Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 12 mai 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 12 mai 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17 heures.

I. Audition de M. Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors

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Les discussions pour un plan de relance de l'économie européenne sont en cours à Bruxelles. Quels en seraient la forme et les instruments les plus efficaces ? Devrait-il être lié au cadre financier pluriannuel ? Ne craignez-vous pas que la relance à court terme prime sur les enjeux à long terme, à commencer par la transition écologique ?

Comment jugez-vous la réponse de l'Europe à la crise déclenchée par le coronavirus ? Plusieurs voix l'appellent à retrouver sa souveraineté industrielle. Celle-ci vous semble-t-elle possible et à quelles conditions, notamment au regard des règles de l'OMC ?

La conférence sur l'avenir de l'Europe a dû être reportée, comment voyez-vous l'avenir de l'Europe, au-delà de la crise sanitaire et de ce qu'elle a révélé ? Quelles évolutions vous semblent nécessaires pour l'Union, ses institutions et ses politiques ?

Il y a quelques années, vous citiez souvent Angela Merkel qui observait que l'Union représentait moins de 7 % de la population mondiale, mais 25 % de la puissance économique et 50 % des dépenses sociales. N'était-ce pas un discours narratif ? Le volet social est très important pour tous les États membres.

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Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors

Le plan de relance proposé par les Instituts Jacques Delors de Bruxelles et Paris sera rendu public le 14 mai. C'est un plan partiel, puisqu'il se focalise sur cinq secteurs –bâtiment, mobilité routière, traitement des déchets, innovation et tourisme côtier –, mais très élaboré et détaillé. Il prévoit un montant d'ensemble de 800 milliards d'investissements pour créer de l'emploi et accélérer la transition énergétique. Cette occasion inédite de combiner relance économique et transformation écologique est rendue possible par les sommes allouées, sans précédent. Ces investissements massifs devront être déployés à très court terme, hors de tout labyrinthe de décisions préalables. Aussi les critères d'immédiateté et de simplicité ont-ils été essentiels dans notre sélection.

Ce plan est affaire de contenu, de taille, de financement et de mise en œuvre. La conséquence sociale de la crise économique, elle-même conséquence de la crise sanitaire, étant catastrophique, elle requiert un effort de soutien de l'économie et des entreprises, dans des conditions qui permettent d'accélérer l'avènement d'un système économique moins stressant pour la nature et les humains. À l'instar de MM. Breton et Gentiloni, nous évaluons l'effort global de l'ordre du 1 000 ou 1 500 milliards. De son côté, Berlin vise plutôt 200 à 300 milliards. La réponse à la question du financement – quel degré d'utilisation du bilan de l'Union pour ce plan ? – est donc à Berlin, étant précisé que ce bilan n'est pas la somme de ceux des États membres. Il s'agit également de savoir quel tuyau de financement sera utilisé, avec quelle règle de proportion entre les prêts et les dons. Un réel effet déclencheur, sur le plan économique et de l'emploi, impose que l'Union emprunte sur son bilan pour fournir des subventions et pas seulement consentir des prêts. Les discussions seront inévitablement compliquées.

Les sujets du budget communautaire et des perspectives financières, qui sont la programmation à sept ans des budgets de l'Union en fonction de sa stratégie, méritent d'être déliés. Premier problème : savoir s'il faut passer par le budget communautaire. Un autre : le plan de relance doit-il s'inscrire dans de nouvelles perspectives financières. Ma position diffère de celle de la Commission, qui considère qu'il faut adapter les perspectives financières déjà esquissées. Je pense que ces veilles perspectives sont dépassées et qu'il est prématuré de définir la stratégie européenne à sept ans en dehors de la nécessité d'un plan de relance immédiat : les incertitudes sont trop nombreuses. Si l'Union manque cette étape d'un plan de relance immédiat, il est difficile de savoir si elle sortira affaiblie ou renforcée de cette crise.

Jacques Delors avait coutume de dire qu'à Bruxelles, il n'y a pas beaucoup de pompiers mais beaucoup d'architectes. Je ne reproche donc pas aux institutions européennes de n'avoir pas été très bonnes dans le rôle de pompier au début de la crise : ce n'est pas leur métier. La situation s'est améliorée quand l'Union a exercé des compétences de coordination en co-volonté avec les États membres. Néanmoins, son avantage comparatif n'est pas dans le régalien, mais dans l'architecture de l'avenir, donc dans le plan de relance, même si la crise le rend très urgent.

La question de la dépendance est très importante. Cette crise a mis en relief la fragilité de chaînes d'approvisionnement, à un degré limité du fait des restrictions aux exportations décidées y compris par l'Union européenne, et bien plus largement en raison des failles des maillons logistiques qui nous relient aux économiques asiatiques, en particulier chinoise. Je souscris à l'idée selon laquelle il faudra, dans certains secteurs stratégiques ou critiques, remanier ces chaînes pour les rendre moins fragiles et plus résilientes. De quelle manière ? En installant des stocks tampons dans les divers États des chaînes de production manufacturière ? En diversifiant les chaînes d'approvisionnement ou en rapatriant complètement certaines chaînes de production, avec les risques en cas de crise locale ? Faut-il le faire au niveau européen et comment ? Des voix plaident pour le niveau national. Pourtant, si la relocalisation de certaines productions a un sens, le prix du risque augmentera nécessairement. Dans le capitalisme de marché globalisé, c'est une affaire de prix relatif. Il n'y aura pas déglobalisation, car la technologie ne revient pas en arrière, mais un modèle de globalisation un peu différent. Je souhaite que l'on tire les leçons de cette crise en essayant de réformer le capitalisme de marché, en le rendant plus résilient, plus soutenable et moins stressant pour la nature et pour les gens – mais ce sera au prix d'une certaine perte d'efficacité.

S'agissant de l'OMC, l'Union européenne a été à la hauteur de son poids géoéconomique, donc de son marché intérieur. Son influence et sa puissance lui ont permis de prendre l'initiative de répondre à la prise d'otages du mécanisme de règlement des différends et de la Cour d'appel par les Américains. En montant une coalition avec d'autres États membres de l'OMC, et pas des moindres, l'Union européenne a enfin pu se passer des Américains qui faisaient de l'obstruction. Cette solution n'est peut-être pas pérenne, mais elle permet de maintenir l'idée que l'OMC est fondée sur des règles et que si celles-ci sont enfreintes, un mécanisme contraignant de règlement des différends se met en place.

Avec la Conférence sur l'avenir de l'Europe, l'occasion est offerte de réétudier le projet européen en sortie de crise, en examinant ce qui va et ce qui doit changer, et de créer un dialogue citoyen. Cette perspective semble pertinente à plusieurs conditions, auxquelles l'Institut Jacques Delors travaille et qui tiennent à la nature du mandat et à l'exercice de la conférence, mais aussi à l'engagement des États membres que ses résultats se traduiront par des réformes. Si j'avais une seule proposition à formuler pour qu'elle change quelque chose dans l'Union, ce serait la suppression de la règle de l'unanimité et le passage à la majorité. D'aucuns rétorqueront qu'il existe déjà des passerelles et qu'il peut être décidé, à l'unanimité, de passer à la majorité. Mais on ne l'a jamais fait, et si on ne le fait pas sous forme constitutionnelle et institutionnelle, il ne se passera jamais rien.

Je tiens à la formule citée par Mme Merkel, pour la lui avoir soufflée ! Je l'avais trouvée dans un rapport de la Banque mondiale et c'est une assez bonne manière de définir une partie du modèle européen. En fait, seuls les Européens eux-mêmes peinent à définir leur modèle, l'appartenance et l'identité étant des questions narratives essentielles auxquelles je travaille avec le réseau de la chaire d'anthropologie de l'Europe contemporaine. C'est ce que j'appelle la face nord de l'intégration européenne, que nous n'avons pas encore assez empruntée !

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La crise sanitaire met en lumière la dépendance criante de l'Union européenne et de la France à certains produits essentiels dans la lutte contre le coronavirus, fabriqués pour la plupart à l'étranger, majoritairement en Chine. D'aucuns appellent une redéfinition de la souveraineté industrielle de l'Union, en lien avec celle de la politique commerciale commune. Le rétablissement de droits de douane, qui permettrait de maintenir les filières stratégiques en Europe, pourrait être contraire aux accords de libre-échange et aux règles de l'OMC, et ouvrirait une guerre commerciale avec les États-Unis et la Chine. Comment envisagez-vous l'avenir des relations commerciales européennes ? Comment réduire notre dépendance commerciale dans le respect des traités internationaux ?

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La construction européenne a fonctionné à chaque fois qu'elle s'est fixé un objectif clair et prioritaire. Aujourd'hui, l'unique objectif doit être celui, institutionnel, de l'extension de la majorité qualifiée. Estimez-vous qu'elle passe par une modification des traités et selon quelles modalités ? La clause passerelle, qui requiert simplement l'unanimité des États, n'est-elle pas l'instrument, nécessaire mais suffisant, de ce déblocage ?

L'autre priorité consiste à garantir une perspective de redressement européen de l'économie via deux modalités très différentes d'intervention : les prêts et les transferts. Dans votre plan, qu'est-ce qui est destiné à financer des investissements productifs rentables – et pourquoi, dès lors qu'ils sont rentables ? Qu'est-ce qui est destiné à soutenir des investissements non rentables, pourquoi, à quelle hauteur et comment ? Pourquoi systématiquement engager les États à s'endetter alors que certains, comme l'Italie et dans une moindre mesure la France, ont atteint leur limite ? Pourquoi apporter au secteur industriel des moyens qu'il devrait trouver dans la mobilisation de l'épargne par le secteur bancaire ?

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Estimant ne pas avoir été suffisamment protégés, ses habitants doutent de l'Union. Dépendre de la Chine pour des médicaments et des masques soulève de nombreuses questions, relatives aux accords d'échange comme au poids de la recherche, notamment médicale. Sans doute convient-il de poser un diagnostic partagé, socle d'une stratégie à même de redonner tout son sens à l'Union et de retisser du lien. Je considère moi aussi le passage à la majorité qualifiée comme une nécessité. Enfin, le plan de relance permettra-t-il de renforcer la recherche et l'Europe de la défense ?

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Sur le plan idéologique, j'associe votre nom à « ouverture des marchés », « croyance en la régulation des échanges », « vertu du néolibéralisme », « promotion et service après-vente des accords de libre-échange ». Pouvez-vous préciser votre phrase de 2019, lors du débat sur le Mercosur, selon laquelle ce n'est pas l'ouverture des marchés qui est responsable de la crise écologique, mais le capitalisme de marché qui est désormais globalisé ? Vous ne faites qu'effleurer l'éventuel rapatriement de certaines chaînes de production en mettant en avant les risques et les coûts, et vous proposez surtout la solution des stocks tampons et de la diversification des chaînes. Je ne vous demande pas de faire votre mea culpa, mais ne pensez-vous pas qu'il faut cesser de prôner de libre-échange, dans l'intérêt des peuples de l'Europe et de la planète tout entière ?

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Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors

S'agissant des chaînes de production, il importe de poser le problème avant d'imaginer des solutions. Dans certains cas, le problème a été l'indisponibilité de denrées indispensables, et il faudra mesurer sa contribution à la gravité de la crise. Force est de constater qu'à politique commerciale identique décidée à l'échelle de l'Union, certains États membres étaient mieux préparés et ont mieux fait que d'autres. Ainsi, avant de vouloir changer la politique commerciale, commençons par analyser ce qui explique ces disparités. La principale explication est l'existence ou l'absence de stocks ; ce n'est donc pas une affaire de politique commerciale commune.

À supposer qu'il y ait des leçons à tirer pour cette politique, qui a d'ailleurs bien d'autres raisons d'évoluer, plusieurs scénarios sont à l'étude – par exemple, verdir la politique commerciale en changeant certaines normes et en instaurant un dispositif de contrôle carbone à la frontière, que nous présenterons le 3 juin à Bruxelles. La piste des droits de douane ne doit pas être exclue, mais c'est une solution de dernier ressort : si nous commençons à mettre des droits de douane sur nos importations, d'autres en mettront sur nos exportations. Or, compte tenu du différentiel de croissance entre l'Union européenne et le reste du monde, auquel la crise Covid ne changera rien, nous avons grand besoin d'exporter vers des marchés qui croissent plus vite que les nôtres. Cela étant, les règles de l'OMC sont momentanément assouplies, comme d'ailleurs les règles européennes et toutes celles qui visaient, avant la crise, à assurer un certain équilibre des conditions de concurrence – notamment parce que les États sont intervenus fortement dans les économies. Avant de reprendre la réforme nécessaire de certaines règles de l'OMC, il faudra probablement un régime transitoire de type clause de sauvegarde.

Les clauses passerelles qui permettent de décider à l'unanimité de passer à la majorité existent, ne sont pas utilisées – sans doute parce que la pression populaire n'est pas assez forte. Sans compter que la question de savoir si l'on peut revenir en arrière reste ouverte. En inscrivant la règle de la majorité dans un traité, on franchirait enfin ce Rubicon que la plupart des diplomaties nationales refusent de passer pour l'instant.

S'agissant des instruments, le concept auquel je pense est un emprunt de l'Union à la fois pour prêter et donner, dans différentes proportions selon les secteurs. Pour que des investissements à la fois créateurs d'emplois et décarbonants se fassent en urgence, un « bazooka financier » est nécessaire.

Certes, une partie de l'opinion doute de la capacité de l'Union à protéger ses habitants. Tout se jouera avec le plan de relance : s'il fonctionne, on convaincra les Européens que c'est le bon niveau d'intervention ; sinon, les critiques se multiplieront.

La recherche est, effectivement, une priorité. Le rapport Lab-Fab-App que j'ai produit en 2017 plaidait pour le doublement du programme de recherche communautaire, qui représente 10 à 12 % de l'ensemble des programmes de l'Union. Monter à 20 ou 30 % serait la bonne manière de faire, car c'est à cette échelle que certains de ces investissements deviendront productifs et rentables.

Je me définis comme un critique du capitalisme de marché favorable à l'ouverture des échanges, qui permet à certaines conditions de créer du bien-être y compris au plan social – contrairement à la fermeture des échanges, qui ne fonctionne à aucune condition. Affirmer que je suis pour le libre-échange est caricatural. Je n'ai pas prononcé ce terme une seule fois depuis 1999, date de mon examen pour devenir commissaire européen au commerce, sinon pour critiquer ce concept qui, à mon avis, n'a pas de sens. S'il est utile dans des joutes oratoires, le libre-échange n'existe pas dans la réalité. Le problème n'est pas le capitalisme, mais la globalisation dans sa forme actuelle. Car comme dit le proverbe chinois, quand le sage montre la lune (le capitalisme), l'idiot regarde le doigt (la globalisation).

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Le monde étant interdépendant, les réactions doivent être concertées pour être efficaces. Dans les secteurs agricole et alimentaire, l'accord annoncé avec le Mexique est une ineptie, en pleine crise. L'Union se dote de règles du jeu dans l'intérêt de la planète, la France se fixe des règles souvent mieux-disantes encore et les principaux cas de distorsion de concurrence sont intra-européens. Dans un monde globalisé, comment lutter à armes égales avec des pays qui n'appliquent déjà pas les règles de base de l'OMC ? Seule l'Europe les respecte, se retrouvant avec des boulets aux pieds. Alors que le repli sur soi n'est pas une solution, comment sauver notre agriculture française et européenne, fragilisée par des coûts de production liés à l'application de normes environnementales et protectrices de la planète ?

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Sortir de cette crise requiert de la solidarité et de la coopération avec nos homologues européens, ainsi qu'une réponse collective. Quelle est votre vision de l'économie et de l'incidence de cette pandémie sur la mondialisation ? L'OMC prévoit une chute de 13 à 32 % du commerce mondial de marchandises en 2020. Le Président de la République a plaidé en faveur d'un renforcement de l'autonomie stratégique de l'Europe. La Commission a appelé les États membres à protéger leurs actifs stratégiques par un filtrage des investissements étrangers, en particulier en santé publique. Craignez-vous le renforcement d'une forme de protectionnisme voire de « précautionnisme », pour reprendre votre terme ? Comment appréhender l'équilibre délicat entre défense du libre-échange et protection parfois nécessaire des intérêts et secteurs stratégiques des États ? Quels garde-fous renforcer ou créer pour protéger davantage les consommateurs et les citoyens ? L'OMC survivra-t-elle aux tensions politiques résultant de cette crise, notamment entre la Chine et les États-Unis ?

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D'autres modalités de vote seraient préférables, mais il sera compliqué de les instaurer alors que la situation impose de frapper fort et vite. Comment convaincre nos collègues des autres États européens ?

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L'Europe manque de bon sens, par exemple quand des balles de lin françaises sont envoyées en Chine pour être tissées avant d'être confectionnées en Italie. Avec le verdissement, la prise en compte du bilan carbone des produits et une taxe carbone contribueront à une mondialisation différente. Ne pourrait-on pas ajouter du bon sens dans les circuits de production ? Est-ce compatible avec l'efficacité ? Si l'Europe n'attire pas, n'est-ce pas aussi parce qu'elle n'incarne pas assez le bon sens ?

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Le Premier ministre m'a confié un rapport sur l'opportunité d'un Code européen des affaires. Le moment n'est-il pas particulièrement venu d'envisager des outils communs pour favoriser notre économie ?

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La sémantique a toute son importance. L'Allemagne fixe comme ligne rouge les transferts de budgets d'États, mais n'est pas opposée à l'augmentation du budget européen. Elle n'estime pas utile de changer les règles, car les dispositifs permettent de se mettre d'accord, à condition de s'écouter et de ne pas utiliser l'opinion publique pour dire que certains pays sont solidaires et d'autres pas.

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Marie-Pierre Vedrenne, membre du Parlement européen

Comment le système multilatéral pourra-t-il se rétablir sur ses deux jambes, la négociation et le contentieux ? Imaginez-vous qu'il soit renforcé, avec une supra-coordination ? Les blocages au sein de l'OMC viennent aussi du fait que ses règles ne sont plus adaptées à la Chine, avec laquelle l'Union négocie un accord d'investissement. Comment traiter les questions relatives aux aides d'État et à la concurrence loyale avec cet État-continent, à la lumière de la crise du Covid ?

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Catherine Chabaud, membre du Parlement européen

Les crises climatique et sanitaire sont connectées et ont des répercussions sur l'économie et le social. Pourtant, on continue à traiter les sujets en silo, sans vision stratégique globale, transversale, intégrée et systémique. L'accord de Paris et les Objectifs de développement durable devraient être perçus comme la colonne vertébrale d'une telle approche et d'un Green Deal européen. Votre plan de relance aborde-t-il la solidarité, la souveraineté et le leadership européens comme des facteurs transversaux ?

Pourrait-on, à moyen terme, repenser la notion de PIB et donner un prix aux services écosystémiques rendus par la nature ?

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Gilles Lebreton, membre du Parlement européen

Que pensez-vous de l'avis de la cour de Karlsruhe qui semble tacler la Banque centrale européenne ?

Pouvez-vous revenir sur la question de l'identité européenne et le travail que vous menez avec des anthropologues ?

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Faut-il mutualiser les dettes et être solidaires dans les remboursements ?

Comment aller plus vite vers une politique commerciale durable ?

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Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors

Cette crise porte un risque alimentaire élevé pour certaines parties du monde, où les victimes de la famine risquent d'être plus nombreuses que celles du virus, du fait de l'interruption des chaînes logistiques et humaines : dans des pays de l'hémisphère sud et bientôt du nord, les récoltes restent sur pied. Pour l'instant, ce risque ne concerne pas l'Europe, où le commerce intérieur est resté actif dans la filière alimentaire.

S'agissant de la productivité de l'agriculture, il est inexact que les Européens seraient alourdis par des contraintes sanitaires que les autres n'auraient pas à respecter : à l'exception d'œufs pondus par des poules dont les cages sont plus petites que celles imposées par les normes européennes, il n'entre pas sur le territoire européen de produit agricole ou alimentaire qui ne corresponde pas à nos normes. En outre, j'ai le sentiment que ces normes seront renforcées car si la crise Covid change quelque chose au modèle capitaliste tel qu'on le connaît, ce sera vers davantage de précaution. Tel sera le nouveau prix du risque, qui s'appliquera en matière de santé, sanitaire, phytosanitaire et environnementale. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour les producteurs européens. Reste à traiter la question du prix du carbone. Le 3 juin, l'Institut Jacques Delors Bruxelles présentera la maquette complète d'un système d'ajustement carbone à la frontière, d'abord dans certains secteurs, puis étendu à l'agriculture.

M. Trump a pris des libertés vis-à-vis des règles de l'OMC, mais les Européens ont systématiquement rétorqué. C'est un exercice auquel l'Union est accoutumée.

L'incidence de la pandémie sur l'économie est catastrophique. Mais le choix d'arrêter les économies montre que le prix de la vie humaine est beaucoup plus élevé qu'avant, même s'il a pour conséquences d'importantes séquelles économiques, sociales et probablement politiques. Cette crise étant de loin la plus grave que l'économie mondiale a connue depuis 75 ans, elle rend absolument nécessaires des plans de relance.

S'agissant de l'autonomie stratégique, identifions correctement le problème avant de trouver des solutions plus ou moins graduées, sans oublier que d'autres auront leur propre idée de ce qui est critique ou stratégique. En discuter entre Européens va de soi, le faire avec d'autres pays semble conseillé.

Le contrôle des investissements étrangers dans les pays européens doit être renforcé. Ce n'est pas une compétence de l'Union, mais une décision européenne visant à coordonner les systèmes nationaux de contrôle. Une récente note de l'Institut Jacques Delors Paris propose des pistes d'amélioration rapide en la matière.

Le protectionnisme, qui protège les producteurs de la concurrence étrangère, comme le « précautionnisme » qui vise à protéger les populations de risques, ont un effet sur le commerce international : le premier en maintenant des producteurs moins efficaces, la différence étant payée par le consommateur ; le second en administrant des niveaux de précaution à la frontière différents. La précaution – je n'ai rien contre – est plus difficile que la protection, car elle ne fonctionne jamais à la baisse. C'est un domaine subjectif par essence.

Nous devrons vivre avec la rivalité sino-américaine, que la crise a plutôt renforcée.

Le multilatéralisme souffrira de la crise. Le monde post-covid sera plus divisé, plus fragmenté, plus polarisé. Nos sociétés aussi, ce qui n'est pas une bonne nouvelle pour la coopération internationale – sauf à renforcer l'Europe comme acteur intermédiaire. Nous en discuterons au Forum de Paris pour la paix que je présiderai mi-novembre. Je ne suis pas des plus optimistes et je reste dans l'idée que les questions de gouvernance globale doivent être mises entre les mains d'autres que les souverains et les diplomates : la société civile, les entreprises, les grandes collectivités locales et les grandes institutions académiques doivent avoir voix au chapitre dans des coalitions de projets.

Pour que les Allemands fassent davantage preuve de solidarité, il faut influencer le débat politique national afin que la chancelière accepte d'aller au-delà des notions conventionnelles. L'Institut Jacques Delors Berlin a récemment publié une tribune affirmant que l'Allemagne se trompe.

Cultiver du lin à Dieppe, l'envoyer en Chine puis en Italie peut sembler curieux. Mais la France ne sait plus tisser le lin et les Italiens sont meilleurs que nous en confection. Tout cela a un coût, et la solution consiste à « pricer » le carbone au bon niveau. Une partie de l'échange international pourrait alors être localisée différemment, avec des filatures en Afrique. Le bon sens passe par un bon prix du carbone, et non par une réorganisation de force qui ne permettrait pas à nos produits d'être compétitifs.

Un code européen des affaires n'a jamais été possible par manque d'efforts et parce que le projet ne doit pas être conduit par une assemblée de juristes. Il faut passer par des macro-normes agréées au niveau politique, décomposées ensuite en moyennes puis petites normes. Il existe un statut de société européenne, dont le commissaire Breton était un grand fervent et auquel je suis très favorable.

S'écouter est, effectivement, indispensable.

S'agissant de la Chine et des aides d'État, la bataille va continuer. Quand les pays occidentaux subventionnaient leur économie à 5 % et les Chinois à 30 %, les perspectives d'accord étaient improbables. Mais, nos subventions étant à 20 % ou 25 %, il suffit que la Chine reste à 30 % pour que le problème soit un peu moins compliqué à régler.

S'agissant du lien emploi/écologie, je vous renvoie à nos annonces du 14 mai, étant entendu qu'il est impératif que ce plan de relance démarre maintenant – raison pour laquelle je préfère qu'on le dissocie de la discussion sur les perspectives financières.

Concernant le PIB, la croissance se mesure avec les prix de marché. Tant qu'il n'y aura pas de prix du carbone correct et correspondant aux externalités, ces mesures seront faussées. C'est parce que je le déplore que je soutiens les démarches visant à augmenter ce prix.

La Cour de Karlsruhe est connue pour avoir une interprétation très étroite des transferts de souveraineté permis par la constitution allemande. Certes, celle-ci mériterait d'être alignée sur d'autres constitutions européennes qui autorisent ces transferts dans des conditions plus faciles. Reste que l'Allemagne a souscrit au principe selon lequel les décisions de la Cour de justice européenne prévalent sur celles des cours nationales. Ainsi, si la cour de Luxembourg valide l'interprétation que la BCE fait de son mandat, celle de Karlsruhe ne peut s'y opposer. Et si le gouvernement allemand se pliait à une décision de cette dernière, il se mettrait en infraction du point de vue des obligations communautaires. L'avis de la Cour n'est donc pas un problème majeur. En témoigne d'ailleurs la réaction des marchés.

L'identité européenne est un de mes dadas ! Je soutiens ainsi différentes chaires d'anthropologie européenne. Celle de l'université catholique de Louvain a publié l'an dernier, avec Normale Sup et l'Institut d'études avancées, une étude intitulée « Les figures du froid en Europe : les avatars potentiels d'un nouveau récit européen ? », qui met en avant les racines d'une identité européenne commune. Les Européens sont éduqués dans leurs différences, et ils en sont curieux. Les sondages montrent que ces différences sont entretenues par la proximité, pour des raisons de construction identitaire : les Français se voient ainsi plus différents des Allemands que des Polonais, et plus différents des Belges que des Suédois.

Je ne crois pas que la solidarité européenne passe par la mutualisation de toutes les dettes des États, et je comprends à certains égards les objections à l'idée de transfert qui dérange tant les Allemands. Pour autant, nous devons franchir des pas supplémentaires dans la solidarité européenne, ce qui passera inévitablement par une augmentation du budget européen. La solidarité à 1 % du PIB n'a pas beaucoup de sens. Doubler ou tripler cette part, ce qu'il faudra probablement faire pour financer le plan de relance, donnera du sens.

Concernant le Pacte vert et la politique commerciale, je vous renvoie à la série Comment verdir la politique commerciale de l'Union : oui, mais comment ? en ligne sur le site de l'Institut Jacques Delors de Paris.

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Croyez-vous à une normalisation européenne de l'agriculture dans la lutte pour une autonomie alimentaire ?

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Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors

Je suis plus fervent partisan de la normalisation commune que de la notion d'autonomie alimentaire, qui n'est pas un problème européen à mes yeux. Je me méfie toujours de l'idée qu'on assurera sa sécurité alimentaire au détriment de celle du voisin. La bonne nouvelle de cette crise est que le capitalisme devrait changer. La mauvaise est que la coordination internationale, condition indispensable de ce changement, sera probablement plus difficile. Je suis pour le renforcement de la résilience locale, mais le faire sans coordination accroît la fragilité globale. Le monde est un système qui, comme tous les organismes vivants, a besoin d'organisation entre ses éléments autonomes. Je ne mets pas l'autosuffisance européenne au premier rang de mes priorités, ne serait-ce que parce que cela supposerait de changer considérablement nos habitudes alimentaires. L'Europe a des avantages comparatifs dans l'agriculture, et j'ai toujours pensé qu'il valait mieux ajouter de la valeur à notre production agroalimentaire plutôt que l'exporter en vrac pour la faire transformer ailleurs.

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Comment en êtes-vous venu à déclarer qu'on se dirigeait plutôt vers un Brino, un Brexit in name only ?

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Pascal Lamy, président de l'Institut Jacques Delors

Cette conclusion n'est pas le consensus des experts du Brexit, dont je suis pour avoir activement participé à la construction du marché avec les Anglais durant des années. Je pense qu'à la fin des fins, la déconstruction sera limitée : la stratégie anglaise consistera à sortir le plus possible politiquement, mais le moins possible économiquement. Créer des normes anglaises pour plus de 60 millions de consommateurs coûterait très cher.

La séance est levée à 19 h 06.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Patrice Anato, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bourlanges, M. André Chassaigne, Mme Yolaine de Courson, M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Christine Hennion, Mme Caroline Janvier, M. Patrick Loiseau, M. David Lorion, M. Thierry Michels, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Joaquim Pueyo, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - Mme Françoise Dumas, M. Jérôme Lambert, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, Mme Danièle Obono, Mme Maina Sage

Assistaient également à la réunion. – M. Stéphane Bijoux, Mme Catherine Chabaud, M. Gilles Lebreton, M. Thierry Mariani, Mme Marie‑Pierre Vedrenne, Mme Stéphanie Yon‑Courtin, membres du Parlement européen