Merci beaucoup, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Députés et Mesdames et Messieurs les Députés européens, dont certains sont connectés. Je salue de nouveau cette initiative, qui permet d'articuler les travaux entre votre Assemblée et le Parlement européen sur ces sujets communs. Vous avez rappelé le menu du Conseil européen des 15 et 16 octobre 2020, qui était effectivement assez copieux. Je tenterai de l'exposer de manière la plus concrète et néanmoins la plus synthétique possible, puis nous approfondirons d'autres sujets que vous voudriez aborder.
S'agissant de la lutte contre la Covid, étant donné que le Conseil européen s'est tenu juste après les annonces du Président de la République concernant la France et que toute l'Europe connaît une résurgence très vive de l'épidémie à des degrés différenciés, la préoccupation générale était perceptible de l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement, même ceux dont les pays sont aujourd'hui moins touchés. Certains pays, qui ont connu une situation moins favorable lors de la première phase de l'épidémie au printemps, je pense notamment à la République Tchèque, sont fortement touchés, ce qui démontre que ce sujet est commun et que personne ne peut s'estimer épargné durablement.
Les mesures plus restrictives que prennent les différents pays européens n'étaient pas inscrites à l'ordre du jour du Conseil européen, mais elles ont fait l'objet d'un long échange entre les chefs d'État et de gouvernement. Elles sont bien sûr adaptées aux territoires et aux pays, souvent régionalisées, comme en France, mais elles se durcissent partout et suivent quasiment le même chemin. La France était, la semaine dernière, l'un des premiers pays, sinon le premier, à décider d'un couvre-feu après 21 heures dans certaines métropoles. Aujourd'hui, d'autres pays européens l'ont adopté, parfois selon des modalités différentes, parfois plus durement sur certains aspects. Les Pays-Bas ont décidé de la fermeture générale des bars et restaurants. L'Italie suit maintenant cette voie. Pour la première fois, un pays, l'Irlande, a dû prendre hier une mesure de reconfinement. Nous ne souhaitons pas suivre cet exemple, mais il démontre la gravité de la situation en Europe.
Face à ces difficultés communes, bien que différentes selon les territoires, il est impératif de renforcer la coordination. Certains estiment que la mobilité n'est pas la préoccupation principale des citoyens, quand certains d'entre eux ne peuvent même pas sortir de chez eux à certaines heures. Néanmoins, certains déplacements non touristiques sont essentiels, comme ceux des travailleurs transfrontaliers. Je rappelle qu'ils réalisent 350 000 déplacements quotidiens en France, sans compter les emplois indirects et les familles concernées. Nous avons le devoir d'en assurer la continuité. D'autres déplacements professionnels ou familiaux sont essentiels. La coordination est également une question d'image pour l'Union européenne, afin de ne pas ajouter de la confusion par des mesures dispersées et non coopératives.
Un accord a donc été conclu la semaine dernière sur un certain nombre de critères communs, de classement des zones, de seuils et une première étape vers les mesures communes en découlant. Nous n'en sommes pas tout à fait là, mais nous devons tout de même saluer cette étape, qui n'était pas évidente à passer.
Les zones ont été harmonisées et nous avons progressé sur les mesures, mais nous devons aller plus loin, en évitant autant que possible le développement des quarantaines pour privilégier des tests reconnus mutuellement, ce qui n'est pas encore le cas d'un aéroport ou d'un pays à l'autre.
Tous les pays ont partagé la recommandation d'autoriser les déplacements essentiels. L'Allemagne a certes classé la région Grand Est en rouge pour des raisons sanitaires, en application des critères européens, mais elle n'a pas fermé sa frontière aux travailleurs transfrontaliers sous couvert d'une dérogation. Nous pouvons saluer l'action d'un certain nombre de députés par différents canaux tels que le Comité de coopération transfrontalière. Nous avons donc tiré les enseignements de la situation du printemps dans nos relations bilatérales et notre travail de coordination européen.
Nous travaillons, par ailleurs, auprès de la Commission européenne à une reconnaissance mutuelle des tests. Si dans les prochaines semaines, comme l'a annoncé le ministre des Transports, nous parvenons à déployer, après quelques pays européens et avant beaucoup d'autres, les tests antigéniques, plus rapides, nous avons intérêt à ce qu'ils soient reconnus par les autres pays sous peine de nous retrouver dans la situation absurde que leurs résultats soient contestés à l'aéroport d'arrivée.
Les chefs d'État et de gouvernement ont également décidé de suivre chaque semaine les mesures de coordination sanitaire. Nous avons donc franchi une étape sérieuse en matière de coordination sanitaire.
Sur la question des vaccins, l'action européenne est importante, car elle est inédite à cette échelle et à cette vitesse face à une crise sanitaire. Nous espérons obtenir le plus rapidement possible la coordination et le financement commun des contrats avec les laboratoires de recherche sur le vaccin. La Commission européenne a préparé un contrat avec six laboratoires différents pour des quantités de vaccins compris entre deux cents et quatre cents millions de doses, afin de couvrir simultanément une large part de la population européenne. Trois de ces contrats sont d'ores et déjà signés et les trois autres sont en cours de finalisation. Le ministre de la Santé y travaille également. Cette coordination est primordiale, car nous ne souhaitons pas que les Français soient vaccinés avant les autres ressortissants de l'Union européenne et vice versa. Ce ne serait pas une réponse européenne acceptable à cette crise sanitaire. Voilà pour l'état des lieux intermédiaire des échanges entre les ministres des Affaires européennes, puis du Conseil européen de la semaine dernière.
L'autre sujet qui a occupé ce Conseil est l'éternel feuilleton du Brexit. Vous connaissez les épisodes précédents, qu'il serait trop long de rappeler en une heure et demie. À ce jour, nous sommes dans une incertitude persistante et préoccupante, puisque nous sommes proches de l'échéance du 31 décembre et que nous avons besoin de visibilité pour finaliser la préparation finale.
Michel Barnier a présenté l'avancement des trois ans et demi de négociation lors de ce Conseil européen et a publiquement réaffirmé les priorités communes des vingt-sept et leur soutien au négociateur. Certaines priorités communes sont particulièrement importantes pour la France. Les huit États concernés par la question de la pêche ont montré de la solidarité, mais d'autres pays, d'Europe centrale par exemple, ont soutenu cette priorité, estimant qu'il est très important de se serrer les coudes pour tenir notre mandat commun et que le visage du Brexit sera, le premier janvier prochain, celui de nos pêcheurs. Ils représenteront l'impact du Brexit, ce qui doit faire réfléchir ceux qui ont soutenu ce choix souverain des Britanniques. En effet, la coopération européenne en matière de pêche est un des acquis fondamentaux et le retrait d'un des pays peut engendrer des impacts douloureux. Il n'y a pas de raison pour que nous en payions les conséquences, d'où notre fermeté au sujet de la pêche. Il était très important que le Président de la République rappelle très clairement ce principe, dès l'entame de ce Conseil européen, et la solidarité européenne n'a absolument pas failli.
L'autre élément très structurant est la question du « level playing field » ou des conditions de concurrence équitable, qui paraît à tort technique, puisque la question est simplement de savoir si le Royaume-Uni peut faire du « dumping » à nos portes. Je ne pense pas que le Royaume-Uni deviendra soudainement un pays de « dumping » social réglementaire généralisé. En revanche, l'accord en cours de construction devant durer des années, voire des décennies, il est hors de question de faire confiance à notre partenaire pour respecter les exigences environnementales, sanitaires, réglementaires…. Nous avons besoin de garanties sérieuses pour lui donner accès au marché intérieur. Nous nous assurons donc, auprès de la « task force » de Michel Barnier, du maintien de la fermeté européenne sur ce sujet.
Que va-t-il se passer maintenant ? Face à ce message de fermeté, le Premier ministre Johnson a déclaré que l'Union européenne ne faisait pas de mouvement sérieux et suffisant et qu'elle devait adopter une nouvelle approche. Nous nous y refusons, car nous avons défini, dans une déclaration conjointe avec les Britanniques il y a plus d'un an, les paramètres de la négociation, le mandat public de Michel Barnier. Plus de neuf cycles de négociation se sont déroulés à ce jour.
Michel Barnier débat aujourd'hui même avec le négociateur britannique, M. Frost. Je ne connais pas l'issue de ces négociations, mais nous ne devons pas céder à une tactique d'intimidation. Il est évident que le « no deal » est plus douloureux pour les Britanniques que pour les Européens. Nous devons porter cette conviction, car les Européens se laissent souvent impressionner par leur partenaire ou adversaire dans leurs relations internationales. Le marché de l'Union européenne est huit fois plus important que celui du Royaume-Uni. Le besoin est donc assez asymétrique. Nous pouvons discuter, mais nos priorités sont claires et nous n'avons pas de raison d'en changer. Elles ont été communiquées en toute transparence et en toute bonne foi à nos partenaires de négociation. Notre approche ne sera donc pas nouvelle avec les Britanniques. À eux de nous dire s'ils souhaitent continuer à négocier. Nous y sommes prêts.
Je souhaite mentionner un dernier élément sur l'état de notre préparation, comme vous m'y avez invité, Madame la Présidente. Quoi qu'il arrive, nous connaîtrons des changements le premier janvier prochain. Au-delà de la pêche, nos relations avec le Royaume‑Uni évolueront. Le Brexit n'est globalement pas une bonne nouvelle. Même en cas d'accord, des contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires des marchandises seront opérés à la frontière. En l'absence d'accord, ce sera plus difficile, mais nous avons aussi préparé un certain nombre de mesures pour nous assurer que nous disposons des effectifs nécessaires aux contrôles et aux mesures de continuité dans des domaines essentiels comme le tunnel sous la Manche. Nous devrons poursuivre notre préparation jusqu'à la fin de l'année, pour vérifier que notre accord est robuste ou mettre en œuvre des contrôles adaptés en l'absence d'accord. Plus de 700 douaniers ont été recrutés et sont déployés ou peuvent l'être, ainsi que plus de 200 agents vétérinaires pour les contrôles sanitaires et phytosanitaires. Olivier Dussopt était récemment à Boulogne pour vérifier le dispositif douanier et le Premier Ministre a réuni le 12 octobre 2020, avant le sommet européen, un comité interministériel pour faire l'inventaire des préparatifs dans tous les domaines (transport, pêche, douane, etc.) en cas de « deal » ou de « no deal ».
Le climat était également à l'ordre du jour du Conseil européen. Vous avez rappelé, Madame la Présidente, qu'aucun accord n'a été conclu sur la future cible de réduction de nos émissions d'ici 2030, mais c'était prévu. Cette étape était toutefois utile. La France et onze autres pays (dix avant le Conseil) se sont prononcés pour une révision à la hausse de notre cible de réduction des émissions pour 2030. L'an dernier, la France avait porté la neutralité carbone pour 2050. Pour 2030, nous défendons la proposition de la Commission européenne d'atteindre au moins 55 % de réduction de nos émissions. Cet objectif est très ambitieux, mais il est indispensable. Il nous reste à convaincre l'ensemble des pays d'Europe de s'y rallier lors du Conseil européen de décembre 2020, préparé par les ministres de l'Environnement.
La COP 26 a été décalée à l'année prochaine en raison de la Covid, cinq ans après les accords de Paris dont nous fêterons l'anniversaire au mois de décembre. Nous avions alors pris l'engagement collectif de rehausser notre ambition pour 2030, ce qui est d'ailleurs indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050. L'Europe doit se montrer exemplaire. Comme le Président de la République l'a rappelé, il est très clair que nous ne sommes ni isolés ni naïfs. Que l'Europe, qui représente 9 % des émissions mondiales, soit seule à rehausser sa cible serait insoutenable, inefficace et injuste. Les conclusions du sommet européen l'ont d'ailleurs mentionné. Notre disponibilité à augmenter notre cible pour 2030 doit donc être accompagnée de mesures européennes équitables pour lutter contre le changement climatique. Je pense notamment à la révision à la hausse de nos mécanismes de prix du carbone et de la taxe carbone aux frontières de l'Europe (dit également « mécanisme d'inclusion carbone » ), qui vise à faire payer les exportateurs vers l'Union européenne, qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences environnementales. La France se bat pour cette mesure et le Parlement européen exerce une saine pression sur la Commission européenne, qui devrait proposer un texte législatif dans les premiers mois de 2021. Cette mesure est très difficile à appliquer juridiquement et techniquement, mais nous pourrions commencer par les secteurs où la compétition internationale est la plus féroce et pour lesquels nous savons mesurer le prix du carbone. Je pense à l'acier et au ciment. En tout cas, nous ne pouvons pas consentir un effort climatique sans les outils d'équité environnementale et climatique avec nos partenaires et concurrents internationaux.
Je termine par les questions internationales, que vous avez mentionnées, Madame la Présidente. Un débat s'est ouvert sur la relation entre l'Union européenne et l'Union africaine, dont les dirigeants se réuniront en sommet restreint le 9 décembre 2020, afin d'accélérer les sujets de coopération, notamment les accords commerciaux dits post-Cotonou.
Dans le contexte de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques, le Président de la République a rappelé qu'il était très important de porter deux points dans ce sommet. Le premier est le renforcement d'une initiative, que la France a initiée en avril dernier avec quelques partenaires et l'OMS, visant à garantir qu'un vaccin sera fourni à un prix abordable partout dans le monde et qu'en attendant, les systèmes de santé seront renforcés en Afrique grâce aux financements de l'OMS et d'autres organisations publiques et privées internationales. Le deuxième concerne la question de la dette. La France, sous l'impulsion du Président de la République, a été motrice, dans le cadre du G20 et du Club de Paris, pour prolonger de six mois le moratoire sur les paiements de la dette d'un certain nombre de pays en sérieuse difficulté, pas seulement africains. La France organisera d'ailleurs en mai 2021 un sommet sur le financement de l'économie africaine.
Voilà pour l'essentiel des sujets, qui ont fait l'objet d'un débat intermédiaire, quinze jours après un autre Conseil européen sur les tensions en Méditerranée orientale et le comportement de la Turquie. Les vingt-sept pays de l'Union européenne lui ont laissé une forme de choix stratégique : soit elle poursuit la voie de l'apaisement en Méditerranée orientale et nous sommes prêts à conduire le dialogue, soit ce n'est pas le cas et nous réactiverons toutes les mesures restrictives et de sanctions nécessaires. La situation évolue rapidement, mais malheureusement, tous les signaux envoyés par la Turquie depuis le premier sommet début octobre prennent une direction opposée au dialogue.
Un autre sommet européen, consacré aux questions climatiques et vraisemblablement au Brexit, se tiendra en décembre 2020. Nous l'évoquerons le moment venu.