Je souhaiterais à présent souligner les interrogations soulevées par le rapport. Loin de formuler uniquement des conclusions, nos travaux ont en effet posé trois questions principales. Cela peut paraître paradoxal mais l'interrogation est en réalité le propre de la démarche scientifique. La première interrogation que nous avons exprimée porte sur la sélection des experts. Par nature, les experts disposent d'un savoir, d'une compétence dans leur domaine, qui s'appuie sur une expérience forgée au fil de leur parcours professionnel, lequel les a conduits à côtoyer diverses personnes dans différentes structures. Or il leur est parfois reproché, dès lors qu'ils collaborent avec une agence sanitaire nationale ou européenne, d'avoir au préalable travaillé pour un acteur privé. Mais dépourvus d'une telle expérience, ils ne seraient pas parvenus à un niveau d'expertise leur permettant précisément de collaborer avec les agences. La question de la confiance en la parole des experts soulève donc une réelle difficulté. S'agissant de l'indépendance de ces experts, les agences ont renforcé l'arsenal de prévention des conflits d'intérêts, qui est désormais robuste. L'outil principal en est la déclaration d'intérêt préalable, rendue publique, qui garantit que l'expert accomplit sa mission auprès de l'agence de manière sincère sans faire prévaloir d'autres intérêts qu'il aurait par ailleurs. Si la pratique de la déclaration d'intérêt, bien établie, fonctionne de manière satisfaisante, des questions demeurent néanmoins sur le périmètre des intérêts à déclarer, la prise en compte des intérêts passés (à quelle échéance remonter dans le temps ?) ou futurs et l'éventuel contrôle dont cette déclaration pourrait faire l'objet.
La deuxième difficulté soulevée par notre rapport est relative à la production des données de base. Comme vous l'aurez compris, la procédure d'autorisation de mise sur le marché repose sur l'obligation faite aux industriels de produire des données, ce qui permet notamment d'examiner le danger, l'exposition et la réponse entre la dose et ses effets. Il est normal que ce soit les firmes qui produisent ces données car elles sont souvent issues des phases de recherche et développement. Il y aurait donc quelques difficultés à ce qu'un expert indépendant en dehors de la firme puisse produire les mêmes données. Il existe donc une logique à ce que les firmes produisent ces données. En revanche, des difficultés peuvent apparaître lorsque la transparence de la donnée n'est pas assurée, car cela entraîne un problème de confiance. Toutefois, le sujet est plus complexe que cela, car nos discussions avec les industriels ont montré qu'il existe des données qui relèvent du secret industriel. Nous formulons des préconisations en lien avec cette nécessité d'ajouter de la transparence à la donnée.
Le troisième et dernier élément de questionnement issu de nos travaux a trait aux biais possibles, que nous avons appelés les « angles morts de l'expertise ». Malgré la qualité du travail des agences et des recherches menées et l'indépendance des experts, les sujets restent complexes. À titre d'exemple, lorsqu'un polluant se retrouve dans l'environnement, les milieux sont variables, notamment l'eau, le sol et l'air, et les animaux vont y être confrontés, ainsi que l'ensemble de la chaîne alimentaire, y compris l'être humain. Il y a donc des manques qui persistent. Les tests toxicologiques sont forcément limités. De la même façon, les effets indirects des substances sont peu étudiés et les tests de toxicité à long terme sont en réalité réalisés sur des périodes assez courtes. Cela est illustré par la question des perturbations endocriniennes. Comme tout cela vient à se regrouper dans l'environnement, il existe des « effets cocktail », c'est-à-dire l'addition des effets des différentes substances qui sont parfois méconnus. Vous retrouverez dans notre rapport des préconisations pour une meilleure connaissance des effets sur l'environnement et pour un travail sur le temps long.