Intervention de Coralie Dubost

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 10h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCoralie Dubost, rapporteure :

Mes chers collègues, c'est avec grand plaisir que je vous retrouve aujourd'hui dans cette salle de la commission des affaires européennes ; je salue la députée européenne Nathalie Colin-Oesterlé, qui est avec nous en visioconférence et avec qui j'ai déjà eu l'occasion d'échanger.

Notre commission est saisie d'une proposition de résolution européenne relative à la relocalisation de la fabrication des médicaments et des principes actifs pharmaceutiques en Europe, déposée par le député Fabrice Brun, que je remercie. La pénurie de médicaments et de principes actifs pharmaceutiques en Europe est un problème chronique, que la crise du Covid-19 a rendu encore plus aigu. Selon le rapport d'initiative sur la pénurie de médicaments de Mme Colin-Oesterlé, les tensions sur l'approvisionnement se sont multipliées par vingt entre 2000 et 2018. Cela s'explique notamment par la délocalisation des activités industrielles dans le secteur pharmaceutique. D'où il s'ensuit une dépendance croissante des États européens à l'égard des États tiers, particulièrement la Chine et l'Inde, ainsi qu'une perte de souveraineté européenne en matière sanitaire. Selon l'Agence européenne des médicaments (en anglais European Medicines Agency, EMA), 80 % des principes actifs pharmaceutiques sont fabriqués en Chine et en Inde, et 40 % des médicaments commercialisés dans l'Union ont été importés.

Devant ce constat, M. Brun a formulé cinq propositions visant à relocaliser la fabrication des médicaments et des principes actifs pharmaceutiques en Europe. Il s'agit d'élargir les compétences de l'Agence européenne des médicaments ; de définir la notion de médicament essentiel et d'établir une liste de médicaments et de principes pharmaceutiques actifs considérés comme stratégiques pour notre sécurité sanitaire européenne ; d'adopter une définition européenne de la rupture d'approvisionnement et d'harmoniser les critères d'évaluation du risque associés à une situation de tension ou de rupture ; d'utiliser des leviers de la politique fiscale et de la politique commerciale pour inciter l'implantation en Europe de sites de production de médicaments et de principes pharmaceutiques actifs ; enfin, de mener une véritable politique industrielle qui permette de coordonner les acteurs et d'accompagner l'augmentation des capacités de production en Europe de médicaments et de principes actifs pharmaceutiques essentiels.

La crise du Covid-19 a évidemment mis en lumière les fragilités de la chaîne d'approvisionnement en matière médicale et les lacunes de la politique européenne de santé. Pour répondre en urgence à cette crise, l'Union européenne, qui n'est dotée en la matière que d'une politique d'appui aux États membres, et non de compétences propres, a notamment eu recours à des instruments de coordination dont elle disposait en matière sanitaire, et elle a utilisé ses compétences dans le domaine de la régulation du marché intérieur.

Je salue l'initiative de M. Brun et je tiens sincèrement à le remercier, car il est crucial que le Parlement français se saisisse du sujet des délocalisations dans la filière pharmaceutique, et affirme que la souveraineté sanitaire fait partie intégrante de la souveraineté stratégique européenne, que la France défend depuis de nombreuses années.

En outre, cette proposition de résolution européenne s'inscrit pleinement dans les préconisations de l'initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus, qui appelle à l'émergence d'une industrie sanitaire européenne ayant un positionnement stratégique, afin de réduire la dépendance de l'Union vis-à-vis des États tiers. L'enjeu pour l'Union est de définir une nouvelle approche européenne en matière de santé, qui repose sur la souveraineté sanitaire, en pérennisant et en complétant les outils dont elle dispose. Avant même la crise du Covid-19, la Commission préparait pour la fin de l'année 2020 une stratégie pharmaceutique – qui a, depuis, bien évidemment pris une tout autre dimension.

Les propositions du rapport d'initiative d'avril 2020 sur la pénurie de médicaments défendues par Mme Colin-Oesterlé s'inscrivent exactement dans cette logique et semblent tout à fait opportunes ; dans quelques instants, la députée européenne nous les présentera.

Sans remettre en cause les objectifs poursuivis par la proposition de résolution européenne déposée initialement par M. Brun, j'aimerais réexaminer les outils proposés pour les atteindre. Il me semble en effet que la proposition n° 4, suggérant la mise en place d'un pacte fiscal, se heurte à certains obstacles d'ordre juridique et politique, puisqu'il n'existe pas de fiscalité harmonisée des entreprises au niveau européen, et que ce domaine relève par ailleurs de l'unanimité au Conseil. Un tel pacte fiscal serait plus aisé à mettre en œuvre au niveau national, sans préjudice de la réglementation européenne relative aux aides d'État.

Le deuxième volet de la proposition n° 4, relatif au rehaussement des tarifs douaniers applicables aux médicaments et principes actifs produits à l'étranger, ne soulève pas de difficultés quant à la compétence – la politique commerciale étant une compétence exclusive de l'Union –, mais il risquerait de produire des effets pervers en alimentant des tensions commerciales internationales et en occasionnant des réactions protectionnistes chez certains de nos partenaires.

Votre rapporteure pense ainsi que les effets recherchés, à savoir la relocalisation des chaînes de production des médicaments et des principes actifs pharmaceutiques essentiels, auraient plus de chances d'être atteints en ayant recours à des outils européens de politique industrielle. Nous pouvons ainsi utiliser cet instrument que sont les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), développés depuis quelques années, qui permettent de soutenir les secteurs considérés comme stratégiques – c'est ce qui a été fait pour donner l'impulsion nécessaire à la création d'un Airbus des batteries.

Ce dispositif pourrait être étendu au secteur pharmaceutique, dont le caractère stratégique ne fait désormais plus aucun doute, ce qui permettrait aux États volontaires d'accorder des aides nationales aux entreprises de dimension européenne. En contrepartie de ces aides financières et conformément à l'esprit de la proposition initiale, des garanties de long terme seraient exigées afin d'assurer à l'Europe une véritable souveraineté sanitaire.

Tel est l'objet principal des amendements que je vous soumettrai.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.