Le secteur énergétique est au cœur de la réflexion sur l'économie résiliente que nous devons construire après la crise sanitaire du COVID‑19. Avec quelles énergies construire une économie résiliente et décarbonée ? Comment restaurer une souveraineté dans ce secteur éminemment stratégique ? Comment réduire la dépendance énergétique de l'Union européenne face aux États tiers ?
Telles sont les questions qui ont guidé notre réflexion sur l'indépendance énergétique de l'Union européenne, notion qui doit, à notre sens, s'articuler autour de trois axes :
Le premier est géopolitique et concerne la sécurité des approvisionnements énergétiques. Le principal enjeu, pour les États membres, est de diversifier à la fois leurs sources d'approvisionnement, dans un contexte où la dépendance au gaz russe s'accroît, et leur bouquet énergétique.
Le deuxième est écologique, puisque seule une transition énergétique réussie permettra à l'Union européenne de réduire sa dépendance aux pays producteurs d'énergie fossile.
Le troisième est industriel et a trait à l'autonomie stratégique du secteur. Il s'agit de développer une filière européenne d'énergie propre, dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission, et de protéger les actifs stratégiques du secteur énergétique, que la crise a rendu encore plus vulnérable aux stratégies prédatrices de certains pays tiers.
Si elle prend une acuité particulière dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique et dans le cadre du Pacte vert européen, la question de l'indépendance énergétique des États n'est cependant pas nouvelle. Considérée comme un élément indissociable de la souveraineté, l'énergie a fait l'objet d'une coopération ambitieuse dès 1951, dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, devenant un des premiers piliers de la solidarité européenne. Toutefois, quelque soixante-dix ans plus tard, la coordination des politiques énergétiques des pays de l'Union européenne ne va toujours pas de soi, et l'Union de l'énergie se heurte notamment au fait que le choix du mix énergétique relève de la compétence des États membres, et les décisions en la matière connaissent une certaine inertie.
Pour l'Union européenne, la sécurité énergétique a d'abord été synonyme de sécurité d'approvisionnement et impliqué une politique de réduction de la dépendance aux approvisionnements extérieurs. Cet objectif est encore loin d'être atteint, l'Union européenne important 53 % de l'énergie qu'elle consomme. Cette dépendance est manifeste pour les énergies fossiles : 90 % du pétrole brut consommé, 66 % du gaz naturel.
En outre, cette dépendance énergétique s'accroît, en raison notamment de la diminution de la production domestique, de la faiblesse du nombre de fournisseurs et de la part croissante du gaz dans la consommation. Ainsi, en 2016, plus des trois quarts (77,1 %) des importations de gaz naturel de l'Union européenne provenaient de Russie, de Norvège ou d'Algérie. Cette dépendance est problématique pour les États dont le mix énergétique est peu diversifié, qui disposent d'un nombre réduit de fournisseurs (voire d'un seul, la Russie !), et dont les interconnexions avec les autres États membres sont insuffisantes.
C'est le cas de certains États membres d'Europe centrale et orientale, dont la dépendance au gaz russe est très marquée. Cela explique pourquoi ces pays sont tentés de développer le nucléaire comme source d'énergie alternative. Les pays très dépendants pourraient également vouloir s'orienter vers le gaz naturel liquéfié, notamment américain, pour diversifier leurs sources d'approvisionnement : les États-Unis peuvent ainsi bouleverser le marché de l'énergie en exploitant leurs grandes réserves de gaz de schiste.
Hormis la vulnérabilité particulière de ces pays, accrue par les tensions géopolitiques persistantes entre la Russie et l'Ukraine, l'Europe de l'énergie connaît une situation d'interdépendance plutôt que de dépendance, les réseaux électriques étant interconnectés, et la dépendance au gaz russe étant réelle, mais réciproque.