Intervention de François de Rugy

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 16h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

S'agissant de l'Allemagne, rappelons tout d'abord les chiffres. La France dépense, chaque année, 5,5 milliards d'euros sous forme de subventions aux énergies renouvelables : l'éolien, le solaire et d'autres moins importantes. Ces dépenses sont retracées dans le fameux compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ». Contrairement à ce que croient certains et à ce que disent d'autres – malheureusement, je le crains, avec une certaine mauvaise foi –, ce n'est pas la facture d'électricité des Français qui paye ces subventions. Ce fut le cas à une époque, lorsque la fameuse contribution au service public de l'électricité (CSPE) finançait diverses actions, d'abord et avant tout la péréquation tarifaire sur le territoire national, y compris outre-mer. Mais cette contribution est désormais une taxe comme une autre qui alimente le budget général de l'État. En revanche, le produit de la taxe carbone – je le précise à l'intention de ceux qui se demandent ce que deviennent les sommes d'argent collectées sur les carburants ou les énergies fossiles – est consacré, pour une part, au soutien des énergies renouvelables. À ce propos, peut-être ceux qui liront le compte rendu de notre discussion s'étonneront-ils de constater que les crédits inscrits dans le budget s'élèvent en fait à 7,3 milliards d'euros, et non à 5,5 milliards, comme je viens de l'indiquer. Cette différence correspond à une dette de 1,8 milliard envers EDF, qui n'a pas été réglée par le passé et que nous remboursons ; ces remboursements arriveront, du reste, bientôt à échéance.

Le montant de ces crédits, soit actuellement 5,5 milliards d'euros, va augmenter car, tant que le solaire et l'éolien ne sont pas encore tout à fait au prix de marché, ils seront subventionnés. S'agissant de l'éolien offshore marin, par exemple, le mégawattheure est aux alentours de 130 euros alors qu'il est à 60 euros sur le marché. Cependant, le développement de ces énergies nécessite de moins en moins de subventions, car les coûts de production du solaire et de l'éolien ont beaucoup baissé ces dernières années et se rapprochent peu ou prou, selon les régions et le rendement, des prix de marché.

Mais l'Allemagne dépense, quant à elle, 25 milliards d'euros par an ! Si elle a atteint davantage d'objectifs que nous en matière d'énergies renouvelables, ce n'est donc pas uniquement grâce à une plus grande acceptabilité sociale. Ces performances sont le fruit d'une volonté politique qui se traduit dans le budget allemand. Cette politique a, du reste, produit des résultats, puisque l'Allemagne est l'un des pays d'Europe dans lesquels la part des énergies renouvelables est la plus importante. J'ajoute que, contrairement à ce que croient beaucoup, elle est engagée dans la sortie non seulement du nucléaire, mais aussi du charbon. Or, dans ce dernier cas, une commission ad hoc a prévu une dépense de 2 milliards d'euros pendant vingt ans, soit 40 milliards d'euros pour accompagner la sortie du charbon. Il s'agit, je le répète, de dépenses publiques.

Par ailleurs, je veux dire qu'il y a une force européenne. Certains critiquent la politique européenne de l'énergie au motif qu'elle aurait pour objectif de créer un marché européen de l'énergie. Pour ma part, je considère, et je l'assume, que c'est une excellente chose, dans la mesure où il existe une volonté forte de l'Union européenne de développer, en les subventionnant, les interconnexions. C'est une bonne chose notamment pour la France, dont la position géographique est extrêmement avantageuse puisqu'elle nous permet d'avoir une interconnexion avec la Grande-Bretagne, avec l'Allemagne, avec la Suisse – qui n'est pas membre de l'Union européenne –, avec l'Italie et avec l'Espagne. Deux projets sont en cours de réalisation – l'un avec la Grande-Bretagne, l'autre avec l'Italie – et trois autres sont bien avancés : le premier avec l'Espagne – l'interconnexion se fera par la mer, afin d'éviter les problèmes liés à la traversée des Pyrénées –, le deuxième avec le Royaume-Uni, en utilisant le tunnel sous la Manche, et le troisième avec l'Irlande, où je me rendrai à la fin de cette semaine pour signer une convention à ce sujet. L'Irlande, anticipant le « Brexit », veut en effet être interconnectée au marché européen pour ne plus dépendre de son voisin britannique. Ce projet important est subventionné par l'Union européenne.

Je regrette que celle-ci n'aille pas plus loin dans la coordination des politiques en matière de production. Pour l'instant, on considère qu'elles relèvent de la souveraineté des États. Or, chacun d'entre eux a, certes, des objectifs en matière de climat ou de développement des énergies renouvelables, mais ils sont très globaux et ne sont pas coordonnés. Cela peut créer des difficultés en Europe ; déjà, certains pays rencontrent des problèmes, notamment le Royaume-Uni. La Belgique, qui était en grande difficulté l'hiver dernier, a appelé ses voisins à l'aide parce que cinq de ses sept centrales nucléaires étaient à l'arrêt pour des raisons de sécurité – centrales qui sont, je le précise, un tout petit peu plus âgées que les centrales françaises. Il faut donc anticiper. Et lorsque je dis qu'il ne faut pas être dépendant d'un mode de production dominant, ce n'est pas une clause de style. La Belgique a d'autres problèmes : par exemple, elle n'a pas d'interconnexion directe avec l'Allemagne, de sorte qu'elle est obligée de passer par les Pays-Bas. Il se trouve que, pour la France, c'est plutôt un atout, car elle a des capacités de production – nucléaire, hydroélectrique et, demain, renouvelable – plus fortes qui lui permettront de jouer un rôle assez important sur le marché européen de l'énergie et d'être plutôt excédentaire vis-à-vis de ses voisins – même si, pour l'instant, ce n'est pas tout à fait le cas avec l'Allemagne.

Quant aux barrages, vous l'avez dit, ils sont intégrés dans un système – je peux parfaitement souscrire à ce propos. Mais on ne peut pas tout avoir. La Commission européenne veille à éviter tout abus de position dominante. Or, en France, EDF est en position dominante, tant sur la production d'électricité en général – elle détient la quasi-totalité des moyens de production, en particulier dans le secteur de l'hydroélectricité – que sur le marché des consommateurs finaux, notamment des particuliers. Dans un tel cas, l'Union applique des règles assez claires, qui peuvent aller jusqu'à la séparation des activités. Ainsi, ses activités de réseau et ses activités de production sont séparées, même si, aujourd'hui, elles restent intégrées dans le même groupe. En effet, notre politique est de maintenir un groupe EDF intégré. Cela va donc conduire à un certain nombre de modifications de l'organisation d'EDF pour avoir le maximum de garanties, si l'on veut maintenir les barrages hydroélectriques dans le giron public, mais aussi de clarté dans les comptes, pour éviter des avantages liés à une position historiquement dominante qui ne seraient plus souhaités si l'on veut que les consommateurs puissent bénéficier de la concurrence.

Je conclus en ajoutant qu'une autre politique, qui n'a été souhaitée par aucun gouvernement, de gauche comme de droite, aurait consisté à couper EDF en morceaux. Cela n'a pas été voulu par le passé, et nous ne le voulons pas aujourd'hui. Mais il faut accepter de donner des garanties aux autres investisseurs dans le secteur de l'énergie, notamment de l'électricité.

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