Intervention de Nathalie Colin-Oesterlé

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 10h30
Commission des affaires européennes

Nathalie Colin-Oesterlé, députée européenne :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me permettre de m'exprimer devant la commission des affaires européennes.

Madame la rapporteure, j'ai eu l'occasion d'échanger avec vous sur le rapport d'initiative que j'ai présenté il y a quelques jours, en commission, au Parlement européen. Comme vous l'avez rappelé, les pénuries de médicaments au sein de l'Union européenne, qui ont été multipliées par vingt entre 2000 et 2018, entraînent des risques considérables pour la sécurité et la santé des patients. Ces pénuries portent sur les médicaments anticancéreux, les antibiotiques, les vaccins, les anesthésiants, le traitement de l'hypertension, des maladies cardiaques et des maladies du système nerveux. Parmi les médicaments concernés, les anticancéreux utilisés en chimiothérapie, les anti-infectieux et les médicaments du système nerveux – antiépileptiques et antiparkinsoniens – représentent à eux seuls plus de la moitié des ruptures, qui portent essentiellement sur des médicaments chimiques, simples à produire et peu coûteux.

Les causes des pénuries sont multiples : celles-ci sont dues aux délocalisations – s'expliquant elles-mêmes par un faible coût du travail et des normes environnementales moins contraignantes dans les États tiers –, mais résultent aussi de difficultés de fabrication, de problèmes de qualité et d'une augmentation très importante et soudaine de la demande, due notamment à la pandémie de Covid-19. Les pénuries s'expliquent également par la compression des prix et la massification de la demande, qui entraînent une concentration de l'offre : ainsi, pour de nombreuses molécules, vous n'avez que deux ou trois fournisseurs en Asie, ce qui fait qu'en cas de survenance d'un aléa de production entraînant une rupture d'approvisionnement, aucun autre site ne peut prendre le relais.

Dans le cadre du rapport d'initiative que j'ai présenté il y a quelques jours, j'ai fait plusieurs préconisations.

À court terme, je propose de pérenniser le système RescUE, c'est-à-dire la réserve d'urgence créée en matière de protection civile, puis étendue aux médicaments essentiels et au matériel médical, afin d'en faire une pharmacie européenne d'urgence – c'est aussi ce que propose la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans le volet « santé » de son plan de relance. Si cette réserve d'urgence ne peut concerner tous les médicaments qui seraient en situation de pénurie, on pourrait déjà mettre en place quelques stratégies communes de médicaments et de vaccins prioritaires, concernant les médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique, c'est-à-dire ceux pour lesquels une rupture entraînerait un risque vital immédiat pour les patients et pour lesquels il n'existe pas d'alternative thérapeutique recommandée par les autorités.

Par ailleurs, dans le cadre des appels d'offres, il est nécessaire de faire de la sécurité d'approvisionnement un critère tout aussi prioritaire que le prix. De même, il existe dans les pays d'Europe du Nord des mécanismes d'appels d'offres avec plusieurs gagnants, ce qui permet de maintenir une forme de concurrence, et surtout de sécuriser l'approvisionnement.

À moyen-long terme, nous demandons une plus grande transparence dans la chaîne du médicament, mais également au niveau des stocks des États membres. Il est apparu assez clairement qu'en vertu du principe de précaution, certains États font du surstockage alors que d'autres sont en situation de pénurie. Les industriels eux-mêmes manquent considérablement de visibilité sur les stocks au sein des États membres. Nous souhaitons donc que l'Agence européenne du médicament devienne une véritable autorité régulatrice, tant au niveau des informations provenant des industriels que de celles des agences nationales.

Nous estimons qu'il faut davantage de flexibilité, mais aussi des mesures réglementaires en période de crise : les législations doivent être simplifiées pour faciliter la circulation des médicaments entre États membres, comme cela a été fait durant la crise du Covid-19. Lorsqu'un État est confronté à une situation de pénurie, il semble en effet nécessaire d'assouplir les règles tout en assurant un niveau élevé de qualité et de sécurité.

Nous devons également favoriser la relocalisation de la production de médicaments par des incitations financières et fiscales pour les industriels qui produisent en Europe – de la fabrication de la substance active jusqu'au conditionnement. Pour cela, il faudrait que la législation européenne permette ces aides d'État – dans le respect, bien sûr, des règles de la concurrence – dans le secteur de la santé, aussi stratégique que ceux de la défense ou de l'énergie. Sur ce point, chacun doit prendre conscience que la santé est devenue une arme géostratégique qui peut mettre à genoux un continent, comme on l'a vu durant la crise du Covid-19, ce qui rend nécessaire d'adapter la législation des aides d'État à ce secteur de la production pharmaceutique.

Nous préconisons également la création d'un ou plusieurs établissements à but non lucratif, capables de produire les médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique qui sont en situation de criticité, c'est-à-dire présentant une fragilité au niveau de la chaîne de production, ou les médicaments matures, fabriqués depuis longtemps et ne présentant plus d'intérêt en termes de rentabilité pour les industries pharmaceutiques. Quand je parle d'établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, je pense notamment aux pharmacies des armées ou encore à la pharmacie des hôpitaux de Paris, qui sont aujourd'hui capables de produire certains médicaments ayant perdu tout intérêt financier pour les industries pharmaceutiques.

Enfin, il est essentiel de faire de l'Europe le continent du médicament du futur, en investissant massivement dans la recherche et dans l'innovation, en diversifiant nos ressources – notamment en matière de biotechnologies –, en partageant nos résultats et nos objectifs et en mutualisant la recherche. Nous devons vraiment réapprendre à produire chez nous les principes actifs, ce qui passera par la relocalisation, l'harmonisation et la coopération renforcée entre États membres pour davantage de solidarité, dans le cadre d'une véritable stratégie industrielle et pharmaceutique européenne.

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