Intervention de Frédéric Baab

Réunion du mercredi 4 novembre 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Frédéric Baab, procureur européen français :

Plusieurs députés ont rappelé que la création du Parquet européen représentait un transfert de souveraineté à l'échelon européen. Transférer à l'échelon européen toutes les prérogatives d'action publique des parquets nationaux dans le domaine de la défense des intérêts financiers de l'Union européenne est en effet le premier objectif du Parquet européen.

Lors du lancement de l'initiative, en mars 2013, nous avons souhaité que les États membres ne disparaissent pas entièrement dans cette nouvelle structure de l'Union européenne. C'est pourquoi nous avons proposé, d'une part, que le Parquet européen ait une organisation collégiale, ce qui permet à chaque État membre d'y être représenté, et, d'autre part, que son action s'inscrive dans le cadre des procédures pénales nationales. Si nous avions fait de l'adoption d'une procédure pénale européenne le préalable à l'adoption du règlement sur le Parquet européen, nous n'aurions pas obtenu d'accord politique.

Dans le fonctionnement du Parquet européen, les enquêtes conduites dans chaque État membre seront supervisées par le procureur européen de l'État membre concerné. Le lien national entre le Parquet européen et les États membres sera donc conservé, même si la décision sur l'exercice ou non des poursuites sera prise à l'échelon européen par les chambres permanentes.

M. Bourlanges a demandé comment nous aider. Le premier moyen est d'adopter le cadre légal français dans les meilleurs délais.

Il faut aussi nous aider à résoudre la difficulté dans laquelle nous nous trouvons avec les procureurs européens délégués français. Le garde des Sceaux a récemment adressé une réponse à la Commission européenne expliquant que nous étions dans une situation de blocage en raison du statut particulier des procureurs européens délégués, qui a pour conséquence d'obliger les États membres à financer l'ensemble de leurs cotisations sociales, alors qu'ils travailleront pour le compte de l'Union européenne. En conséquence, la France ne pourra recruter des procureurs européens délégués qu'avec une ancienneté inférieure à 8 ans. Cela n'est pas compatible avec la mission du Parquet européen, qui requiert une compétence reconnue en matière économique et financière. D'ailleurs, aucun vice-procureur du parquet national financier n'a une ancienneté aussi faible.

Nous avons par ailleurs besoin d'un chef de service. Les procureurs européens délégués devront travailler en coopération étroite avec des autorités judiciaires de très haut niveau en France. Pour avoir un dialogue équilibré avec ces autorités, nous avons besoin d'avoir à la tête du service un magistrat d'un niveau hiérarchique suffisant.

Aujourd'hui, compte tenu de la position de la France, nous ne sommes pas en mesure de recruter des procureurs européens délégués et un chef de service qui aient la compétence et l'autorité nécessaires pour remplir leur mission.

Je reviens sur la question de la langue de travail. Le choix de l'anglais comme langue de travail étant sans doute la seule solution pour permettre au Parquet européen de fonctionner. Je prends l'exemple de la coopération judiciaire au sein des vingt-deux États participant au Parquet européen. La coopération entre les procureurs européens délégués sera beaucoup plus directe que dans le cadre commun de l'espace judiciaire européen : chacun devra travailler pour le compte de l'autre. Dans un système intégré, nous avons besoin d'une langue de travail unique. Nous avons été confrontés à cette question lorsque nous avons réfléchi aux conditions de recrutement des procureurs européens délégués. La première condition était les connaissances des candidats en matière économique et financière, mais la deuxième était qu'ils aient une connaissance suffisante d'une langue de travail commune qui leur permette de coopérer directement, entre eux et avec les chambres permanentes. Si nous avions exigé que le français soit la deuxième langue de travail pour le travail opérationnel, nous n'aurions eu quasiment aucun candidat.

Nous avons cependant tenu à ce que le français soit maintenu, de manière obligatoire, dans les relations du Parquet européen avec la CJUE.

Troisième sujet, la question du juge d'instruction et la manière dont sera transposé le règlement en droit français. En 2013, lorsque nous avons commencé à réfléchir à l'idée d'un Parquet européen, j'ai informé Christiane Taubira, dont j'étais le conseiller, que si nous soutenions le projet d'un Parquet européen, alors nous devrions accepter que le juge d'instruction français soit écarté de son champ de compétences. En effet, l'idée même d'un Parquet européen implique que les décisions d'action publique ainsi que le contrôle de l'enquête soient pleinement exercés au niveau européen. Or, si nous avions maintenu le juge d'instruction dans le système, nous aurions dû accepter que le Parquet européen délègue son pouvoir au profit du juge d'instruction qui aurait dirigé l'enquête et qui aurait pris lui-même la décision concernant l'exercice des poursuites. Ainsi, le maintien du juge d'instruction n'était pas compatible avec l'établissement d'un Parquet européen.

Dans le projet de loi qui vous est soumis, et que vous aurez à discuter après son passage au Sénat, le ministère de la justice a fait le choix de ne pas créer un nouveau statut spécifique pour les procureurs européens délégués. Ce nouveau statut aurait en effet pu entrer en concurrence directe avec le statut du juge d'instruction. Le choix qui a été fait permet d'intégrer dans la loi de transposition le cadre procédural français actuel, c'est-à-dire en permettant au procureur européen délégué d'exercer à la fois les compétences d'un procureur et celles d'un juge d'instruction. Ainsi, dans la loi de transposition, l'institution même du juge d'instruction n'a pas été supprimée ni écarté au profit d'un nouveau statut, mais qu'elle a été au contraire intégrée dans le cadre procédural des procureurs européens délégués.

Dernier sujet : l'extension de compétences du Parquet européen à d'autres formes de criminalité, comme les infractions terroristes notamment. Nous sommes encore, pour le moment, dans une phase de mise en place, d'installation. Réfléchir à une extension de compétences ne pourra se faire que lorsque nous aurons un premier retour d'expérience permettant de valider la pertinence d'un Parquet européen d'un point de vue opérationnel. De plus, l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que toute extension de compétences du Parquet européen à d'autres types d'infractions que la défense des intérêts financiers de l'Union devra être approuvée de manière unanime par le Conseil européen, autrement dit par les 22 pays participant au Parquet européen et les cinq autres États membres ne participant pas au projet. Pour obtenir un accord unanime du Conseil européen, il faudra alors que le projet d'extension des compétences du Parquet européen soit très sérieusement construit et motivé, et qu'il puisse s'appuyer sur un premier bilan d'activité.

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