de contestations locales. Je peux parfaitement le comprendre, mais cette opposition, fondée sur des motifs parfois idéologiques, le plus souvent locaux, est le fait de minorités. Or, l'intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers, en matière d'écologie et d'énergie comme dans les autres domaines. On ne peut pas concevoir une politique énergétique morcelée en 13 régions, 100 départements ou 35 000 communes. Ceux dont le territoire comprend des barrages seraient alors les seuls à en profiter, ceux qui ont des centrales vendraient cher leur électricité aux autres… Qui plus est, soyons concrets, il serait aujourd'hui impossible, pour des raisons d'acceptabilité sociale, d'ouvrir un nouveau barrage – je ne nous vois pas noyer une vallée, comme on l'a fait par le passé ou comme le font certains pays – ou d'implanter une nouvelle centrale nucléaire. Il est également très difficile d'ouvrir une petite centrale thermique – on en fait l'expérience actuellement à Landivisiau, dans le Finistère –, d'implanter des éoliennes, des panneaux solaires ailleurs que sur des toitures – et encore, certains s'y opposent –, des méthaniseurs ou même des chaufferies. J'ai en tête l'exemple d'une chaufferie liée à un réseau de chaleur à Nantes : les riverains l'assimilent à une centrale thermique et n'en veulent pas, alors qu'il est prouvé qu'elle n'est pas polluante. Il faut donc tenir bon sur l'intérêt général, et cela doit se traduire dans nos procédures.

S'agissant de la réduction de la consommation d'énergie dans les bâtiments, les enjeux sont multiples. Si la motivation était l'intérêt économique, certaines personnes auraient lancé des travaux depuis très longtemps. Elles ne l'ont pas fait. Pourquoi ? Tout d'abord, par manque d'information. Les consommateurs et les investisseurs doivent donc être mieux informés, c'est indéniable. Ensuite, les aides doivent être connues des intéressés. Par ailleurs, il est sans doute difficile, pour des particuliers – c'est moins le cas pour des entreprises –, de se projeter sur dix, quinze ou vingt ans, voire trente ans, soit la durée d'amortissement de ces travaux. En outre, il y a une raison culturelle. Chaque année, des millions de nos concitoyens effectuent des travaux de peinture pour des raisons purement esthétiques et n'envisagent pas de réaliser le même investissement pour réaliser de travaux qui amélioreraient leur confort – car l'énergie, c'est d'abord du confort – et qui leur rapporteraient, contrairement à la réfection d'une cuisine ou d'une salle de bains. Je sais que des professionnels du bâtiment réfléchissent à la manière dont on pourrait rendre la rénovation énergétique désirable pour les particuliers.

Dès lors, se pose la question de l'obligation ; c'est un débat politique et législatif. Dans le domaine du logement, on n'a jamais hésité à imposer des normes très strictes en matière de sécurité. Ainsi, il est obligatoire de remplacer régulièrement le tuyau d'alimentation qui relie une gazinière à une bouteille de gaz – on est allé jusqu'à pénaliser les propriétaires s'ils n'informaient pas leurs locataires. De même, il est obligatoire de revoir régulièrement son installation électrique, là encore pour des raisons de sécurité. De telles normes sont tout à fait légitimes mais, très souvent, les gens n'en perçoivent pas l'intérêt. Dans un autre registre lié au logement, celui de l'assainissement individuel – qui concerne des millions de Français dont l'habitation n'est pas raccordée à un réseau d'assainissement collectif –, les règles sont aussi très strictes. Si l'installation n'est pas aux normes, les propriétaires doivent la modifier à leurs frais et, s'ils vendent leur habitation, ils doivent soit réaliser la rénovation avant la vente, soit consigner une somme d'argent pour le nouvel acquéreur, qui lui-même devra réaliser les travaux dans un délai d'un an. Ne faut-il pas envisager de fixer des obligations équivalentes en matière de rénovation énergétique ? Non seulement elles créeraient une véritable dynamique mais elles permettraient à nos concitoyens de découvrir l'intérêt d'une telle rénovation, pour eux-mêmes ou pour leurs locataires lorsqu'ils sont propriétaires-bailleurs. Je crois que nous devons y réfléchir.

En ce qui concerne l'hydroélectricité, oui, le décret est finalisé : les ultimes discussions sont conduites, au niveau interministériel, sous la houlette du Premier ministre. L'hypothèse retenue – mais vous le savez, je crois, madame la présidente – est celle d'un taux de 40 % du résultat net, et non du chiffre d'affaires, afin d'éviter que les exploitants de concessions échues ne bénéficient d'une forme de surrémunération. Cela est évidemment surveillé de près par la Commission européenne ; nous ne pouvons pas retenir une solution qui serait trop favorable à ceux qui bénéficient en quelque sorte d'une rente de situation. Ce qui limite actuellement l'investissement dans les concessions, c'est principalement le manque de visibilité sur le renouvellement, qu'il s'agisse des concessions qui vont arriver à échéance ou de celles qui sont déjà échues. Nombre de nos compatriotes, me semble-t-il, ignorent cette situation – on leur raconte, du reste, beaucoup d'histoires sur l'hydroélectricité. Beaucoup de parkings ont été construits dans le cadre d'une concession de 25 ou 30 ans. Or, lorsque cette concession arrive à échéance, on lance un appel concurrentiel à renouvellement, conformément au droit des concessions. En ce qui concerne les barrages hydroélectriques, on est dans une situation de blocage.

Je suis tout à fait prêt à examiner votre proposition concernant la transposition qui a été faite de la directive en 2016. Je souhaite surtout que l'on sorte de la situation de blocage actuelle – j'aurai l'occasion de m'exprimer sur le sujet lors du débat sur le projet de loi « énergie-climat » – et que l'on adopte une doctrine claire. Deux options sont possibles : soit on fait le choix du 100 % public, qui permet de renouveler des concessions sans appel à concurrence, soit on lance un appel à concurrence. Dans certains territoires, on souhaite le maintien dans le giron public ; c'est possible, mais il faut s'en donner les moyens, et j'y travaille au sein du Gouvernement avec EDF. Dans d'autres territoires, les élus souhaitent, au contraire, que les concessions arrivées à échéance fassent l'objet d'un appel à concurrence, afin d'examiner les meilleurs projets d'investissement ainsi que les retombées territoriales car il existe souvent, au-delà de la production d'électricité, des usages locaux de ces installations. Il est donc important qu'on associe les élus locaux à cette réflexion.

Les filières françaises photovoltaïques – ou, de manière générale, le contenu français, local ou européen, des énergies renouvelables – sont un sujet important. Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, et moi-même allons, du reste, signer, avec les acteurs de l'énergie, un contrat stratégique de filière qui permettra de prendre des engagements et de travailler notamment sur certaines filières solaires. De fait, on ne pourra pas, hélas, remplacer l'équipement en panneaux solaires d'origine asiatique par un équipement 100 % français, mais on peut, en revanche, progresser grâce à de nouvelles technologies, de meilleure qualité et offrant de meilleurs rendements, qui pourraient, de surcroît, bénéficier davantage à l'économie locale. Je rappelle en effet que, dans le secteur de l'éolien, plus de 70 % de la valeur ajoutée est française, souvent régionale. C'est également le cas, majoritairement, pour le solaire, car la valeur ajoutée ne se résume pas à la production du panneau. Ainsi, lorsqu'en 2010, un décret a brutalement stoppé l'équipement en panneaux solaires photovoltaïques, 13 000 emplois ont été supprimés en France.

Quant à la biomasse, elle est quantifiée dans la Stratégie nationale bas-carbone. En outre, la direction générale de l'énergie et du climat de mon ministère pilote une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, afin que nous ayons les idées claires en la matière. Ma conviction, c'est que nous ne valorisons pas notre biomasse autant que nous le pourrions. Celle-ci s'entend, ici, au sens très large. Par exemple, 50 % du bois coupé pour la construction ou l'ameublement ne sont pas utilisables, de sorte que, plus on développe le bois-construction, plus on doit développer parallèlement le bois-énergie, et vice-versa. Il en va de même pour la mélasse : nous avons fait en sorte de donner à la filière betteravière française des débouchés supplémentaires en la matière. Mais, vous avez raison, monsieur le rapporteur, il faut mieux quantifier les déchets – il conviendrait, du reste, de parler plutôt de sous-produits, dès lors que ces « déchets » doivent être, non pas éliminés, mais valorisés : ce sont des matières premières. Vous avez cité, à propos des méthaniseurs, l'exemple du Maine-et-Loire ; je n'en avais pas connaissance, mais c'est une bonne démarche.

En ce qui concerne l'éolien, la planification est prévue dans le cadre des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire (SRADET). Je réunirai prochainement les présidents de région pour que nous aboutissions à une vision autant que possible partagée, mais des divergences politiques existent. Je sais que certains présidents de région ne partagent pas notre ambition nationale en matière d'énergies renouvelables. C'est leur droit, mais nous n'allons pas pour autant arrêter de les développer. J'ajoute, à propos de la biomasse, que notre potentiel national est estimé aux alentours de 300 à 400 térawattheures (TWh) ; c'est donc très important, au regard de notre consommation finale d'énergie.

Dans le domaine des carburants de synthèse, vous avez raison, l'Allemagne est plus avancée que nous. Ces carburants restent cependant très coûteux et ne sont pas compétitifs par rapport au prix de marché des produits fossiles. Mais, pour l'avenir, sans doute faut-il amplifier les recherches dans ce domaine, voire développer quelques démonstrateurs adaptés à des usages pour lesquels il sera très difficile de recourir à l'électricité. Par exemple, l'avion électrique existe, mais il ne peut guère transporter plus de quelques personnes. En revanche, des progrès sont possibles dans le domaine des carburants d'origine végétale ou de synthèse, même s'ils présentent un surcoût par rapport au kérosène. D'où le débat sur la taxation de celui-ci, car c'est l'environnement économique général qui incite ou non à investir dans les produits de substitution.

En ce qui concerne l'hydrogène, le débat est un peu le même, mais je considère qu'il faut se mobiliser davantage. Des projets de territoire, portés à la fois par des collectivités locales et des industriels, sont très intéressants à cet égard, car ils permettent d'envisager le développement de démonstrateurs consacrés à l'utilisation et à la production d'hydrogène vert. Actuellement, hélas, celui-ci est plutôt noir, puisqu'il est issu du craquage du méthane, qui est fortement émetteur de CO2. Or, le but est bien d'exploiter l'électrolyse de l'eau, qui, elle, permet de produire de l'hydrogène sans émettre de CO2.

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