Intervention de Jean-Pierre Pont

Réunion du mercredi 15 juillet 2020 à 11h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Pont :

Nous essaierons aujourd'hui de répondre à la question que nous sommes nombreux à nous poser depuis plusieurs mois : « la réponse sanitaire de l'Union européenne a-t-elle été à la hauteur des enjeux ? »

Nous avons auditionné plusieurs experts : une professeure de droit international et une spécialiste des risques sanitaires globaux, un consultant en gestion de crise et ancien chef du département des urgences sanitaires de la DGS, une haute-fonctionnaire de la Commission européenne, des membres de la commission de la santé du Parlement européen et des membres du Bundestag allemand.

Nous avons pu entendre différents points de vue, souvent convergents, sur les mesures prises, les possibilités d'action et les limites aux initiatives de l'Union au regard de ses compétences reconnues ou possibles et sur les limites des réponses apportées à la crise.

Nous exposerons tout d'abord quelle était la configuration des systèmes de santé des États membres avant le début de la crise, ainsi que les premières réactions nationales et européennes qui ont suivi son déclenchement. Nous pourrons ensuite analyser les mesures adoptées par l'Union au regard des compétences qu'elle a pour agir, et proposer des axes et recommandations plus opérationnelles pour améliorer son action dans la perspective de nouvelles crises dont les pandémies et épidémies.

Si la réponse à la crise a d'abord été nationale, l'Union s'est pleinement saisie des enjeux. Tout d'abord, on constate des systèmes de santé hétérogènes mais dans l'ensemble résilients. L'analyse des systèmes de santé des États membres de l'Union avant le déclenchement de la pandémie montre que la plupart des États membres étaient bien positionnés selon les trois critères utilisés par l'Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé : l'efficacité, l'accessibilité et la résilience des systèmes de santé.

Les dépenses de santé en part du PIB ont augmenté au cours de la décennie écoulée dans l'ensemble des pays européens, avec une moyenne de dépenses de 9,8 % du PIB soit environ 2 900 € en parité de pouvoir d'achat par habitant. Les pays dont les dépenses de santé sont les plus importantes sont la Norvège, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et les Pays‑Bas. À l'inverse, les pays de l'Est ont les taux de dépense les plus faibles.

En revanche, les dépenses de prévention ne représentent en moyenne que 3 % de l'ensemble des dépenses. La plupart des État européens dispose d'une couverture maladie universelle financée par des organismes publics ou assimilés. En matière de personnel hospitalier, le nombre de médecins a augmenté dans la plupart des pays européens pour atteindre une moyenne de 3,6 médecins pour 1 000 habitants. Le nombre de lits pour 1 000 habitants est en moyenne 5.

Mais on constate de fortes disparités pour ce qui est du nombre de lits de soins intensifs. Alors qu'en Allemagne et en Autriche on trouve respectivement 34 et 29 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants, en Espagne et en Italie – pays très fortement touchés par la pandémie – on est à moins de 10 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants.

Le dernier classement en 2019 de la John Hopkins University relatif au degré de préparation des différents États face à une éventuelle pandémie place la France en onzième position au niveau mondial. Il n'y a qu'un seul pays européen mieux classé que la France, il s'agit du Royaume-Uni en deuxième position. La crise de 2020 a montré les limites de ces évaluations formelles et théoriques.

Nous avons ensuite fait le constat de premières réponses nationales éparses voire incohérentes. Le 7 janvier 2020, un mois après la première apparition du virus en Chine, la Commission européenne a activé le mécanisme d'alerte précoce. Il sert à échanger des informations sur l'évaluation et la gestion des risques afin que les autorités sanitaires de l'Union et de l'Espace économique européen puissent réagir efficacement et rapidement aux menaces sanitaires transfrontalières graves.

Le 25 janvier, le virus a atteint l'Europe ; dès le 28 janvier, l'Union a activé le mécanisme européen de réponse aux crises (IPCR) en mode d'échange d'informations afin que les États membres et les institutions puissent procéder à une évaluation conjointe de la situation et des mesures à prendre. Le 30 janvier, l'OMC a annoncé une urgence sanitaire internationale. En février 2020, une augmentation significative des cas de COVID-19 est signalée dans le nord de l'Italie, alors que dans le même temps, plusieurs autres États membres de l'Union européenne signalent des cas de personnes infectées.

Certains experts considèrent que les différents États européens n'ont considéré la gravité qu'à partir de la situation italienne (dite « point de bascule »). À ce moment, ce sont les réactions nationales des différents États européens qui ont été au premier plan, l'Union européenne étant quasi-absente. Que ce soit pour les décisions concernant le trafic aérien, les frontières, les équipements (interdiction d'exportation des équipements y compris au sein de l'Union), les stratégies d'investigations épidémiologiques, les études de recherche à lancer (sur le plan de la connaissance de la maladie ou de son traitement), aucune coordination européenne n'apparaît clairement.

Le 4 février, plus de 20 000 personnes ont été infectées par le nouveau coronavirus, la plupart en Chine. Toutefois, l'OMS se refusait encore à parler de pandémie, l'épidémie étant à ce stade surtout concentrée sur le continent asiatique. Le 13 février, l'Union a mis en place un comité de crise et a activé son système de coordination de crise ARGUS, qui coordonne les efforts de l'ensemble des instances compétentes de l'Union. Compte tenu de la détérioration de la situation et des différents secteurs touchés (santé, services consulaires, protection civile, économie), la présidence fait passer l'activation du mécanisme du IPCR au mode complet le 2 mars 2020.

Fin février et début mars, les mesures contre la propagation du virus sont considérablement renforcées dans plusieurs États membres. Les premiers problèmes de respect des règles européennes apparaissent. Dans le débat médiatique, l'Union européenne semble soit être reléguée au second plan, soit être perçue comme manquant de solidarité et dysfonctionnelle. Les médias parlent beaucoup des offres d'aide de la Chine, de Cuba ou de la Russie, tout en déplorant le manque de solidarité européenne.

Le 11 mars, l'Autriche et la Slovénie ont partiellement fermé leurs frontières avec l'Italie et ce sans consulter les institutions européennes. Ces décisions nationales ont été critiquées par le Président français, qui appelait du même coup à un renforcement de la coordination entre les différents États membres.

Comme on le sait, les réactions nationales ont d'abord été très hétérogènes et mal articulées. Dès le début de la pandémie, tous les États (à l'exception de l'Irlande et du Danemark) ont restreint le trafic aérien. Partout sauf en Suède les magasins, restaurants, cafés et à des degrés divers les écoles ont été fermés. En France (depuis le 17 mars), en Espagne (depuis le 14 mars) et en Italie (depuis le 10 mars), un confinement strict a été mis en place.

La grande variété des situations empêche de déterminer, même rétrospectivement, quelle stratégie s'est révélée la plus efficace. Tout d'abord, il faut tenir compte du fait que les structures d'âge prédominent dans les différents États membres, que les systèmes de soins de santé sont organisés différemment et que le degré d'atteinte varie également beaucoup en termes de nombre d'infections. En outre, en raison des différentes façons de compter les décès (décès à la suite d'une infection par le virus ou en relation avec une infection), des différentes capacités de dépistage et du nombre de personnes dépistées, il n'existe toujours pas de base de données fiable pour procéder à une évaluation finale.

Enfin, nous pouvons parler d'une réponse tardive mais réelle de l'Union. Bien que la politique de santé soit une compétence exclusive des États membres et bien que le champ d'action de l'Union européenne soit, par conséquent, extrêmement limité, la Commission européenne a néanmoins pris de nombreuses mesures utiles ces derniers mois, en mobilisant des instruments existants et des instruments nouveaux pour limiter la propagation de l'épidémie, mettre à disposition du matériel médical et financer la recherche d'un vaccin.

Certains outils existaient déjà avant la pandémie de COVID‑19 : le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), le Système d'alerte précoce et de réaction, le Comité de sécurité sanitaire, son groupe de travail permanent et le programme Horizon 2020. Néanmoins, d'après les témoignages des experts auditionnés, la coordination s'était montrée faible à l'occasion de précédentes menaces. Dès la crise d'Ebola, on a pu constater l'absence quasi-totale de coopération au niveau de l'Union européenne, que ce soit dans le contrôle sanitaire aux frontières, qui a été décidé d'État à Etat sans aucune concertation, dans les équipements (la concurrence entre États européens pour les équipements est une réalité qui anticipe la situation en 2020) ou dans le rapatriement en Europe des soignants touchés par le virus afin de les traiter (il n'a pas été possible de trouver un accord européen pour les avions).

Parmi les principales nouvelles mesures prises fin mars et début avril, on peut citer les suivantes : l'élargissement de la réserve stratégique « RescEU » pour sécuriser l'approvisionnement en dispositifs médicaux et en équipements de protection, l'extension du Fonds de solidarité de l'Union aux urgences de santé publique ; la coordination de la production de dispositifs et de matériels médicaux ; l'adoption de l'instrument d'aide d'urgence de l'Union (3 milliards d'euros prélevés sur le budget de l'Union), la facilitation du traitement transfrontalier des patients et du détachement transfrontalier de personnel médical, le report à 2021 de d'application du règlement sur les dispositifs médicaux à 2021 et la garantie de l'approvisionnement et la disponibilité des médicaments.

Désormais, tous les efforts de l'Union sont tournés vers la recherche d'un vaccin et la garantie de son accessibilité pour l'ensemble des États membres. Il existe actuellement 161 projets de vaccins contre les coronavirus dans le monde, dont 17 projets en phase d'essai. Trois coopérations européennes sont déjà relativement avancées (Phase II ou III): les entreprises allemandes Biontech et CureVac ; la coopération d'Astra Zeneca avec l'université d'Oxford ; la coopération entre Sanofi (France) et GSK (Grande-Bretagne).

Le 17 juin 2020, la Commission européenne a présenté une stratégie européenne en matière de vaccins. Cette stratégie vise à réduire le temps nécessaire au développement et à la disponibilité de vaccins pour les États membres. Pour y parvenir, la Commission souhaite mettre en place une procédure de passation de marchés centralisée. En échange du droit d'acheter un certain nombre de doses de vaccins à un prix fixe dans un certain délai, l'Union financera une partie des coûts initiaux des fabricants de vaccins dans le cadre de l'ESI (pour 2,7 milliards d'euros). La Commission est prête à entamer des négociations avec tous les fabricants de vaccins qui sont déjà entrés dans la phase clinique. La répartition de l'accès aux doses de vaccin entre les États membres sera fonction d'une clé de répartition basée sur la taille de la population. En outre, la Commission participera à l'élaboration d'une stratégie mondiale de vaccination et d'une stratégie d'attribution des vaccins afin de garantir que les groupes prioritaires reçoivent des vaccins le plus rapidement possible.

L'Union apporte déjà un soutien considérable au développement de vaccins, en soutenant par exemple les entreprises Biontech et Curevac avec des prêts de la BEI s'élevant respectivement à 100 et 75 millions d'euros. La Commission européenne fournit également à la Gavi, l'Alliance du Vaccin, un financement de 300 millions d'euros pour la période 2021‑2025. Lors de la conférence des donateurs pour une réponse mondiale à la crise de COVID-19, co-organisé par la Commission européenne le 4 mai, Gavi a reçu des promesses de dons d'un montant total de plus de 1,5 milliard d'euros.

Certains États membres ont déjà formé une « Alliance européenne pour le vaccin contre la COVID-19 », notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays‑Bas. Le premier accord signé avec la société pharmaceutique AstraZeneca porte sur un maximum de 400 millions de doses de vaccin, que la société développe en partenariat avec l'université d'Oxford. D'autres négociations avec d'autres entreprises sont également prévues ; l'alliance est d'ailleurs ouverte aux États tiers.

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