Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 11h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Les limites de l'action de l'Union s'expliquent aussi d'abord par les moyens insuffisants dont elle dispose. D'une part, elle dispose d'une compétence de l'Union limitée.

Dans le domaine de la protection et de l'amélioration de la santé humaine ainsi que dans le domaine de la protection civile l'Union est uniquement compétente pour mener des actions visant à appuyer, coordonner ou compléter les actions des États membres, sans pour autant se substituer à la compétence dans ces domaines.

Par conséquent, l'action de l'Union dans le domaine de la santé publique ne peut consister essentiellement qu'à compléter les politiques des États membres. Cela comprend la surveillance, l'alerte précoce et la lutte contre les menaces transfrontalières graves pour la santé. L'Union encourage la coopération entre les États membres et les États membres coordonnent entre eux, en consultation avec la Commission, leurs programmes et politiques dans ce domaine. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination (c'est l'article 168 du Traité).

Il existe deux bases juridiques qui permettent explicitement de fournir une assistance aux États membres en cas d'urgence : l'article 222 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, prévoit une clause de solidarité au cas où un État membre est victime d'une attaque terroriste ou d'une catastrophe naturelle ou d'origine humaine, et sur la base de l'article 196 du Traité sur le fonctionnement de l'Union, les États membres peuvent aussi activer le mécanisme de protection civile pour demander des fournitures médicales et du personnel médical.

En plus, il y a quelques domaines de compétence sanitaire partagée : les « enjeux communs de sécurité en matière de santé publique » (article 4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) ; dans le cadre de la protection de l'environnement la « protection de la santé des personnes » fait partie des objectifs de cette politique (article 191 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). L'Union peut adopter des règles contraignantes en matière de franchissement des frontières intérieures ainsi que de contrôle et de surveillance efficace du franchissement des frontières extérieures (art. 77 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).

Il existe en dehors de cela une base juridique indirecte dans l'article 114 du Traité, qui habilite l'Union à harmoniser les législations nationales en vue de la réalisation du marché intérieur, notamment dans le domaine de la santé.

L'Union dispose d'une compétence exclusive pour « fixer les règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur » (article 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Cela inclut la loi sur les aides d'État. Les aides d'État sont en principe interdites, mais l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne autorise l'octroi de certaines aides et l'approbation discrétionnaire de certaines autres par la Commission. Ainsi, il est possible de soutenir des projets de recherche et de produire de biens nécessaires.

D'autre part, il existe des instruments juridiques à rationaliser et à mieux exploiter. Malgré les mesures inédites qui ont été prises, l'action de l'Union est souvent apparue, pour l'opinion, comme tardive et discrète. Pour les citoyens, les compétences réelles de l'Union dans le domaine de la santé ne sont pas claires : dans ce contexte, les attentes sont fortes mais nécessairement déçues.

L'Union et les instruments internationaux dans le domaine de la santé : il mérite d'être rappelé ici que l'Union ne fait pas partie des accords multilatéraux dont l'objectif principal est de protéger la santé, mais elle est liée par divers types d'accords qui protègent la protection de la santé de manière subsidiaire ou indirecte. Il s'agit d'accords de coopération bilatéraux et de partenariats entre l'Union et des pays tiers, qui impliquent une assistance et une coopération afin de développer des systèmes de santé publique efficaces, ou d'accords environnementaux multilatéraux, dont la mise en œuvre implique une action dans le domaine de la santé. En outre, la « no harm rule » du droit international oblige les États à utiliser tous les moyens à leur disposition pour prévenir les dommages causés aux autres États à partir de leur territoire ou par une activité sous leur contrôle. Ce principe peut également être appliqué à l'Union dans une mesure limitée.

En vertu des traités européens, l'Union doit respecter le principe de loyauté : elle doit coopérer avec les États membres pour s'assurer qu'ils remplissent leurs obligations. Cela inclut de nombreuses obligations internationales dans le domaine de la santé, telles que la « no harm rule », le Règlement sanitaire international (RSI) et la protection du droit à la santé, comme le prévoient plusieurs traités sur les droits de l'homme.

L'Union et son droit interne lui permettent aussi d'agir. Il faut bien admettre, aussi, que l'Union a dans un premier temps tardé à réagir et à activer la clause de solidarité de l'article 222 évoquée prévoyant une assistance mutuelle en cas de catastrophe naturelle. En parallèle, les réflexes souverains des États nations ont resurgi, de manière un peu analogue à ce qu'on a vu pendant la crise des réfugiés de 2015, aboutissant à une limitation des exportations entre États membres des équipements médicaux. Ces décisions nationales ont abouti à une coopération sous-optimale et à des ruptures de la chaîne de production et d'approvisionnement.

Dans la perspective d'une nouvelle crise sanitaire ou d'une nouvelle vague, que nous ne souhaitons évidemment pas, les enseignements suivants pourraient être retenus.

L'Union européenne dispose désormais de compétences et d'instruments qui, s'ils sont limités, sont néanmoins réels : elle doit parvenir à les utiliser de manière plus efficace. Les bases juridiques liées à la politique de santé sont éparses dans les traités : nous aurions tout intérêt à les réunir et les expliciter atteindre une meilleure lisibilité et une plus grande efficacité.

Si l'on compare l'action de l'Union en matière de santé et l'action de l'Union en matière d'environnement, domaine où elle dispose de prérogatives comparables, on s'aperçoit que l'Union adopte une approche beaucoup plus déterminée pour ce qui touche à l'environnement. Il y a ici un retard à rattraper, dont la crise du Coronavirus nous aura fait prendre conscience. L'Union doit mener dans le domaine de la santé une action aussi résolue et explicite que celle qu'elle mène en faveur de l'environnement.

La crise de COVID-19 a également montré que les systèmes santé des États membres sont très différents, quand on compare par exemple le nombre de médecins ou de lits par habitant. Ces différences de situations initiales créent des écarts importants en cas de crise et une difficulté à adopter des solutions adaptées pour tous les pays. L'Union doit faire usage de ses compétences pour soutenir l'harmonisation des systèmes de santé et pour faciliter une meilleure coordination de l'approvisionnement en médicaments, en produits médicaux et du transport des patients en cas de surcharge des systèmes de santé dans les différents États membres.

Le dernier point sur lequel nous voulions insister est qu'il convient de donner à l'Union les moyens d'une politique de santé ambitieuse.

La première recommandation serait de créer une base de données fiable pour évaluer l'impact réel de la pandémie. Il conviendrait à cet égard d'examiner le taux de mortalité dû à la maladie de COVID-19, le taux de surmortalité, et les taux de mortalité hospitalière, en particulier chez les patients placés en soins intensifs. Il est important de disposer d'une méthode de comptage uniforme à l'échelle de l'Union et d'une méthode uniforme de collecte des données, idéalement coordonnée par le ECDC.

Afin d'examiner régulièrement (hebdomadairement ou mensuellement) la surmortalité, on pourrait utiliser le réseau de collaboration EuroMOMO, qui collecte et fournit chaque semaine des statistiques nationales sur la mortalité. Le réseau vise à détecter et à mesurer la surmortalité associée à la grippe saisonnière, aux pandémies et à d'autres menaces pour la santé publique. Le réseau est soutenu par l'ECDC et l'OMS et géré par le Statens Serum Institut au Danemark.

Les experts que nous avons entendus ont également recommandé la mise en œuvre d'une stratégie de crise pour les urgences épidémiologiques, fondée sur les instruments existants (comme la réserve stratégique « RescEU ») et sur la clause de solidarité de l'article 222 du Traité.

À cette fin, les scénarios de crise devront être soumis à des exercices réguliers, par exemple deux fois par législature, afin que l'ensemble des institutions puisse réagir rapidement et efficacement quand cela sera nécessaire. Cette stratégie commune devrait également prévoir des critères uniformes relatifs aux restrictions de transports (notamment aérien) et à l'introduction de contrôles aux frontières nationales.

Par ailleurs, une nouvelle stratégie industrielle permettrait d'établir une production indépendante de médicaments et de fournitures médicales nécessaires sur le territoire de l'Union. Une première étape consisterait à identifier et à définir les chaînes de production et les médicaments essentiels en cas de crise. Une partie de la production doit être réservée à la demande européenne, ce qui revient à interdire l'exportation des produits concernés vers des pays tiers. Cette relocalisation de la production pourrait reposer sur la formation de consortiums, sur le modèle de ce qui existe pour la recherche et la production de batteries de voitures. En outre, le marché commun devrait être utilisé spécifiquement pour la production pharmaceutique (médicaments, dispositifs médicaux, équipements de protection, matériel médical).

Il paraît également nécessaire d'augmenter significativement la réserve stratégique européenne « RescUE » afin d'inclure les biens médicaux et les ressources humaines mobilisables à tout moment. Les biens doivent être acquis par le biais d'une procédure de passation de marché conjointe, pour laquelle des fonds suffisants doivent être prévus dans le cadre financier pluriannuel.

Entre toutes les recommandations que nous avons entendues, la proposition la plus ambitieuse consisterait à créer une force européenne de la santé qui permettrait : une relocalisation de la production avec une évolution de la réglementation qui assure « l'approvisionnement souverain » ; la création d'une réserve sanitaire européenne composée de personnel médical et soignant formés aux urgences et gestes adaptés en provenance de toute l'Union ; un système européen coordonné pour la distribution de médicaments et le transport des patients ; le renforcement de la recherche commune et la conduite d'essais cliniques conjoints avec une évolution concomitante des règles et bonnes pratiques si cela s'avère nécessaire ; enfin, un budget dédié aux questions de santé communes ou du moins un fléchage de crédits permettant d'assurer la visibilité de l'action européenne et son évaluation y compris au niveau des différents parlements nationaux. Voilà la synthèse de nos recommandations à travers la communication.

L'ampleur historique des mesures prises par l'Union montre que celle-ci, malgré ses compétences limitées dans le domaine de la santé publique, est tout à fait capable d'agir. Elle a déjà réussi à apporter, dans l'urgence, une réponse efficace et ciblée aux défis posés par la pandémie en exploitant comme elle l'a pu le faire les compétences que lui donnent les traités.

Néanmoins, une mise en œuvre mieux coordonnée des mesures et recommandations formulées par l'Union semble cruciale dans la perspective d'une éventuelle « deuxième vague ».

À cette fin, il serait souhaitable que les politiques visant à préserver la santé publique relèvent des compétences partagées, à chaque fois qu'une catastrophe sanitaire concerne de manière systémique la totalité de l'Union.

On ne peut pas à la fois reprocher à l'Union de ne rien faire, et refuser de lui déléguer les compétences nécessaires à la détermination de politiques efficaces ! Il faut lever l'ambiguïté.

Les pandémies touchant par définition plusieurs États et même plusieurs continents, il serait conforme à l'esprit du principe de subsidiarité que la réponse à une telle crise relève en premier lieu du niveau communautaire.

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