Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h30
Commission des affaires européennes

Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes :

Sur la question de la défense post- Brexit, il reste des incertitudes non seulement sur l'issue d'un éventuel « deal » et son contenu, mais plus encore sur le monde d'après. Nous aurons clairement intérêt à entretenir un lien étroit, européen et bilatéral avec le Royaume-Uni. Nous n'éviterons toutefois pas, en cas de non-accord, une période d'interrogations. Notre objectif n'est pas de la prolonger.

Même si nous faisons preuve de la plus grande fermeté, le Royaume-Uni restera un voisin, un allié et l'un de nos meilleurs partenaires de sécurité face aux grandes crises et au multilatéralisme international. Nous fêterons, début novembre, les dix ans de Lancaster House. Un sommet bilatéral avec le Royaume-Uni semble s'imposer début 2021, afin d'approfondir les coopérations bilatérales en matière de défense. L'axe bilatéral ne doit pas être le seul canal. Un cadre européen est également nécessaire.

L'Initiative européenne d'intervention (IEI) faisait partie des projets phares du discours de la Sorbonne du Président de la République. Elle réussit à planifier les activités stratégiques. Nous partageons assez spontanément cette culture avec le Royaume-Uni, qui est membre de l'IEI. Nous avons été très fermes, le Royaume-Uni étant un pays tiers, tout en créant des forum de discussion, pas uniquement bilatéraux.

D'autres formats que l'IEI pourraient être imaginés. Le Président avait proposé, en mars 2019, un Conseil de sécurité européen, qui serait un lieu, non de décision, mais de concertation intégrant le Royaume-Uni. À ce jour, le Royaume-Uni n'a pas souhaité aborder les questions de sécurité et de défense dans la négociation de l'accord.

Par ailleurs, pour tenir compte du Brexit et du nouvel environnement stratégique, le Président de la République a fait le choix, avec la chancelière allemande Madame Merkel en 2017, de lancer des coopérations industrielles de défense avec l'Allemagne pour fabriquer les chars et les avions du futur. Nous savions que cette coopération serait très compliquée à mettre en œuvre, car elle renvoie à des cultures stratégiques et des habitudes industrielles différentes, mais nous surmontons les blocages qui se présentent grâce au travail quasi quotidien de Madame Parly et nous réussirons.

Les points d'interrogation restent quand et comment arrimer le Royaume-Uni à la défense et à la sécurité européennes. Le Royaume-Uni devra clarifier ses ambitions stratégiques. Jusqu'à présent, il s'est plutôt montré européen sur ces questions.

En matière climatique, nous devons effectivement combiner une sorte d'exemplarité européenne et disposer d'outils nous permettant de respecter les objectifs. Je partage vos préoccupations. Néanmoins, je pense que les 55 % sont importants. La Commission a réalisé une étude d'impact qui montre qu'ils sont atteignables. Cet objectif général devra être décliné par secteur pour développer les législations et les transitions nécessaires pour l'atteindre.

Je partage votre souhait pragmatique de points de passage. Dans le cadre de la loi Climat, le Parlement européen travaille sur un objectif intermédiaire en 2040, voire des points de passage supplémentaires, afin de ne pas délaisser cette trajectoire pendant vingt ans.

Je signale, par ailleurs, pour répondre à une question sous-jacente de Jean‑Louis Bourlanges, que l'Union européenne est engagée sur le Climat sans être isolée ou naïve. En effet, lorsque l'accord de Paris a été remis en cause, le départ américain annoncé en 2017 n'a pas été suivi par celui de la Chine, et d'autres, grâce à l'action du Président de la République et de la Commission européenne. Cette victoire européenne n'est pas suffisamment saluée. Je rappelle que la Chine s'est engagée sur la neutralité carbone, non pour 2050, mais pour 2060, ce qui est un premier pas significatif. Là aussi, des étapes intermédiaires sont nécessaires pour contrôler l'atteinte des objectifs.

S'agissant de la coordination sur l'ouverture des frontières, nous tentons effectivement de mettre en œuvre un cadre multilatéral au niveau européen. Je doute qu'une forme de Schengen, d'un format plus restreint pour quelques pays, soit pertinente sur ce sujet. Rendre une coordination obligatoire, par exemple par la définition de critères communs, n'est juridiquement pas possible, compte tenu des compétences européennes.

La pression politique peut agir. L'accord que nous avons obtenu au Conseil des affaires générales, juste avant le Conseil européen la semaine dernière, a été soutenu par tous les États. Seul le Luxembourg a émis une critique en indiquant que nous n'allions pas assez loin. Tous les États sauf la Hongrie ont suivi la recommandation européenne. Nous ne pouvons pas développer les contraintes juridiques, mais nous pouvons développer des coopérations ad hoc bilatérales, comme entre la France et l'Allemagne pour assurer l'ouverture permanente de notre frontière ou entre les quelques aéroports internationaux d'Europe, sans attendre un accord des vingt-sept pays. En bref, poursuivons ce cadre européen commun sur la base de l'accord conclu la semaine dernière.

La question sur la différence concrète entre un Brexit avec ou sans accord est très juste. Ne connaissant pas le contenu d'un éventuel accord, je ne peux toutefois pas y répondre sur la partie non tarifaire. En revanche, la partie tarifaire est assez claire. En cas d'accord, nous travaillons sur un scénario sans quota ni tarif. Dans tous les cas, il y aura des contrôles sanitaires et phytosanitaires pour vérifier le respect de nos normes, un certain nombre de formalités et enregistrer les produits, mais sans tarification, ce qui fluidifiera les relations économiques.

Dans le domaine de la pêche, si un accord nous octroie un accès maximal aux eaux britanniques et s'il permet aux Britanniques de transformer leurs produits en France, la filière pêche sera largement préservée. En l'absence d'accord, les tarifs de l'OMC s'appliqueront, dans l'attente éventuelle de signer un accord commercial comme avec d'autres partenaires. L'impact serait douloureux pour un certain nombre de secteurs, comme l'aéronautique ou la transformation halieutique. Les échanges s'en trouveraient réduits, avec un impact sur le PIB français estimé à 0,1 point.

La dénomination de la taxe carbone est effectivement une simplification excessive de ma part, car il ne s'agit aucunement de créer une taxe. Plusieurs options techniques sont à l'étude par la Commission et la France. Une sorte de miroir du mécanisme ETS pourrait être activé, pour obliger les exportateurs vers l'Europe à payer le prix du carbone et les placer ainsi au même niveau d'exigence que les producteurs français.

Selon les experts, le prix du carbone est facilement mesurable pour l'acier et le ciment, qui sont fabriqués à différents endroits du monde selon des processus relativement standardisés. Je ne connais pas précisément le chiffre pour l'acier, mais les métaux représentent 5 % de nos importations. Nous pourrions ainsi couvrir assez rapidement 10 à 15 % de nos importations par ce système, qui pourra être étendu s'il fonctionne correctement.

Concernant la question de notre dépendance à la Turquie, notre obligation européenne est effectivement de traiter les crises de court terme. Nous sommes en difficulté vis-à-vis de la Russie ou de la Turquie précisément en raison de nos dépendances, qui ne peuvent se régler en un Conseil européen. Le débat est ouvert sur la 5G vis-à-vis de la Chine, dans des secteurs technologiques, stratégiques, comme nous l'avons constaté pendant la crise pour la production de médicaments, ou énergétiques comme sur Nord Stream avec la Russie.

Nos choix industriels, migratoires et commerciaux doivent être opérés à l'aune de la réduction de nos dépendances. Le pacte migratoire, tant décrié, que propose la Commission a notamment pour objectif de réduire notre dépendance dans le temps, car nous aurons moins besoin de la Turquie pour contrôler nos frontières si nous accélérons nos procédures d'asile et que nous reconduisons plus vite à la frontière ceux qui n'y sont pas éligibles.

Le sujet de Taïwan dépasse mon champ de compétences. Nous avons gardé un cadre de relation avec ce pays dans les domaines de l'innovation et de la recherche, tout en respectant les principes que vous connaissez vis-à-vis de la Chine. Le Quai d'Orsay vous répondrait plus précisément.

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