Madame Parly s'est exprimée également au sein de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen. Ces échanges croisés vont dans le sens d'une coopération plus importante entre États membres. Je me réjouis qu'à travers le FEDef la défense soit désormais une compétence de la Commission.
La crise est loin d'être terminée. Il est temps cependant de s'interroger sur ses conséquences et de repenser la position de l'Europe dans le monde, à un moment où les tensions géopolitiques, notamment entre Chine et États-Unis, vont croissant. Dans ce contexte, l'ère d'une Europe conciliante, naïve, est révolue. Il faut conserver la vertu traditionnelle du soft power, qui a fait notre force, mais nous devons aussi nous équiper d'un arsenal de hard power afin que l'Europe puisse défendre sa vision du monde et ses propres intérêts.
L'autonomie stratégique de l'Union ne se décrète pas, elle se bâtit. Si nos alliances historiques demeurent, notamment avec les États-Unis, il s'agit d'affirmer l'Europe comme un partenaire autonome sur l'échiquier géostratégique mondial.
Grâce au FEDef, l'Europe disposera des technologies nécessaires pour assurer son autonomie stratégique et réduire ses dépendances. Il favorisera un travail mutualisé entre États membres. Chacun des 27 États membres a une relation à la défense ancrée dans son histoire, qu'il convient de respecter. La défense est l'affaire des États. Cependant, une coordination accrue est nécessaire. Nous veillons ainsi à impliquer un nombre important de pays dans les décisions relatives aux achats d'équipements, afin d'encourager le développement des industries de défense en leur sein.
Ces dix dernières années, l'Europe a réduit son investissement de défense, alors que tous les autres pays l'ont augmenté significativement – États-Unis, Inde, Russie, Chine, Arabie Saoudite. Cette tendance doit être inversée rapidement. L'Europe compte également une trop grande diversité d'équipements de défense, souvent pas assez interopérables. Le renforcement de l'interopérabilité est l'un des objets du FEDef.
Le FEDef sera opérationnel à partir du 1er janvier 2021, mais nous avons commencé à travailler sur une préfiguration. Ainsi, la Commission a alloué le 15 juin 205 millions pour le développement de seize projets d'armements. C'est une première dans notre histoire. Avec l'effet de levier, qui est d'un à cinq ou sept, ces projets sont susceptibles de générer jusqu'à 2 milliards d'investissements.
Les projets retenus relèvent de quatre grandes catégories. La première, celle des drones, rassemble des entreprises issues de quinze pays. L'enjeu est de développer une stratégie autour de l'Eurodrone, ainsi que plusieurs projets : drone furtif et tactique, essaims de drones, technologies anti-collusion pour l'insertion de drones militaires dans l'espace aérien ou encore solutions de « edge computing » permettant une agrégation des données des drones et son insertion dans les champs de bataille.
La deuxième catégorie est celle des technologies spatiales. L'Europe est le deuxième continent spatial, loin devant la Chine, l'Inde ou le Japon. Nous financerons des récepteurs de positionnement par satellites d' encryption militaire utilisant Galileo – système de géolocalisation le plus avancé au monde en matière de positionnement. Nous financerons aussi des capteurs optiques militaires pour petits satellites ainsi que des solutions de big data pour la surveillance par satellites.
Sur la dimension terrestre, les projets retenus portent sur des missiles de haute précision Beyond Line Of Sight de portée moyenne, ainsi que sur des plates-formes du futur terrestres et maritimes.
Enfin, nous financerons des technologies de surveillance et de détection des menaces cyber, un réseau crypté tactique et militaire et une solution européenne de commandement et de contrôle de pointe pour la conduite des opérations militaires.
Au total, 440 entités ont répondu à cet appel à candidatures. Nous en avons retenu 220, dont 40 % de PME. Tous les grands acteurs européens de la défense sont également présents. Vingt-quatre États membres participent à cette première phase. De plus, neuf des seize projets retenus sont des projets de la coopération structurée permanente (PESCO) : aucun de ces projets n'avait encore démarré, alors qu'ils correspondaient à des besoins exprimés par les armées elles-mêmes. Au total, vingt-cinq entreprises françaises sont impliquées dans quatorze projets sur seize. Cela montre la vivacité et la pertinence de notre tissu industriel.
La proposition initiale de la Commission était de doter le FEDef de 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. À mon arrivée, la proposition était de 8 ou 9 milliards. Cette question est à la main des États membres et du Parlement. Si vous avez de bonnes relations avec des parlementaires européens, c'est le moment de les mobiliser.
L'autonomie stratégique européenne est un sujet majeur. J'y travaille avec Josep Borrell, haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Le deuxième élément de cette stratégie a trait à nos dépendances économiques. Les équilibres du multilatéralisme sont remis en cause. Nous sommes passés de « tensions commerciales » entre les États-Unis et la Chine à une « guerre commerciale » puis à une « guerre froide ». L'Europe doit gagner en autonomie stratégique et ne pas être le terrain d'affrontement entre ces deux continents.
Nous devons nous affirmer en utilisant mieux notre premier atout : le marché intérieur. Tout le monde est le bienvenu sur ce marché, mais nos règles doivent être respectées. Plusieurs entreprises étrangères bénéficiaient d'aides d'État déloyales, faussant de facto la concurrence et l'équité. Margrethe Vestager et moi avons revu ces positions à travers un livre blanc. Si une entreprise perçoit des subventions susceptibles de fausser la concurrence, elle ne pourra entrer sur le marché intérieur. Si une entreprise dispose d'aides d'État pour racheter une entreprise européenne, ce rachat ne sera pas accepté en vertu du principe d'équité, a fortiori pour les entreprises importantes en matière de souveraineté. De plus, les appels d'offres publics seront davantage contrôlés. Ce changement de paradigme est l'un des outils de notre hard power.
Des menaces pèsent par ailleurs de plus en plus sur nos sociétés et nos démocraties, notamment en matière de désinformation et sur le plan cyber. Nous travaillons sur un cadre législatif, le Digital Services Act, dont la finalisation est prévue pour fin 2020. Une consultation a été ouverte jusqu'à mi-septembre. L'objectif est de renforcer les obligations, les restrictions et les mesures coercitives appliquées aux plates-formes. Je travaille également sur une stratégie de cybersécurité renouvelée pour l'Europe. Plusieurs cyberattaques ont été perpétrées durant la crise, y compris contre des hôpitaux. Des réponses graduées et proportionnées doivent être mobilisées pour y faire face.
L'ère de la naïveté est terminée. L'adoption par l'ensemble des États membres de la toolbox sur la sécurité de la 5G constitue une avancée majeure. Elle contient des critères stricts, explicites, pour définir les fournisseurs d'équipements à hauts risques. Nous accueillons tout le monde, mais il faut répondre à nos exigences en matière de sécurité des réseaux. Dans le cas contraire, chacun doit prendre ses responsabilités : États membres, opérateurs de télécommunication, clients. Tous les opérateurs de télécommunication soumettent désormais le choix de leur fournisseur à leur conseil d'administration. Cela est d'autant plus important qu'à l'aune du règlement général sur la protection des données (RGPD), la responsabilité personnelle des administrateurs peut être appelée en cas de faille de sécurité. La toolbox fournit tous les outils nécessaires pour qu'opérateurs et administrateurs fassent les bons choix.
La souveraineté technologique est également une priorité. De grands projets sont en cours, notamment celui du cloud européen Gaia-X. Nous travaillons sur la reconstruction d'une filière industrielle européenne de microprocesseurs ainsi que sur des projets d'autonomie stratégique relatifs aux batteries hydrogènes et aux matières premières critiques comme les terres rares. S'agissant de l'espace, nous tenons une position de leader en matière de navigation avec Galileo, et d'observation et de surveillance avec Copernicus. Je souhaite ajouter une troisième composante dans la couverture opérationnelle de l'intégrité informationnelle du continent européen, en avançant à 2024 le lancement des satellites de nouvelle génération prévu en 2027, et en réfléchissant à la connectivité à travers un système alliant des satellites géostationnaires et une constellation Low Earth Orbit et équipé de technologies d' encryption quantique. Ce projet est essentiel pour garantir la sécurité de nos communications gouvernementales et militaires et lutter contre les intrusions individuelles ou étatiques.
Tous ces projets bénéficieront du fonds européen de relance. Nous disposons aussi d'une fenêtre stratégique permettant un investissement complémentaire dans des opérations visant à conforter l'autonomie et la souveraineté du continent européen. Cette enveloppe peut monter jusqu'à 150 milliards d'investissements publics-privés.