Intervention de Fabrice Brun

Réunion du jeudi 11 juin 2020 à 10h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabrice Brun :

Je salue l'eurodéputée Nathalie Colin-Oesterlé et je la remercie pour son travail remarquable, qui a été l'une de nos sources d'inspiration. Je remercie également la commission des affaires européennes de m'accueillir pour examiner cette proposition de résolution sur la relocalisation en Europe de la fabrication des médicaments et des principes actifs pharmaceutiques – comme vous le savez, ces principes actifs sont un peu le cœur de réacteur du médicament. Enfin, je remercie les soixante-dix députés de diverses sensibilités qui, dès le départ, ont soutenu et cosigné cette proposition de résolution européenne, ce qui en souligne d'emblée son caractère transpartisan.

Il est important que notre assemblée se saisisse de ces questions de souveraineté sanitaire car, dans ce domaine comme dans tant d'autres, l'épidémie du Covid-19 a agi comme un accélérateur. Les députés de tous bords étaient nombreux à s'être déjà saisis des questions relatives aux pénuries de médicaments, mais notre perte de souveraineté sanitaire a éclaté au grand jour ces derniers mois et, comme l'a dit Nathalie Colin-Oesterlé, la santé publique est devenue une arme géostratégique qui peut mettre à genoux un pays, et même un continent.

Quand on s'intéresse à ces questions, on tombe tout de suite sur des chiffres qui font froid dans le dos : 80 % des principes actifs sont fabriqués en dehors de l'Europe – principalement en Chine et en Inde –, alors que cette proportion n'était que de 20 % il y a 30 ans. Durant la crise du Covid‑19 sont apparues des tensions importantes sur les produits d'anesthésie. Enfin, il faut savoir que les trente-cinq molécules de base utilisées en oncologie sont fabriquées en Orient – ce qui explique que de nombreuses personnes viennent nous expliquer dans nos permanences que leur traitement par chimiothérapie a dû être suspendu faute de disposer du produit nécessaire.

Face à une situation sanitaire et humaine très difficile, il est impératif pour notre pays et pour l'Europe tout entière de relocaliser la fabrication des médicaments, d'où l'idée de cette proposition de résolution européenne, visant à donner un cadre à cet objectif – un cadre susceptible d'adaptations, que nous apporterons au texte au fil du débat, par voie d'amendement. En tant qu'initiateur de ce texte, je souscris à l'idée de recourir au dispositif des PIIEC, consistant en des aides d'État plus flexibles, sans pour autant éluder le débat sur ce que j'appellerai un « protectionnisme intelligent aux frontières de l'Union européenne », visant à relocaliser la production dans des secteurs vitaux comme ceux de la santé ou de l'alimentation. Nous avons été très attentifs aux dernières déclarations de Thierry Breton, commissaire européen chargé du marché intérieur, sur la protection aux frontières. Pour ma part, je suis heureux que les grands décideurs européens évoluent progressivement vers cette idée de protection. Il ne s'agit pas d'isolement ou d'autarcie, mais d'une protection intelligente destinée à nous permettre d'assurer le service minimum de la protection sanitaire de nos concitoyens.

Il convient de souligner qu'on assiste depuis trois ou quatre ans à un redémarrage de la production de médicaments en France, encore assez timide mais bien réel, et qu'il y a donc des industriels français qui produisent sur le sol national et réclament à ce titre une reconnaissance. Ce texte devrait permettre à la fois d'accompagner l'amorce du retour de la production en France et d'anticiper les évolutions à venir dans ce domaine : pour cela, j'espère que nous allons pouvoir lui apporter les adaptations nécessaires sans toutefois le dénaturer. Cela contribuera à donner plus de force à la France sur la scène européenne dans un contexte qui semble favorable, puisque la Commission européenne a annoncé le 28 mai dernier qu'elle était prête à encourager le rapatriement des capacités de production.

Cette proposition de résolution prévoit d'élargir les compétences de l'Agence européenne des médicaments. Elle vise à définir, sous l'égide de cette agence, la notion de médicament essentiel. Elle a également pour objet d'établir au niveau européen une définition de la rupture d'approvisionnement et du risque associé – il est assez incroyable de constater que, durant le vaste mouvement de délocalisation auquel on a assisté ces trente dernières années, personne ne s'est soucié de définir ce qu'est un médicament essentiel et ce qui peut constituer une alerte en cas de rupture. Le texte prévoit la signature d'un accord tripartite entre l'Union européenne, les entreprises pharmaceutiques et l'industrie chimique pour augmenter les capacités de production en Europe. Cela se traduira par des droits, mais aussi par des devoirs, à la manière d'un contrat d'objectifs : selon les principaux leaders pharmaceutiques, il y a encore un savoir-faire en France et en Europe ; il ne manque que la volonté politique de l'accompagner durant quelques années. Enfin, la proposition de résolution prévoit un pacte fiscal consistant en des exonérations ciblées pour les entreprises s'engageant sur des investissements pour l'implantation en France ou en Europe de sites de production de médicaments ou de principes pharmaceutiques actifs essentiels pour la sécurité sanitaire européenne, mais aussi en un renforcement de la taxation à l'entrée de l'Union européenne des médicaments et des principes pharmaceutiques actifs fabriqués en dehors de l'Union.

Je sais qu'en pratique, cette proposition de résolution se heurte à la nécessité de recueillir l'unanimité. Nous y serons très attentifs et, en tout état de cause, le fait d'orienter les PIIEC permet de disposer d'un outil plus flexible, qui pourrait trouver dans la crise du Covid-19 l'occasion de se développer.

En conclusion, pour les députés du groupe Les Républicains, la question de la relocalisation de la fabrication du médicament s'inscrit dans un débat bien plus large, celui du rétablissement à moyen terme par la France et l'Union européenne d'un protectionnisme intelligent, visant à relocaliser la production dans des secteurs vitaux tels que la santé et l'alimentation, et à rééquilibrer les échanges commerciaux avec les pays qui ne respectent pas nos normes sanitaires, environnementales ou sociales. Le protectionnisme n'est pas un gros mot, ce n'est pas l'autarcie ni l'isolement. En tout état de cause, nous avons besoin d'inventer un dispositif qui permette à l'Europe de protéger notre souveraineté sanitaire et de nous engager sur la voie de la relocalisation de la production, car c'est ce que nos concitoyens attendent de l'Union européenne.

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