Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 20 octobre 2020 à 18h30
Commission des affaires européennes

Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes :

Je ferai un lien entre les questions de Madame Tanguy et de Monsieur Pont, car elles expriment les mêmes préoccupations. Vous avez rappelé que nos priorités sont un accès réciproque et stable. Un accord soumis au bon vouloir britannique selon des critères annuels, sans visibilité ni garantie, n'est pas acceptable. Vous comprendrez que je ne précise pas publiquement ce que serait un « effort raisonnable ». Notre négociateur est très prudent sur cette expression, car nous ne souhaitons pas donner le sentiment que les Britanniques auraient une forme de droit moral à préserver les intérêts de leurs pêcheurs, alors que nos pêcheurs seraient les sacrifiés d'un choix souverain unilatéral des Britanniques.

Ces derniers nous demandent souvent pourquoi nous tenons tant à la pêche. Nous souhaitons, comme eux, préserver nos secteurs d'activité, d'autant que nos pêcheurs n'ont pas choisi de quitter l'Union européenne. Si celle-ci concède un effort, il est hors de question que les Britanniques n'appliquent pas le principe de la réciprocité.

Par ailleurs, le traitement séparé de la pêche, au motif qu'elle représente l'intérêt offensif des Britanniques, serait aberrant. Nous négocions un accord d'ensemble. Sur l'essentiel des secteurs, les Britanniques sont demandeurs d'un accès à notre marché et nous sommes prêts, sous certaines conditions, strictes et connues, à le leur donner. La pêche n'est donc pas un cadeau qu'ils nous offriraient. Je n'avancerais pas de chiffres. Vous connaissez la zone stratégique pour la France qu'est la bande des 6-12 milles, qui est tout aussi importante pour les Britanniques. Nous avons, avec Annick Girardin, échangé avec les pêcheurs de Port-en-Bessin la semaine sur ces priorités. Le Brexit aura un impact sur la pêche française, mais il serait immoral et inacceptable pour que nous acceptions la logique des Britanniques de payer pour leurs choix.

En l'absence d'accord, ne serait-il pas utile de suspendre temporairement les principes de la politique commune des pêches et que chacun pêche dans ses eaux ? Nous avons étudié toutes les options avec Annick Girardin. Il est effectivement important, en cette période, de ne pas être dogmatique, car il en va de la survie de nos pêcheurs. Quelle que soit la région, cette solution les pénaliserait.

En effet, la politique commune de la pêche a énormément apporté à la pêche française (notamment la visibilité pluriannuelle et le principe d'accès réciproque aux eaux). Les droits historiques lui sont favorables. Le démantèlement de notre propre politique commune constituerait un terrible héritage du Brexit et une sorte de victoire odieuse pour sa logique nationaliste.

Nous devons toutefois être vigilants face aux tactiques de négociation bilatérale et de rachat de pavillons de certains pays. Nous ne financerons pas le rachat de pavillons par des entreprises britanniques, qui bénéficieraient à des pêcheurs d'une autre nationalité, qui n'ont pas un modèle de pêche artisanale aussi développé que le nôtre. Ce modèle est à la fois notre force et parfois la source de nos difficultés, mais que nous tenons à le préserver. D'autres solutions doivent être envisagées, car ce nationalisme maritime serait extrêmement défavorable à l'ensemble de la pêche européenne.

Par rapport à Strasbourg, je ne vous rappelle pas notre engagement commun, qui dépasse les sensibilités politiques. Le Parlement européen s'était préparé à revenir à Strasbourg, mais les difficultés sanitaires l'en ont empêché. Nous maintenons la pression sur le président Sassoli. La session de cette semaine se tient à distance, y compris depuis Strasbourg, ce qui est nouveau par rapport à la session de septembre et la première session d'octobre. J'espère pouvoir rencontrer les députés sur place rapidement. J'avais pris l'engagement que nous nous retrouverions, du moins virtuellement, tous les mois avec les tous les élus concernés, toutes sensibilités politiques confondues pour préparer le contrat triennal et continuer à porter notre message de mobilisation. Je viendrai à Strasbourg, quoi qu'il arrive, pour préparer ce contrat triennal, qui sera conclu par le Président de la République et le Premier ministre dans les prochaines semaines.

La taxe carbone est revenue dans plusieurs interventions. Le combat n'est pas encore gagné, mais sur les ressources propres, nous sommes confrontés à de nombreuses fausses nouvelles. L'accord du 21 juillet constitue une avancée majeure, en complément de la pression qu'exerce le Parlement européen sur ce sujet dans l'accord budgétaire final pour créer de nouvelles ressources propres, comme en ont convenu les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement. L'avant-dernière page de l'accord du 21 juillet présente même une liste des possibles nouvelles ressources propres (numériques, de transactions financières, carbone).

Le Parlement européen, sous la pression de la députée Valérie Hayer, insiste pour que la Commission européenne prenne l'engagement de faire des propositions, dès 2021, sur la taxe numérique et le mécanisme d'ajustement carbone. Il pousse même le Conseil, qui sera codécideur, à s'engager sur un calendrier de négociation de ces taxes. Il me semble crédible qu'au moins l'une de ces deux taxes, qui procèdent de la même logique de comblement des trous dans le financement de notre budget et de notre marché intérieur, soit appliquée en 2022.

La présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022 doit d'ailleurs être l'accélérateur final de cette négociation. Le combat n'est certes pas encore gagné, mais nous sommes parvenus à réaliser ce que nous pensions impossible il y a encore quelques mois. Le plan de relance et l'endettement commun auraient paru farfelus il y a six mois. Il y a deux ans, seuls deux à trois pays défendaient la taxe numérique. La Commission l'a proposée au printemps 2018. Nous avons réuni, sous l'impulsion de Bruno Le Maire, vingt-cinq pays prêts à la lancer au niveau européen et avons ouvert une négociation internationale, dont nous connaissons la difficulté en raison du blocage américain.

La taxe OCDE vise à combler les impôts et l'insuffisance de taxation des grandes entreprises numériques. Si nous concluons un accord avec l'OCDE, nous le mettrons en œuvre au niveau européen. Sinon, nous reprendrons la négociation européenne. La Présidente de la Commission et le commissaire à l'Économie, M. Gentiloni, ont prévu de remettre la taxe européenne sur le numérique sur la table début 2021 en l'absence d'accord.

La taxe carbone aux frontières était totalement impensable il y a quelques mois. Elle figure maintenant dans l'accord du 21 juillet 2020. De plus en plus de pays, comme les Pays-Bas et la Suède, sont maintenant prêts à soutenir un mécanisme carbone. Ce combat est un peu moins mûr que celui sur le numérique, mais nous pouvons également le gagner.

Les ressources propres vont dans le sens de l'histoire, non seulement parce que des politiques échappent à l'équité fiscale, mais aussi parce que, dans le cadre du prochain budget européen, le choix devrait être clair entre une hausse significative des contributions des pays frugaux et un panel de ressources propres issu d'entreprises qui ne paient pas aujourd'hui alors qu'elles profitent de l'Europe.

Je partage le souci de coordination, mais il convient de différencier certains éléments. Le patchwork européen représente la réalité de la situation épidémique en Europe. En Allemagne, certains länders imposent des restrictions de circulation et des quarantaines à d'autres länders. Pour autant, l'Allemagne présente des résultats satisfaisants, à ce jour, dans la gestion de cette épidémie.

Les quarantaines sont le véritable point bloquant en Europe, car nous disposons déjà de critères communs. À l'exception de la Hongrie, les pays suivent le seuil de 50 pour 100 000 habitants en termes d'incidence pour définir les zones rouges. En revanche, les mesures qui en découlent diffèrent, notamment l'application de la quarantaine, qui complique la circulation pour des raisons professionnelles au sein de l'Europe.

L'évolution rapide des mesures dans chaque État est le deuxième élément qui crée de la confusion. Les États s'adaptent à la situation sanitaire. Les reproches adressés parfois à l'Europe ne le seraient pas à l'échelon national ou régional. En Allemagne, peu de citoyens reprochent à la chancelière les restrictions de circulation entre länders. En Europe, la confusion est suscitée par l'absence de compétence, les quarantaines et l'évolution rapide des décisions. Nous tentons de réduire les quarantaines autant que possible en multipliant les tests et leur reconnaissance mutuelle. L'information préalable, dans un délai de quarante-huit heures, entre les pays européens est désormais inscrite dans l'accord que nous avons obtenu à Luxembourg la semaine dernière. La France n'a pas choisi de restreindre la circulation à l'intérieur du pays. En tout état de cause, ces deux points sont les combats à mener.

J'en profite pour évoquer la question de l'influence des médias sur l'image de l'Europe. J'avais pris l'engagement, ici même, de réfléchir à une mission, éventuellement parlementaire. Vous avez pris l'initiative d'en lancer une. Nous réunirons prochainement, autour du Premier ministre et de la ministre chargée de la communication, Mme Bachelot, les acteurs des médias publics et privés en vue de la présidence française, mais aussi pour étudier, évidemment sans imposer, comment améliorer l'information. Parler d'Europe revêt, en effet, un enjeu démocratique et de pluralisme. Le Premier ministre prendra ce sujet sous son autorité, ce qui démontre l'importance de cet enjeu pour le gouvernement.

Concernant la PAC, il serait assez long de lister toutes les actions à mener pour harmoniser le plus possible. Je ne citerai que les deux points soulevés. Sur la certification, je vous renvoie aux discussions en cours à Luxembourg, où Julien Denormandie se trouve encore à l'heure actuelle pour lutter contre une forme de dumping ou du moins de concurrence inéquitable à l'intérieur de l'Europe, du fait de normes différentes. Nous l'avons constaté pour les betteraves et les abeilles. Le problème est que l'harmonisation n'est pas effective. Les « eco schemes », c'est-à-dire les obligations environnementales dans le premier pilier de la PAC, que nous souhaitons rendre obligatoires, constituent le point crucial pour réussir la transition environnementale sans créer d'iniquité.

Le modèle des accords commerciaux, tel qu'il s'est incarné dans l'accord Mercosur, est dépassé. Il n'est plus acceptable par nos sociétés s'il ne relève pas le niveau d'exigences environnementales, climatiques et sanitaires. Je crois à l'ouverture du commerce lorsqu'elle est équitable, mais il y a parfois un doute, infondé ou réel, de concurrence inéquitable sur le plan environnemental, climatique et sanitaire entre les grands blocs commerciaux mondiaux. La déforestation au Brésil et les processus de production dans ces pays en sont un exemple. Ces mêmes raisons nous avaient conduits, en France, à ne pas ouvrir de négociations commerciales, même limitées avec les États-Unis l'an dernier.

Nous devons défendre notre modèle et ne pas accepter d'accords commerciaux à tout prix. Vous connaissez notre position de fermeté à l'égard de l'accord Mercosur. Un nouveau modèle, intégrant la vérification des processus de production et des critères environnementaux et climatiques plus exigeants, mérite d'être réinventé par l'Union européenne, sous peine d'être freinée sur le plan commercial.

Avec Sébastien Lecornu et Julien Denormandie, nous sommes très engagés sur la question du POSEI. Le combat n'est pas encore gagné, mais notre souhait est bien d'assurer la stabilisation des montants du POSEI pour les régions ultrapériphériques françaises et européennes dans la programmation 2021-2027. Nous avons obtenu la stabilisation de la politique agricole globale sur cette période. Il n'y a donc pas de raison pour que le POSEI soit amputé. Cet enjeu budgétaire et économique est majeur pour les agricultures des Outremers, alors que les sommes sont mineures à l'échelle du budget européen.

Le Premier ministre sera à Bruxelles le 23 octobre prochain pour échanger notamment avec la Présidente de la Commission européenne sur le POSEI. Je vous informerai du résultat de nos démarches de mobilisation.

Concernant le climat, j'ai déjà répondu à la question de la taxe carbone. Il convient d'être suffisamment courageux pour être à la fois exemplaire, défendre nos priorités et les imposer aux autres, ou au moins les faire respecter. Nous n'avons pas encore atteint ce niveau de puissance.

Je rappelle les efforts politiques réalisés pour sauvegarder l'accord de Paris. Nous faisons clairement partie du bloc continental leader en matière de transition énergétique. Sans ces efforts de l'Union européenne, et de la France en particulier, la Chine ne se serait pas engagée sur cette trajectoire de neutralité carbone à échéance de 2060.

L'équité fiscale est la prochaine étape. Elle sera difficile à imposer à nos partenaires commerciaux, mais elle est nécessaire. La France a tenté à plusieurs reprises de porter le mécanisme d'inclusion carbone et plusieurs pays, qui y étaient réfractaires, l'ont maintenant rejointe. Je suis convaincu que ce sera une victoire européenne, j'espère d'ici 2022, car il est incompréhensible que nos efforts climatiques ne soient pas respectés. L'Europe est parfois lente à admettre le bon sens de la puissance, mais elle y vient et la France y a largement contribué.

S'agissant de la question de l'état de droit, le blocage actuel n'est pas insurmontable. Deux pays interprètent l'accord du 21 juillet 2020 comme assez souple et d'autres pays, dont les Pays-Bas, la Finlande, la Suède et le Danemark, considèrent que le Parlement ne pourrait pas ratifier le paquet budgétaire. La France, qui a cette ambition, a toutefois souhaité soutenir la Présidente allemande pour trouver un compromis, par souci de coopération et d'atterrissage sur le paquet budgétaire. Je suis persuadé que nous aboutirons, pour la première fois, à un mécanisme liant le budget et le respect de l'état de droit.

Ce dispositif budgétaire complétera les actions de la Cour de Justice, dont nous avons constaté la puissance lorsqu'elle a condamné la Hongrie et qu'elle a ordonné la fermeture de l'université d'Europe centrale, et les procédures politiques de l'article 7. Nous avons ouvert la porte à ce mécanisme de conditionnalité. J'espère pouvoir vous présenter d'ici la fin de l'année le résultat de cette négociation, qui prendra certainement la forme d'un compromis.

Sur la question de la Turquie, une réponse ferme est certes nécessaire. La France a fait changer le consensus européen, car le langage de fermeté vis-à-vis de la Turquie était encore assez étranger à l'Union européenne il y a quelques mois. Sa prise de conscience a commencé lors des pressions exercées sur la frontière grecque en février dernier. Elle a réagi de manière unie et ferme en vingt-quatre heures. Ses dirigeants se sont rendus à la frontière grecque pour soutenir le maintien des frontières, car la dépendance de la Grèce était inacceptable.

La politique étrangère ne se résume pas à des sanctions. Elles font partie de la boîte à outils, car elles sont utiles et symboliques. Nous en avons d'ailleurs déjà exercé sur la Turquie, en novembre 2019, à l'occasion de forages dans les eaux chypriotes. Nous sommes prêts à les renouveler si la situation se dégrade. Ainsi, le Président de la République a décidé avec quelques partenaires européens, en août 2020 lors des vives tensions en Méditerranée orientale, de déployer nos forces navales. Nous devons opposer cette fermeté crédible face à la Turquie, qui adopte une stratégie d'ensemble de tests et de pressions sur l'Union européenne.

Il me semble avoir répondu à la question de la Covid.

S'agissant de la relation entre l'Union européenne et l'Union africaine, je pense que nous avons changé de paradigme, en considérant que ces relations ne se résument pas à des préférences commerciales à sens unique, voire limitées aux problématiques de migration ou de sécurité. L'investissement privé et les coopérations en matière d'innovation technologique, que le Président de la République a mis en évidence lors de ses déplacements en Afrique, sont essentiels dans le partenariat entre l'Union européenne et l'Union africaine. Tel est d'ailleurs le sens de la négociation post-Cotonou, dont l'idée est de définir un cadre commercial entre l'Union européenne et l'Union africaine, mais surtout de favoriser l'émergence d'une zone de libre-échange en Afrique, qui servirait davantage notre relation économique que les coopérations actuelles. Notre action sur l'économie et l'investissement, notamment privé, dans les deux sens, vise le respect et l'équilibre, dans la nouvelle relation que porte le Président de la République. Le sommet du 9 décembre 2020 sera aussi l'occasion de poser un premier jalon.

L'Union européenne étudie actuellement la candidature d'une Nigériane à l'Organisation mondiale du Commerce. La France ne verrait que des avantages à son succès symbolique et concret pour l'Afrique.

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