Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • concession
  • frein
  • renouvelable
  • solaire
  • électricité
  • éolien
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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L'audition débute à seize heures trente-cinq.

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Monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de cette mission d'information de la Conférence des présidents relative aux freins à la transition énergétique. Nos travaux ont démarré en septembre 2018. Nous avons auditionné 130 organismes, collectivités, administrations, opérateurs et industriels, dans le cadre de débats ou de tables rondes, au cours des neuf derniers mois. Nous rendrons notre rapport dans un peu moins d'un mois.

Nous avons également eu l'occasion de nous rendre au Danemark, en Allemagne et en Belgique – à Bruxelles – pour évaluer les différences entre les réglementations et étudier les financements publics et privés qui existent dans ces pays, mais aussi la participation citoyenne car, selon nous, l'acceptation sociale des projets d'énergies renouvelables est un enjeu important et, si on n'adopte pas, en la matière, une approche suffisamment globale, il peut s'agir d'un frein.

La mission s'est organisée autour de sept axes, que M. le rapporteur vous précisera, monsieur le ministre d'État, avant que vous ne preniez la parole. Nous étions convenus de vous auditionner au terme de cette mission : ainsi, nous avons énormément de questions à vous poser (Sourires), notamment pour ce qui est des comparaisons avec d'autres pays : leur fonctionnement est différent, ils réussissent mieux dans certains domaines et moins bien dans d'autres. Nous considérons qu'il faut évidemment tirer les leçons de ce qu'ils savent mieux faire que nous, et leur laisser le choix de copier ce que nous faisons mieux qu'eux.

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Merci de votre présence parmi nous, monsieur le ministre d'État.

Dès le départ, nous avons structuré cette mission d'information autour de sept thèmes. Le premier concerne la vision, ou plutôt le manque de vision, que ce soit au sujet du mix de production dans dix ans, vingt ans ou trente ans, ou du mix de consommation – autrement dit, ce que nous ferons avec ces nouvelles énergies. Le deuxième est assez classique : il s'agit de la manière de développer toutes les filières des énergies renouvelables, que ce soit l'éolien, le solaire ou encore la méthanisation. Le troisième est relatif aux économies d'énergie – dans l'habitat ou dans l'industrie. Le quatrième concerne la mobilité. Le cinquième porte sur la capacité des grands groupes de l'énergie à se transformer dans les dizaines d'années qui viennent. Le sixième concerne la capacité des territoires à prendre en compte la question de la transition énergétique. On considère en effet que l'énergie sera de plus en plus produite et consommée localement : les territoires doivent donc s'emparer de la question. Le septième thème concerne le financement et la fiscalité. Par ailleurs, tout au long de nos débats, nous avons évidemment traité des questions sociales et sociétales. Monsieur le ministre d'État, nous aimerions connaître votre vision concernant ces différents thèmes. Nous vous poserons ensuite des questions.

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François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Je ne sais pas si je vais, d'entrée de jeu, développer les sept thèmes que vous avez abordés, auxquels s'ajoute l'approche transversale que vous avez évoquée, concernant les aspects sociaux et sociétaux. Je me contenterai de préciser la vision du Gouvernement et du ministère de la transition écologique et solidaire sur le sujet. Par ailleurs, et pour rebondir sur vos propos introductifs, je m'attends de votre part à des questions, bien sûr, mais aussi à des propositions – si ce n'est des solutions –, puisque c'est bien là le but de ce travail parlementaire : il s'agit non pas simplement d'analyser les difficultés, mais aussi de voir comment y remédier.

En outre, le calendrier est intéressant, puisque le Parlement va débattre du projet de loi relatif à l'énergie et au climat, d'abord à l'Assemblée – dans les commissions tout au long du mois de juin et dans l'hémicycle à partir du 27 juin – puis au Sénat et peut-être de nouveau, dans le cadre de la navette, au mois de juillet, voire à la rentrée.

La question dont vous vous êtes emparés est importante. Je pense que nous pouvons, effectivement, nous accorder sur ce constat : il existe des freins à la transition énergétique. Nous en sommes d'ailleurs conscients depuis de nombreuses années.

Le premier frein que j'identifie, pour ma part, tient à l'inertie : d'un point de vue humain, donc à la fois social, économique et politique, il est plus simple de continuer à faire ce qu'on fait déjà, de poursuivre dans une voie ouverte dans le passé – un passé plus ou moins lointain, d'ailleurs. On le sait bien, la France vit sur un modèle énergétique qui, contrairement à ce que croient beaucoup de gens, est non pas unique, mais double.

Ce modèle est évidemment dominé par la production d'électricité d'origine nucléaire. La part du nucléaire dans notre pays est extrêmement forte, mais cela n'a pas toujours été le cas : c'est une autre transition énergétique, intervenue dans les années 1970 et 1980 et qui s'est même poursuivie dans les années 1990, qui a permis d'installer la domination du nucléaire dans la production d'électricité. Ce n'est pas un monopole total – j'y reviendrai : nous sommes engagés dans une diversification, y compris en utilisant des moyens de production électrique qui, soit existent depuis très longtemps, comme l'hydroélectricité, soit se développent depuis quelques années, comme l'éolien ou le solaire.

Je viens de parler de l'électricité, mais on aurait évidemment tort de considérer que la politique énergétique en France se cantonne à ce domaine. Certes, l'électricité est un élément très important, et elle prendra de plus en plus d'importance à l'avenir, car l'électrification d'un certain nombre d'usages – non seulement dans les transports, mais aussi, on peut le penser, s'agissant du chauffage – va sans doute s'amplifier, mais la consommation d'énergie ne se résume pas à l'électricité. L'autre pilier de notre politique énergétique consiste dans la lutte contre notre très grande dépendance à l'égard du pétrole. Or, disons-le, cet aspect est très largement absent du débat politique, ce que, personnellement, je regrette – et il s'agit peut-être déjà, en soi, d'un frein à la transition. Nous sommes dépendants du pétrole, mais aussi, dans une moindre mesure, du gaz et, dans une mesure encore plus réduite, du charbon. Les transports sont particulièrement concernés. C'est le cas, massivement, des déplacements par voiture individuelle, mais aussi par car, ou encore du transport de marchandises par camion. Les transports ferroviaires sont en grande partie électrifiés mais ne le sont pas en totalité. Les transports maritime et aérien reposent bien sûr, quant à eux, à 100 % sur les produits pétroliers. Cette dépendance massive au pétrole dans les transports se traduit, sur le plan économique, par une dépendance totale aux importations. Il s'agit d'ailleurs d'un facteur de déséquilibre de notre commerce extérieur.

Pour ce qui est des autres usages des énergies fossiles, l'industrie a encore très largement recours à ces énergies. On a ainsi tendance à oublier que la France continue à importer 13 millions de tonnes de charbon par an, dont 3 millions pour les usages de production électrique et 10 millions pour l'industrie. Nous importons également du gaz, pour le chauffage mais aussi pour des usages industriels. Les dérivés du pétrole peuvent servir eux aussi pour le chauffage.

En partant de ce constat, la transition énergétique vise, à mon sens, deux objectifs. Le premier est de diminuer nos émissions de CO2 – et autres gaz à effet de serre. Le second est de diversifier nos sources d'énergie et nos moyens de production : ce faisant, nous serons à la fois moins dépendants et plus résilients, par exemple en cas de problème avec un certain type de production. Pour atteindre ces deux objectifs, nous considérons qu'il existe deux vecteurs – ne confondons pas, d'ailleurs, les objectifs et les moyens – : les économies d'énergie, pour réduire nos émissions de CO2 et notre dépendance aux produits fossiles, et le développement des énergies renouvelables, en veillant à les diversifier.

S'agissant des énergies renouvelables, nos priorités sont claires. Nous entendons maintenir, voire améliorer, notre potentiel hydroélectrique. À cet égard, je le dis clairement, il ne s'agit pas de construire de nouveaux grands barrages. Il n'y a pas d'opportunités en France pour cela. En revanche, il importe d'améliorer les performances des barrages existants, ce qui pourrait nous permettre de faire passer de 11 % ou 12 % à 15 % la part de l'énergie hydroélectrique dans notre mix. Par ailleurs, nous misons sur deux énergies renouvelables qui n'émettent ni gaz à effet de serre ni déchets nucléaires : le solaire et l'éolien.

En ce qui concerne le premier thème que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, notre vision concernant le mix de production est donc assez claire, et se trouve déclinée concrètement dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), document que nous avons non seulement rendu public mais mis en consultation publique depuis la fin du mois de janvier, après sa présentation politique à la fin du mois de novembre 2018 par le Président de la République, le Premier ministre et moi-même.

S'agissant de la consommation également notre vision est claire. Nous l'avons exposée dans les documents décrivant la stratégie nationale bas carbone, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie. Nous prévoyons, comme je le disais, une augmentation de l'électrification, ce qui ne signifie pas le tout-électrique : dans les transports, notamment, diverses énergies de transition, comme le gaz, pourront prendre le relais des produits pétroliers – c'est vrai dans le transport maritime, mais aussi dans le transport par camion. À terme, dans les moteurs électriques, l'hydrogène constituera une solution alternative aux batteries pour le stockage d'énergie – qui plus est, il s'agira d'une énergie renouvelable. Par ailleurs, la part des carburants d'origine agricole va augmenter, ce qui n'est pas sans poser d'autres questions, concernant à la fois le coût de leur production et leurs effets indirects sur les productions alimentaires – car nous ne voulons pas que ces carburants se substituent à elles. Dans ce domaine aussi des programmes de recherche sont en train de déboucher sur des projets industriels. Il y a également la production de gaz renouvelable : là aussi, nous avons inscrit comme objectif, dans la programmation pluriannuelle de l'énergie, et en application de la loi de transition énergétique de 2015, une proportion de 10 % de la consommation finale de gaz d'origine renouvelable dans dix ans – contre 1 % actuellement. Si l'objectif est ambitieux par rapport à la situation que nous connaissons, le gaz n'en restera pas moins massivement d'origine fossile et importé – en effet, je vous le rappelle, le gaz consommé en France est importé à 100 %.

En ce qui concerne maintenant les freins à la transition énergétique, je voudrais, pour démarrer l'échange entre nous, vous en proposer une liste.

Nous avons bien identifié, depuis de nombreuses années, les freins politiques. En effet, outre l'inertie, dont je parlais en commençant, il existe des freins politiques à l'égard des économies d'énergie comme du développement des énergies renouvelables : ni les unes ni les autres ne vont de soi. L'objectif général, tant qu'on en reste à l'analyse et aux perspectives d'ensemble, peut être assez largement partagé, faire l'objet d'un relatif consensus – je dis bien « relatif », car il n'est pas total, naturellement –, mais dès qu'on passe à l'action et aux moyens d'action, autrement dit à la concrétisation, des oppositions et des controverses se font jour.

Celles-ci peuvent bien sûr être locales mais, d'une façon générale, il n'est jamais simple d'inciter à faire des économies d'énergie : on l'a bien vu à propos de la voiture. Sur ce sujet aussi l'opposition peut être plus marquée dans tel territoire ou dans telle catégorie de population où, objectivement, l'usage de la voiture est plus important. C'est tout aussi vrai, d'ailleurs, concernant le chauffage au fioul ou encore la capacité à réaliser des travaux d'économie d'énergie. On connaît bien tous ces problèmes ; ce sont des freins majeurs, qui nous empêchent souvent d'avancer, d'atteindre nos objectifs et, a fortiori, de nous en fixer de plus ambitieux. Cela dit, je considère qu'il n'y a aucune fatalité à céder devant ces freins politiques – au contraire. Même ce que nous avons vécu au cours des derniers mois montre qu'en réalité un nombre toujours plus important de Français souhaite qu'on en fasse de plus en plus : non seulement la prise de conscience au sujet du climat – et donc de l'énergie – est forte, mais elle se traduit par une volonté d'agir plus vite, plus fort, plus loin.

Il existe, par ailleurs, des freins juridiques. Le cadre juridique qui est le nôtre n'est pas toujours favorable, disons-le, au développement des énergies renouvelables. Force est de reconnaître que, dans certaines périodes, on a augmenté les contraintes – volontairement ou non mais, en ce qui me concerne, je crois assez peu au hasard en politique : je pense donc que c'était souvent volontaire. Depuis quelques années – le mouvement a commencé au cours de la précédente législature et il se poursuit –, il y a eu, au contraire, la volonté de simplifier et d'alléger un certain nombre des contraintes qui avaient été opposées au développement de l'éolien terrestre et maritime, mais aussi des méthaniseurs ou même des installations solaires photovoltaïques.

Il peut y avoir également des freins économiques, qui sont d'ailleurs de divers ordres. Ils peuvent être le fait de personnes qui voient leurs activités se réduire. Ainsi, nous avons programmé la fermeture des centrales à charbon : les entreprises qui les exploitent et leurs salariés freinent ces transformations, ce qui est tout à fait compréhensible. L'obstacle peut aussi être lié tout simplement à la question du coût – je pense, par exemple, aux filières dans lesquelles le coût de production est bien supérieur au prix de marché. Le biogaz – c'est-à-dire le gaz renouvelable – est quatre à cinq fois plus cher, en termes de coût de production, que le gaz importé : c'est là un frein objectif au développement du gaz renouvelable. Pour rééquilibrer la concurrence, il faut soit accorder des subventions soit imposer des taxes sur les énergies fossiles. La situation est la même pour d'autres énergies renouvelables – l'éolien, dans certains secteurs, ou encore le solaire, même si les coûts de production ont considérablement baissé ces dernières années. Les tarifs d'achat garantis permettent de remédier à ces difficultés mais, évidemment, plus les coûts de production seront maîtrisés, plus on se rapprochera des prix de marché.

Parfois, du reste, c'est le prix de marché qui augmente. C'est ce qui s'est produit pour l'électricité depuis deux ans ; cela arrive aussi pour les énergies fossiles. Les prix sont extrêmement volatils, ce qui fait qu'on ne sait absolument pas quelle va être l'évolution, sur le temps long, du prix moyen du fioul, de l'essence, du gaz ou même du charbon. Dès lors, il est extrêmement difficile de bâtir des stratégies économiques, car les investissements nécessaires s'amortissent dans la durée.

Au nombre des enjeux d'ordre économique, il y a également, on le sait bien, la fiscalité. Le débat politique s'est beaucoup focalisé sur la fiscalité carbone, et même parfois, plus précisément encore, sur la fiscalité carbone pour les carburants. Or il faut être bien conscient du fait que la fiscalité carbone est un signal qui permet de dire à des investisseurs qu'il peut être rentable, à l'avenir, d'aller vers d'autres sources d'énergie que les énergies fossiles traditionnelles.

Je vous en donnerai un exemple très concret, avec des conséquences récentes mais très palpables : les réseaux de chaleur renouvelable. Il en a été peu question dans le débat politique, alors qu'ils constituent un élément important pour la transition énergétique. Il importe non seulement de les développer, mais aussi d'encourager le basculement des réseaux existants vers des énergies renouvelables comme le bois, en remplacement du gaz, du fioul ou du charbon. Or les équilibres économiques du secteur sont fragiles : les investissements sont lourds et s'amortissent sur le temps long. Dès que les prix du gaz et du pétrole baissent – en ce moment, ceux du pétrole augmentent, mais ceux du gaz ont plutôt tendance à diminuer –, cela rend l'équilibre économique de ces projets encore plus fragile. Ils pouvaient s'appuyer sur la trajectoire de la taxe carbone : à partir du moment où celle-ci a été interrompue, certains investissements ont tendance à être eux aussi stoppés. On peut faire le même calcul en ce qui concerne le gaz renouvelable : il est évident que cela a un impact direct sur la viabilité des projets.

Enfin, il y a les freins que l'on pourrait qualifier d'« administratifs », ou de « procéduraux » : j'ai parlé tout à l'heure des freins juridiques, mais la multiplication des contentieux et des recours est elle aussi un frein. Beaucoup de gens disent que les procédures sont longues ; en réalité, il y a certes les procédures administratives d'instruction des dossiers – nous les avons déjà raccourcies et sommes prêts à aller encore plus loin –, mais il y a surtout une chose qu'aucun pouvoir politique national ou local ne maîtrise, pas davantage que les entreprises, et qui constitue un aléa majeur : les recours. Leur nombre est important et ceux qui les introduisent sont déterminés à épuiser toutes les voies possibles, c'est-à-dire, je le rappelle, le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel, enfin le Conseil d'État. Le jugement de ces recours prend du temps – ce n'est pas du tout là une critique à l'égard de nos juridictions administratives : j'en fais simplement le constat.

Les Français, d'ailleurs, ne comprennent pas ces délais ; ils pensent que c'est l'État qui en est responsable. Quand ils entendent « Conseil d'État », ils se disent qu'il s'agit d'un organe de l'État, et donc que, si le temps d'instruction des recours est important, c'est parce que l'État ne veut pas développer les énergies renouvelables. On entend même, ce qui est plus étonnant, certains élus – notamment locaux – parler d'un manque de volontarisme de l'État. Ce n'est pas du tout le cas. S'agissant de l'éolien en mer, par exemple, nous sommes confrontés à des recours qui retardent la réalisation des projets. À cet égard, même quand on a levé certains freins, on en découvre tous les jours de nouveaux, malheureusement. Mme Battistel, qui était, comme moi, députée durant les précédentes législatures, se souvient certainement que le développement de l'éolien offshore, au départ, a été un choix politique visant à éviter les conflits avec les riverains. En effet, on s'était dit que, par définition, en mer, il n'y avait pas d'habitants. Il peut y avoir des conflits découlant d'autres usages de la mer, notamment avec les pêcheurs, mais, en général, ils sont réglés avant les autorisations de projet. Eh bien, le Conseil d'État vient de reconnaître à des associations d'habitants du littoral l'intérêt à agir concernant des éoliennes au large, alors qu'elles avaient été déboutées devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel. Autrement dit, le pari qui avait été fait il y a maintenant près de dix ans se trouve remis en cause par une décision liée à un contentieux, ce qui n'a donc rien à voir avec une loi qui aurait été prise pour freiner le développement des éoliennes. Je considère, pour ma part, qu'il faudra tirer des conséquences législatives de cette situation. Je ne sais pas quelles seront vos propositions en la matière, mais je souhaite que vous en fassiez.

Voilà les quelques exemples que je voulais vous donner. Au total, je considère que nous avons désormais une vision plus claire de ce que l'on appelle la transition énergétique, vers où nous voulons aller et comment nous entendons le faire, en décrivant les étapes – c'est la stratégie nationale de la France en matière d'énergie pour les dix années à venir, avec la programmation pluriannuelle de l'énergie et les dispositions de la loi de transition énergétique de 2015. Au-delà de cette vision, nous devons sans cesse nous efforcer de lever les freins, tout en reconnaissant bien évidemment aux citoyens et aux élus locaux le droit d'être associés à travers les procédures de concertation et de consultation, destinées à assurer la transparence, sans pour autant que celles-ci deviennent des courses d'obstacles n'ayant d'autre but que d'empêcher de faire.

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Merci beaucoup, monsieur le ministre d'État, pour ce propos très précis concernant un grand nombre de domaines. Je voudrais évoquer cinq aspects, puis M. le rapporteur complétera ; il est très attaché à faire des propositions, comme vous nous y invitiez. Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, qui va nous être soumis, sera le premier véhicule législatif s'offrant à nous. Vous pouvez compter sur notre imagination.

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François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Et votre pragmatisme !

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Tout à fait.

Au début de votre propos, vous parliez d'inertie. C'est particulièrement vrai en matière d'énergie. Nous l'avons constaté pendant nos auditions : le mot est souvent revenu. La réussite repose aussi sur les initiatives locales et citoyennes, car l'État ne peut pas tout faire. C'est d'ailleurs l'une des vertus des territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et des territoires à énergie positive (TEPOS) : ils ont prouvé leur utilité, non pas tant pour les projets dont ils auraient permis le développement que pour les dynamiques territoriales qu'ils ont créées, associant l'ensemble des acteurs. Les citoyens et les élus se sont ainsi emparés de la question de l'énergie et de la transition énergétique et écologique. De ce point de vue, ces dispositifs ont été une véritable réussite.

Ma première question est donc la suivante : pensez-vous engager de nouveau, sous quelque forme que ce soit, des initiatives de ce type ? Le développement des énergies renouvelables repose également sur l'investissement privé, nous l'avons constaté tout au long de nos auditions. Cela dit, il faut soutenir cet investissement – pas nécessairement de manière financière, d'ailleurs. Or, ce soutien fait souvent défaut. Surtout, les délais sont beaucoup trop longs – vous en parliez à l'instant. Depuis plusieurs années, nous avons déjà essayé de les raccourcir, mais certaines procédures réglementaires pourraient être faites parallèlement et non pas successivement. Cela mériterait peut-être d'être étudié. Le financement participatif, que nous avions souhaité développer durant la précédente législature, pourrait constituer lui aussi un levier pour accroître l'acceptation sociale des projets. Ce mécanisme n'est pas suffisamment développé. Dans nos visites dans d'autres pays, notamment au Danemark, nous avons vu que l'approche y était totalement différente : les projets sont partagés avant même qu'ils ne soient mis en œuvre. Il me semble que c'est là que réside, au moins en partie, la clé de leur réussite.

En ce qui concerne les ambitions que la France s'est données, elles font de notre pays l'un des moteurs, au niveau européen, en matière de transition écologique et énergétique. Ces objectifs ambitieux découlent de la loi de transition énergétique, des accords de Paris et de la mise en place de la PPE. À ce sujet, un nombre important des personnes que nous avons auditionnées et des élus que nous avons rencontrés nous ont signalé que les objectifs de la PPE mériteraient d'être débattus au Parlement. C'est le deuxième point que je souhaitais aborder, c'est le message que nous souhaitions vous faire passer, monsieur le ministre d'État.

Troisièmement, je voulais évoquer la question de la réduction de la consommation. On peine vraiment à atteindre les objectifs en la matière, notamment s'agissant des bâtiments et de leur réhabilitation thermique. Au-delà du problème du financement – qui pourrait être réglé par un grand plan d'investissement de l'État –, identifiez-vous d'autres freins ? L'évolution est très lente. Il faut y remédier car la diminution de la consommation influe directement sur le pouvoir d'achat des citoyens.

Quatrièmement, j'ai noté votre volonté de développer l'hydroélectricité. Comme vous vous en doutiez, cela ne m'a pas échappé… Quid de la nouvelle redevance pour les concessions sous le régime des délais glissants ? Avez-vous statué ? Le décret est-il sorti ? J'ai déjà eu l'occasion de vous dire qu'un point d'équilibre intermédiaire serait plus satisfaisant et permettrait de développer aussi l'investissement.

Les opérateurs ont également souligné la difficulté de réaliser de nouveaux développements dans le cadre des concessions déjà attribuées : c'est la question des suréquipements. Ces derniers se heurtent à une difficulté juridique, liée au fait que la disposition de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) qui permettait des augmentations de puissance jusqu'à 20 % dans les concessions en cours a été supprimée en 2016 lors de la transposition de la directive sur l'attribution de contrats de concession. Ce n'est pas de votre fait, monsieur le ministre d'État, mais il s'agit là d'une entrave au développement de l'hydroélectricité, alors même que de tels investissements seraient vertueux car ils ne porteraient pas du tout atteinte à l'environnement : l'enjeu est simplement d'augmenter la capacité. Je crois vraiment qu'il y a là une piste qui permettrait de déclencher rapidement de l'investissement et d'optimiser la production d'hydroélectricité, sans pour autant créer de nouvelles infrastructures. Il convient donc d'étudier la question. J'ai soulevé le problème à Bruxelles, lors de notre dernier rendez-vous avec Dominique Ristori, directeur général de l'énergie. Celui-ci était plutôt d'accord pour considérer qu'il faut débloquer la situation.

Je ne vous parlerai pas du renouvellement des concessions – vous connaissez toutes et tous mon avis sur le sujet –, mais si nous le facilitions, cela permettrait à nos opérateurs de débloquer des investissements importants. De nombreux projets sortiraient rapidement des cartons, augmentant ainsi la production de cette énergie renouvelable qui est, je crois que tout le monde s'accorde à le dire, la plus vertueuse – et, en tout cas, la première de nos énergies renouvelables.

J'évoquerai, pour terminer, le développement des filières françaises, notamment dans le domaine du photovoltaïque. Nous avons quelques entreprises qui peinent à passer le cap de la production de masse. Elles ont des demandes, mais n'arrivent pas à y répondre parce qu'il faut changer les modes de production et se diriger vers la massification. L'État est-il prêt à aider à la création et au développement de filières françaises, pour que nous ne soyons pas obligés d'installer des panneaux photovoltaïques venant de très loin, ce qui a un coût carbone réduisant la vertu de leur installation ?

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Je n'ai pas précisé au départ, monsieur le ministre d'État, que nous avions un biais dans cette mission : nous nous sommes focalisés sur le remplacement du pétrole, sans remettre en question le nucléaire – sujet qui a déjà été largement traité.

La question de la vision est revenue quasiment dans tous nos échanges : comment être sûr d'emprunter la bonne voie ? Nous savons tous qu'à l'avenir les sources d'énergie seront multiples : le nucléaire, l'hydraulique, l'éolien, le solaire, la biomasse – notamment avec la méthanisation –, les biocarburants, la géothermie, ou encore l'hydrogène, utilisé comme vecteur.

Souvent, le débat politique bloque parce que beaucoup imaginent que l'on va remplacer le pétrole par quelque chose d'autre. Or on va le remplacer par de très nombreuses choses. En effet, le développement de la biomasse, par exemple, sera forcément limité car il ne faut pas empiéter sur les surfaces agricoles destinées aux productions alimentaires – vous l'avez dit tout à l'heure. La première chose que nous recommandons est de s'efforcer de quantifier la biomasse disponible, en termes de déchets agricoles – ou de déchets en général, du reste –, encore une fois sans empiéter sur les surfaces destinées aux productions alimentaires. Certains territoires ont un peu avancé dans ce domaine : le département du Maine-et-Loire, par exemple, est capable d'établir qu'en fonction des quantités disponibles, il est possible d'installer 49 méthaniseurs, soit un tous les 10 ou 12 kilomètres, sans courir le risque d'aller trop loin. En procédant ainsi, la démarche est acceptable pour la population.

Il en va de même pour l'éolien. Dans mon département, le Pas-de-Calais, l'éolien a connu un important développement : on y trouve des centaines d'éoliennes, qui ont été plutôt bien acceptées. Toutefois, on est arrivé à saturation : les nouvelles installations ne sont plus supportées. Avant, les zones de développement éolien permettaient d'avoir un débat local, au niveau des communautés de communes, pour déterminer où on pouvait en installer, combien il pouvait y en avoir, et de discuter avec la population. Une telle planification dans les territoires nous semble essentielle, en termes d'acceptabilité comme de vision. Ce qui vaut pour l'éolien vaut aussi pour d'autres sources d'énergie : en fonction de la quantité disponible de déchets issus de la betterave – la mélasse –, on sait précisément combien d'éthanol on obtiendra. Il faut savoir de quelles ressources on dispose avant de réfléchir à leur utilisation. On n'a pas de solution pour les avions, à l'heure actuelle : pourquoi ne pas dédier des quantités précises de biomasse à ce type d'utilisation ?

S'agissant d'ailleurs des carburants de synthèse, nous avons observé qu'il y avait beaucoup plus d'expériences en Allemagne qu'en France. Il y a là un domaine qu'il importe vraiment d'explorer. Cette question est bien sûr liée à la production d'hydrogène et à la politique de l'hydrogène, car pour fabriquer du carburant avec du CO2, il faut de l'hydrogène en quantité. Il apparaît donc très important de développer également la filière de l'hydrogène, en lien avec une politique en matière de carburants de synthèse.

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François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Comment encourager et soutenir les initiatives locales et les dynamiques territoriales ? Tout d'abord, le cadre général, notamment budgétaire, y contribue. Je ne l'ai pas évoqué car il s'agit d'un accélérateur, et non d'un frein, mais les tarifs d'achat garantis du gaz et de l'électricité renouvelables sont de puissantes aides publiques, qui créent un appel d'air favorable aux investissements, qu'ils soient le fait d'industriels ou, au niveau local – même si ce n'est pas très développé en France – de collectivités locales, de sociétés d'économie mixte, de sociétés publiques locales, voire de coopératives. Ces dernières permettent aux citoyens de s'approprier la transition énergétique et d'en toucher une partie des dividendes, au sens propre et au sens figuré. En Allemagne, il s'agit d'un phénomène de grande ampleur, puisque près de 50 % des projets éoliens terrestres, me semble-t-il, sont portés par des systèmes coopératifs impliquant directement les habitants. Ce dispositif est beaucoup moins développé en France ; or, cela contribuerait sans doute à l'acceptabilité de tels projets, au moins pour ceux qui s'y impliquent.

Par ailleurs, la loi de transition énergétique impose aux intercommunalités d'une certaine taille de mettre en œuvre un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Une grande partie des 750 intercommunalités concernées ont lancé le leur ; peu sont allées au bout, alors qu'elles avaient jusqu'au 1er janvier de cette année pour le faire. La question qui se pose – des discussions sont en cours à ce sujet avec les associations de collectivités et les élus – est celle de savoir s'il convient de proposer une incitation budgétaire. En tout cas, le cadre est intéressant, car il est cohérent avec la politique énergie-climat nationale, européenne, et même mondiale si l'on pense aux accords de Paris. À ce propos, il serait intéressant d'évaluer les résultats des Territoires à énergie positive pour la croissance verte, créés à l'initiative du précédent gouvernement. Je précise, puisqu'il a été envisagé, un temps, d'arrêter éventuellement les paiements, que je veille – et ma démarche a été confortée par le Premier ministre – à ce qu'ils se poursuivent. Ce ne sont pas de petites sommes : il s'agit de plusieurs centaines de millions d'euros.

En ce qui concerne l'initiative privée, je suis tout à fait intéressé par de nouvelles propositions concernant la réduction des délais. Les procédures réglementaires pourraient en effet se dérouler parallèlement – c'est, en tout cas, dans cette direction que nous voulons aller. En tout état de cause, des mesures législatives ont été prises dans le cadre de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dont j'ai signé les décrets d'application relatifs à l'éolien ou au solaire. Si nous pouvons poursuivre dans cette direction, n'hésitons pas. Cependant, je vous alerte – car je l'ai constaté depuis neuf mois, notamment au cours des débats parlementaires – sur le fait que d'aucuns veulent, au contraire, alourdir les procédures. J'en ai même entendu certains réclamer qu'un référendum local soit organisé sur tout projet d'éoliennes. On peut se demander quel serait le périmètre d'une telle consultation, car une éolienne n'alimente pas en électricité que les riverains et voisins.

Cela me conduit à évoquer l'acceptation sociale de ces projets. À cet égard, je serais très intéressé de connaître les éléments que vous avez pu recueillir dans les pays voisins. Je crois qu'au-delà de la stricte législation et des questions de procédure, la culture politique ou la culture écologique, économique, ont leur importance. Par ailleurs, il me semble qu'en France, nous devons tenir bon sur le principe majoritaire. De fait, il ressort des études d'opinion assez approfondies qui ont été réalisées sur le sujet – même si l'on peut toujours demander qu'elles portent sur des échantillons de population plus importants – que les Français sont très majoritairement favorables – ce n'est pas une question de couleur politique – au développement des énergies renouvelables, qu'il s'agisse des éoliennes – même si celles-ci devaient être implantées à proximité de chez eux –, du solaire photovoltaïque, du biogaz ou des réseaux de chaleur. Cela n'empêche pas que tous ces projets – c'est un peu moins le cas pour le solaire photovoltaïque ou les méthaniseurs, mais cela commence à venir – font l'objet de contestations locales. Je peux parfaitement le comprendre, mais cette opposition, fondée sur des motifs parfois idéologiques, le plus souvent locaux, est le fait de minorités. Or, l'intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers, en matière d'écologie et d'énergie comme dans les autres domaines. On ne peut pas concevoir une politique énergétique morcelée en 13 régions, 100 départements ou 35 000 communes. Ceux dont le territoire comprend des barrages seraient alors les seuls à en profiter, ceux qui ont des centrales vendraient cher leur électricité aux autres… Qui plus est, soyons concrets, il serait aujourd'hui impossible, pour des raisons d'acceptabilité sociale, d'ouvrir un nouveau barrage – je ne nous vois pas noyer une vallée, comme on l'a fait par le passé ou comme le font certains pays – ou d'implanter une nouvelle centrale nucléaire. Il est également très difficile d'ouvrir une petite centrale thermique – on en fait l'expérience actuellement à Landivisiau, dans le Finistère –, d'implanter des éoliennes, des panneaux solaires ailleurs que sur des toitures – et encore, certains s'y opposent –, des méthaniseurs ou même des chaufferies. J'ai en tête l'exemple d'une chaufferie liée à un réseau de chaleur à Nantes : les riverains l'assimilent à une centrale thermique et n'en veulent pas, alors qu'il est prouvé qu'elle n'est pas polluante. Il faut donc tenir bon sur l'intérêt général, et cela doit se traduire dans nos procédures.

S'agissant de la réduction de la consommation d'énergie dans les bâtiments, les enjeux sont multiples. Si la motivation était l'intérêt économique, certaines personnes auraient lancé des travaux depuis très longtemps. Elles ne l'ont pas fait. Pourquoi ? Tout d'abord, par manque d'information. Les consommateurs et les investisseurs doivent donc être mieux informés, c'est indéniable. Ensuite, les aides doivent être connues des intéressés. Par ailleurs, il est sans doute difficile, pour des particuliers – c'est moins le cas pour des entreprises –, de se projeter sur dix, quinze ou vingt ans, voire trente ans, soit la durée d'amortissement de ces travaux. En outre, il y a une raison culturelle. Chaque année, des millions de nos concitoyens effectuent des travaux de peinture pour des raisons purement esthétiques et n'envisagent pas de réaliser le même investissement pour réaliser de travaux qui amélioreraient leur confort – car l'énergie, c'est d'abord du confort – et qui leur rapporteraient, contrairement à la réfection d'une cuisine ou d'une salle de bains. Je sais que des professionnels du bâtiment réfléchissent à la manière dont on pourrait rendre la rénovation énergétique désirable pour les particuliers.

Dès lors, se pose la question de l'obligation ; c'est un débat politique et législatif. Dans le domaine du logement, on n'a jamais hésité à imposer des normes très strictes en matière de sécurité. Ainsi, il est obligatoire de remplacer régulièrement le tuyau d'alimentation qui relie une gazinière à une bouteille de gaz – on est allé jusqu'à pénaliser les propriétaires s'ils n'informaient pas leurs locataires. De même, il est obligatoire de revoir régulièrement son installation électrique, là encore pour des raisons de sécurité. De telles normes sont tout à fait légitimes mais, très souvent, les gens n'en perçoivent pas l'intérêt. Dans un autre registre lié au logement, celui de l'assainissement individuel – qui concerne des millions de Français dont l'habitation n'est pas raccordée à un réseau d'assainissement collectif –, les règles sont aussi très strictes. Si l'installation n'est pas aux normes, les propriétaires doivent la modifier à leurs frais et, s'ils vendent leur habitation, ils doivent soit réaliser la rénovation avant la vente, soit consigner une somme d'argent pour le nouvel acquéreur, qui lui-même devra réaliser les travaux dans un délai d'un an. Ne faut-il pas envisager de fixer des obligations équivalentes en matière de rénovation énergétique ? Non seulement elles créeraient une véritable dynamique mais elles permettraient à nos concitoyens de découvrir l'intérêt d'une telle rénovation, pour eux-mêmes ou pour leurs locataires lorsqu'ils sont propriétaires-bailleurs. Je crois que nous devons y réfléchir.

En ce qui concerne l'hydroélectricité, oui, le décret est finalisé : les ultimes discussions sont conduites, au niveau interministériel, sous la houlette du Premier ministre. L'hypothèse retenue – mais vous le savez, je crois, madame la présidente – est celle d'un taux de 40 % du résultat net, et non du chiffre d'affaires, afin d'éviter que les exploitants de concessions échues ne bénéficient d'une forme de surrémunération. Cela est évidemment surveillé de près par la Commission européenne ; nous ne pouvons pas retenir une solution qui serait trop favorable à ceux qui bénéficient en quelque sorte d'une rente de situation. Ce qui limite actuellement l'investissement dans les concessions, c'est principalement le manque de visibilité sur le renouvellement, qu'il s'agisse des concessions qui vont arriver à échéance ou de celles qui sont déjà échues. Nombre de nos compatriotes, me semble-t-il, ignorent cette situation – on leur raconte, du reste, beaucoup d'histoires sur l'hydroélectricité. Beaucoup de parkings ont été construits dans le cadre d'une concession de 25 ou 30 ans. Or, lorsque cette concession arrive à échéance, on lance un appel concurrentiel à renouvellement, conformément au droit des concessions. En ce qui concerne les barrages hydroélectriques, on est dans une situation de blocage.

Je suis tout à fait prêt à examiner votre proposition concernant la transposition qui a été faite de la directive en 2016. Je souhaite surtout que l'on sorte de la situation de blocage actuelle – j'aurai l'occasion de m'exprimer sur le sujet lors du débat sur le projet de loi « énergie-climat » – et que l'on adopte une doctrine claire. Deux options sont possibles : soit on fait le choix du 100 % public, qui permet de renouveler des concessions sans appel à concurrence, soit on lance un appel à concurrence. Dans certains territoires, on souhaite le maintien dans le giron public ; c'est possible, mais il faut s'en donner les moyens, et j'y travaille au sein du Gouvernement avec EDF. Dans d'autres territoires, les élus souhaitent, au contraire, que les concessions arrivées à échéance fassent l'objet d'un appel à concurrence, afin d'examiner les meilleurs projets d'investissement ainsi que les retombées territoriales car il existe souvent, au-delà de la production d'électricité, des usages locaux de ces installations. Il est donc important qu'on associe les élus locaux à cette réflexion.

Les filières françaises photovoltaïques – ou, de manière générale, le contenu français, local ou européen, des énergies renouvelables – sont un sujet important. Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, et moi-même allons, du reste, signer, avec les acteurs de l'énergie, un contrat stratégique de filière qui permettra de prendre des engagements et de travailler notamment sur certaines filières solaires. De fait, on ne pourra pas, hélas, remplacer l'équipement en panneaux solaires d'origine asiatique par un équipement 100 % français, mais on peut, en revanche, progresser grâce à de nouvelles technologies, de meilleure qualité et offrant de meilleurs rendements, qui pourraient, de surcroît, bénéficier davantage à l'économie locale. Je rappelle en effet que, dans le secteur de l'éolien, plus de 70 % de la valeur ajoutée est française, souvent régionale. C'est également le cas, majoritairement, pour le solaire, car la valeur ajoutée ne se résume pas à la production du panneau. Ainsi, lorsqu'en 2010, un décret a brutalement stoppé l'équipement en panneaux solaires photovoltaïques, 13 000 emplois ont été supprimés en France.

Quant à la biomasse, elle est quantifiée dans la Stratégie nationale bas-carbone. En outre, la direction générale de l'énergie et du climat de mon ministère pilote une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, afin que nous ayons les idées claires en la matière. Ma conviction, c'est que nous ne valorisons pas notre biomasse autant que nous le pourrions. Celle-ci s'entend, ici, au sens très large. Par exemple, 50 % du bois coupé pour la construction ou l'ameublement ne sont pas utilisables, de sorte que, plus on développe le bois-construction, plus on doit développer parallèlement le bois-énergie, et vice-versa. Il en va de même pour la mélasse : nous avons fait en sorte de donner à la filière betteravière française des débouchés supplémentaires en la matière. Mais, vous avez raison, monsieur le rapporteur, il faut mieux quantifier les déchets – il conviendrait, du reste, de parler plutôt de sous-produits, dès lors que ces « déchets » doivent être, non pas éliminés, mais valorisés : ce sont des matières premières. Vous avez cité, à propos des méthaniseurs, l'exemple du Maine-et-Loire ; je n'en avais pas connaissance, mais c'est une bonne démarche.

En ce qui concerne l'éolien, la planification est prévue dans le cadre des schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire (SRADET). Je réunirai prochainement les présidents de région pour que nous aboutissions à une vision autant que possible partagée, mais des divergences politiques existent. Je sais que certains présidents de région ne partagent pas notre ambition nationale en matière d'énergies renouvelables. C'est leur droit, mais nous n'allons pas pour autant arrêter de les développer. J'ajoute, à propos de la biomasse, que notre potentiel national est estimé aux alentours de 300 à 400 térawattheures (TWh) ; c'est donc très important, au regard de notre consommation finale d'énergie.

Dans le domaine des carburants de synthèse, vous avez raison, l'Allemagne est plus avancée que nous. Ces carburants restent cependant très coûteux et ne sont pas compétitifs par rapport au prix de marché des produits fossiles. Mais, pour l'avenir, sans doute faut-il amplifier les recherches dans ce domaine, voire développer quelques démonstrateurs adaptés à des usages pour lesquels il sera très difficile de recourir à l'électricité. Par exemple, l'avion électrique existe, mais il ne peut guère transporter plus de quelques personnes. En revanche, des progrès sont possibles dans le domaine des carburants d'origine végétale ou de synthèse, même s'ils présentent un surcoût par rapport au kérosène. D'où le débat sur la taxation de celui-ci, car c'est l'environnement économique général qui incite ou non à investir dans les produits de substitution.

En ce qui concerne l'hydrogène, le débat est un peu le même, mais je considère qu'il faut se mobiliser davantage. Des projets de territoire, portés à la fois par des collectivités locales et des industriels, sont très intéressants à cet égard, car ils permettent d'envisager le développement de démonstrateurs consacrés à l'utilisation et à la production d'hydrogène vert. Actuellement, hélas, celui-ci est plutôt noir, puisqu'il est issu du craquage du méthane, qui est fortement émetteur de CO2. Or, le but est bien d'exploiter l'électrolyse de l'eau, qui, elle, permet de produire de l'hydrogène sans émettre de CO2.

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Le voyage que nous avons fait en Allemagne a été très instructif. Tout d'abord, nous avons constaté que nous n'avions pas la même conception de la transition énergétique : en Allemagne, celle-ci concerne surtout l'électricité. Nous nous sommes également aperçus que nous avions trois points forts : notre réseau électrique, le nucléaire et l'hydraulique. Il nous est donc apparu qu'il pourrait être intéressant, en ce qui concerne le renouvelable, de fixer des objectifs « zéro carbone » aux régions et de maintenir au niveau national le contrôle du nucléaire et de l'hydraulique. Nous avons besoin, et l'Europe également, non seulement de la quantité d'électricité produite par l'hydraulique, mais aussi et surtout de sa puissance et de son rôle de régulation par rapport aux énergies renouvelables. Les barrages forment un réseau, un système, qu'il faut mettre à disposition de ces dernières. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

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François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

S'agissant de l'Allemagne, rappelons tout d'abord les chiffres. La France dépense, chaque année, 5,5 milliards d'euros sous forme de subventions aux énergies renouvelables : l'éolien, le solaire et d'autres moins importantes. Ces dépenses sont retracées dans le fameux compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ». Contrairement à ce que croient certains et à ce que disent d'autres – malheureusement, je le crains, avec une certaine mauvaise foi –, ce n'est pas la facture d'électricité des Français qui paye ces subventions. Ce fut le cas à une époque, lorsque la fameuse contribution au service public de l'électricité (CSPE) finançait diverses actions, d'abord et avant tout la péréquation tarifaire sur le territoire national, y compris outre-mer. Mais cette contribution est désormais une taxe comme une autre qui alimente le budget général de l'État. En revanche, le produit de la taxe carbone – je le précise à l'intention de ceux qui se demandent ce que deviennent les sommes d'argent collectées sur les carburants ou les énergies fossiles – est consacré, pour une part, au soutien des énergies renouvelables. À ce propos, peut-être ceux qui liront le compte rendu de notre discussion s'étonneront-ils de constater que les crédits inscrits dans le budget s'élèvent en fait à 7,3 milliards d'euros, et non à 5,5 milliards, comme je viens de l'indiquer. Cette différence correspond à une dette de 1,8 milliard envers EDF, qui n'a pas été réglée par le passé et que nous remboursons ; ces remboursements arriveront, du reste, bientôt à échéance.

Le montant de ces crédits, soit actuellement 5,5 milliards d'euros, va augmenter car, tant que le solaire et l'éolien ne sont pas encore tout à fait au prix de marché, ils seront subventionnés. S'agissant de l'éolien offshore marin, par exemple, le mégawattheure est aux alentours de 130 euros alors qu'il est à 60 euros sur le marché. Cependant, le développement de ces énergies nécessite de moins en moins de subventions, car les coûts de production du solaire et de l'éolien ont beaucoup baissé ces dernières années et se rapprochent peu ou prou, selon les régions et le rendement, des prix de marché.

Mais l'Allemagne dépense, quant à elle, 25 milliards d'euros par an ! Si elle a atteint davantage d'objectifs que nous en matière d'énergies renouvelables, ce n'est donc pas uniquement grâce à une plus grande acceptabilité sociale. Ces performances sont le fruit d'une volonté politique qui se traduit dans le budget allemand. Cette politique a, du reste, produit des résultats, puisque l'Allemagne est l'un des pays d'Europe dans lesquels la part des énergies renouvelables est la plus importante. J'ajoute que, contrairement à ce que croient beaucoup, elle est engagée dans la sortie non seulement du nucléaire, mais aussi du charbon. Or, dans ce dernier cas, une commission ad hoc a prévu une dépense de 2 milliards d'euros pendant vingt ans, soit 40 milliards d'euros pour accompagner la sortie du charbon. Il s'agit, je le répète, de dépenses publiques.

Par ailleurs, je veux dire qu'il y a une force européenne. Certains critiquent la politique européenne de l'énergie au motif qu'elle aurait pour objectif de créer un marché européen de l'énergie. Pour ma part, je considère, et je l'assume, que c'est une excellente chose, dans la mesure où il existe une volonté forte de l'Union européenne de développer, en les subventionnant, les interconnexions. C'est une bonne chose notamment pour la France, dont la position géographique est extrêmement avantageuse puisqu'elle nous permet d'avoir une interconnexion avec la Grande-Bretagne, avec l'Allemagne, avec la Suisse – qui n'est pas membre de l'Union européenne –, avec l'Italie et avec l'Espagne. Deux projets sont en cours de réalisation – l'un avec la Grande-Bretagne, l'autre avec l'Italie – et trois autres sont bien avancés : le premier avec l'Espagne – l'interconnexion se fera par la mer, afin d'éviter les problèmes liés à la traversée des Pyrénées –, le deuxième avec le Royaume-Uni, en utilisant le tunnel sous la Manche, et le troisième avec l'Irlande, où je me rendrai à la fin de cette semaine pour signer une convention à ce sujet. L'Irlande, anticipant le « Brexit », veut en effet être interconnectée au marché européen pour ne plus dépendre de son voisin britannique. Ce projet important est subventionné par l'Union européenne.

Je regrette que celle-ci n'aille pas plus loin dans la coordination des politiques en matière de production. Pour l'instant, on considère qu'elles relèvent de la souveraineté des États. Or, chacun d'entre eux a, certes, des objectifs en matière de climat ou de développement des énergies renouvelables, mais ils sont très globaux et ne sont pas coordonnés. Cela peut créer des difficultés en Europe ; déjà, certains pays rencontrent des problèmes, notamment le Royaume-Uni. La Belgique, qui était en grande difficulté l'hiver dernier, a appelé ses voisins à l'aide parce que cinq de ses sept centrales nucléaires étaient à l'arrêt pour des raisons de sécurité – centrales qui sont, je le précise, un tout petit peu plus âgées que les centrales françaises. Il faut donc anticiper. Et lorsque je dis qu'il ne faut pas être dépendant d'un mode de production dominant, ce n'est pas une clause de style. La Belgique a d'autres problèmes : par exemple, elle n'a pas d'interconnexion directe avec l'Allemagne, de sorte qu'elle est obligée de passer par les Pays-Bas. Il se trouve que, pour la France, c'est plutôt un atout, car elle a des capacités de production – nucléaire, hydroélectrique et, demain, renouvelable – plus fortes qui lui permettront de jouer un rôle assez important sur le marché européen de l'énergie et d'être plutôt excédentaire vis-à-vis de ses voisins – même si, pour l'instant, ce n'est pas tout à fait le cas avec l'Allemagne.

Quant aux barrages, vous l'avez dit, ils sont intégrés dans un système – je peux parfaitement souscrire à ce propos. Mais on ne peut pas tout avoir. La Commission européenne veille à éviter tout abus de position dominante. Or, en France, EDF est en position dominante, tant sur la production d'électricité en général – elle détient la quasi-totalité des moyens de production, en particulier dans le secteur de l'hydroélectricité – que sur le marché des consommateurs finaux, notamment des particuliers. Dans un tel cas, l'Union applique des règles assez claires, qui peuvent aller jusqu'à la séparation des activités. Ainsi, ses activités de réseau et ses activités de production sont séparées, même si, aujourd'hui, elles restent intégrées dans le même groupe. En effet, notre politique est de maintenir un groupe EDF intégré. Cela va donc conduire à un certain nombre de modifications de l'organisation d'EDF pour avoir le maximum de garanties, si l'on veut maintenir les barrages hydroélectriques dans le giron public, mais aussi de clarté dans les comptes, pour éviter des avantages liés à une position historiquement dominante qui ne seraient plus souhaités si l'on veut que les consommateurs puissent bénéficier de la concurrence.

Je conclus en ajoutant qu'une autre politique, qui n'a été souhaitée par aucun gouvernement, de gauche comme de droite, aurait consisté à couper EDF en morceaux. Cela n'a pas été voulu par le passé, et nous ne le voulons pas aujourd'hui. Mais il faut accepter de donner des garanties aux autres investisseurs dans le secteur de l'énergie, notamment de l'électricité.

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Merci beaucoup, monsieur le ministre d'État, pour ce tour d'horizon très complet. J'ajouterai deux petites remarques. J'ai bien noté votre volonté d'étudier de près la question du suréquipement des ouvrages et de la transposition de 2016 de la directive « concessions ». Des dossiers sont en attente dans vos services, et ce serait une solution pour impulser une dynamique. Vous ne serez pas étonné que je regrette votre choix concernant le décret relatif à la « redevance » applicable aux concessions en délais glissants. Il me semble qu'entre une mesure « trop favorable », celle que nous proposions, et une mesure, nous semble-t-il, « trop confiscatoire », celle que vous proposiez, il y avait un chemin de la raison. Je regrette également que l'avis du Conseil supérieur de l'énergie (CSE) n'ait pas pesé dans votre décision, même si vous avez tout à fait le droit de ne pas le suivre. Enfin, sur la question du 100 % public, vous ne serez pas étonné que je souscrive à votre proposition, puisque j'avais fait la même suggestion en 2013.

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François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Cela aura des conséquences sur l'organisation !

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Mais il faut, vous avez raison, étudier tout cela de près, car nous devons conserver la richesse du système intégré. C'est un exercice difficile, mais je pense qu'une volonté politique partagée devrait nous permettre d'y parvenir.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 16 h 30

Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton

Excusé. - Mme Nathalie Bassire