Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • carbone
  • dépendance
  • indépendance
  • électrique

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 24 juin 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte 16 heures 35.

I. Communication sur la réunion extraordinaire des présidents de la COSAC du 16 juin 2020 (Mme Sabine Thillaye, présidente)

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Avant d'examiner le rapport de nos collègues sur l'indépendance énergétique, je voudrais en quelques minutes vous dresser un bilan de la réunion extraordinaire de la COSAC qui s'est tenue le 16 juin dernier par visioconférence.

Le premier thème a permis de faire le point sur la réponse européenne à la crise du COVID‑19 et ses implications sur le prochain cadre financier pluriannuel. Globalement, le plupart des représentants des parlements nationaux a salué la proposition de la Commission européenne, régulièrement qualifiée de « projet audacieux », témoignant d'un véritable leadership européen dans cette crise. Ce projet a toutefois soulevé quatre questions principales.

D'abord, le montant du plan de relance : certains, notamment la République Tchèque, la Finlande ou la Slovaquie, le considèrent trop élevé, interrogeant notamment la « capacité d'absorption » des économies européennes. Ensuite, la clé de répartition de ces montants : il faudra veiller à ce qu'ils aillent aux entreprises et aux États les plus en difficulté. La répartition entre prêts et subventions a également été questionnée, certains États comme la Suède souhaitant une large part de prêts. Enfin, certains s'inquiètent de la compatibilité entre ces subventions et les objectifs de l'Union, en particulier en matière de transition écologique : certaines délégations ont appelé à ce que ces investissements soient neutres en carbone.

Globalement, les débats ont donc été à l'image de l'espoir mais aussi des divisions potentielles que ce plan de relance audacieux peut créer. Les représentants de la Commission ont attiré l'attention sur la nécessaire ratification par les parlements nationaux, de préférence avant décembre. Nous devrons veiller à la compatibilité des objectifs nationaux et européens.

Le second thème avait traité à la Conférence sur l'avenir de l'Europe. J'ai porté une position très claire dans ces débats : il ne faut surtout pas que cette conférence soit abandonnée, car ses objectifs sont plus que jamais d'actualité : mener une réflexion stratégique sur l'après-crise et penser l'avenir de l'Europe après le choc qu'elle a vécu.

Cette Conférence doit aussi nous permettre de discuter des sujets qui n'ont pas été effacés par la crise : l'efficacité européenne, la défiance démocratique, la transition écologique et le numérique. Plusieurs délégations présentes à la COSAC ont insisté sur l'idée que la Conférence doit permettre de moderniser les politiques et les modes de prises de décisions dans l'Union.

La Présidence croate n'est pas encore parvenue à définir une position du Conseil sur ce sujet même si les retours des discussions en cours au COREPER laissent entrevoir un accord prochainement autour de cinq thématiques (environnement, défis sociétaux dont la santé, la transformation numérique, les valeurs fondamentales et le rôle international de l'UE).

Deux points principaux cristallisent les oppositions.

L'issue de la Conférence et la possibilité ou non de réviser les traités. La France, bien que semblant initialement réticente à l'idée d'une révision des traités, a finalement soutenu, avec d'autres États, une formulation neutre à ce sujet.

La gouvernance de la Conférence fait également l'objet d'un désaccord institutionnel. Le Parlement européen propose en effet une gouvernance assez complexe, qui comprendrait une assemblée plénière (comprenant des députés européens, des citoyens, les États membres et des parlementaires nationaux), mais également un comité de pilotage représentant les institutions européennes et un conseil d'administration, sous la direction du Parlement européen, chargé de gérer la Conférence au quotidien. En plus de tout cela, le Parlement européen propose des agoras citoyennes thématiques.

La Commission européenne, quant à elle, a proposé une gouvernance plus resserrée, composée d'un forum public de citoyens, laissant une place aux parlements nationaux, assisté par des groupes de travail thématiques et une plateforme numérique donnant un accès large aux travaux de la Conférence.

Le Conseil, quant à lui, défend l'idée d'un groupe de pilotage composé des représentants de chaque institution européenne sur un pied d'égalité (le Conseil étant représenté par les États membres exerçant la présidence tournante pendant la période des travaux de la conférence) ainsi que, et ce point est essentiel, les présidences tournantes actuelles et futures de la COSAC. Cette position du Conseil répond donc à la revendication d'une participation des parlements nationaux à l'organe de pilotage de la Conférence.

Un autre point de désaccord concerne la présidence de la Conférence. Le Parlement européen et le Conseil semblent d'accord sur l'idée de placer la Conférence sous l'autorité d'une personnalité indépendante mais divergent sur l'identité de ce dernier. Le Parlement européen avance le nom de M. Guy Verhofstadt qui semble susciter des objections de la part de certains États membres.

L'enjeu pour la présidence allemande est donc de parvenir à un accord interinstitutionnel d'ici la pause estivale sur la gouvernance de la Conférence afin que cette dernière puisse commencer ses travaux à l'automne.

Lors de la réunion de la COSAC, j'ai rappelé une double exigence : celle que la gouvernance ne soit pas trop lourde et complexe afin de ne pas nuire à l'efficacité et à la lisibilité de la Conférence ; et qu'elle associe étroitement les parlements nationaux à la fois dans son pilotage global et dans le déroulement de ses travaux dans les États membres. Cette association des parlements nationaux est rendue d'autant plus nécessaire dans l'éventualité où les traités devraient être révisés : il faudrait alors que tous les parlements en soient saisis. Elle est aussi nécessaire parce que nous, parlementaires nationaux, serons les relais naturels, partout sur nos territoires, des débats que cette Conférence va soulever. Il faudra que nous puissions faire remonter les thématiques du terrain.

La présidence croate a élaboré un courrier adressé aux trois institutions européennes qui demande une association des parlements nationaux dans les « organes de direction » sur une base égalitaire avec les autres membres du Parlement européen.

En conclusion, il ne faut donc surtout pas que les débats dans les États membres soient dilués dans des consultations éparses et sans unité. Il faut qu'ils soient structurés et que les citoyens aient vraiment le sentiment que ces débats vont être utiles pour définir l'avenir de l'Europe.

II. Examen du rapport d'information sur l'indépendance énergétique de l'Union européenne (M. Vincent Bru et Mme Yolaine de Courson, rapporteurs)

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. Nous procéderons à l'examen du rapport de nos collègues Vincent Bru et Yolaine de Courson en présence, par visioconférence, de Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). À l'origine, l'idée de ce rapport était de réfléchir, dans le contexte de la construction du gazoduc Nordstream 2 entre l'Allemagne et la Russie, à la dépendance énergétique de l'Union européenne aux états tiers, et de se demander s'il était possible et souhaitable de s'en affranchir. Depuis, l'actualité est venue ébranler ce secteur, qui a pris une place centrale dans le Pacte vert. L'énergie sera au cœur de la réflexion sur la reconstruction d'une économie durable et résiliente après la crise sanitaire, avec une priorité qui n'est plus tant la sécurité d'approvisionnement que la transition verte. De ce point de vue, le rapport propose une analyse et une description très fouillées du paysage énergétique européen, ce qui apparaît très constructif pour mettre en perspective l'objectif de la Commission pour 2050 de parvenir à une énergie largement décarbonée et plus indépendante.

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Le secteur énergétique est au cœur de la réflexion sur l'économie résiliente que nous devons construire après la crise sanitaire du COVID‑19. Avec quelles énergies construire une économie résiliente et décarbonée ? Comment restaurer une souveraineté dans ce secteur éminemment stratégique ? Comment réduire la dépendance énergétique de l'Union européenne face aux États tiers ?

Telles sont les questions qui ont guidé notre réflexion sur l'indépendance énergétique de l'Union européenne, notion qui doit, à notre sens, s'articuler autour de trois axes :

Le premier est géopolitique et concerne la sécurité des approvisionnements énergétiques. Le principal enjeu, pour les États membres, est de diversifier à la fois leurs sources d'approvisionnement, dans un contexte où la dépendance au gaz russe s'accroît, et leur bouquet énergétique.

Le deuxième est écologique, puisque seule une transition énergétique réussie permettra à l'Union européenne de réduire sa dépendance aux pays producteurs d'énergie fossile.

Le troisième est industriel et a trait à l'autonomie stratégique du secteur. Il s'agit de développer une filière européenne d'énergie propre, dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission, et de protéger les actifs stratégiques du secteur énergétique, que la crise a rendu encore plus vulnérable aux stratégies prédatrices de certains pays tiers.

Si elle prend une acuité particulière dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique et dans le cadre du Pacte vert européen, la question de l'indépendance énergétique des États n'est cependant pas nouvelle. Considérée comme un élément indissociable de la souveraineté, l'énergie a fait l'objet d'une coopération ambitieuse dès 1951, dans le cadre de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, devenant un des premiers piliers de la solidarité européenne. Toutefois, quelque soixante-dix ans plus tard, la coordination des politiques énergétiques des pays de l'Union européenne ne va toujours pas de soi, et l'Union de l'énergie se heurte notamment au fait que le choix du mix énergétique relève de la compétence des États membres, et les décisions en la matière connaissent une certaine inertie.

Pour l'Union européenne, la sécurité énergétique a d'abord été synonyme de sécurité d'approvisionnement et impliqué une politique de réduction de la dépendance aux approvisionnements extérieurs. Cet objectif est encore loin d'être atteint, l'Union européenne important 53 % de l'énergie qu'elle consomme. Cette dépendance est manifeste pour les énergies fossiles : 90 % du pétrole brut consommé, 66 % du gaz naturel.

En outre, cette dépendance énergétique s'accroît, en raison notamment de la diminution de la production domestique, de la faiblesse du nombre de fournisseurs et de la part croissante du gaz dans la consommation. Ainsi, en 2016, plus des trois quarts (77,1 %) des importations de gaz naturel de l'Union européenne provenaient de Russie, de Norvège ou d'Algérie. Cette dépendance est problématique pour les États dont le mix énergétique est peu diversifié, qui disposent d'un nombre réduit de fournisseurs (voire d'un seul, la Russie !), et dont les interconnexions avec les autres États membres sont insuffisantes.

C'est le cas de certains États membres d'Europe centrale et orientale, dont la dépendance au gaz russe est très marquée. Cela explique pourquoi ces pays sont tentés de développer le nucléaire comme source d'énergie alternative. Les pays très dépendants pourraient également vouloir s'orienter vers le gaz naturel liquéfié, notamment américain, pour diversifier leurs sources d'approvisionnement : les États-Unis peuvent ainsi bouleverser le marché de l'énergie en exploitant leurs grandes réserves de gaz de schiste.

Hormis la vulnérabilité particulière de ces pays, accrue par les tensions géopolitiques persistantes entre la Russie et l'Ukraine, l'Europe de l'énergie connaît une situation d'interdépendance plutôt que de dépendance, les réseaux électriques étant interconnectés, et la dépendance au gaz russe étant réelle, mais réciproque.

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Il reste que l'indépendance énergétique de l'Union européenne est, à terme, indissociable de la réussite de la transition énergétique et de l'atteinte de l'objectif ultime du Pacte vert : la neutralité carbone en 2050. En matière de transition énergétique, deux types de politiques peuvent être grossièrement distingués : ce qu'il faut faire (fixer comme priorités la sobriété et l'efficacité énergétique en ciblant les secteurs très émetteurs comme le bâtiment ou les transports), et ce qu'il faut cesser de faire (subventionner les énergies fossiles.) Le plan de relance est une occasion historique d'accélérer cette transition.

À notre grande satisfaction, le COVID‑19 ne semble pas avoir eu raison du Pacte vert, comme en témoigne la volonté de la Commission de faire de ce programme la colonne vertébrale du plan de relance, en insistant sur le lien entre relance économique et construction d'une économie résiliente à long terme. Parmi les différentes actions annoncées par la Commission, certaines sont spécifiquement liées à la transition énergétique, comme l'augmentation du Fonds pour une transition juste ou le doublement du montant consacré aux infrastructures durables dans le cadre d'InvestEU, afin de contribuer à l'objectif d'au moins doubler le taux annuel de rénovation des bâtiments.

Il nous semble fondamental que l'accès à ces fonds soit subordonné au respect par leurs bénéficiaires des ambitions environnementales de l'Union. La Commission s'est voulue rassurante sur ce point, en faisant de la compatibilité des plans de relance nationaux avec le Pacte vert une condition d'accès aux aides. De même, le vice-président de la Commission chargé du Pacte vert, Frans Timmermans, a assuré que les entreprises polluantes devraient fournir des plans de transition verte pour en bénéficier. Certaines organisations non gouvernementales (ONG) demandent, à juste titre, d'aller plus loin en excluant explicitement les investissements dans les énergies fossiles du champ d'application des dispositifs de soutien.

Il convient également de « prioriser » les investissements en mettant l'accent sur la rénovation des bâtiments et les transports durables, qui sont ceux qui sont les plus émetteurs de gaz à effet de serre et ont un fort potentiel en matière de création d'emplois. Dans cette logique, nous reprenons à notre compte plusieurs propositions de l'Institut Jacques Delors, parmi lesquelles :

– la rénovation de la moitié des bâtiments éducatifs d'ici à 2024 (300 milliards d'euros) ;

– la rénovation énergétique intégrale des logements de 4 millions de familles en précarité énergétique d'ici à 2024 (200 milliards d'euros) ;

– le développement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, avec l'objectif de disposer d'au moins un million de bornes de recharge d'ici à 2070 (10 milliards d'euros).

La « vague de rénovation », qui sera présentée par la Commission à la fin de l'année 2020, doit être l'occasion d'annoncer des projets de cette envergure. Parallèlement à ces investissements, il serait opportun de réviser la directive sur la performance énergétique des bâtiments pour y introduire une trajectoire précise par État membre de réduction des émissions de carbone pour les bâtiments neufs et existants, sur le modèle des réglementations adoptées dans le secteur automobile.

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Au-delà du plan de relance, il convient de revoir le cadre législatif et réglementaire d'un certain nombre de politiques européennes pour les mettre en conformité avec les ambitions climatiques de l'Accord de Paris. Il s'agit d'abord de rehausser les objectifs de réduction de gaz à effet de serre à horizon 2040 et de faire de la neutralité climatique en 2050 un objectif contraignant, comme le prévoit la Commission dans le cadre de sa « loi climat ». Pour avoir une chance d'y parvenir, il est impératif de mettre fin aux politiques de soutien aux énergies fossiles et de remettre sur la table la question du prix du carbone. La chute des prix des énergies fossiles consécutive à la crise du COVID‑19 est une occasion en or pour le faire.

À cet égard, nous saluons l'engagement de la Banque européenne d'investissement de cesser de financer des projets énergétiques ayant trait aux combustibles fossiles d'ici à la fin 2021. Il conviendrait également de revenir sur les exonérations fiscales consenties en faveur des carburants d'aviation et des combustibles maritimes. Dans la même logique, la révision du règlement relatif au réseau transeuropéen d'énergie (RTE-E) prévue pour la fin de l'année 2020, devrait être l'occasion de rendre les projets européens d'infrastructures énergétiques compatibles avec l'objectif de neutralité climatique.

Surtout, la réussite de la transition est conditionnée à la mise en place d'une véritable politique de prix du carbone, qui s'articulerait autour de trois axes :

– l'instauration d'un prix plancher du carbone ;

– l'élargissement à d'autres secteurs du système d'échange de quotas d'émissions de l'Union européenne (SEQE-UE), dit « système ETS » ;

– l'introduction d'un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Union.

Enfin, nous assistons à l'émergence de nouvelles dépendances et vulnérabilités : l'interconnexion croissante des réseaux énergétiques européens peut présenter des risques systémiques, et la diffusion progressive de systèmes de gestion numériques des réseaux pose la question de la cybersécurité. Plus les réseaux sont interconnectés, plus ils sont résistants aux attaques mais, lorsqu'ils cèdent, ils sont moins résilients.

En outre, l'absence de réponse à la question industrielle fait peser une menace de dépendance matérielle et technologique. Les brevets des énergies renouvelables sont détenus à 29 % par la Chine et da ns nombre de secteurs industriels associés à la transition énergétique (métallurgie, chimie, etc.), les acteurs de l'Union européenne perdent progressivement en compétence. On le voit en particulier pour les batteries, jusqu'à ce que soit créée l'alliance européenne pour la batterie, et les transformateurs électriques, secteur dominé par la Chine.

Les règles de marché que l'Union européenne s'est imposée l'ont fragilisée face à l'appétit de certains pays tiers. Elle a affaibli les acteurs industriels européens dans un marché ouvert, face à des filières industrielles de pays tiers très organisés bénéficiant de l'appui de leurs gouvernements, qui ont pris de larges participations dans des secteurs stratégiques.

Ainsi, la Chine, qui affiche, dans sa stratégie des « nouvelles routes de la soie », une volonté de conquête dans le secteur de l'électricité aussi déterminée que dans celui des télécommunications, constitue une menace pour l'indépendance électrique de l'Union européenne, comme en témoignent les prises de participation de State Grid (l'équivalent de Huawei pour le secteur de l'électricité) dans le capital de quasiment tous les réseaux électriques mis en vente (Portugal, Grèce, Italie, Luxembourg.) Cette stratégie permet à la Chine de vendre ses équipements en Europe et d'exercer une influence au sein d'ENTSO-E, l'interprofession européenne des gestionnaires de réseau de transport, ce qui représente un vrai danger pour l'indépendance de l'Union européenne.

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La crise du COVID‑19 a accru la vulnérabilité des entreprises européennes face aux appétits des pays tiers et rend encore plus opportune l'inflexion de la philosophie de la Commission en matière de politique industrielle, qui met l'accent sur l'autonomie de l'Union dans les secteurs stratégiques.

Précurseur de ce changement de logique, le projet d'alliance de la batterie lancé en 2017 a vocation à doter l'Europe d'une capacité indépendante de production de batteries, pour la mobilité électrique mais aussi pour le stockage de l'énergie. Cette plateforme de coopération s'est développée grâce au nouvel outil de politique industrielle de l'Union européenne, appelé PIIEC (projet important d'intérêt européen commun), qui permet notamment de bénéficier d'aides d'État et un accès privilégié aux financements européens.

Dans le cadre de la nouvelle stratégie industrielle de la Commission, il serait opportun d'inclure l'ensemble des technologies des énergies renouvelables et de stockage de l'énergie dans les filières pour lesquelles l'Union européenne doit disposer d'une autonomie stratégique, et de créer une Alliance de l'hydrogène, sur le modèle de l'Alliance de la batterie. Nous espérons que la stratégie hydrogène prévue en juillet permettra d'avancer en ce sens.

Enfin, s'agissant de la protection des actifs stratégiques, il convient de saluer l'adoption, en mars 2019, d'un règlement établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l'Union européenne, qui incite les États membres à se doter de mécanismes de filtrage des IDE susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à l'ordre public d'un ou plusieurs États membres. Nous ne pouvons qu'appeler au renforcement de ce dispositif et accueillons très favorablement les propositions du livre blanc sur les subventions étrangères dans le marché unique, adopté le 17 juin par la Commission, qui visent à renforcer l'arsenal défensif de l'Union contre la concurrence déloyale étrangère.

En conclusion, il existe un vrai momentum européen dans le secteur de l'énergie, une occasion à saisir pour accomplir une transition énergétique à même de renforcer non seulement l'indépendance, mais aussi la souveraineté de l'Union dans ce secteur. Il n'en demeure pas moins que, pendant cette période de transition, l'Union aura à trouver un équilibre entre deux objectifs difficilement conciliables : la préservation de l'environnement et la sécurité énergétique, car le développement des interconnexions augmente la vulnérabilité systémique des réseaux, la gestion de plus en plus complexe des réseaux expose ceux-ci au risque des cyberattaques, la part croissante des énergies renouvelables entraîne une dépendance aux fournisseurs de terres rares... Le caractère délicat de cette conciliation entre deux objectifs légitimes apparaît également dans les débats actuels sur la taxonomie, qui a vocation à orienter les investissements vers l'économie verte, et qui à ce stade n'inclut ni exclut explicitement le gaz et le nucléaire du champ des activités durables.

Plus largement, il est permis de penser que la crise du COVID‑19 a accéléré la prise de conscience des citoyens sur la nécessité d'une plus grande sobriété énergétique. Nous sommes convaincus que la réussite de la transition énergétique passera également par l'appropriation citoyenne et l'implantation locale, avec une régression des systèmes énergétiques centralisés au profit de l'autoconsommation et des communautés énergétiques citoyennes.

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. Merci beaucoup pour ce travail intéressant qui montre combien les sujets sont interdépendants. Si 29 % des brevets sont détenus par la Chine, il faut donc parler d'investissement dans la recherche et innovation. Concernant la politique industrielle, le secteur de l'énergie est également concerné par la réflexion sur le renforcement de notre arsenal juridique pour nous défendre contre la volonté de certains États d'avoir prise sur des secteurs stratégiques.

J'ai le plaisir d'accueillir Mme Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Vous étiez auparavant directrice de la politique énergétique de la Commission européenne. Nous sommes intéressés d'avoir votre point de vue sur le rapport qui vient d'être présenté, mais également de savoir ce que vous pensez de l'actualité et des perspectives d'évolution du secteur d'énergie en Europe. L'AIE a publié, le 18 juin dernier, un rapport qui formule trente propositions pour une relance favorable au climat, démontrant qu'il est possible d'éviter un rebond des émissions de CO2 tout en stimulant la croissance et en créant des emplois. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?

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Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE)

Je suis particulièrement intéressée par le sujet du rapport présenté aujourd'hui, notamment parce que j'ai passé vingt ans à la Commission européenne, comme directrice de la politique énergétique. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce rapport très enrichissant pour le débat européen, dans un contexte international.

L'AIE comprend trente membres, qui sont tous membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec trois objectifs : la sécurité énergétique (pour le pétrole, le gaz et l'électricité), la transition énergétique, et nous disposons également d'un mandat défini par les États membres pour travailler à devenir une agence globale. Nous avons des membres associés (comme la Chine, l'Inde, Afrique du Sud, le Maroc, Singapour, le Brésil), avec lesquels nous travaillons. L'agence représente 75 % de la demande énergétique et l'Union européenne est un membre observateur. J'étais donc auparavant, dans mes anciennes fonctions, membre du conseil de gouvernance de l'Agence.

Une des priorités de l'Agence est la sécurité énergétique. Le rapport présenté aujourd'hui adopte une approche large de cette notion et fait le lien avec la transition énergétique. Il y a une dépendance de l'Union européenne vis-à-vis du gaz et du pétrole, et cette dépendance s'accroît, en raison du déclin de la production européenne et de la hausse des importations. En outre, comme vous l'avez dit, la sécurité de l'énergie est aussi fortement liée à l'électrification des usages et la sécurisation des réseaux.

Concernant l'impact du COVID-19 sur le secteur énergétique, après une analyse approfondie, trois chiffres apparaissent particulièrement marquants : nous nous attendons à une chute de la demande d'énergie de 6 % et à une baisse des investissements de 20 %, ce qui ne s'est jamais vu dans l'Histoire. Une telle baisse de la demande n'a pas été constatée depuis la Seconde guerre mondiale. On prévoit une baisse des émissions de CO2 de près de 8 % d'ici à la fin de l'année, par rapport à 2019. Cette baisse n'est pas liée à un changement structurel mais sera due à la crise ; nous nous situerons plus au moins aux niveaux constatés durant l'année 2010. Depuis lors, les émissions de CO2 ont augmenté. Le prochain travail est de savoir comment relancer l'économie, créer des emplois et faire en sorte que ces émissions continuent à diminuer de manière structurelle.

L'AIE a proposé à ses membres un plan de relance durable, permettant une relance économique, des créations d'emplois et une amélioration de la résilience de notre système énergétique et de sa durabilité. Nous avons analysé les situations des États membres de l'AIE, ainsi que le plan de relance proposé par la Commission européenne et initié par la France et l'Allemagne. Notre plan est concret, détaillé et limité aux trois prochaines années. Il représente environ1 000 milliards de dollars par an sur cette période, ce qui représente 0,7 % du PIB mondial, et inclue les dépenses publiques ainsi que le financement privé. Cela correspond plus ou moins, selon nos analyses, à 10 % des dépenses fiscales prévues, dans les plans de relance actuels, pour les « mesures vertes ». Si nous prenons l'exemple de la crise de 2008 et des mesures environnementales prises après 2009, cela en représentait 16 %.

Nous avons analysé six secteurs clé: les mesures pour accélérer le déploiement des sources d'électricité à faible émission de carbone (énergies solaires, éoliennes et le nucléaire), les modes de transports les moins émetteurs (comme les véhicules électriques), la performance énergétique des bâtiments, et celle des équipements utilisés pour l'industrie, notamment manufacturière, agroalimentaire et textile. Nous avons aussi analysé comment encourager à l'utilisation de combustibles plus durables ainsi que l'innovation et les technologies. Vous avez parlé de la problématique des batteries. Nous avons fait un focus sur ce sujet et sur l'hydrogène ce qui, pour l'Europe, constitue les deux technologies clés. L'alliance européenne pour les batteries a été lancée il y a deux ans et serait l'occasion d'investir dans les batteries et dans l'hydrogène pour baisser les coûts et accroître la production.

Comme le montre l'analyse économique que nous avons effectuée avec le Fonds monétaire international, ce plan de relance devrait permettre d'augmenter le PIB mondial d'un pourcent par an entre 2020 et 2023, et de 3,5 % par an au-delà, par rapport au niveau constaté en l'absence de stimulus économique. Les investissements dans les nouvelles infrastructures, les réseaux électriques et les bâtiments vont créer cette croissance. Nous voyons que l'effet de la relance, telle que nous la proposons, sera plus important pour les pays en voie de développement que pour les pays aux économies avancées.

À l'heure actuelle, tous les gouvernements sont concentrés sur la création d'emploi. Nos données les plus récentes sur l'emploi lié à l'énergie montrent qu'en 2019 le secteur énergétique (électricité, charbon, biocarburants) emploie de manière directe près de 40 millions de personnes à travers le monde. On estime que 3 millions d'emplois sont menacés en raison de l'impact de la crise et que 3 millions d'autres le sont également dans autres secteurs étroitement associés, tels que la filière automobile, le bâtiment, l'industrie.

L'objectif est donc de stabiliser les projets en cours, de sauvegarder les emplois et de lancer de nouveaux projets. Nous estimons que le plan proposé pourrait créer près de 9 millions d'emplois supplémentaires dans le secteur de l'énergie. Ce serait en particulier le cas des mesures relatives à la rénovation énergétique des bâtiments existants et des autres mesures permettant d'améliorer la performance énergétique. Dans ce domaine, 35 % des emplois seraient créés, ainsi que dans le domaine de l'électricité, avec 25 % d'emplois créés dans la rénovation des réseaux électriques ou dans les énergies renouvelables.

Quand on évoque le secteur de l'électricité, il faut parler des réseaux. Notre analyse suggère une augmentation de 40 % des investissements dans les réseaux électriques, qui sont la colonne vertébrale des systèmes électriques fiables et sûrs. Entre 2015 et 2020, il y a de moins en moins d'investissements dans les réseaux électriques. Toutefois, avec la numérisation, les réseaux électriques deviendront de plus en plus intelligents.

Nous pensons qu'il faut utiliser et renforcer ces leviers qui auront un impact positif dans le futur pour faire face aux catastrophes naturelles. Un autre aspect important est celui de l'accès. Plus de 270 millions de personnes pourraient bénéficier d'un accès à l'électricité, notamment en Afrique.

La crise financière a provoqué une légère baisse des émissions, beaucoup moins extrême que ce qu'on a observé avec le COVID-19. En 2020, nous prévoyons une réduction de 8 % des émissions de CO2 globales par rapport à 2019. Le futur est assez incertain. Nous avons étudié les plans de relance, mais il est impossible de prévoir de quelle manière se fera la reprise ou quel sera le comportement des consommateurs. Les gens vont-ils reprendre la voiture, les visioconférences vont-elles continuer ? Avec cette relance, on pourrait observer un pic définitif des émissions de CO2 et accélérer la mise en œuvre des objectifs climatiques prévus dans l'Accord de Paris.

En conclusion, le rôle des gouvernements de concevoir les mesures de relance des économies est crucial. Ces décisions façonneront les infrastructures pour les dix prochaines années.

Notre plan ne prétend pas dire aux États ce qu'ils doivent faire, mais plutôt ce qu'ils pourraient faire. Leurs actions déterminent les chances d'atteindre les objectifs énergétiques et climatiques globaux. Nous sommes en contact avec la France pour parler plus concrètement de ce qu'il est possible de faire. L'impact global porterait sur les emplois et les émissions.

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. Merci beaucoup pour votre présentation. Vous avez dit quelque chose de très intéressant et qui montre la complexité de ce sujet : d'un côté, la crise nous épargne des émissions de CO2 en évitant des déplacements, mais d'un autre côté il y aura peut-être plus de demande d'énergie par ailleurs. Comment trouver un juste milieu ?

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Madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, je vous remercie pour ce rapport que je trouve aller dans le sens de la politique que mène la France au niveau européen.

Nous constatons une dépendance évidente de l'Union vis-à-vis de fournisseurs extérieurs, qui doit être relativisée pour notre pays grâce à notre production d'électricité largement décarbonée.

La réponse au défi de l'indépendance énergétique de l'Union proposée dans votre rapport est très intéressante. La meilleure manière de réduire notre dépendance à des importations d'énergie fossiles réside dans l'accélération de la transition énergétique : développement des énergies renouvelables, massification de la mobilité propre, accélération des efforts d'efficacité énergétique. Toute unité d'énergie qui n'est pas dépensée renforce notre indépendance énergétique : c'est le principe « energy efficiency firs t ».

Dans le détail, je note quelques éléments vraiment pertinents qui méritent d'être soulignés. Le renforcement considérable du cadre législatif européen sur l'énergie sous la Commission Juncker, entre 2014 et 2019, est bien mis en valeur dans ce rapport. Dans le contexte de vulnérabilité accru lié à la crise ukrainienne, cette Commission avait fait de la mise en place d'une véritable Union de l'énergie l'une de ses principales priorités.

Par ailleurs, je vous rejoins parfaitement sur le nécessaire renforcement du marché carbone comme préalable indispensable à une décarbonation de l'économie européenne. D'ailleurs nous défendons la mise en place d'un prix plancher du carbone et d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, afin de lutter contre les fuites de carbone.

Cependant, certains passages pourraient à mon sens être complétés, notamment celui portant sur les développements gaziers en Méditerranée orientale. Vous abordez peu les perspectives de ces gisements, notamment chypriotes, qui offrent une option de diversification à l'Union européenne. Cette nouvelle route d'approvisionnement est d'ailleurs soutenue par la Commission européenne, par les subventions du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe au projet de gazoduc EastMed, car elle la considère être un projet d'infrastructure énergétique d'intérêt commun en Europe. Avez-vous des précisions sur les opérations en cours et qui seront décidées pour assurer que la Turquie ne sera pas un frein au développement des infrastructures ?

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Je voudrais souligner la qualité du rapport d'information présenté aujourd'hui, et plus particulièrement sa première partie, qui fournit un constat objectif de la situation énergétique européenne et de la croissance de notre dépendance. À ce titre, votre approche dénote par rapport aux propos trop souvent angéliques, voire fantasmés, sur notre situation énergétique et notre capacité à régler cet enjeu au niveau européen par des coups de baguette magique, fût-elle verte.

Au-delà du constat, il ne serait d'ailleurs pas inutile de mettre en relation la croissance de la dépendance au gaz, notamment russe, avec les choix de soutien public et d'investissement des vingt dernières années en faveur d'énergies renouvelables intermittentes et non-pilotables comme l'éolien. Je crois que la transparence s'impose.

Je ne partage pas en revanche toutes les analyses du rapport sur la transition énergétique, notamment sur les capacités de production électrique décentralisée. Nous pouvons cependant nous retrouver sur les principales recommandations qui sont considérées comme prioritaires dans le rapport.

Je reviendrai sur deux éléments. Premièrement, si nous visons plus d'indépendance énergétique européenne et si nous voulons décarboner l'Europe, il faut investir massivement dans la baisse de nos consommations énergétiques et l'efficacité des usages de l'énergie.

Il faut baisser drastiquement et rapidement nos consommations et nos émissions de gaz à effet de serre des secteurs du bâtiment et des transports. C'est la mère des batailles, et votre rapport le dit fortement. Cependant, la question est d'abord budgétaire. Il faut soutenir rapidement la rénovation thermique globale du parc de logements et de bâtiments publics et mettre le paquet sur le transfert des usages du véhicule individuel et des transports routiers, d'une part, vers les modes doux et les transports en commun, d'autre part, vers le transport ferroviaire et fluvial pour le transport de marchandises.

Il faut non seulement s'assurer que le plan de relance européen aille dans ce sens, mais que notre engagement budgétaire national aussi. Je pose aussi cette question, qui n'est pas provocatrice mais ouverte : sommes-nous prêts à défendre et à dégager du budget pour 2021 les 10 à 15 milliards d'euros annuels nécessaires à la rénovation thermique annuelle des logements et des bâtiments publics ? Sommes-nous prêts à réinvestir massivement dans notre réseau ferroviaire et dans le transport de fret, alors que nous faisons tout le contraire depuis vingt ans ? La décarbonation du secteur des transports passe par des investissements d'envergure, dans le réseau ferroviaire pour les mobilités du quotidien, dans des infrastructures pour les modes les plus sobres en carbone (marche, cycle).

Quant aux transports en commun, ils doivent s'accompagner d'un engagement financier de l'État à une toute autre hauteur, en lien avec les autorités organisatrices de la mobilité sur les territoires. L'accès du plus grand nombre aux transports collectifs doit aller jusqu'à leur gratuité, ce qui exige un soutien de l'État et de nouvelles recettes.

Sur la dimension de la production et de la distribution d'énergie, je partage totalement la nécessité de stopper tout soutien aux énergies fossiles et de travailler à rehausser le prix du carbone. Je ne crois, en revanche, ni aux vertus intrinsèques, ni à la réactivité du seul marché pour sortir de l'impasse énergétique et climatique. Il nous faut au contraire construire de puissants outils publics nationaux et européens et en garantir les moyens. L'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050 et la baisse des émissions de 50 à 65 % d'ici 2030 (dans dix ans !) n'est pas seulement quelque chose d'important : c'est vital pour espérer contenir l'emballement climatique, respecter l'Accord de Paris et assurer un monde vivable pour les générations à venir.

Nous continuons à défendre, dans ma sensibilité politique, l'impérieuse nécessité d'une planification adossée à un pôle public de l'énergie et de l'efficacité énergétique, regroupant l'ensemble des entreprises de services publics qui produisent, transportent, stockent, distribuent, commercialisent de l'énergie ou fournissent un service énergétique. Seul un pôle public intégré sera en capacité d'assurer la trajectoire de baisse de nos consommations d'énergie finale, d'accompagner des besoins d'électrification des secteurs les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre comme le transport et le chauffage, de sécuriser les approvisionnements en énergie du pays, de garantir l'accès effectif à l'énergie de tous – particuliers ou entreprises – et d'assurer un développement équilibré des territoires.

Pour terminer, je souhaite tout naturellement que, dans le cadre de sa mutation écologique profonde, la Commission soit un jour en capacité de mettre de côté son bréviaire libéral pour faire ce choix de l'efficacité climatique avec un pôle public européen de l'énergie. Permettez-moi d'en douter.

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. Je vous remercie pour ce rapport particulièrement réaliste : il est important de dire les choses telles qu'elles sont. Vous connaissez l'ouvrage de Jérémy Rifkin Après la fin du pétrole, sur l'économie de l'hydrogène. C'était un ouvrage précurseur. La première partie de son livre montre comment toutes les civilisations, depuis l'Antiquité, sont « tombées » sur l'énergie. L'énergie est la mère des batailles. Je suis également sensible à ce que vous dites sur la réappropriation de ces problématiques par les citoyens, sur la décentralisation.

Ma question porte sur la cybersécurité. Alain Bauer disait que la prochaine crise ne serait probablement pas sanitaire mais cyber. Les conséquences seraient effroyables. On trouve la 5G formidable, mais attention : plus on aura recours à l'automatisation, à l'intelligence artificielle, à la 5G, plus grands seront les risques liés à la cybersécurité. On peut toutefois se réjouir que la 5G diminue les possibilités de surveillance générale, donc la capacité du gouvernement chinois à surveiller ses citoyens.

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. Votre rapport devrait être notre livre de chevet, ou notre livre de bureau. Il est difficile de modifier rapidement nos habitudes. En revanche, « l'effet COVID » pourrait être une occasion de réviser nos modes de vie. Dans l'agriculture, on est complètement dépendant du gaz et la crise sanitaire pourra nous permettre de réduire notre dépendance énergétique. Il y a ici une carte à jouer pour l'Europe en matière de recherche et développement. C'est aussi des sujets que j'aborderai dans mon rapport sur la neutralité carbone.

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. Je vais commencer par répondre à la question de M. Pichereau sur le projet EastMed, qui touche à des intérêts géostratégiques très sensibles. Il y a des intérêts économiques, énergétiques et des intérêts politiques.

Je rappelle d'abord qu'il y a eu un premier projet, South Stream, né en 2007 et abandonné en 2014, qui passait par la mer Noire et par la mer Adriatique. Puis, il y a eu un deuxième projet, toujours en cours, Turkish Stream, qui relie la Russie – c'est toujours la Russie qui est en cause – à la Turquie en passant par la mer Noire pour transporter ainsi 31 milliards de mètres cubes de gaz. Ensuite il y a eu Northstream 1 et 2 qui a soulevé beaucoup de difficultés, aussi bien pour certains États de l'Union européenne que pour les États-Unis, qui ont menacé de sanctions les entreprises qui participeraient à ce projet. De fait, ce projet va voir le jour : à la fin de l'année, il devrait être mis en service.

En complément de cela, il y a le projet que vous mentionnez, et que nous n'avons pas évoqué dans notre rapport, qui résulte d'un accord entre Chypre, Israël et la Grèce. Ce projet va à l'encontre des intérêts de la Turquie et de la Russie. Il s'agit d'exploiter un bassin offshore au large de Chypre et de l'amener par des canalisations sous-marines jusqu'à la Grèce puis l'Italie. Ce projet représente 1872 kilomètres, avec une capacité d'acheminement de 9 à 11 milliards de mètres cubes de gaz naturel par an. Son coût est évalué entre 6 et 9 milliards d'euros. Sur le plan de l'indépendance énergétique, il s'agit bien d'un gaz produit dans l'Union européenne, alors que dans les autres projets, il s'agit essentiellement d'un gaz russe.

L'Union européenne était plutôt favorable à ce dernier projet ; on peut néanmoins s'interroger sur sa pertinence aujourd'hui, eu égard aux coûts et aux risques qu'il représente et que la Commission va évaluer. Les objectifs de décarbonation de l'Union européenne seraient-ils favorisés par ce réseau ? Il y a d'autres alternatives, comme des terminaux méthaniers qui existent en Égypte, avec du gaz naturel liquide, et certains notent que les 6 à 9 milliards d'euros apparaissent comme extrêmement coûteux. Par conséquent, il n'est pas sûr que ce projet figure parmi les projets d'intérêt européen commun après le COVID.

Notons toutefois que la Russie vend à l'Union européenne 70 % de sa production de gaz, ce qui est énorme. Il y a donc une forme d'interdépendance entre la Russie et l'Europe : la Russie a beaucoup investi dans des infrastructures européennes : en un sens, elle dépend de nous autant que l'on dépend d'elle.

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. En réalité ces sujets sont tellement politiques que les enjeux proprement énergétiques passent en second plan. Les puits actuels commencent à être anciens. Or, les nouvelles recherches pétrolières sont beaucoup plus coûteuses qu'auparavant (et elles ne sont pas toujours compatibles avec les critères de subvention du Pacte vert). C'est aussi pourquoi la transition énergétique est la seule solution viable. Mais on ne veut pas se fâcher avec la Grèce, Chypre, ni avec la Turquie avec laquelle on a des accords sur la migration.

Madame Wörsdörfer, j'aurais une question : quelles sont vos relations avec l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) ?

Sur la baisse de la consommation : on pense que la meilleure énergie est celle que l'on n'a pas à produire, parce qu'on n'a pas à la consommer. Il faut donc favoriser cette sobriété en matière de consommation énergétique.

Vous avez parlé des bâtiments et des transports. Concernant les bâtiments éducatifs, les propositions de l'institut Jacques Delors sont très intéressantes.

Sur le sujet des transports en commun, je ne suis pas favorable à la gratuité des transports, mais plutôt à des aides.

Nous n'avons pas parlé que des transports collectifs : nous avons fait également référence aux transports par véhicules, notamment électriques. Il y a plusieurs éléments à développer : la fabrication de batteries dans l'Union européenne et non en Chine – c'est le but de l'alliance européenne pour la batterie –, la multiplication des points de recharge, qui sont notoirement insuffisants en France, et le recours aux bonus. Ils ont été extrêmement efficaces par le passé et ont peut-être été abandonnés trop vite. Un bonus de 5 000 à 7 000 euros pour échanger un véhicule diesel contre un véhicule électrique permettrait sans doute à beaucoup de nos concitoyens de franchir le pas. Bien entendu se pose le problème de la facture carbone des batteries et des matériaux utilisés pour construire les voitures électriques, mais le bilan semble positif. On peut également imaginer des voitures fonctionnant à l'hydrogène le plus « vert » possible.

Vous avez demandé si nous étions prêts à prévoir 10 ou 15 milliards d'euros dans le prochain budget : je ne peux pas vous répondre, mais peut-être peut-on en douter. En tout cas, notre majorité a conscience que les choses doivent changer. Il faut que l'urgence écologique pénètre les esprits et les budgets.

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Je suis d'accord avec le président Chassaigne sur le fret ferroviaire. Nous avons un peu oublié, pour les usages non urgents, un certain nombre de possibilités peu consommatrices d'énergie par rapport au service qu'elles rendent, comme la batellerie.

Une prise de conscience citoyenne de la valeur de l'énergie est nécessaire. Il y a quelque chose de magique à ce qu'un enfant de deux ans puisse allumer l'électricité en appuyant sur un bouton : personne n'a conscience de la valeur de l'électricité. Si les gens n'ont pas conscience de la valeur de l'énergie, l'efficacité énergétique ne progressera pas. On pourrait économiser 66 % de la consommation énergétique des ménages en ayant les bons comportements.

Les communautés citoyennes d'énergie ont un rôle à jouer dans cette prise de conscience collective. Une part d'autoconsommation permet de prendre conscience des économies que l'on peut réaliser et de faire plus attention à l'énergie qu'on achète. Il faut que les citoyens cessent d'être des consommateurs d'énergie et deviennent des habitants citoyens solidaires les uns des autres.

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Il me tenait également à cœur d'évoquer la responsabilité individuelle dans nos modes de consommation.

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Concernant la cybersécurité, nous avons insisté sur le fait qu'il s'agissait de nouvelles vulnérabilités qui mettaient en cause l'indépendance énergétique. J'ai mentionné l'attaque de la Russie contre l'Ukraine en décembre 2015, mais, à notre connaissance, l'Union européenne n'a pas, jusqu'à présent, fait l'objet d'une telle attaque. Cela serait possible, non seulement de la part de la Russie, mais peut-être davantage de la Chine ou des États-Unis. Il faut que l'Union européenne prenne cette question très au sérieux.

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Nous pensons toujours à l'indépendance en termes d'approvisionnement, mais l'indépendance consiste aussi à s'assurer de la sécurité des réseaux et des systèmes. Il faut faire attention à nos outils et à nos méthodes. Les investissements étrangers dans ce type d'infrastructures devraient pouvoir être contrôlés au niveau européen.

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Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie

Le rapport reflète très bien l'interdépendance de l'Union européenne et de la Russie. L'Europe dépend du gaz et du pétrole russe, mais la Russie est également dépendante de ses exportations vis-à-vis de l'Union et des revenus qu'elles génèrent. La diversification des sources d'approvisionnement reste une priorité.

Pendant la crise du COVID-19, les investissements dans le pétrole et le gaz ont été plus touchés que les investissements dans les énergies renouvelables. Cela a eu un impact pour les pays producteurs. Le gaz et le pétrole de schiste américains sont plus chers que la production dans les autres pays.

On a connu des prix négatifs pour le pétrole en raison de deux facteurs : la baisse de la demande, 60 % du pétrole étant consommé par le secteur des mobilités, et, dans un premier temps, l'augmentation de l'offre. On prend désormais conscience du fait que la volatilité des prix du pétrole va pousser vers la transition énergétique.

L'AIE et l'IRENA travaillent très bien ensemble. L'AIE a été créée en 1974 lors du premier choc pétrolier. Un de nos principes de l'époque était d'avoir un stock de pétrole de 90 jours pour tous les pays membres de l'Agence. D'ailleurs les 27 membres de l'UE, dont 22 sont membres de l'AIE, ont la même règle.

Depuis, l'AIE s'est développée comme une agence couvrant toutes les ressources : nucléaire, gaz, charbon, renouvelable, efficacité énergétique, ... Nous couvrons également toutes les questions de sécurité s'y rapportant.

L'IRENA a une structure différente et une approche plus proche de celle de l'Organisation des nations unies, avec beaucoup plus de membres. Dans certains domaines, comme le développement des énergies renouvelables en Afrique, elle est beaucoup plus active que nous, mais nous travaillons en étroite coopération sur les analyses et les données.

L'efficacité énergétique est primordiale. Elle repose notamment sur le comportement des consommateurs, les biens produits et la rénovation des bâtiments. Pour parvenir à un scénario compatible avec les accords de Paris, il faut actionner tous les leviers, mais l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables ont un impact très fort. Elles ont également un impact positif sur l'économie et l'emploi.

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Comment améliorer la cohérence des politiques énergétiques au sein de l'Union européenne ?

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Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE)

Les 27 États membres ont tous un mix énergétique différent, du fait de traditions et de géographies différentes. Le mix énergétique est de leur responsabilité.

Au cours des dernières années, avec le paquet énergie climat puis le Pacte vert, des objectifs très ambitieux ont été fixés, notamment une diminution de 40 % des émissions de CO2, que la Commission européenne est en train de porter à 55 %, ainsi qu'un objectif en matière d'énergies renouvelables et un objectif d'augmentation de l'efficacité énergétique porté à 32,5 %. Il y a donc un marché et des intérêts communs pour avancer ensemble dans le domaine énergétique, en gardant bien à l'esprit qu'il existe une responsabilité nationale en ce qui concerne le mix énergétique. Après le paquet « énergie climat » et huit propositions législatives, toutes adoptées, la gouvernance a créé une forte dimension européenne dans le secteur énergétique.

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Merci beaucoup pour votre disponibilité, et merci aux rapporteurs.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

La séance est levée à 18 heures 10.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Vincent Bru, M. André Chassaigne, Mme Yolaine de Courson, Mme Frédérique Dumas, Mme Nicole Le Peih, M. Patrick Loiseau, M. Damien Pichereau, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Aude Bono-Vandorme, M. Bernard Deflesselles, Mme Typhanie Degois, M. Christophe Jerretie, Mme Marietta Karamanli, M. Joaquim Pueyo