. Madame la présidente, chère Sabine Thillaye, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les députés européens qui suivez notre échange en visioconférence, je suis extrêmement heureux d'être parmi vous ce matin pour la première fois suite à ma récente nomination qui est intervenue avant la période estivale, ce qui explique le délai de passage devant votre commission. En ce début de rentrée, je suis heureux de pouvoir tenir ce premier échange et essayer de répondre aux questions de la présidente Thillaye, ainsi qu'aux autres interrogations.
L'accord relatif au plan de relance et au budget européen auquel sont parvenus les chefs d'État et de gouvernement après quatre longues nuits de négociation au mois de juillet est absolument essentiel. Nous l'avons largement qualifié d'historique. Je dirais qu'il est inédit, pas tant par son montant impressionnant de 750 milliards d'euros, dont 390 milliards d'euros de subventions budgétaires directes – dont j'espère le versement aussi rapide que possible afin de permettre aux États membres de cofinancer et de soutenir leur plan de relance – mais parce qu'il a levé un certain nombre de tabous et montré que l'Europe n‘était pas condamnée, comme elle l'a parfois été dans les crises précédentes, à agir trop peu ou trop tard.
Nous avons réussi en deux mois, depuis l'accord franco-allemand du 18 mai, à construire l'unanimité sur ce plan de relance ainsi que sur le projet de cadre financier pluriannuel dont l'adoption avait échoué lors du Conseil européen de février dernier. Il s'agit évidemment d'une avancée majeure du point de vue économique car ce plan sera financé de manière solidaire en Europe.
La mise en place d'un endettement commun ne fait pas forcément rêver en termes de perspectives européennes, mais est important car il montre que les Européens et ceux qui prêteront de l'argent à l'Europe ont confiance en l'avenir du projet européen. Je suis sûr que cet emprunt massif de 750 milliards d'euros sur trois ans, qui sera remboursé jusqu'en 2058, sera financé dans d'excellentes conditions.
Ce plan de relance constitue une avancée majeure pour la France. En effet, 40 % du plan de relance national sera financé par l'Union européenne. Le gouvernement aura à cœur de montrer comment chacun des projets est mis en œuvre et cofinancé par des fonds européens.
Un accord sur le cadre financier pluriannuel, qui engage l'Europe dans des politiques essentielles, a également été obtenu. Les intérêts français absolument majeurs ont été préservés puisque la politique agricole commune, qui était en baisse de 15 milliards d'euros dans les propositions initiales, a été stabilisée et même légèrement augmentée pour la période à venir, ce qui permet de garantir les revenus versés aux agriculteurs. La PAC n'est pas une politique du passé, ni une survivance historique dépassée. Si elle doit être réformée, elle constitue une politique moderne et essentielle à notre souveraineté alimentaire ainsi qu'à notre transition énergétique et climatique.
Autre exemple, les dotations obtenues pour les Outre-mers permettront d'augmenter les financements accordés à nos régions ultrapériphériques sur la période à venir.
Sur certains sujets, le gouvernement français espérait davantage, notamment en ce qui concerne la défense, la santé ou le financement de politiques importantes comme Erasmus et Horizon Europe, c'est-à-dire la recherche, le développement et l'innovation. Nous aurions souhaité aller au-delà. Pour certaines de ces politiques, le Parlement européen essaie de rehausser le niveau de l'ambition dans un cadre contraint et nous lui en sommes reconnaissants.
Toutefois, les moyens alloués à ces politiques, notamment en matière de santé, augmentent significativement. Le fonds européen de défense bénéficiera de 7 milliards d'euros de crédits. Nous espérions obtenir davantage jusqu'à la dernière heure du Conseil européen. Cependant, par rapport à la situation actuelle où aucune dotation n'est inscrite au budget, il s'agit d'un pas en avant très important.
Le cadre financier pluriannuel atteindra un montant total, sur la période 2021-2027, de 1 074 milliards d'euros auxquels s'ajoutent les 750 milliards d'euros du plan de relance, soit un total de 1 824 milliards d'euros. Si nous faisons masse du plan de relance et du budget de l'Union européenne pour les trois prochaines années, les moyens financiers de l'Union doubleront. Une telle avancée n'était pas envisageable voici encore quelques mois.
Le cadre financier pluriannuel, le plan de relance européen et la décision ressources propres doivent faire l'objet de votes séparés au Parlement européen selon des procédures distinctes.
Une fois l'approbation européenne finalisée, le Parlement français aura à examiner la décision ressources propres comme il le fait à l'occasion de chaque nouveau cadre financier pluriannuel. Toutefois, cette année, l'endettement commun sera intégré au volet financier puisqu'un nouveau mécanisme est créé permettant à l'Union européenne de lever de l'argent sur les marchés. Je serai évidemment présent, à l'Assemblée nationale et au Sénat, lors du débat sur la décision relative aux ressources propres qui sera l'occasion d'une discussion politique sur l'ensemble du plan de relance.
Si la ratification de la décision ressources propres prend habituellement du temps au niveau des États membres, nous ne pouvons nous le permettre dans le cas d'espèce car l'un des enjeux de ce plan de relance est de débloquer rapidement des fonds. L'ensemble des pays de l'Union européenne vont donc mener rapidement leur procédure avec pour objectif la finalisation des votes d'ici la fin de l'année. La discussion devrait se dérouler à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, autour du mois de décembre.
Sur la question de l'État de droit, les conclusions du Conseil européen du 21 juillet indiquent de manière générale qu'un mécanisme de conditionnalité lié au respect de l'État de droit doit être mis en place. Nous aurions souhaité aller au-delà, mais ce point devra faire l'objet d'une discussion. En effet, un règlement proposé par la Commission voici un peu plus de deux ans et qui avait été bloqué l'an dernier au Conseil, sera à nouveau examiné. Le Parlement européen a insisté sur la nécessité de mettre en place un tel mécanisme et il en fait une condition de son accord au plan de relance. La France soutient sans ambiguïté cette demande.
Il m'est difficile de dire quel sera le contenu du compromis qui devra être trouvé entre le Conseil et le Parlement européen. Certains pays, notamment la Hongrie et la Pologne, sont très réticents vis-à-vis de ce mécanisme, mais j'ai bon espoir que nous aboutissions d'ici la fin de l'automne à un accord sur l'instauration d'un mécanisme législatif contraignant. Les points sensibles que sont le champ d'application, les mécanismes de déclenchement et les majorités de vote, sont en discussion.
S'agissant du Brexit, nous nous situons à un moment très difficile. La période de transition s'achèvera le 31 décembre puisque le Royaume-Uni n'a pas demandé sa prolongation. L'échéance est donc rapprochée et si nous devons parvenir à un accord, les négociations devront s'achever fin octobre ou début novembre au plus tard.
Une stratégie britannique, que je déplore, mais qui a été régulièrement utilisée, consiste à essayer de diviser les chefs d'État et de gouvernement et le négociateur Michel Barnier. Cette stratégie ne fonctionnera pas. En dépit de priorités ou d'intérêts pas toujours alignés, les vingt-sept ont toujours fait preuve de fermeté et d'unité.
Il est encore possible de parvenir à un accord sur le Brexit et la France le souhaite. Le Royaume-Uni a davantage besoin d'un accord que nous. Ce pays doit donc se rendre compte que tel est son intérêt.
En revanche, il est clair que nous n'accepterons pas un accord offrant des concessions trop importantes au Royaume-Uni. Une négociation implique nécessairement un certain nombre de compromis et de concessions mutuelles, mais il serait incompréhensible que le Royaume-Uni bénéficie d'un accès libre au marché intérieur tout en pouvant fixer les règles comme il le souhaite. Comment expliquer à nos concitoyens que l'Union européenne est un club politique et en même temps que l'on peut se situer à l'extérieur avec moins d'obligations et autant de droits ? Nous serons fermes et clairs sur ce point.
Une étape a déjà été franchie avec la signature et la ratification de l'accord de retrait par les vingt-sept et le Royaume-Uni. Il me paraît inconcevable que ce pays, qui est et restera un partenaire, un ami et un allié, et surtout, une grande démocratie engagée dans l'ordre international, puisse se défaire d'une obligation internationale, même si cette défection s'exerce uniquement « de manière spécifique et limitée » selon l'expression consacrée à Londres.