Nous voudrions ensuite revenir sur les principaux outils mis en œuvre par l'Union européenne pour faire face à la crise. Alors que, pour la pêche, la Commission a réagi dès le début du mois d'avril assez fortement, il a fallu attendre pour l'agriculture la fin du mois d'avril pour mettre en place ce que l'on appelle les « mesures de marché » qui permettent d'intervenir effectivement sur les marchés.
La Commission a commencé par alléger les contrôles sur place pour les aides de la PAC. Mais il ne s'agissait en fait que d'un allégement en trompe l'œil : il n'a pas été réellement constaté en France, en particulier pour la viticulture. Par ailleurs, les contrôles de certification et les contrôles a posteriori n'ont pas du tout été allégés.
Ensuite, la principale mesure de marché a été l'aide au stockage privé. En effet, l'Union européenne peut aider les opérateurs privés à payer le coût du stockage de leurs produits pendant une période. Cela permet de réduire temporairement les effets de l'offre excédentaire.
Cette mesure a été ouverte pour six secteurs : les viandes bovines, ovines et caprines, le beurre, le fromage et la poudre de lait, à des niveaux différents. Il s'agit évidemment d'un dispositif utile, dans la mesure où il permet de soutenir les prix.
Mais cette mesure a plusieurs inconvénients absolument majeurs. D'abord, elle ne convient pas à toutes les filières, notamment celles des produits frais et périssables, comme les fruits et légumes, qui ne se stockent pas ou très peu. Ensuite, elle est incomplète : des secteurs n'ont pas été déclarés éligibles, notamment les filières « veaux » et « volailles » qui subissaient pourtant la crise de plein fouet.
Cette mesure a également été utilisée de façon très différente selon les États membres : sur le fromage, l'Italie a rempli son quota de stockage en quelques heures. La France semble avoir peu utilisé la mesure à ce stade. A la première semaine de juin, les demandes étaient faibles sur la viande de bœuf et le fromage, et aucune demande n'a été faite pour les viandes ovines et caprines ou pour la poudre de lait. Le stockage privé du secteur du fromage semble avoir été le seul à avoir une véritable efficacité pendant cette crise. Il faut rappeler aussi que cette mesure a été mise en place tardivement (le 4 mai) et de façon non rétroactive.
Enfin, le stockage privé ne règle le problème que temporairement : le déstockage peut entraîner une baisse des prix s'il n'est pas fait en ordre. C'est ce qui reste à craindre pour la fin de l'année.
La troisième mesure mise en place est celle des aides d'État dans le secteur agricole. Avec un allègement de la législation « antitrust », chaque exploitation peut recevoir jusqu'à 125 000 € d'aides publiques. Cela peut être évidemment très positif au premier abord, mais cela crée surtout d'importantes distorsions de concurrence. Selon les données du mois de mai dernier, sur le 1,2 million d'euros utilisés par les États membres, les Pays‑Bas concentrent la moitié des aides pour les secteurs agricoles et agroalimentaires. Si on ne prend en compte que le secteur agricole, c'est l'Allemagne qui concentre 50 % des aides.
Ainsi, les pays que l'on dit « frugaux », qui sont en principe les plus libéraux, sont les plus prompts à soutenir massivement leurs agriculteurs, ce qui va créer de fortes distorsions de concurrence dans les mois à venir et pourra pénaliser les agriculteurs français !