Vous avez tout à fait raison. Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur le sujet de l'information et de l'influence sur la question européenne. Un certain nombre de propositions sont déjà disponibles. J'ai personnellement beaucoup insisté pour que soit soulignée la dimension européenne du plan de relance. L'Europe n'est pas seulement un tiroir-caisse, mais un projet politique et elle doit être visible. On ne peut s'approprier les bonnes nouvelles et dénoncer les mauvaises ou les contraintes. La question ne réside pas uniquement dans l'information sur un service public. Nous sommes tenus de souligner, à chaque fois que possible, les erreurs, qu'il ne faut pas cacher, et les succès européens.
Je crois beaucoup à la force de ces symboles. Nous souhaitons faire figurer des visages sur les billets en euros, ce qui fait partie de l'incarnation de l'Europe. Cette approche fait parfois ricaner, mais aucune puissance au monde ni communauté politique ne vit sans symbole, sans incarnation, sans image, ni pluralisme médiatique. Nous devons mener à nouveau ce combat en vue de la présidence française de l'Union européenne.
Sur le Royaume-Uni, les engagements pris doivent être tenus. Nous devons poursuivre la négociation sur la relation future tant que les Britanniques acceptent de négocier, ce qui est le cas en dépit de rodomontades et d'expressions publiques brutales. Les Européens commettraient une erreur en quittant la table des négociations. L'accord de retrait signé et ratifié doit être respecté.
Nous avons indiqué être disposés à activer des mécanismes juridiques comme le recours à un comité conjoint. Les Britanniques peuvent peut-être jouer la montre pour le mettre en place, mais il le sera d'ici la fin de l'année. Nous pourrions néanmoins l'activer dans la mesure où il est prévu par l'accord de retrait. Par ailleurs, nous n'excluons pas d'introduire un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne, qui s'appliquerait à l'accord de retrait si celui-ci n'était pas respecté par l'une des parties.
Le Parlement européen, qui aura à se prononcer sur l'accord portant sur la relation future, refusera de le voter si l'accord de retrait était remis en cause entre-temps. Nous n'accepterons pas de mettre en œuvre un accord sur la relation future si la première page du contrat était truffée de coups de canifs. Il s'agit d'une question de principe extrêmement grave. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et en sa qualité de grande démocratie, le Royaume-Uni ne peut agir à la légère avec ses engagements internationaux. Je suis d'ailleurs plutôt satisfait des réactions politiques au Royaume-Uni dans la mesure où un certain nombre d'anciens Premiers Ministres et de députés, y compris de la majorité actuelle, ont manifesté une désapprobation légitime.
La mixité de l'accord est la perspective la plus probable et celle que nous souhaitons. Un accord de cette nature doit être examiné par le Parlement européen, mais aussi pour les Parlements nationaux.
La question posée par Coralie Dubosc sur l'État de droit est complexe. En cas d'atteinte à l'État de droit, il convient de pouvoir prendre des mesures de suspension, voire de remboursement de fonds européens.
Par ailleurs, un débat européen est en cours sur le champ d'application de la procédure. Les pays les plus réticents, notamment le Hongrie et la Pologne, demandent sa mise en œuvre dans des cas strictement financiers. La France et l'Allemagne souhaitent que les atteintes à l'État de droit puissent faire l'objet de sanctions financières. Il n'existe pas encore de consensus européen sur ce point, lequel est très difficile à atteindre, mais nous devons y tendre.
Plusieurs questions ont été posées par Michel Herbillon relatives à la situation internationale. Vous m'avez cité en évoquant entre la France et l'Allemagne un « désaccord chaque matin » et « des accords à la fin de la journée ». En pratique, je conviens que nous ne résolvons pas toujours le désaccord le jour même. Ce jour métaphorique est parfois un peu plus long, mais, au-delà de l'image, le couple franco-allemand ne saurait fonctionner en cachant ses désaccords.
Deux erreurs doivent être évitées dans la relation franco-allemande, à savoir la confrontation et la célébration. La première consiste à rejeter la faute sur l'Allemagne. Bruxelles n'est pas une sorte d'entité désincarnée ou d'instituteur malveillant qui distribuerait de mauvais points aux mauvais élèves. Je ne crois pas du tout en cette vision infantilisante de l'Europe que nous avons trop souvent utilisée et, au travers de celle-ci, à la posture un peu agressive ou confrontationnelle à l'égard de l'Allemagne.
Le second écueil est la célébration. Je n'affirme pas que notre relation n'est pas faite de symbole, bien au contraire. Depuis Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, tous les couples franco-allemands ont été liés par des symboles. Sous ce mandat, le Président de la République l'a montré à travers la conclusion du traité d'Aix-la-Chapelle et l'invitation de la Chancelière Merkel à Rethondes.
Le rapport à la puissance et à l'engagement militaire diffère entre la France et l'Allemagne. Néanmoins, dans la crise avec la Turquie, je ne crois pas à une opposition franco-allemande, ni à une sorte de répartition des rôles entre le bon et le méchant. L'Allemagne est tout à fait consciente de l'existence d'un problème turc en Méditerranée orientale. Sur ce point, elle a fait mouvement vers la position française. La France ne cherche pas à créer des tensions, de la surenchère ou de l'escalade. Il existe plutôt une coordination des rôles et un rapprochement progressif des positions entre la France et l'Allemagne, mais également au niveau des vingt-sept. Les positions de l'Italie et de l'Espagne n'étaient initialement pas identiques à celle de la France.
Je n'ai aucun doute sur le fait que notre fermeté est nécessaire et que nous entraînons progressivement de nombreux pays sur cette ligne, dont l'Allemagne. Il est positif que cette dernière mène des efforts de médiation entre la Turquie et la Grèce, ce que nous soutenons depuis le premier jour.
La sortie de crise est malheureusement un sujet de long terme avec des épisodes et des pics de tension. Il existe un problème lié à la stratégie turque d'extension de son influence dans la région qui prend différentes formes comme constaté en Libye, en Syrie, à l'égard de Chypre et de la Grèce, ainsi que dans les Balkans.
À court terme, nous avons fait preuve de fermeté face aux provocations de la Turquie. Les Européens ont immédiatement fait part de leur soutien sans ambiguïté à la Grèce et souligné le caractère insupportable de l'instrumentalisation migratoire, ce qui, je crois, a fait reculer la Turquie. Nous n'excluons pas de nouvelles sanctions potentielles si la Turquie poursuit ses agissements de court terme.
Sur le long terme, un dialogue et une négociation sont nécessaires mais il faut auparavant que les provocations s'atténuent. Comme évoqué par le Président de la République en présence du Président Erdoğan à Paris, début janvier 2018, en matière énergétique et migratoire, nous avons besoin de discuter avec la Turquie.
À ce sujet, vous évoquiez « le cynisme réciproque dans la négociation entre l'Europe et la Turquie ». Si nous appelions à rompre les négociations, qui sont déjà gelées, cette position pourrait être instrumentalisée par certains en Turquie qui affirmeraient que les Européens n'ont jamais été honnêtes et francs dans cette négociation. Nous commettrions une erreur en allant jusqu'à la rupture. Cependant, comme indiqué publiquement par le Président de la République, ce qu'il a été le premier à faire au cours des dix dernières années, en présence du Président Erdoğan, la solution à long terme ne consiste pas en l'adhésion, mais en un partenariat étroit avec la Turquie. La négociation ne peut intervenir que dans un cadre apaisé qui n'existe pas aujourd'hui et qui doit inclure les questions commerciales, énergétiques, migratoires, la lutte contre le terrorisme, ainsi que les domaines culturel et éducatif.
Monsieur le député Bourlanges, je pense, effectivement, que nous ne devons pas considérer l'Europe comme une France élargie. J'assume complètement la défense d'une vision et d'une ambition française, et j'ai la faiblesse de penser que vous la partagez.
Toutefois, tout le monde ne pense pas comme nous. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons construit le projet européen. Si nous pensions spontanément de manière identique, nous n'aurions pas eu besoin de ce coup de génie de nos pères fondateurs qu'a été la réconciliation franco-allemande et européenne.
Depuis le début de ce mandat, nous nous employons, et le Président Macron en premier lieu, à parler à l'ensemble des acteurs européens, y compris et avant tout aux pays avec lesquels nous sommes en désaccord. C'est pourquoi le Président de la République s'est rendu à plusieurs reprises à La Haye, au Danemark et en Finlande, et qu'il se rendra prochainement dans les Pays baltes.
Vous évoquez, à juste titre, les blocages institutionnels. La séquence que nous avons connue dans les années 1980 et 1990, jusqu'au référendum constitutionnel, pendant laquelle il suffisait de réviser les traités et de donner d'avantage de compétences à l'Europe, n'est plus possible car les questions institutionnelles ne sont plus comprises par les citoyens. Ceci ne signifie pas que les changements de traités sont impossibles et ne sont pas souhaitables. Un certain nombre d'avancées supposent une révision des traités mais cela ne constitue pas un projet en soi. Le traité est la résultante des politiques que l'on souhaite mettre en œuvre. Il n'est pas le point d'entrée, mais il peut être le résultat d'un certain nombre de réformes qui sont nécessaires.
En outre, des sujets proprement institutionnels ne fonctionnent pas. L'unanimité est plus problématique en matière de fiscalité que de politique étrangère. La France est traditionnellement opposée à l'unanimité en politique étrangère. Lors de leur rencontre à Meseberg, voici deux ans, le Président et la Chancelière ont toutefois affirmé qu'ils étaient prêts à remettre en cause l'unanimité dans l'ensemble des domaines, notamment la fiscalité et la politique étrangère.
En pratique, le blocage de l'unanimité en politique étrangère est assez faible, mais nous sommes tout à fait ouverts à ce débat. En revanche, en matière de fiscalité, il s'agit d'un immense problème dans la mesure où les avancées concrètes et indispensables, notamment sur la fiscalité du numérique, se trouvent bloquées.
Nous pouvons faire avancer ce point sans changer le traité. Il existe une clause passerelle, laquelle est complexe car elle s'active à l'unanimité. Nous devons explorer cette voie à court terme plutôt que celle du changement de traité.
Au-delà du débat sur la fiscalité et la politique étrangère, nous pouvons conduire de nombreuses actions sans changer le traité. Une réduction de la taille de la Commission est indispensable mais complexe. De nombreux pays, notamment les plus petits, perçoivent la présence d'un commissaire de leur nationalité comme une garantie absolue d'être écouté, ce que je comprends car il s'agit d'une sorte d'attribut statutaire et de garantie de protection. Toutefois, ce fonctionnement conduit à une commission très lourde dont les portefeuilles sont de taille et d'ampleur inégales, et accrédite l'idée selon laquelle chaque commissaire est le porte-parole de son pays. Au Conseil, il est légitime que les ministres et le Président de la République français défendent les intérêts de la France, mais la Commission européenne incarne l'intérêt commun.
Je souhaite que ces questions puissent être abordées dans le cadre de la conférence sur l'avenir de l'Europe. Sur le plan institutionnel, je citerai également la proposition de liste transnationale pour les élections européennes dont la mise en œuvre ne nécessite pas de révision des traités.
Pour répondre à Mme de Courson, je dirais que l'action européenne n'a pas été à la hauteur au cours des premières semaines de la crise sanitaire. Des progrès ont ensuite été réalisés sur les vaccins. Nous avons décidé de passer des contrats de pré-réservation avec les grands laboratoires afin que les Européens accèdent collectivement au vaccin dès que celui-ci sera trouvé, sans être à la merci des Américains ou d'autres grandes puissances qui pourraient s'en réserver l'accès. Nous menons ce travail avec un financement européen et les achats de doses qui permettront de couvrir l'ensemble la population européenne.
Il reste néanmoins beaucoup d'actions à mener. Nous soutenons l'idée de mettre en place une agence européenne biomédicale destinée à financer des recherches ou à créer un autre vaccin. À plus court terme, se pose la question de l'harmonisation des critères sanitaires afin que les mesures que nous prenons dans le cadre de la reprise de l'épidémie soient cohérentes et harmonisées, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.
Vous évoquiez la question du climat. La présidente de la Commission a proposé de retenir un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici 2 030 contre 40 % aujourd'hui. Le Parlement européen a évoqué 60 % voici quelques jours. Nous aurons ce débat au Conseil européen du mois d'octobre. Du côté français, nous avons toujours fait part de notre souhait de rehausser l'ambition par rapport au taux de 40 %. Nous souhaitons le niveau d'ambition le plus élevé possible en tenant compte des implications, secteur par secteur. Tel est l'objet de l'étude d'impact produite par la Commission dont nous avons demandé l'accélération et qui sera publiée aujourd'hui.
Sur la question migratoire, nous avons besoin d'une réponse européenne commune et durable. La France a affirmé, avec l'Allemagne, qu'elle prendrait sa part de solidarité vis-à-vis de la Grèce. Il est de notre devoir d'accueillir un certain nombre de mineurs laissés à l'abandon à Lesbos et rapatriés en Grèce. Lorsque la Turquie a menacé la Grèce, nous avons pris l'engagement auprès du Premier Ministre grec d'accueillir quelques centaines de mineurs. Nous ferons de même dans le cadre de la réponse au drame de Lesbos. L'OFPRA est déjà sur place. Depuis le début de l'année, nous aurons pris en charge environ 1 000 personnes, notamment mineures, depuis la Grèce. Il s'agit d'un effort important fourni par la France et l'Allemagne qui est à notre honneur.
Un mécanisme durable de solidarité doit être mis en place au niveau européen. Telle est la proposition que devrait formuler la Commission la semaine prochaine. Elle reprendra l'idée défendue depuis deux ans par le Président de la République française d'un mécanisme de solidarité obligatoire au niveau européen selon des modalités plus flexibles que des quotas obligatoires qui constituent un point de blocage.