COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 15 juillet 2020
Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 11 heures 35.
Chers collègues, notre réunion d'aujourd'hui est consacrée à l'examen de deux communications. La première : « Quel soutien de l'Union au secteur de l'agriculture et de la pêche face à la pandémie ? » qui sera présentée par notre collègue André Chassaigne et Jean-Baptiste Moreau, l'autre sur le thème : « La réponse sanitaire européenne est-elle à la hauteur des enjeux ? », présentée par Marietta Karamanli et Jean-Pierre Pont.
Comme la semaine dernière, la réunion d'aujourd'hui se tiendra à la fois en présentiel et en visioconférence. Nous entendrons en particulier dans le cadre de la première communication Pierre Karleskind, président de la Commission « pêche » du Parlement européen que nous remercions d'avoir accepté notre invitation en visioconférence. En raison de la déclaration de politique générale du Premier ministre qui va suivre, j'invite tout le monde à être le plus concis possible dans ses interventions afin que nous puissions évoquer tous les points à l'ordre du jour dans des délais raisonnables.
Mes chers collègues, nous vous présentons aujourd'hui, avec mon collègue André Chassaigne, le résultat des travaux que nous avons conduits durant le confinement, sur l'analyse de l'action de l'Union européenne face à la crise dans les secteurs de l'agriculture et de la pêche. Nous allons faire cette présentation à deux voix ; nos constats et nos analyses sont sensiblement les mêmes.
Nous avons suivi de près les mesures européennes mises en œuvre et nous avons surtout auditionné une vingtaine de personnes, issues du Ministère de l'agriculture, de la Commission européenne, mais aussi les syndicats des principaux secteurs touchés ainsi que des chercheurs. Nous allons vous restituer rapidement ce travail en quatre temps : d'abord un court bilan de l'impact de la crise sur les filières ; ensuite, une analyse des principales mesures de marché mises en œuvre par l'Union européenne pour faire face à la crise ; nous allons également voir en quoi la politique agricole commune (PAC) a montré des failles durant cette crise ; enfin et surtout : nous allons formuler des propositions pour améliorer la gestion de crise agricole dans l'Union européenne, afin de tirer tous les enseignements de ce qui s'est passé. Il s'agit d'éviter que s'ajoute, à l'avenir, une crise alimentaire à une crise sanitaire.
D'abord, nous voudrions faire un rapide état des lieux de l'impact de la crise sur l'agriculture et la pêche dans l'Union européenne. Globalement, on peut dire que l'agriculture européenne a tenu : elle a permis aux Européens de continuer à se nourrir pendant la crise.
Cette période a révélé les atouts considérables de notre agriculture, notamment sa capacité à produire en qualité et en quantité, son adaptabilité et la force du dialogue interprofessionnel qui a permis aux filières de tenir.
Mais cette crise a évidemment révélé les failles majeures de notre agriculture, en particulier une triple dépendance : la dépendance à la main-d'œuvre saisonnière étrangère, dont la venue dans les territoires qui en avait besoin s'est faite très difficilement ; la dépendance aux importations, notamment pour l'alimentation animale, le soja et certains fruits et légumes et la dépendance du secteur alimentaire aux autres secteurs de l'économie : on a notamment constaté un manque d'emballages pour certains produits, comme la farine.
C'est évidemment la fermeture des marchés et de ce que l'on appelle la « restauration hors domicile », c'est-à-dire principalement les restaurants, qui a conduit à mettre les filières agricoles sous une très grande pression. Cette décision a notamment asséché les débouchés majeurs de certaines filières. Cela a également conduit à mettre au centre de la chaîne distribution les grandes et moyennes surfaces.
Aucune filière n'a été totalement à l'abri de l'impact immédiat ou à moyen terme de la crise et nous nous sommes rendu compte que ce sont les produits labellisés et les plus qualitatifs qui ont souffert le plus fortement durant cette période, car ils sont très dépendants des débouchés qui ont été supprimés pendant le confinement. Ce sont les Signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO).
Toutefois, la crise a eu des conséquences de nature et de force très différentes selon les filières. Pour la filière de la viande bovine, la période de confinement a été propice à un report de la consommation des parties dites « nobles » vers la viande hachée (avec une augmentation de 55 % en France) et à une baisse importante des exportations. La filière de la viande de veaux a également beaucoup souffert, conduisant à un prix en baisse en moyenne de 20 %, notamment du fait de la réduction des abattages.
Pour la filière de la viande ovine, le confinement a coïncidé avec la période de Pâques, très importante pour la filière. Celle-ci s'est très rapidement adaptée, en se tournant vers d'autres circuits de commercialisation et en réduisant les importations. Cela a empêché la catastrophe anticipée mais a tout de même entraîné une baisse substantielle des prix.
La filière laitière fait vraiment figure d'exception et d'exemple : en France, l'interprofession a mis en place un soutien à la réduction de la production laitière de 2 à 5 % au mois d'avril, pour ne pas avoir ensuite à gérer des stocks importants. Il s'agit de la seule filière à avoir mis en place ce dispositif qui a permis de stabiliser les prix. La filière fromagère a surtout connu un impact massif très négatif sur les produits AOP, du fait de la fermeture des restaurants et des rayons à la découpe dans les supermarchés.
La filière des fruits et légumes a connu une augmentation des ventes, du fait du report de la consommation en grande surface.
La filière horticole est en très grande difficulté, avec une baisse d'au moins 80 % de son activité. Il en va de même pour la filière viticole, avec près de 50 % de perte de chiffre d'affaires.
Globalement, les filières les plus touchées sont l'horticulture, la viticulture, les fromages sous signe de qualité, et certaines filières de viande de qualité.
Pour la pêche européenne, nous laisserons bien entendu Pierre Karleskind développer ce sujet. Mais la crise a révélé des failles importantes, notamment une très forte dépendance à la restauration hors domicile et à l'exportation, ainsi qu'un faible dialogue interprofessionnel en France.
Nous voudrions toutefois insister sur un élément qui nous a été régulièrement souligné pendant les auditions : la Commission européenne ne dispose pas d'une visibilité à moyen terme sur les marchés agricoles. Il existe en effet trois observatoires des marchés de l'agriculture et de la pêche mais ils sont concentrés sur l'ultra court terme ou le très long terme, et ne sont pas en lien suffisamment étroit avec les professionnels. Cela explique en partie pourquoi l'Union européenne réagit toujours très tardivement. Il faut en effet que la crise soit extrêmement tangible pour que la Commission soit à même d'agir et cela arrive souvent trop tard.
Nous voudrions ensuite revenir sur les principaux outils mis en œuvre par l'Union européenne pour faire face à la crise. Alors que, pour la pêche, la Commission a réagi dès le début du mois d'avril assez fortement, il a fallu attendre pour l'agriculture la fin du mois d'avril pour mettre en place ce que l'on appelle les « mesures de marché » qui permettent d'intervenir effectivement sur les marchés.
La Commission a commencé par alléger les contrôles sur place pour les aides de la PAC. Mais il ne s'agissait en fait que d'un allégement en trompe l'œil : il n'a pas été réellement constaté en France, en particulier pour la viticulture. Par ailleurs, les contrôles de certification et les contrôles a posteriori n'ont pas du tout été allégés.
Ensuite, la principale mesure de marché a été l'aide au stockage privé. En effet, l'Union européenne peut aider les opérateurs privés à payer le coût du stockage de leurs produits pendant une période. Cela permet de réduire temporairement les effets de l'offre excédentaire.
Cette mesure a été ouverte pour six secteurs : les viandes bovines, ovines et caprines, le beurre, le fromage et la poudre de lait, à des niveaux différents. Il s'agit évidemment d'un dispositif utile, dans la mesure où il permet de soutenir les prix.
Mais cette mesure a plusieurs inconvénients absolument majeurs. D'abord, elle ne convient pas à toutes les filières, notamment celles des produits frais et périssables, comme les fruits et légumes, qui ne se stockent pas ou très peu. Ensuite, elle est incomplète : des secteurs n'ont pas été déclarés éligibles, notamment les filières « veaux » et « volailles » qui subissaient pourtant la crise de plein fouet.
Cette mesure a également été utilisée de façon très différente selon les États membres : sur le fromage, l'Italie a rempli son quota de stockage en quelques heures. La France semble avoir peu utilisé la mesure à ce stade. A la première semaine de juin, les demandes étaient faibles sur la viande de bœuf et le fromage, et aucune demande n'a été faite pour les viandes ovines et caprines ou pour la poudre de lait. Le stockage privé du secteur du fromage semble avoir été le seul à avoir une véritable efficacité pendant cette crise. Il faut rappeler aussi que cette mesure a été mise en place tardivement (le 4 mai) et de façon non rétroactive.
Enfin, le stockage privé ne règle le problème que temporairement : le déstockage peut entraîner une baisse des prix s'il n'est pas fait en ordre. C'est ce qui reste à craindre pour la fin de l'année.
La troisième mesure mise en place est celle des aides d'État dans le secteur agricole. Avec un allègement de la législation « antitrust », chaque exploitation peut recevoir jusqu'à 125 000 € d'aides publiques. Cela peut être évidemment très positif au premier abord, mais cela crée surtout d'importantes distorsions de concurrence. Selon les données du mois de mai dernier, sur le 1,2 million d'euros utilisés par les États membres, les Pays‑Bas concentrent la moitié des aides pour les secteurs agricoles et agroalimentaires. Si on ne prend en compte que le secteur agricole, c'est l'Allemagne qui concentre 50 % des aides.
Ainsi, les pays que l'on dit « frugaux », qui sont en principe les plus libéraux, sont les plus prompts à soutenir massivement leurs agriculteurs, ce qui va créer de fortes distorsions de concurrence dans les mois à venir et pourra pénaliser les agriculteurs français !
La quatrième mesure utilisée par l'Union européenne a été celle des « cartels de crise ». Ces « cartels » sont permis par l'article 222 du règlement sur l'organisation des marchés ; ils permettent d'enfreindre temporairement le droit de la concurrence afin que les agriculteurs puissent s'entendre sur tous les sujets sauf les prix. Elle est évidemment très positive, mais a encore une fois été déclenchée très tardivement : il a fallu plus d'un mois de négociations pour que la Commission européenne accepte de déclencher cet article 222 !
Enfin, nous voudrions insister sur les secteurs qui ont été négligés par l'Union européenne. Il s'agit en particulier de la viticulture, qui subissait un contexte déjà très dur du fait des taxes américaines dues au conflit entre Airbus et Boeing. Le secteur est en outre très dépendant de la restauration. En France, les ventes d'alcool ont baissé de 40 à 50 % pendant le confinement. La Commission européenne a autorisé des distillations de crise ou les retraits (pour éviter les stocks avant la prochaine récolte), mais elle a décidé de n'octroyer aucun financement à ce secteur.
L'horticulture, qui a subi une baisse d'activité de 80 %, n'a également pas été assez soutenue. Ce secteur a en effet été classé comme « non essentiel » car non alimentaire. Or, il réalise 70 % de son chiffre d'affaires entre mars et juin. C'est pourquoi une aide de 25 millions d'euros a été octroyée par la France à la filière horticole, mais rien n'a été fait au niveau européen !
Enfin, il faut bien se rendre compte que la Commission européenne n'était pas entièrement mobilisée pour lutter contre la crise agricole. En effet, elle a fait deux annonces totalement contradictoires en pleine crise : la stratégie « de la ferme à la table », annoncée le 20 mai et qui aura des impacts majeurs sur l'agriculture ; et, dans le même temps, la conclusion d'accords de libre-échange, en particulier avec le Mexique, qui prévoit l'ouverture du marché européen à 20 000 tonnes de viandes bovines mexicaines chaque année.
Ces deux annonces sont évidemment intervenues à des moments particulièrement inopportuns et sont totalement contradictoires. Alors que l'Union européenne cherche à élever ses standards en matière d'intrants chimiques et de bien-être animal par exemple, comment éviter une concurrence déloyale qui viendrait percuter le marché européen grâce à ces accords de libre-échange ?
Par ailleurs, la crise a évidemment mis en lumière les failles importantes de la PAC pour faire face aux crises, ce sera notre avant dernier point.
En effet, cette crise a révélé à quel point les dispositifs de soutien de la PAC sont inégalitaires. Certains secteurs ne bénéficient d'aucun système d'intervention publique : c'est le cas de l'horticulture, de la viande porcine et des volailles. D'autres secteurs en revanche bénéficient de soutiens déjà bien en place.
Ensuite, les soutiens de la PAC se révèlent insuffisants dans leurs montants. La PAC ne permet pas de mettre en place des mesures de sauvetage à la hauteur de nos concurrents directs, notamment le Canada et les États-Unis. Le gouvernement américain a effet augmenté le budget agricole de 48 milliards d'euros pour faire face à la crise. En Europe, nous sommes très loin du compte !
Enfin, et il faut vraiment insister sur ce point, la crise a mis en lumière une nouvelle fois la totale inutilité de la réserve de crise de la PAC. D'un montant d'environ 400 millions d'euros, elle n'a jamais été utilisée depuis sa création en 2013 (malgré la crise du lait en 2015 ou l'embargo russe de 2014) et elle doit être repensée urgemment dans le cadre de la prochaine PAC.
Cette réserve de crise souffre de trois problèmes principaux.
D'abord, son financement : elle est financée chaque année sur les aides directes du premier pilier de la PAC et la somme, si elle n'est pas dépensée, est reversée aux agriculteurs l'année suivante. Si elle était utilisée, cela reviendrait donc à retirer 400 millions d'euros d'aides directes l'année suivante !
Ensuite, son périmètre pose également problème : elle ne bénéficie pas aux filières des fruits et légumes et du vin, qui disposent de règlements spécifiques.
Enfin, ses modalités de déclenchement sont également non-opérationnelles : comme il n'y a pas de définition au préalable de ce qu'est une crise agricole, les États membres doivent d'abord se mettre d'accord sur le fait qu'il s'agit d'une crise avant de déclencher la réserve. Jusqu'à présent, ils n'ont jamais réellement réussi à le faire.
Après tous ces constats, que faire ? Il faut tirer urgemment les leçons de cette crise, ce que l'Union européenne ne fait quasiment jamais en matière agricole. Nous formulons donc neuf propositions pour y remédier.
D'abord, il faut compléter rapidement les mesures d'urgence au niveau européen pour les secteurs qui en ont encore fortement besoin, en particulier la viticulture et l'horticulture, en y allouant de véritables moyens budgétaires, à l'image de ce que certains autres États ont pu faire
Ensuite, il faudrait créer un grand observatoire européen des marchés agricoles, qui soit beaucoup plus en lien avec les professionnels et formuler des constats à quelques semaines ou quelques mois, sur le modèle de ce que fait France Agrimer, afin d'avoir une réelle évaluation des marchés et de leurs évolutions. Il existe de multiples structures, mais aucun grand observatoire européen sur les tendances des marchés agricoles.
Nous pensons également que cette crise doit nous conduire à avoir une réflexion globale sur le statut des travailleurs saisonniers, sur tous les sujets et pas seulement le salaire. Une harmonisation de ce statut à l'échelle européenne paraît désormais indispensable.
Surtout, nous considérons qu'il est urgent de travailler à une définition commune d'une « crise agricole », permettant de déclencher automatiquement les dispositifs de soutien lorsque certains critères sont remplis, notamment en terme de variation de prix. Cela éviterait à l'avenir des longues discussions qui créent un retard à l'allumage pouvant s'avérer fatal. Cette définition pourrait s'appuyer sur l'observatoire européen des marchés agricoles, qui mesurerait l'évolution des prix et des volumes.
Il nous paraît également indispensable de réformer la réserve de crise, en la finançant en dehors des crédits de la PAC et en la dotant beaucoup plus massivement : les besoins sont évalués à environ 1,5 milliards d'euros pour qu'elle puisse avoir une efficacité. La définition commune de la crise permettrait de déclencher automatiquement cette réserve.
Il faut également compléter la liste des secteurs pouvant bénéficier des mesures de marché, notamment le stockage privé, par exemple pour les filières « veaux » et « volailles ».
Par ailleurs, nous avons vu que l'Union européenne a mis en œuvre des mesures d'aide au stockage privé : il va bien falloir que tous ces produits soient déstockés un jour ! C'est pourquoi nous proposons un plan européen harmonisé de déstockage sur la fin de l'année 2020 et sur l'année 2021, afin d'éviter un afflux massif de marchandises au même moment sur le marché européen.
Plus largement, nous proposons également de réfléchir à de nouveaux outils de régulation de marché pour réduire la production pendant la crise, en complément ou en substitution de l'aide au stockage.
Cette mesure aurait pour avantage d'être plus économe pour les finances publiques, de demander moins d'efforts administratifs et d'éviter d'avoir ensuite à écouler des volumes importants de produits sur les marchés, ce qui peut faire baisser durablement les prix. Lors de la crise laitière de 2015 (qui est celle qui s'apparente le plus à la crise actuelle), c'est la limitation coordonnée de la production qui a permis de faire remonter les prix. Mais cette action a été très tardive. Il nous faut donc réfléchir aux moyens d'aider les filières à réduire leurs productions de façon coordonnée pour éviter l'accumulation des stocks.
Enfin, nous demandons un moratoire sur les mandats de la Commission européenne en matière de négociation de traités de libre-échange. Nous devons garantir beaucoup plus strictement l'exception agricole et empêcher à tout prix la concurrence déloyale ! Les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres.
En conclusion, nous pouvons dire que la crise a mis en avant les forces mais aussi les faiblesses de l'agriculture européenne, notamment en termes de dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Toutes les filières ont été touchées ou vont l'être. Il faut donc se préparer à une crise dans la durée de l'agriculture européenne, qui va s'ajouter à d'autres difficultés déjà présentes.
Face à cette crise, l'Union européenne a agi, mais trop peu, trop tard et sans financements spécifiques. Elle a manqué d'une indispensable réactivité durant la crise, qu'elle a gérée de façon purement administrative et avec rigidité. Les réformes que nous proposons doivent permettre d'objectiver les situations de crise et de déclencher plus automatiquement les réponses afin que l'Union européenne soit beaucoup plus réactive.
Merci pour ce travail exhaustif et nécessaire. Je retiens vos interrogations sur la réserve de crise. Quand on réalise que ses 400 millions d'euros sont financés directement sur le budget de la PAC, on comprend mieux qu'elle ne soit pas utilisée. C'est une réserve de crise sans en être une. Beaucoup d'entre nous n'avions pas conscience de ce problème.
Comme nous le remarquons souvent au cours de nos travaux, il est important de définir les notions que nous utilisons, comme celle de « crise agricole », ce qui peut être compliqué avec 27 pays où plusieurs formes d'agriculture coexistent.
Un autre constat que je retiens est celui des difficultés de la collaboration entre professionnels du secteur, d'une part, et entre les professionnels et la Commission d'autre part. Que pouvons-nous faire pour que le dialogue soit plus nourri ?
Votre invitation va me permettre de faire parallèle entre la situation de la filière pêche, aquaculture et transformation et celle de l'agriculture. On a observé un effondrement brutal de la consommation des produits de la mer dès le confinement. Avec le confinement, nous sommes entrés dans une économie « de subsistance » : les consommateurs ont paré au plus pressé en achetant des pâtes et du riz, et moins de viande ou de poisson. Quant à la consommation hors domicile, elle représente environ la moitié de la consommation de produits de la mer en France.
Quand le marché s'effondre, toute la filière est en difficulté : criées, mareyeurs et revendeurs. Le mareyage est un maillon faible en trésorerie et faiblement capitalisé. Il n'a pas les ressources pour encaisser un coup comme celui-ci. Le système s'est grippé, il est difficile de relancer la machine même avec la reprise de la demande. Il n'y a pas de dialogue au sein de la profession. Un rapport de France Agrimer avait parlé de la filière comme d' « un canard sans tête. »
Dès le début de la crise, la Commission européenne a proposé la réorientation de certains fonds européens structurels et d'investissement (FESI) existants. Nous avons ainsi adopté en mars un paquet de mesures pour 37 milliards d'euros, dont deux mesures spécifiques à la pêche reposant sur la mise en place de système assurantiel. Deux ou trois pays seulement, dont la France ne faisait pas partie, ont réussi à les mettre en place.
Ce coup d'épée dans l'eau a provoqué de la part des membres de la commission pêche une volonté d'aller plus loin, de ne pas se contenter de mesures ne servant à rien. Un travail important a été mené avec les professionnels de toute l'Europe et les États membres. Nous avons adressé à la Commission européenne des demandes de révision du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui ont abouti à une proposition de la Commission.
Celles-ci étaient assez similaires avec celles prévalant dans le secteur agricole : indemnisation des arrêts temporaires de pêche, compensation pour les aquaculteurs, aides au stockage, flexibilités budgétaires et simplifications administratives pour la révision des programmes opérationnels dans les différents États membres, flexibilité sur l'argent destiné au contrôle (nous avons proposé que 10 % soient affectés à l'aide d'urgence). Les outre‑mer bénéficient d'un régime spécifique, car leur organisation est différente de celle prévalant en métropole.
S'agissant de la pêche et de l'aquaculture, tout le monde s'est mis en mouvement assez rapidement pour obtenir des résultats. Il reste que l'Union européenne a la marge de manœuvre que lui ont laissé les États membres dans les traités. Dans les situations de crise, on compte d'abord sur les Etats pour réagir. S'agissant de filières très intégrées au sein de l'Union européenne, il est handicapant de ne pas bénéficier de mécanismes d'actions. Dans le cadre des négociations sur le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, j'ai demandé à la Commission, lors des derniers trilogues, de nous proposer des mesures d'urgence à activer en cas de crise. Pour l'instant, ma demande est restée lettre morte.
Les rapporteurs ont dénoncé le manque de visibilité à moyen terme. Depuis la dernière réforme de la politique commune des pêches, cette politique n'est plus perçue comme une politique alimentaire, mais comme une politique environnementale : il s'agit de préserver et de restaurer la ressource. Il n'y a donc pas de réflexion sur la vocation alimentaire de la pêche et de l'aquaculture. Cela permet de comprendre pourquoi il peut être compliqué d'avoir des approches similaires entre la pêche et l'agriculture. Cela explique également le manque de visibilité et l'insuffisance des propositions de la Commission. Par exemple, la mesure interdisant à un pêcheur installé il y a moins de deux ans l'accès au régime de l'indemnisation des arrêts temporaires n'a pas de sens dans le cas de la crise de la COVID-19. Nous avons donc proposé plusieurs amendements, qui ont été très difficiles à accepter pour la Commission, car ils remettaient en cause la logique environnementale et l'équilibre global du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.
Enfin, je regrette de n'avoir aujourd'hui aucun élément sur la mise en œuvre effective des mesures et leur efficacité sur le terrain. Il faudra sans doute attendre la fin de l'année pour cela.
Les secteurs de l'agriculture et de la pêche ont été lourdement affectés par la crise. Or, ils sont de véritables piliers économiques de l'Union : ils sont essentiels pour les travailleurs européens comme pour les consommateurs des produits européens. En effet, l'Union européenne est la première puissance agricole mondiale et la première exportatrice de produits de la mer. Ces derniers mois, en dépit de l'ensemble des risques engendrés par la crise sanitaire, des milliers de personnes ont contribué à faire vivre ce secteur. Sans relâche, ils ont préservé la sécurité de la chaîne d'alimentation de la population française et européenne, malgré la crise.
Les difficultés rencontrées par le secteur agricole ont été exacerbées par la crise sanitaire ; je pense notamment à la moindre disponibilité des travailleurs saisonniers et aux restrictions à l'importation et à l'exportation. La filière pêche a, elle aussi, été durement affectée. Nos pêcheurs, notamment les nombreux pêcheurs bretons de ma circonscription, sont restés à quai et ont dû réduire fortement leur activité économique, une activité dont ils craignaient déjà le déclin en raison du Brexit. Pour répondre à la crise, les acteurs se sont mobilisés, notamment les députés européens. Certes, ces interventions ont parfois été jugées tardives, mais elles ont été fortes. À l'échelle européenne, Pierre Karleskind, en tant que président de la commission pêche du Parlement européen, a largement contribué au soutien exceptionnel à la filière pêche, et notamment à la mise en place d'une aide au stockage et au financement des arrêts temporaires d'activité. Concernant le secteur agricole, on a su aussi apporter de nombreuses réponses en simplifiant et en assouplissant les règles de la politique agricole commune, qu'il s'agisse des demandes de paiements ou des financements.
Ces mesures temporaires et exceptionnelles ont été prises pour répondre en urgence à la crise sanitaire, mais la réflexion sur la profonde transformation de nos deux politiques communautaires historiques que sont la politique agricole commune et la politique commune de la pêche doit se poursuivre, dans une période qui comporte de nombreux défis, notamment la transition écologique et le renforcement de notre souveraineté alimentaire. Ces défis peuvent s'avérer de réelles opportunités, à condition que le soutien communautaire soit au rendez-vous. Quelles seraient les priorités pour répondre durablement à ces enjeux de souveraineté alimentaire et de transition écologique, si de nouvelles mesures sanitaires devaient être prises en cas de résurgence de la pandémie ?
Vous avez insisté sur les fragilités liées à notre dépendance, et qui concernent notamment la main-d'œuvre, l'alimentation animale et l'emballage. J'ai été sensibilisée à ces sujets dans ma circonscription du Loiret, où travaillent de nombreux producteurs de céréales, qui ont des difficultés notamment pour trouver des pièces de rechange pour leurs équipements. Il est essentiel de définir une stratégie de souveraineté en matière d'alimentation.
Il n'en demeure pas moins que l'Union reste la première puissance agricole mondiale et la première exportatrice dans le secteur agroalimentaire. Cette performance commerciale est liée à la signature d'accords de libre-échange avec des États comme le Japon ou Singapour. Comment concilier performance agricole et renforcement de la souveraineté alimentaire ?
La France n'avait pas utilisé tous les fonds du FEAMP : elle a donc pu aider rapidement nos marins-pêcheurs. En revanche, demeure l'épée de Damoclès du Brexit. Les fonds étant désormais épuisés, nous aurons besoin de nouvelles mesures d'aide : le FEAMP sera-t-il révisé pour faire face à une éventuelle crise majeure consécutive au Brexit ? Deux rapports de la commission des Affaires européennes, l'un sur la pêche durable, l'autre sur le Brexit, formulent des propositions. Il s'agit de réfléchir à la durabilité de la pêche et à son avenir sur l'ensemble du territoire.
La lutte contre la pandémie a exigé des mesures drastiques. Les secteurs les plus touchés doivent être accompagnés durablement. Pour de nombreux pêcheurs et agriculteurs, la crise du COVID-19 a notamment entraîné une baisse, voire un arrêt d'activité forcé. Les pertes sont importantes et pèsent sur la reprise d'activité, mais aussi sur tous les emplois induits.
Je connais une entreprise de transformation de poisson à un quart d'heure à vol d'oiseau du port de Lorient qui importe aujourd'hui 90 % de poisson congelé du Japon. Ce pourrait être une occasion de développer les approvisionnements locaux ; je pense aussi au coût lié au carbone.
Le secteur de la pêche est aussi touché par les conséquences Brexit et tous les professionnels sont dans l'attente des résultats des négociations en cours. Plusieurs pans sectoriels ont été dévoilés dans le projet de loi de finance rectificatif, notamment pour l'automobile, l'aérien ou le tourisme. Quelles sont les pistes envisagées pour assurer au secteur de la pêche une reprise rapide et dynamique, à la fois pour répondre à l'urgence de la pandémie et pour sortir par le haut du Brexit ?
Pour faire écho à ce que dit M. Karleskind sur la vision de la Commission européenne des enjeux de l'agriculture et de la pêche, je pense qu'il a tout à fait raison. Elle s'est habituée à gérer des excédents agricoles et ne voit plus du tout l'agriculture comme quelque chose de stratégique et qui pourrait amener à manquer dans les années à venir si nous n'avons pas de stratégie à long terme.
Avec la diminution du nombre d'agriculteurs, puisque 50 % d'entre eux vont prendre leur retraite d'ici 2022, il y a un fort enjeu de renouvellement des générations qui n'est absolument pas assuré pour le moment. Les prix agricoles ne permettent pas une pérennité des exploitations. La notion de souveraineté et d'indépendance alimentaire n'est pas dans le viseur de la Commission, qui pense que cette souveraineté est acquise à jamais.
Je pense que c'est une erreur profonde que nous allons payer très cher d'ici quelques années s'il n'y a pas un réveil rapide de la Commission et des États membres. Les révoltes de la faim ont contribué à renverser tous les régimes, dictatures comme démocraties. Il faut être vigilant et alerter sur le fait que la souveraineté alimentaire n'est pas acquise à jamais ; elle peut être remise en cause d'ici quatre ou cinq ans. En cas de crise profonde, il peut y avoir pénuries et manques. Le réveil sera alors très douloureux.
On voit que les États-Unis ont investi lourdement dans l'agriculture alors que ce n'est pas un pays très interventionniste pour faire suite à cette crise. La Commission européenne ne propose rien de très neuf pour accompagner l'agriculture.
Concernant la question de Mme Janvier, l'autarcie n'est effectivement pas la solution. L'agriculture européenne a besoin d'échanger, sans quoi elle meurt dans les six mois. Cependant, nous nous imposons des normes demandées par les consommateurs européens. Il faut que ces normes s'appliquent de façon homogène aux agriculteurs européens et que ces normes européennes que nous imposons à nos producteurs le soient aussi aux produits importés et qui circulent en Europe. Il nous faut avoir les moyens de le contrôler Sinon, il y a un phénomène de défiance croissante entre le consommateur et l'agriculteur, car il ne sait pas quelles sont les conditions de production et n'a plus confiance dans la fiabilité des productions. L'Europe doit jouer tout son rôle pour harmoniser faire respecter les normes, tant pour la production européenne que pour les importations.
Je partage complètement ces propos. Sur la question du libre-échange, il y a des normes à respecter pour les produits importés comme exportés. J'ajouterai qu'il faut que nous puissions sortir d'une conception économique qui est celle du début du XIXe siècle, portée notamment par David Ricardo, des avantages comparatifs. On ne peut plus produire et acheter là où c'est moins cher. Il faut sortir de cela, sans quoi nous allons mourir. Bien évidemment, il faut des échanges, mais ils doivent aller vers la complémentarité des productions et non la compétitivité ou la guerre des prix. Je crois que la vision que nous avons aujourd'hui des accords internationaux ne peut être la même qu'avant cette prise de conscience. Il faut des échanges et de la coopération, mais sur une autre base.
Sur la question de la souveraineté alimentaire, le ministre de l'agriculture a annoncé le 18 juin dernier que la France allait lancer à la rentrée une grande conférence sur la sécurité alimentaire. Les parlementaires du Massif central, sous l'influence d'organisations comme la Fédération nationale bovine, voudraient profiter du Sommet de l'élevage à Clermont-Ferrand pour organiser cette conférence sur la souveraineté alimentaire, qui associerait les États européens. Il n'est pas question de donner des leçons mais de faire avancer la prise de conscience.
Je termine en rappelant le rapport que nous avons rendu avec Alexandre Freschi sur une agriculture durable pour l'Union européenne. Nous avions tendance à dire qu'il s'agissait de la PAC de la dernière chance. Si la nouvelle PAC ne permet pas une agriculture durable dans la dimension environnementale, économique et sociale, nous allons à la catastrophe. À nous de faire avancer la nécessité et l'exigence d'une PAC différente.
J'aimerais connaître l'avis de M Karleskind sur la demande des rapporteurs d'un moratoire sur le mandat de négociation d'accords de libre-échange de la Commission européenne. On touche à une question sensible ; c'est une compétence exclusive de l'Union européenne. L'agriculture n'est pas le seul secteur concerné.
C'est effectivement une compétence exclusive, mais soumise in fine à ratification par les parlements nationaux.
La comparaison avec les États-Unis est très intéressante, mais elle s'arrête sur un pont. L'État fédéral est libre d'adopter son budget, la Commission européenne ne l'est quasiment pas. Nous sommes d'ailleurs en pleine négociation du cadre financier pluriannuel ; en déborder en d'une incroyable complexité. La principale difficulté que nous avons en Europe est que nous avons dévolu à l'échelon européen la définition de certaines politiques et les moyens de leur mise en œuvre, mais dans le même temps, il n'y a pas de liberté d'augmenter ces moyens d'intervention en cas de crise. Notre Union reste un édifice inachevé.
On revient aux fondamentaux et à Jean Monnet, selon lequel ce sont les crises qui font avancer l'Europe. S'il y a bien une chose que j'espère, puisqu'il faut tirer les enseignements de toutes les crises, c'est justement que dans les esprits de nos collègues européens, la question de la souveraineté alimentaire soit posée. Les cultures sont différentes : la France pourrait très bien se suffire à elle-même, tandis que certains pays du Nord ne peuvent pas tout produire eux-mêmes. Ces cultures sont profondément ancrées et, au Parlement européen, il faut composer avec vingt‑sept cultures différentes. Cependant, je crois que cette crise fait évoluer la réflexion.
Je constate aussi sur les accords internationaux, et j'en ai été étonné, que le Parlement élu en 2019 a changé. Il y a une vraie divergence entre ce que mes collègues et ce que la Commission portent dans la négociation des accords internationaux. La divergence est de moins en moins cachée et de plus en plus claire. Nous avons adopté récemment l'accord de libre-échange avec le Vietnam, mais j'ai senti qu'il n'aurait pas fallu grand-chose pour qu'il ne passe pas.
Les critères environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques européens ne peuvent pas passer à la trappe des négociations internationales. À l'occasion de la discussion sur l'accord avec le Vietnam, j'ai porté au nom de mon groupe un amendement, qui a été adopté. Le règlement sur la pêche internationale prévoit qu'on ne peut passer d'accord avec les pays qui ont un carton rouge, c'est-à-dire qui ne respecte pas le cadre légal de la pêche. Les cartons oranges signifient que les Etats sont en train de faire des efforts, mais certains le sont depuis plusieurs années. Cet amendement fait basculer les pays qui sont en carton orange depuis cinq ans automatiquement en carton rouge. Ces pays ne peuvent alors pas bénéficier d'accords de libre-échange ou de tarifs douaniers préférentiels.
En cela, nous travaillons actuellement sur le règlement relatif au contrôle des activités de pêche et des produits de la mer qui entrent sur le territoire. Il y a un gros volet sur la traçabilité. C'est un élément que j'estime très sensible. Les consommateurs sont très mal informés. Chez le poissonnier, on peut lire « poisson pêché en Atlantique Nord Est ». Pour moi qui suis océanographe, l'Atlantique Nord Est commence à l'équateur. On peut donc pêcher au large de la Mauritanie, ce qui n'est pas la même chose que de pêcher en Bretagne. Je crois qu'il est très important que le consommateur sache par quel bateau le poisson a été pêché, et s'il a fait trois fois le tour du monde. Nous y travaillons, et l'état d'esprit à Bruxelles et à Strasbourg évolue sur ce point.
Sur le budget, que faire en cas de crise ? Il y a la nécessité de disposer d'outils qui s'adaptent, car on ne sait pas quelle sera la prochaine crise. Il est donc complexe de savoir d'emblée quels sont les outils dont nous devons disposer en cas de crise. Il faut en tout cas donner à la Commission européenne une capacité d'agir temporairement mais rapidement, ce que nous avons été incapables de faire. Nous arrivons donc aux limites institutionnelles de notre fonctionnement : on demande beaucoup de choses à l'Union européenne sans lui donner les moyens d'agir avec souplesse et rapidité. Il faut choisir : soit nous demandons des choses à l'Union européenne et on lui en donne les moyens, soit nous décidons de garder les compétences au niveau des États membres.
Par ailleurs, comme l'a vu dans le secteur de l'agriculture, les aides d'État ont été utilisées dans le secteur de la pêche, puisque le plafond a été multiplié par quatre. Mais ce sont les États qui en avaient les moyens qui ont pu le faire.
Pour répondre à M. Pont, il n'y a pas que la France qui n'a pas beaucoup utilisé les crédits du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Il s'agit en effet du fonds européen structurel et d'investissement le moins utilisé : il est difficile à mettre œuvre et a été adopté tardivement en 2015. Certains États disposent donc de crédits non‑utilisés qui permettent de répondre à la crise du COVID-19.
Pour la suite, les choses sont en train de se mettre en place. Si, jusqu'à présent, il n'y avait aucun retour sur l'idée d'utiliser les crédits du FEAMP en cas de Brexit sans accord, la Commission européenne a, il y a deux semaines, proposé 500 millions d'euros supplémentaires pour le futur FEAMP. 300 millions d'euros de cette nouvelle enveloppe pourraient être utilisés pour pallier les difficultés du Brexit. Cela ne constitue pour l'instant que la proposition de la Commission européenne dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel. M. Charles Michel, président du Conseil européen, propose de créer un fonds spécifique de 5 milliards d'euros pour répondre aux enjeux du Brexit.
Plusieurs propositions ont donc été avancées, les choses ne sont pas très claires mais cela fera l'objet de la négociation qui va commencer dans deux jours lors du Conseil européen, ce qui doit nous permettre d'y voir plus clair. Ma conviction personnelle est qu'il vaut mieux disposer d'un fonds européen spécifique pour le Brexit. En effet, si on prévoit dans le FEAMP une ligne spéciale pour le Brexit, cela signifierait qu'on retirerait autant à ce fonds global, déjà peu élevé, pour le reste de la pêche, alors qu'il existe beaucoup d'enjeux en termes de modernisation de la flotte de pêche.
Concernant les accords commerciaux, malheureusement les parlements nationaux n'auront plus à ratifier les accords dits de « nouvelle génération ». Nous pouvons toutefois peser sur nos gouvernements respectifs puisque c'est le Conseil qui mandate la Commission pour l'ouverture des accords.
Nous passons à la communication sur « la réponse sanitaire européenne est-elle à la hauteur des enjeux ? », avec nos collègues Marietta Karamanli et Jean Pierre Pont.
Nous essaierons aujourd'hui de répondre à la question que nous sommes nombreux à nous poser depuis plusieurs mois : « la réponse sanitaire de l'Union européenne a-t-elle été à la hauteur des enjeux ? »
Nous avons auditionné plusieurs experts : une professeure de droit international et une spécialiste des risques sanitaires globaux, un consultant en gestion de crise et ancien chef du département des urgences sanitaires de la DGS, une haute-fonctionnaire de la Commission européenne, des membres de la commission de la santé du Parlement européen et des membres du Bundestag allemand.
Nous avons pu entendre différents points de vue, souvent convergents, sur les mesures prises, les possibilités d'action et les limites aux initiatives de l'Union au regard de ses compétences reconnues ou possibles et sur les limites des réponses apportées à la crise.
Nous exposerons tout d'abord quelle était la configuration des systèmes de santé des États membres avant le début de la crise, ainsi que les premières réactions nationales et européennes qui ont suivi son déclenchement. Nous pourrons ensuite analyser les mesures adoptées par l'Union au regard des compétences qu'elle a pour agir, et proposer des axes et recommandations plus opérationnelles pour améliorer son action dans la perspective de nouvelles crises dont les pandémies et épidémies.
Si la réponse à la crise a d'abord été nationale, l'Union s'est pleinement saisie des enjeux. Tout d'abord, on constate des systèmes de santé hétérogènes mais dans l'ensemble résilients. L'analyse des systèmes de santé des États membres de l'Union avant le déclenchement de la pandémie montre que la plupart des États membres étaient bien positionnés selon les trois critères utilisés par l'Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé : l'efficacité, l'accessibilité et la résilience des systèmes de santé.
Les dépenses de santé en part du PIB ont augmenté au cours de la décennie écoulée dans l'ensemble des pays européens, avec une moyenne de dépenses de 9,8 % du PIB soit environ 2 900 € en parité de pouvoir d'achat par habitant. Les pays dont les dépenses de santé sont les plus importantes sont la Norvège, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et les Pays‑Bas. À l'inverse, les pays de l'Est ont les taux de dépense les plus faibles.
En revanche, les dépenses de prévention ne représentent en moyenne que 3 % de l'ensemble des dépenses. La plupart des État européens dispose d'une couverture maladie universelle financée par des organismes publics ou assimilés. En matière de personnel hospitalier, le nombre de médecins a augmenté dans la plupart des pays européens pour atteindre une moyenne de 3,6 médecins pour 1 000 habitants. Le nombre de lits pour 1 000 habitants est en moyenne 5.
Mais on constate de fortes disparités pour ce qui est du nombre de lits de soins intensifs. Alors qu'en Allemagne et en Autriche on trouve respectivement 34 et 29 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants, en Espagne et en Italie – pays très fortement touchés par la pandémie – on est à moins de 10 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants.
Le dernier classement en 2019 de la John Hopkins University relatif au degré de préparation des différents États face à une éventuelle pandémie place la France en onzième position au niveau mondial. Il n'y a qu'un seul pays européen mieux classé que la France, il s'agit du Royaume-Uni en deuxième position. La crise de 2020 a montré les limites de ces évaluations formelles et théoriques.
Nous avons ensuite fait le constat de premières réponses nationales éparses voire incohérentes. Le 7 janvier 2020, un mois après la première apparition du virus en Chine, la Commission européenne a activé le mécanisme d'alerte précoce. Il sert à échanger des informations sur l'évaluation et la gestion des risques afin que les autorités sanitaires de l'Union et de l'Espace économique européen puissent réagir efficacement et rapidement aux menaces sanitaires transfrontalières graves.
Le 25 janvier, le virus a atteint l'Europe ; dès le 28 janvier, l'Union a activé le mécanisme européen de réponse aux crises (IPCR) en mode d'échange d'informations afin que les États membres et les institutions puissent procéder à une évaluation conjointe de la situation et des mesures à prendre. Le 30 janvier, l'OMC a annoncé une urgence sanitaire internationale. En février 2020, une augmentation significative des cas de COVID-19 est signalée dans le nord de l'Italie, alors que dans le même temps, plusieurs autres États membres de l'Union européenne signalent des cas de personnes infectées.
Certains experts considèrent que les différents États européens n'ont considéré la gravité qu'à partir de la situation italienne (dite « point de bascule »). À ce moment, ce sont les réactions nationales des différents États européens qui ont été au premier plan, l'Union européenne étant quasi-absente. Que ce soit pour les décisions concernant le trafic aérien, les frontières, les équipements (interdiction d'exportation des équipements y compris au sein de l'Union), les stratégies d'investigations épidémiologiques, les études de recherche à lancer (sur le plan de la connaissance de la maladie ou de son traitement), aucune coordination européenne n'apparaît clairement.
Le 4 février, plus de 20 000 personnes ont été infectées par le nouveau coronavirus, la plupart en Chine. Toutefois, l'OMS se refusait encore à parler de pandémie, l'épidémie étant à ce stade surtout concentrée sur le continent asiatique. Le 13 février, l'Union a mis en place un comité de crise et a activé son système de coordination de crise ARGUS, qui coordonne les efforts de l'ensemble des instances compétentes de l'Union. Compte tenu de la détérioration de la situation et des différents secteurs touchés (santé, services consulaires, protection civile, économie), la présidence fait passer l'activation du mécanisme du IPCR au mode complet le 2 mars 2020.
Fin février et début mars, les mesures contre la propagation du virus sont considérablement renforcées dans plusieurs États membres. Les premiers problèmes de respect des règles européennes apparaissent. Dans le débat médiatique, l'Union européenne semble soit être reléguée au second plan, soit être perçue comme manquant de solidarité et dysfonctionnelle. Les médias parlent beaucoup des offres d'aide de la Chine, de Cuba ou de la Russie, tout en déplorant le manque de solidarité européenne.
Le 11 mars, l'Autriche et la Slovénie ont partiellement fermé leurs frontières avec l'Italie et ce sans consulter les institutions européennes. Ces décisions nationales ont été critiquées par le Président français, qui appelait du même coup à un renforcement de la coordination entre les différents États membres.
Comme on le sait, les réactions nationales ont d'abord été très hétérogènes et mal articulées. Dès le début de la pandémie, tous les États (à l'exception de l'Irlande et du Danemark) ont restreint le trafic aérien. Partout sauf en Suède les magasins, restaurants, cafés et à des degrés divers les écoles ont été fermés. En France (depuis le 17 mars), en Espagne (depuis le 14 mars) et en Italie (depuis le 10 mars), un confinement strict a été mis en place.
La grande variété des situations empêche de déterminer, même rétrospectivement, quelle stratégie s'est révélée la plus efficace. Tout d'abord, il faut tenir compte du fait que les structures d'âge prédominent dans les différents États membres, que les systèmes de soins de santé sont organisés différemment et que le degré d'atteinte varie également beaucoup en termes de nombre d'infections. En outre, en raison des différentes façons de compter les décès (décès à la suite d'une infection par le virus ou en relation avec une infection), des différentes capacités de dépistage et du nombre de personnes dépistées, il n'existe toujours pas de base de données fiable pour procéder à une évaluation finale.
Enfin, nous pouvons parler d'une réponse tardive mais réelle de l'Union. Bien que la politique de santé soit une compétence exclusive des États membres et bien que le champ d'action de l'Union européenne soit, par conséquent, extrêmement limité, la Commission européenne a néanmoins pris de nombreuses mesures utiles ces derniers mois, en mobilisant des instruments existants et des instruments nouveaux pour limiter la propagation de l'épidémie, mettre à disposition du matériel médical et financer la recherche d'un vaccin.
Certains outils existaient déjà avant la pandémie de COVID‑19 : le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), le Système d'alerte précoce et de réaction, le Comité de sécurité sanitaire, son groupe de travail permanent et le programme Horizon 2020. Néanmoins, d'après les témoignages des experts auditionnés, la coordination s'était montrée faible à l'occasion de précédentes menaces. Dès la crise d'Ebola, on a pu constater l'absence quasi-totale de coopération au niveau de l'Union européenne, que ce soit dans le contrôle sanitaire aux frontières, qui a été décidé d'État à Etat sans aucune concertation, dans les équipements (la concurrence entre États européens pour les équipements est une réalité qui anticipe la situation en 2020) ou dans le rapatriement en Europe des soignants touchés par le virus afin de les traiter (il n'a pas été possible de trouver un accord européen pour les avions).
Parmi les principales nouvelles mesures prises fin mars et début avril, on peut citer les suivantes : l'élargissement de la réserve stratégique « RescEU » pour sécuriser l'approvisionnement en dispositifs médicaux et en équipements de protection, l'extension du Fonds de solidarité de l'Union aux urgences de santé publique ; la coordination de la production de dispositifs et de matériels médicaux ; l'adoption de l'instrument d'aide d'urgence de l'Union (3 milliards d'euros prélevés sur le budget de l'Union), la facilitation du traitement transfrontalier des patients et du détachement transfrontalier de personnel médical, le report à 2021 de d'application du règlement sur les dispositifs médicaux à 2021 et la garantie de l'approvisionnement et la disponibilité des médicaments.
Désormais, tous les efforts de l'Union sont tournés vers la recherche d'un vaccin et la garantie de son accessibilité pour l'ensemble des États membres. Il existe actuellement 161 projets de vaccins contre les coronavirus dans le monde, dont 17 projets en phase d'essai. Trois coopérations européennes sont déjà relativement avancées (Phase II ou III): les entreprises allemandes Biontech et CureVac ; la coopération d'Astra Zeneca avec l'université d'Oxford ; la coopération entre Sanofi (France) et GSK (Grande-Bretagne).
Le 17 juin 2020, la Commission européenne a présenté une stratégie européenne en matière de vaccins. Cette stratégie vise à réduire le temps nécessaire au développement et à la disponibilité de vaccins pour les États membres. Pour y parvenir, la Commission souhaite mettre en place une procédure de passation de marchés centralisée. En échange du droit d'acheter un certain nombre de doses de vaccins à un prix fixe dans un certain délai, l'Union financera une partie des coûts initiaux des fabricants de vaccins dans le cadre de l'ESI (pour 2,7 milliards d'euros). La Commission est prête à entamer des négociations avec tous les fabricants de vaccins qui sont déjà entrés dans la phase clinique. La répartition de l'accès aux doses de vaccin entre les États membres sera fonction d'une clé de répartition basée sur la taille de la population. En outre, la Commission participera à l'élaboration d'une stratégie mondiale de vaccination et d'une stratégie d'attribution des vaccins afin de garantir que les groupes prioritaires reçoivent des vaccins le plus rapidement possible.
L'Union apporte déjà un soutien considérable au développement de vaccins, en soutenant par exemple les entreprises Biontech et Curevac avec des prêts de la BEI s'élevant respectivement à 100 et 75 millions d'euros. La Commission européenne fournit également à la Gavi, l'Alliance du Vaccin, un financement de 300 millions d'euros pour la période 2021‑2025. Lors de la conférence des donateurs pour une réponse mondiale à la crise de COVID-19, co-organisé par la Commission européenne le 4 mai, Gavi a reçu des promesses de dons d'un montant total de plus de 1,5 milliard d'euros.
Certains États membres ont déjà formé une « Alliance européenne pour le vaccin contre la COVID-19 », notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays‑Bas. Le premier accord signé avec la société pharmaceutique AstraZeneca porte sur un maximum de 400 millions de doses de vaccin, que la société développe en partenariat avec l'université d'Oxford. D'autres négociations avec d'autres entreprises sont également prévues ; l'alliance est d'ailleurs ouverte aux États tiers.
Les limites de l'action de l'Union s'expliquent aussi d'abord par les moyens insuffisants dont elle dispose. D'une part, elle dispose d'une compétence de l'Union limitée.
Dans le domaine de la protection et de l'amélioration de la santé humaine ainsi que dans le domaine de la protection civile l'Union est uniquement compétente pour mener des actions visant à appuyer, coordonner ou compléter les actions des États membres, sans pour autant se substituer à la compétence dans ces domaines.
Par conséquent, l'action de l'Union dans le domaine de la santé publique ne peut consister essentiellement qu'à compléter les politiques des États membres. Cela comprend la surveillance, l'alerte précoce et la lutte contre les menaces transfrontalières graves pour la santé. L'Union encourage la coopération entre les États membres et les États membres coordonnent entre eux, en consultation avec la Commission, leurs programmes et politiques dans ce domaine. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination (c'est l'article 168 du Traité).
Il existe deux bases juridiques qui permettent explicitement de fournir une assistance aux États membres en cas d'urgence : l'article 222 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, prévoit une clause de solidarité au cas où un État membre est victime d'une attaque terroriste ou d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine, et sur la base de l'article 196 du Traité sur le fonctionnement de l'Union, les États membres peuvent aussi activer le mécanisme de protection civile pour demander des fournitures médicales et du personnel médical.
En plus, il y a quelques domaines de compétence sanitaire partagée : les « enjeux communs de sécurité en matière de santé publique » (article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) ; dans le cadre de la protection de l'environnement la « protection de la santé des personnes » fait partie des objectifs de cette politique (article 191 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). L'Union peut adopter des règles contraignantes en matière de franchissement des frontières intérieures ainsi que de contrôle et de surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures (art. 77 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).
Il existe en dehors de cela une base juridique indirecte dans l'article 114 du Traité, qui habilite l'Union à harmoniser les législations nationales en vue de la réalisation du marché intérieur, notamment dans le domaine de la santé.
L'Union dispose d'une compétence exclusive pour « fixer les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur » (article 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Cela inclut la loi sur les aides d'État. Les aides d'État sont en principe interdites, mais l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne autorise l'octroi de certaines aides et l'approbation discrétionnaire de certaines autres par la Commission. Ainsi, il est possible de soutenir des projets de recherche et de produire de biens nécessaires.
D'autre part, il existe des instruments juridiques à rationaliser et à mieux exploiter. Malgré les mesures inédites qui ont été prises, l'action de l'Union est souvent apparue, pour l'opinion, comme tardive et discrète. Pour les citoyens, les compétences réelles de l'Union dans le domaine de la santé ne sont pas claires : dans ce contexte, les attentes sont fortes mais nécessairement déçues.
L'Union et les instruments internationaux dans le domaine de la santé : il mérite d'être rappelé ici que l'Union ne fait pas partie des accords multilatéraux dont l'objectif principal est de protéger la santé, mais elle est liée par divers types d'accords qui protègent la protection de la santé de manière subsidiaire ou indirecte. Il s'agit d'accords de coopération bilatéraux et de partenariats entre l'Union et des pays tiers, qui impliquent une assistance et une coopération afin de développer des systèmes de santé publique efficaces, ou d'accords environnementaux multilatéraux, dont la mise en œuvre implique une action dans le domaine de la santé. En outre, la « no harm rule » du droit international oblige les États à utiliser tous les moyens à leur disposition pour prévenir les dommages causés aux autres États à partir de leur territoire ou par une activité sous leur contrôle. Ce principe peut également être appliqué à l'Union dans une mesure limitée.
En vertu des traités européens, l'Union doit respecter le principe de loyauté : elle doit coopérer avec les États membres pour s'assurer qu'ils remplissent leurs obligations. Cela inclut de nombreuses obligations internationales dans le domaine de la santé, telles que la « no harm rule », le Règlement sanitaire international (RSI) et la protection du droit à la santé, comme le prévoient plusieurs traités sur les droits de l'homme.
L'Union et son droit interne lui permettent aussi d'agir. Il faut bien admettre, aussi, que l'Union a dans un premier temps tardé à réagir et à activer la clause de solidarité de l'article 222 évoquée prévoyant une assistance mutuelle en cas de catastrophe naturelle. En parallèle, les réflexes souverains des États nations ont resurgi, de manière un peu analogue à ce qu'on a vu pendant la crise des réfugiés de 2015, aboutissant à une limitation des exportations entre États membres des équipements médicaux. Ces décisions nationales ont abouti à une coopération sous-optimale et à des ruptures de la chaîne de production et d'approvisionnement.
Dans la perspective d'une nouvelle crise sanitaire ou d'une nouvelle vague, que nous ne souhaitons évidemment pas, les enseignements suivants pourraient être retenus.
L'Union européenne dispose désormais de compétences et d'instruments qui, s'ils sont limités, sont néanmoins réels : elle doit parvenir à les utiliser de manière plus efficace. Les bases juridiques liées à la politique de santé sont éparses dans les traités : nous aurions tout intérêt à les réunir et les expliciter atteindre une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité.
Si l'on compare l'action de l'Union en matière de santé et l'action de l'Union en matière d'environnement, domaine où elle dispose de prérogatives comparables, on s'aperçoit que l'Union adopte une approche beaucoup plus déterminée pour ce qui touche à l'environnement. Il y a ici un retard à rattraper, dont la crise du Coronavirus nous aura fait prendre conscience. L'Union doit mener dans le domaine de la santé une action aussi résolue et explicite que celle qu'elle mène en faveur de l'environnement.
La crise de COVID-19 a également montré que les systèmes santé des États membres sont très différents, quand on compare par exemple le nombre de médecins ou de lits par habitant. Ces différences de situations initiales créent des écarts importants en cas de crise et une difficulté à adopter des solutions adaptées pour tous les pays. L'Union doit faire usage de ses compétences pour soutenir l'harmonisation des systèmes de santé et pour faciliter une meilleure coordination de l'approvisionnement en médicaments, en produits médicaux et du transport des patients en cas de surcharge des systèmes de santé dans les différents États membres.
Le dernier point sur lequel nous voulions insister est qu'il convient de donner à l'Union les moyens d'une politique de santé ambitieuse.
La première recommandation serait de créer une base de données fiable pour évaluer l'impact réel de la pandémie. Il conviendrait à cet égard d'examiner le taux de mortalité dû à la maladie de COVID-19, le taux de surmortalité, et les taux de mortalité hospitalière, en particulier chez les patients placés en soins intensifs. Il est important de disposer d'une méthode de comptage uniforme à l'échelle de l'Union et d'une méthode uniforme de collecte des données, idéalement coordonnée par le ECDC.
Afin d'examiner régulièrement (hebdomadairement ou mensuellement) la surmortalité, on pourrait utiliser le réseau de collaboration EuroMOMO, qui collecte et fournit chaque semaine des statistiques nationales sur la mortalité. Le réseau vise à détecter et à mesurer la surmortalité associée à la grippe saisonnière, aux pandémies et à d'autres menaces pour la santé publique. Le réseau est soutenu par l'ECDC et l'OMS et géré par le Statens Serum Institut au Danemark.
Les experts que nous avons entendus ont également recommandé la mise en œuvre d'une stratégie de crise pour les urgences épidémiologiques, fondée sur les instruments existants (comme la réserve stratégique « RescEU ») et sur la clause de solidarité de l'article 222 du Traité.
À cette fin, les scénarios de crise devront être soumis à des exercices réguliers, par exemple deux fois par législature, afin que l'ensemble des institutions puisse réagir rapidement et efficacement quand cela sera nécessaire. Cette stratégie commune devrait également prévoir des critères uniformes relatifs aux restrictions de transports (notamment aérien) et à l'introduction de contrôles aux frontières nationales.
Par ailleurs, une nouvelle stratégie industrielle permettrait d'établir une production indépendante de médicaments et de fournitures médicales nécessaires sur le territoire de l'Union. Une première étape consisterait à identifier et à définir les chaînes de production et les médicaments essentiels en cas de crise. Une partie de la production doit être réservée à la demande européenne, ce qui revient à interdire l'exportation des produits concernés vers des pays tiers. Cette relocalisation de la production pourrait reposer sur la formation de consortiums, sur le modèle de ce qui existe pour la recherche et la production de batteries de voitures. En outre, le marché commun devrait être utilisé spécifiquement pour la production pharmaceutique (médicaments, dispositifs médicaux, équipements de protection, matériel médical).
Il paraît également nécessaire d'augmenter significativement la réserve stratégique européenne « RescUE » afin d'inclure les biens médicaux et les ressources humaines mobilisables à tout moment. Les biens doivent être acquis par le biais d'une procédure de passation de marché conjointe, pour laquelle des fonds suffisants doivent être prévus dans le cadre financier pluriannuel.
Entre toutes les recommandations que nous avons entendues, la proposition la plus ambitieuse consisterait à créer une force européenne de la santé qui permettrait : une relocalisation de la production avec une évolution de la réglementation qui assure « l'approvisionnement souverain » ; la création d'une réserve sanitaire européenne composée de personnel médical et soignant formés aux urgences et gestes adaptés en provenance de toute l'Union ; un système européen coordonné pour la distribution de médicaments et le transport des patients ; le renforcement de la recherche commune et la conduite d'essais cliniques conjoints avec une évolution concomitante des règles et bonnes pratiques si cela s'avère nécessaire ; enfin, un budget dédié aux questions de santé communes ou du moins un fléchage de crédits permettant d'assurer la visibilité de l'action européenne et son évaluation y compris au niveau des différents parlements nationaux. Voilà la synthèse de nos recommandations à travers la communication.
L'ampleur historique des mesures prises par l'Union montre que celle-ci, malgré ses compétences limitées dans le domaine de la santé publique, est tout à fait capable d'agir. Elle a déjà réussi à apporter, dans l'urgence, une réponse efficace et ciblée aux défis posés par la pandémie en exploitant comme elle l'a pu le faire les compétences que lui donnent les traités.
Néanmoins, une mise en œuvre mieux coordonnée des mesures et recommandations formulées par l'Union semble cruciale dans la perspective d'une éventuelle « deuxième vague ».
À cette fin, il serait souhaitable que les politiques visant à préserver la santé publique relèvent des compétences partagées, à chaque fois qu'une catastrophe sanitaire concerne de manière systémique la totalité de l'Union.
On ne peut pas à la fois reprocher à l'Union de ne rien faire, et refuser de lui déléguer les compétences nécessaires à la détermination de politiques efficaces ! Il faut lever l'ambiguïté.
Les pandémies touchant par définition plusieurs États et même plusieurs continents, il serait conforme à l'esprit du principe de subsidiarité que la réponse à une telle crise relève en premier lieu du niveau communautaire.
Je remercie les rapporteurs pour le travail, qui est finalement rassurant. Même si l'Union européenne ne dispose pas de compétences véritables en matière sanitaire, elle a été en mesure de réagir face à la pandémie. Avec la souveraineté alimentaire, la santé est un autre sujet qui, à n'en pas douter, nourrira la conférence sur l'avenir de l'Europe, qui devrait être lancée à l'automne. Mon seul regret est l'absence d'évaluation des systèmes de santé européens, lesquels présentent de nombreuses différences d'où l'on aurait pu tirer des enseignements utiles.
Je souhaiterais revenir sur la mise en place d'un mécanisme européen de réaction sanitaire. Cette proposition me semble faire écho à celle de la députée européenne Véronique Trillet-Lenoir qui, à ma connaissance, a été adoptée. Je note également qu'il n'y a pas de plan de crise formalisé à l'échelle européenne. En cas de nouvelle crise, comment fera-t-on ?
Je m'interroge également sur la question de la relocalisation de la production des principes actifs des médicaments, actuellement à 80 % produits en Asie ? Comment faire, alors que les coûts de production en Europe sont bien plus élevés, avec des conséquences potentielles pour nos systèmes d'assurance-maladie ? Peut-on imaginer selon vous une relocalisation dans les pays des Balkans occidentaux, lesquels pourraient les produire à un coût très compétitif ?
Ce mécanisme européen de réaction sanitaire existe. C'est RescUE, mais il ne fonctionne pas. D'où notre proposition d'une véritable force européenne de santé, mise en œuvre par les Etats-membres sous l'égide de l'Union européenne. On éviterait ainsi que ce soit des médecins chinois, russes ou cubains qui viennent en renfort de l'Italie en cas de crise, comme ce fut le cas avec la crise du coronavirus.
S'agissant de la relocalisation de l'industrie du médicament, le coût n'est pas le seul déterminant. Il y a une industrie chimique puissante en Allemagne et nous avons été capables de produire des surblouses et des masques rapidement. Les capacités de production existent. Elles sont toutefois dépendantes d'une volonté politique de ne plus être dépendant de l'extérieur.
Les médicaments concernés sont, d'une manière générale, les plus simples et, de ce fait, les moins rentables. D'où le fait d'ailleurs que leur production ait été délocalisée en Asie.
Je voudrais creuser la question de la relocalisation. Il y a quelques semaines, Jean-Louis Bourlanges soulignait que le problème des masques ne venait pas tant du lieu de production en soi, mais du fait qu'il n'y en avait qu'un, en l'occurrence le pays où l'épidémie a commencé. Cela a créé de grandes tensions menant à une pénurie, qui est terminée aujourd'hui.
Marietta Karamanli a dit dans sa réponse qu'il y avait des industries chimiques en Allemagne et en Suisse. On parle beaucoup de relocalisation, quel est le rôle de l'État dans votre esprit ? S'il y a une industrie chimique en Suisse, ce n'est pas parce que l'État impose à des usines de s'installer dans tel ou tel canton. Quel levier l'État utilise-t-il pour atteindre un objectif de relocalisation, que j'imagine ciblée ?
Nous avons débattu de ce sujet lors de la présentation du rapport de Christophe Jerretie sur le cadre financier pluriannuel. Il est possible d'orienter l'accompagnement européen des investissements ou l'accompagnement national, comme le font les Suisses ou les Allemands, dans certains domaines de production qui ont quitté le territoire européen parce que l'État n'avait pas su s'y investir.
Ce sont des dispositifs qui ont été proposés mais pas appliqués parce que certains États membres ne partagent pas cette orientation.
J'aimerais être sûr de bien comprendre comment cela fonctionne. Si aujourd'hui une grande entreprise produit un médicament X de l'autre côté du monde, la Commission ou un État devrait dire qu'elle peut bénéficier d'une aide si elle produit 300 000 doses de paracétamol ou 250 000 doses d'aspirine en Europe ?
Jusqu'où va-t-on dans le subventionnement de ces industries ?
Par ailleurs, nous sommes tous d'accord pour réduire notre dépendance par rapport à l'Asie ou à l'Inde, mais les Allemands et les Suisses ont déjà une industrie chimique. Les Français seraient-ils d'accord pour introduire une industrie qui n'est pas sans effets sur l'environnement ? C'est peut-être aussi une raison pour laquelle nous achetons des médicaments à l'étranger.
Il faut concilier protection de l'environnement et réduction de notre dépendance.
Je ne vais pas ouvrir un débat sur l'environnement, on pourrait aussi parler de l'industrie nucléaire !
Il ne s'agit pas d'entrer dans le détail, mais de prévoir un dispositif plus général qui permet à l'État de prévoir une prime si une entreprise produisant à l'étranger décide de produire sur le territoire de l'Union. Il faut activer de nouveaux leviers au niveau de l'Union européenne. Il faut penser la relocalisation industrielle au niveau européen et pas uniquement national.
Je remercie Marietta d'avoir eu l'excellente idée d'une force d'intervention. On pourrait appeler cette force Marietta !
La séance est levée à 13 heures 25.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. André Chassaigne, M. Alexandre Holroyd, Mme Caroline Janvier, Mme Marietta Karamanli, Mme Nicole Le Peih, M. Jean-Baptiste Moreau, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye
Excusés. – Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bernard Deflesselles, Mme Frédérique Dumas, M. Patrick Loiseau
Assistait également à la réunion. - M. Yves Daniel