Votre invitation va me permettre de faire parallèle entre la situation de la filière pêche, aquaculture et transformation et celle de l'agriculture. On a observé un effondrement brutal de la consommation des produits de la mer dès le confinement. Avec le confinement, nous sommes entrés dans une économie « de subsistance » : les consommateurs ont paré au plus pressé en achetant des pâtes et du riz, et moins de viande ou de poisson. Quant à la consommation hors domicile, elle représente environ la moitié de la consommation de produits de la mer en France.
Quand le marché s'effondre, toute la filière est en difficulté : criées, mareyeurs et revendeurs. Le mareyage est un maillon faible en trésorerie et faiblement capitalisé. Il n'a pas les ressources pour encaisser un coup comme celui-ci. Le système s'est grippé, il est difficile de relancer la machine même avec la reprise de la demande. Il n'y a pas de dialogue au sein de la profession. Un rapport de France Agrimer avait parlé de la filière comme d' « un canard sans tête. »
Dès le début de la crise, la Commission européenne a proposé la réorientation de certains fonds européens structurels et d'investissement (FESI) existants. Nous avons ainsi adopté en mars un paquet de mesures pour 37 milliards d'euros, dont deux mesures spécifiques à la pêche reposant sur la mise en place de système assurantiel. Deux ou trois pays seulement, dont la France ne faisait pas partie, ont réussi à les mettre en place.
Ce coup d'épée dans l'eau a provoqué de la part des membres de la commission pêche une volonté d'aller plus loin, de ne pas se contenter de mesures ne servant à rien. Un travail important a été mené avec les professionnels de toute l'Europe et les États membres. Nous avons adressé à la Commission européenne des demandes de révision du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui ont abouti à une proposition de la Commission.
Celles-ci étaient assez similaires avec celles prévalant dans le secteur agricole : indemnisation des arrêts temporaires de pêche, compensation pour les aquaculteurs, aides au stockage, flexibilités budgétaires et simplifications administratives pour la révision des programmes opérationnels dans les différents États membres, flexibilité sur l'argent destiné au contrôle (nous avons proposé que 10 % soient affectés à l'aide d'urgence). Les outre‑mer bénéficient d'un régime spécifique, car leur organisation est différente de celle prévalant en métropole.
S'agissant de la pêche et de l'aquaculture, tout le monde s'est mis en mouvement assez rapidement pour obtenir des résultats. Il reste que l'Union européenne a la marge de manœuvre que lui ont laissé les États membres dans les traités. Dans les situations de crise, on compte d'abord sur les Etats pour réagir. S'agissant de filières très intégrées au sein de l'Union européenne, il est handicapant de ne pas bénéficier de mécanismes d'actions. Dans le cadre des négociations sur le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, j'ai demandé à la Commission, lors des derniers trilogues, de nous proposer des mesures d'urgence à activer en cas de crise. Pour l'instant, ma demande est restée lettre morte.
Les rapporteurs ont dénoncé le manque de visibilité à moyen terme. Depuis la dernière réforme de la politique commune des pêches, cette politique n'est plus perçue comme une politique alimentaire, mais comme une politique environnementale : il s'agit de préserver et de restaurer la ressource. Il n'y a donc pas de réflexion sur la vocation alimentaire de la pêche et de l'aquaculture. Cela permet de comprendre pourquoi il peut être compliqué d'avoir des approches similaires entre la pêche et l'agriculture. Cela explique également le manque de visibilité et l'insuffisance des propositions de la Commission. Par exemple, la mesure interdisant à un pêcheur installé il y a moins de deux ans l'accès au régime de l'indemnisation des arrêts temporaires n'a pas de sens dans le cas de la crise de la COVID-19. Nous avons donc proposé plusieurs amendements, qui ont été très difficiles à accepter pour la Commission, car ils remettaient en cause la logique environnementale et l'équilibre global du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche.
Enfin, je regrette de n'avoir aujourd'hui aucun élément sur la mise en œuvre effective des mesures et leur efficacité sur le terrain. Il faudra sans doute attendre la fin de l'année pour cela.