Intervention de Pierre Karleskind

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 11h35
Commission des affaires européennes

Pierre Karleskind, président de la commission pêche du Parlement européen :

C'est effectivement une compétence exclusive, mais soumise in fine à ratification par les parlements nationaux.

La comparaison avec les États-Unis est très intéressante, mais elle s'arrête sur un pont. L'État fédéral est libre d'adopter son budget, la Commission européenne ne l'est quasiment pas. Nous sommes d'ailleurs en pleine négociation du cadre financier pluriannuel ; en déborder en d'une incroyable complexité. La principale difficulté que nous avons en Europe est que nous avons dévolu à l'échelon européen la définition de certaines politiques et les moyens de leur mise en œuvre, mais dans le même temps, il n'y a pas de liberté d'augmenter ces moyens d'intervention en cas de crise. Notre Union reste un édifice inachevé.

On revient aux fondamentaux et à Jean Monnet, selon lequel ce sont les crises qui font avancer l'Europe. S'il y a bien une chose que j'espère, puisqu'il faut tirer les enseignements de toutes les crises, c'est justement que dans les esprits de nos collègues européens, la question de la souveraineté alimentaire soit posée. Les cultures sont différentes : la France pourrait très bien se suffire à elle-même, tandis que certains pays du Nord ne peuvent pas tout produire eux-mêmes. Ces cultures sont profondément ancrées et, au Parlement européen, il faut composer avec vingt‑sept cultures différentes. Cependant, je crois que cette crise fait évoluer la réflexion.

Je constate aussi sur les accords internationaux, et j'en ai été étonné, que le Parlement élu en 2019 a changé. Il y a une vraie divergence entre ce que mes collègues et ce que la Commission portent dans la négociation des accords internationaux. La divergence est de moins en moins cachée et de plus en plus claire. Nous avons adopté récemment l'accord de libre-échange avec le Vietnam, mais j'ai senti qu'il n'aurait pas fallu grand-chose pour qu'il ne passe pas.

Les critères environnementaux, sanitaires, sociaux et économiques européens ne peuvent pas passer à la trappe des négociations internationales. À l'occasion de la discussion sur l'accord avec le Vietnam, j'ai porté au nom de mon groupe un amendement, qui a été adopté. Le règlement sur la pêche internationale prévoit qu'on ne peut passer d'accord avec les pays qui ont un carton rouge, c'est-à-dire qui ne respecte pas le cadre légal de la pêche. Les cartons oranges signifient que les Etats sont en train de faire des efforts, mais certains le sont depuis plusieurs années. Cet amendement fait basculer les pays qui sont en carton orange depuis cinq ans automatiquement en carton rouge. Ces pays ne peuvent alors pas bénéficier d'accords de libre-échange ou de tarifs douaniers préférentiels.

En cela, nous travaillons actuellement sur le règlement relatif au contrôle des activités de pêche et des produits de la mer qui entrent sur le territoire. Il y a un gros volet sur la traçabilité. C'est un élément que j'estime très sensible. Les consommateurs sont très mal informés. Chez le poissonnier, on peut lire « poisson pêché en Atlantique Nord Est ». Pour moi qui suis océanographe, l'Atlantique Nord Est commence à l'équateur. On peut donc pêcher au large de la Mauritanie, ce qui n'est pas la même chose que de pêcher en Bretagne. Je crois qu'il est très important que le consommateur sache par quel bateau le poisson a été pêché, et s'il a fait trois fois le tour du monde. Nous y travaillons, et l'état d'esprit à Bruxelles et à Strasbourg évolue sur ce point.

Sur le budget, que faire en cas de crise ? Il y a la nécessité de disposer d'outils qui s'adaptent, car on ne sait pas quelle sera la prochaine crise. Il est donc complexe de savoir d'emblée quels sont les outils dont nous devons disposer en cas de crise. Il faut en tout cas donner à la Commission européenne une capacité d'agir temporairement mais rapidement, ce que nous avons été incapables de faire. Nous arrivons donc aux limites institutionnelles de notre fonctionnement : on demande beaucoup de choses à l'Union européenne sans lui donner les moyens d'agir avec souplesse et rapidité. Il faut choisir : soit nous demandons des choses à l'Union européenne et on lui en donne les moyens, soit nous décidons de garder les compétences au niveau des États membres.

Par ailleurs, comme l'a vu dans le secteur de l'agriculture, les aides d'État ont été utilisées dans le secteur de la pêche, puisque le plafond a été multiplié par quatre. Mais ce sont les États qui en avaient les moyens qui ont pu le faire.

Pour répondre à M. Pont, il n'y a pas que la France qui n'a pas beaucoup utilisé les crédits du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Il s'agit en effet du fonds européen structurel et d'investissement le moins utilisé : il est difficile à mettre œuvre et a été adopté tardivement en 2015. Certains États disposent donc de crédits non‑utilisés qui permettent de répondre à la crise du COVID-19.

Pour la suite, les choses sont en train de se mettre en place. Si, jusqu'à présent, il n'y avait aucun retour sur l'idée d'utiliser les crédits du FEAMP en cas de Brexit sans accord, la Commission européenne a, il y a deux semaines, proposé 500 millions d'euros supplémentaires pour le futur FEAMP. 300 millions d'euros de cette nouvelle enveloppe pourraient être utilisés pour pallier les difficultés du Brexit. Cela ne constitue pour l'instant que la proposition de la Commission européenne dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel. M. Charles Michel, président du Conseil européen, propose de créer un fonds spécifique de 5 milliards d'euros pour répondre aux enjeux du Brexit.

Plusieurs propositions ont donc été avancées, les choses ne sont pas très claires mais cela fera l'objet de la négociation qui va commencer dans deux jours lors du Conseil européen, ce qui doit nous permettre d'y voir plus clair. Ma conviction personnelle est qu'il vaut mieux disposer d'un fonds européen spécifique pour le Brexit. En effet, si on prévoit dans le FEAMP une ligne spéciale pour le Brexit, cela signifierait qu'on retirerait autant à ce fonds global, déjà peu élevé, pour le reste de la pêche, alors qu'il existe beaucoup d'enjeux en termes de modernisation de la flotte de pêche.

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