S'agissant des chaînes de production, il importe de poser le problème avant d'imaginer des solutions. Dans certains cas, le problème a été l'indisponibilité de denrées indispensables, et il faudra mesurer sa contribution à la gravité de la crise. Force est de constater qu'à politique commerciale identique décidée à l'échelle de l'Union, certains États membres étaient mieux préparés et ont mieux fait que d'autres. Ainsi, avant de vouloir changer la politique commerciale, commençons par analyser ce qui explique ces disparités. La principale explication est l'existence ou l'absence de stocks ; ce n'est donc pas une affaire de politique commerciale commune.
À supposer qu'il y ait des leçons à tirer pour cette politique, qui a d'ailleurs bien d'autres raisons d'évoluer, plusieurs scénarios sont à l'étude – par exemple, verdir la politique commerciale en changeant certaines normes et en instaurant un dispositif de contrôle carbone à la frontière, que nous présenterons le 3 juin à Bruxelles. La piste des droits de douane ne doit pas être exclue, mais c'est une solution de dernier ressort : si nous commençons à mettre des droits de douane sur nos importations, d'autres en mettront sur nos exportations. Or, compte tenu du différentiel de croissance entre l'Union européenne et le reste du monde, auquel la crise Covid ne changera rien, nous avons grand besoin d'exporter vers des marchés qui croissent plus vite que les nôtres. Cela étant, les règles de l'OMC sont momentanément assouplies, comme d'ailleurs les règles européennes et toutes celles qui visaient, avant la crise, à assurer un certain équilibre des conditions de concurrence – notamment parce que les États sont intervenus fortement dans les économies. Avant de reprendre la réforme nécessaire de certaines règles de l'OMC, il faudra probablement un régime transitoire de type clause de sauvegarde.
Les clauses passerelles qui permettent de décider à l'unanimité de passer à la majorité existent, ne sont pas utilisées – sans doute parce que la pression populaire n'est pas assez forte. Sans compter que la question de savoir si l'on peut revenir en arrière reste ouverte. En inscrivant la règle de la majorité dans un traité, on franchirait enfin ce Rubicon que la plupart des diplomaties nationales refusent de passer pour l'instant.
S'agissant des instruments, le concept auquel je pense est un emprunt de l'Union à la fois pour prêter et donner, dans différentes proportions selon les secteurs. Pour que des investissements à la fois créateurs d'emplois et décarbonants se fassent en urgence, un « bazooka financier » est nécessaire.
Certes, une partie de l'opinion doute de la capacité de l'Union à protéger ses habitants. Tout se jouera avec le plan de relance : s'il fonctionne, on convaincra les Européens que c'est le bon niveau d'intervention ; sinon, les critiques se multiplieront.
La recherche est, effectivement, une priorité. Le rapport Lab-Fab-App que j'ai produit en 2017 plaidait pour le doublement du programme de recherche communautaire, qui représente 10 à 12 % de l'ensemble des programmes de l'Union. Monter à 20 ou 30 % serait la bonne manière de faire, car c'est à cette échelle que certains de ces investissements deviendront productifs et rentables.
Je me définis comme un critique du capitalisme de marché favorable à l'ouverture des échanges, qui permet à certaines conditions de créer du bien-être y compris au plan social – contrairement à la fermeture des échanges, qui ne fonctionne à aucune condition. Affirmer que je suis pour le libre-échange est caricatural. Je n'ai pas prononcé ce terme une seule fois depuis 1999, date de mon examen pour devenir commissaire européen au commerce, sinon pour critiquer ce concept qui, à mon avis, n'a pas de sens. S'il est utile dans des joutes oratoires, le libre-échange n'existe pas dans la réalité. Le problème n'est pas le capitalisme, mais la globalisation dans sa forme actuelle. Car comme dit le proverbe chinois, quand le sage montre la lune (le capitalisme), l'idiot regarde le doigt (la globalisation).