Intervention de Mechthild Wörsdörfer

Réunion du mercredi 24 juin 2020 à 16h35
Commission des affaires européennes

Mechthild Wörsdörfer, directrice durabilité, technologie et perspectives de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) :

Je suis particulièrement intéressée par le sujet du rapport présenté aujourd'hui, notamment parce que j'ai passé vingt ans à la Commission européenne, comme directrice de la politique énergétique. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce rapport très enrichissant pour le débat européen, dans un contexte international.

L'AIE comprend trente membres, qui sont tous membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec trois objectifs : la sécurité énergétique (pour le pétrole, le gaz et l'électricité), la transition énergétique, et nous disposons également d'un mandat défini par les États membres pour travailler à devenir une agence globale. Nous avons des membres associés (comme la Chine, l'Inde, Afrique du Sud, le Maroc, Singapour, le Brésil), avec lesquels nous travaillons. L'agence représente 75 % de la demande énergétique et l'Union européenne est un membre observateur. J'étais donc auparavant, dans mes anciennes fonctions, membre du conseil de gouvernance de l'Agence.

Une des priorités de l'Agence est la sécurité énergétique. Le rapport présenté aujourd'hui adopte une approche large de cette notion et fait le lien avec la transition énergétique. Il y a une dépendance de l'Union européenne vis-à-vis du gaz et du pétrole, et cette dépendance s'accroît, en raison du déclin de la production européenne et de la hausse des importations. En outre, comme vous l'avez dit, la sécurité de l'énergie est aussi fortement liée à l'électrification des usages et la sécurisation des réseaux.

Concernant l'impact du COVID-19 sur le secteur énergétique, après une analyse approfondie, trois chiffres apparaissent particulièrement marquants : nous nous attendons à une chute de la demande d'énergie de 6 % et à une baisse des investissements de 20 %, ce qui ne s'est jamais vu dans l'Histoire. Une telle baisse de la demande n'a pas été constatée depuis la Seconde guerre mondiale. On prévoit une baisse des émissions de CO2 de près de 8 % d'ici à la fin de l'année, par rapport à 2019. Cette baisse n'est pas liée à un changement structurel mais sera due à la crise ; nous nous situerons plus au moins aux niveaux constatés durant l'année 2010. Depuis lors, les émissions de CO2 ont augmenté. Le prochain travail est de savoir comment relancer l'économie, créer des emplois et faire en sorte que ces émissions continuent à diminuer de manière structurelle.

L'AIE a proposé à ses membres un plan de relance durable, permettant une relance économique, des créations d'emplois et une amélioration de la résilience de notre système énergétique et de sa durabilité. Nous avons analysé les situations des États membres de l'AIE, ainsi que le plan de relance proposé par la Commission européenne et initié par la France et l'Allemagne. Notre plan est concret, détaillé et limité aux trois prochaines années. Il représente environ1 000 milliards de dollars par an sur cette période, ce qui représente 0,7 % du PIB mondial, et inclue les dépenses publiques ainsi que le financement privé. Cela correspond plus ou moins, selon nos analyses, à 10 % des dépenses fiscales prévues, dans les plans de relance actuels, pour les « mesures vertes ». Si nous prenons l'exemple de la crise de 2008 et des mesures environnementales prises après 2009, cela en représentait 16 %.

Nous avons analysé six secteurs clé: les mesures pour accélérer le déploiement des sources d'électricité à faible émission de carbone (énergies solaires, éoliennes et le nucléaire), les modes de transports les moins émetteurs (comme les véhicules électriques), la performance énergétique des bâtiments, et celle des équipements utilisés pour l'industrie, notamment manufacturière, agroalimentaire et textile. Nous avons aussi analysé comment encourager à l'utilisation de combustibles plus durables ainsi que l'innovation et les technologies. Vous avez parlé de la problématique des batteries. Nous avons fait un focus sur ce sujet et sur l'hydrogène ce qui, pour l'Europe, constitue les deux technologies clés. L'alliance européenne pour les batteries a été lancée il y a deux ans et serait l'occasion d'investir dans les batteries et dans l'hydrogène pour baisser les coûts et accroître la production.

Comme le montre l'analyse économique que nous avons effectuée avec le Fonds monétaire international, ce plan de relance devrait permettre d'augmenter le PIB mondial d'un pourcent par an entre 2020 et 2023, et de 3,5 % par an au-delà, par rapport au niveau constaté en l'absence de stimulus économique. Les investissements dans les nouvelles infrastructures, les réseaux électriques et les bâtiments vont créer cette croissance. Nous voyons que l'effet de la relance, telle que nous la proposons, sera plus important pour les pays en voie de développement que pour les pays aux économies avancées.

À l'heure actuelle, tous les gouvernements sont concentrés sur la création d'emploi. Nos données les plus récentes sur l'emploi lié à l'énergie montrent qu'en 2019 le secteur énergétique (électricité, charbon, biocarburants) emploie de manière directe près de 40 millions de personnes à travers le monde. On estime que 3 millions d'emplois sont menacés en raison de l'impact de la crise et que 3 millions d'autres le sont également dans autres secteurs étroitement associés, tels que la filière automobile, le bâtiment, l'industrie.

L'objectif est donc de stabiliser les projets en cours, de sauvegarder les emplois et de lancer de nouveaux projets. Nous estimons que le plan proposé pourrait créer près de 9 millions d'emplois supplémentaires dans le secteur de l'énergie. Ce serait en particulier le cas des mesures relatives à la rénovation énergétique des bâtiments existants et des autres mesures permettant d'améliorer la performance énergétique. Dans ce domaine, 35 % des emplois seraient créés, ainsi que dans le domaine de l'électricité, avec 25 % d'emplois créés dans la rénovation des réseaux électriques ou dans les énergies renouvelables.

Quand on évoque le secteur de l'électricité, il faut parler des réseaux. Notre analyse suggère une augmentation de 40 % des investissements dans les réseaux électriques, qui sont la colonne vertébrale des systèmes électriques fiables et sûrs. Entre 2015 et 2020, il y a de moins en moins d'investissements dans les réseaux électriques. Toutefois, avec la numérisation, les réseaux électriques deviendront de plus en plus intelligents.

Nous pensons qu'il faut utiliser et renforcer ces leviers qui auront un impact positif dans le futur pour faire face aux catastrophes naturelles. Un autre aspect important est celui de l'accès. Plus de 270 millions de personnes pourraient bénéficier d'un accès à l'électricité, notamment en Afrique.

La crise financière a provoqué une légère baisse des émissions, beaucoup moins extrême que ce qu'on a observé avec le COVID-19. En 2020, nous prévoyons une réduction de 8 % des émissions de CO2 globales par rapport à 2019. Le futur est assez incertain. Nous avons étudié les plans de relance, mais il est impossible de prévoir de quelle manière se fera la reprise ou quel sera le comportement des consommateurs. Les gens vont-ils reprendre la voiture, les visioconférences vont-elles continuer ? Avec cette relance, on pourrait observer un pic définitif des émissions de CO2 et accélérer la mise en œuvre des objectifs climatiques prévus dans l'Accord de Paris.

En conclusion, le rôle des gouvernements de concevoir les mesures de relance des économies est crucial. Ces décisions façonneront les infrastructures pour les dix prochaines années.

Notre plan ne prétend pas dire aux États ce qu'ils doivent faire, mais plutôt ce qu'ils pourraient faire. Leurs actions déterminent les chances d'atteindre les objectifs énergétiques et climatiques globaux. Nous sommes en contact avec la France pour parler plus concrètement de ce qu'il est possible de faire. L'impact global porterait sur les emplois et les émissions.

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